Tribunal administratif N° 43548 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 septembre 2019 3e chambre Audience publique du 31 mars 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43548 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2019 par Maître Ivette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Rwanda), de nationalité belge, tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 février 2019 portant refus d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2019 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ivette NGONO YAH déposé au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2020 pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ivette NGONO YAH, et Monsieur le délégué du gouvernement Filipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 novembre 2020.
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En date du 25 octobre 2018, Madame …, de nationalité belge, introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de famille d’un ressortissant de pays tiers au sens de l’article 12 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », en faveur de son père, Monsieur …, né le … à … (Rwanda), de nationalité rwandaise.
Par une décision du 8 février 2019, notifiée à Madame … en mains propres en date du 13 juin 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », refusa de faire droit à la demande de regroupement familial, décision libellée comme suit :
1 « […] Je suis toutefois au regret de vous informer que votre demande de regroupement familial ne peut pas être examinée au regard de l’article 12 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, étant donné que le lien familial qui vous lierait à Monsieur … n’est pas établi. […] ».
Par requête déposée le 11 septembre 2019 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 43548 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle précitée du 8 février 2019.
Il convient de prime abord de souligner que quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’un regroupement familial, respectivement d’une autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle litigeuse.
Il s’ensuit que le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Ainsi, seul un recours en annulation a pu être introduit en cette matière.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique que Monsieur … serait son père et aurait été pensionnaire de la prison … au Bénin. Elle explique encore que le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, ci-après désigné comme le « Mécanisme », créé par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies le 22 décembre 2010, pour prendre la succession du Tribunal pénal international pour le Rwanda, ci-après désigné comme le « TPIR », avec siège à Arusha en Tanzanie, aurait, en date du 10 octobre 2018, accepté sa libération anticipée sous la double condition, d’une part, que ses membres de famille acceptent sa prise en charge et qu’ils sont à même de lui fournir les soins médicaux nécessaires et, d’autre part, qu’il apporte la preuve que le pays dans lequel les membres de sa famille résident et dans lequel il entend se reloger, l’accepte sur son territoire dans le but d’un regroupement familial et d’une prise en charge médicale. La demanderesse précise ensuite que Monsieur … aurait été libéré le 29 janvier 2019 sur ordre du Mécanisme, et qu’en date du 19 février 2019, elle aurait communiqué les documents relatifs à la libération anticipée de son père à titre de complément pour les besoins de son examen.
En droit, la demanderesse se prévaut de l’article 12, alinéa 1 d) de la loi du 29 août 2008, pour affirmer que sa demande de regroupement familial devrait être accueillie favorablement dans la mesure où elle serait de nationalité belge et partant ressortissante de l’Union européenne et que Monsieur … serait son père. Afin d’attester ce lien de filiation, la demanderesse indique qu’elle aurait produit un certificat de naissance établi par le tribunal de 1ère instance de … en Belgique, lieu de sa résidence à son arrivée en Belgique, lequel confirmerait qu’elle serait la fille de Monsieur … et de Madame …. En outre, Monsieur … serait, vu son âge, dans l’impossibilité de subvenir lui-même à ses besoins comme il ne disposerait d’aucun type de ressources autre que celles lui octroyées par elle-même et sa famille. Ainsi, elle lui aurait envoyé régulièrement de l’argent pour couvrir ses besoins quotidiens.
2 La demanderesse estime encore que selon l’alinéa 2 point 2 de l’article 12 de la loi du 29 août 2008, le ministre aurait le pouvoir d’autoriser tout autre membre de la famille, quel que soit sa nationalité et qui ne serait pas couvert par la définition de l’alinéa 1er dudit article, à séjourner sur le territoire, si « le citoyen de l’Union doit impérativement et personnellement s’occuper pour des raisons de santé graves du membre de la famille concerné ». A cet égard, la demanderesse précise que Monsieur … serait son ascendant, qu’il souffrirait d’un cancer de la prostate en état stationnaire, et qu’il aurait conséquemment besoin d’une prise en charge médicale adaptée. Elle souligne également qu’elle exercerait depuis treize ans en qualité d’infirmière à … et …, de sorte qu’elle disposerait des qualifications nécessaires pour assurer l’accompagnement et le suivi des soins de son père.
La demanderesse conclut qu’en raison du fait que le lien de filiation entre elle et Monsieur … serait établi, la décision du ministre serait à annuler pour erreur manifeste d’appréciation, violation de la vie familiale et privée telle que protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », ainsi que pour violation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Dans son mémoire en réponse et à titre liminaire, le délégué du gouvernement marque son étonnement quant à la réponse fournie par les membres de la famille de Monsieur … au président du Mécanisme dans le cadre de l’évaluation de la demande de libération anticipée de ce dernier, et plus particulièrement en ce qui concerne la réponse à la demande de celui-ci d’obtenir la preuve que le pays dans lequel les membres de famille de l’intéressé résident et dans lequel il serait relogé, l’accepterait sur son territoire en vue d’un regroupement familial et d’une assistance médiale adéquate. Il résulterait en effet de la décision du président du Mécanisme du 17 janvier 2019 que même si Monsieur … n’avait pas encore fourni de preuve que le Luxembourg l’accepterait sur son territoire, la libération anticipée lui a été accordée aux motifs qu’il aurait initié la procédure y relative, que ses membres de famille auraient eu un rendez-vous avec les autorités luxembourgeoises en novembre 2018 et que les dispositions légales nationales et européennes obligeraient les autorités luxembourgeoises d’accepter Monsieur … sur leur territoire, de sorte que la demande en regroupement familial aurait de bonnes chances pour être acceptée, le délégué du gouvernement contestant qu’un rendez-vous aurait eu lieu entre les membres de la famille de Monsieur … et les autorités luxembourgeoises tout en précisant que les échanges entre la demanderesse et l’autorité compétente se seraient limités à la demande de regroupement familial du 19 octobre 2018, complétée par courrier du 19 février 2019 et au refus ministériel du 8 février 2019 suite à cette demande.
Le délégué du gouvernement en conclut que la libération anticipée de Monsieur … reposerait notamment sur des déclarations mensongères sinon erronées de Monsieur … et des membres de sa famille.
Tout en admettant que le lien de filiation ne serait plus contesté au vu de la production par la demanderesse du certificat de naissance, le délégué du gouvernement conteste cependant que Monsieur … serait à considérer comme ascendant « à charge » au sens de l’alinéa 1er d) de l’article 12 de la loi du 29 août 2008. En tenant compte de la jurisprudence en la matière et des travaux parlementaires relatifs à l’élaboration de la loi du 29 août 2008, le délégué du gouvernement fait valoir que la notion « à charge » serait essentiellement à entendre dans le 3sens d’un besoin de soutien matériel nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels du membre de la famille dans son pays d’origine ou de provenance.
En l’espèce, il ne serait toutefois pas prouvé que Monsieur … nécessiterait le soutien matériel de la demanderesse afin de subvenir à ses besoins au Bénin. A cet égard, le délégué du gouvernement explique que Monsieur … aurait été incarcéré depuis 2001 tandis que les versements d’argent à son profit n’auraient débuté qu’en date du 31 décembre 2017, soit 10 mois avant l’introduction de la demande de regroupement familial, ce qui donnerait l’apparence que les versements auraient été effectués uniquement pour les besoins de la cause, à savoir la préparation de la demande de regroupement familial au profit de Monsieur …. Eu égard à cette constatation, il conteste l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle aurait toujours pris en charge les soins de son père par l’envoi régulier d’argent.
Il ne serait pas non plus prouvé que Monsieur … ne puisse vivre de ses propres moyens dans l’Etat de provenance, respectivement qu’il ne puisse bénéficier sur place du soutien d’autres membres de famille, la partie étatique mettant en exergue que d’autres membres de sa famille résideraient au Bénin et l’auraient pris en charge suite à sa libération de la prison.
Le délégué du gouvernement conteste encore l’application de l’alinéa 2 de l’article 12 de la loi du 29 août 2008, alors que Monsieur … tomberait sous le champ d’application de l’alinéa 1er, tout en rappelant que l’autorisation prévue à l’article 12 alinéa 2 relèverait en tout état de cause du pouvoir discrétionnaire du ministre.
Ensuite le délégué du gouvernement donne à considérer que la section 3 du chapitre 2 de la loi du 29 août 2008, prévoirait des limitations au droit du citoyen de l’Union, du ressortissant des autres Etats parties à l’Accord sur l’Espace économique européen et de la Confédération suisse et des membres de leur famille, de circuler et de séjourner librement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. En se prévalant encore de l’article 27 de la loi du 29 août 2008 transposant l’article 27 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, ci-après désignée la directive « directive 2004/38/CE », il fait valoir que les autorités luxembourgeoises ne seraient pas obligées d’accueillir une personne sur leur territoire alors que ladite disposition légale permettrait au ministre de restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
Après avoir cité les paragraphes 1 et 2 de l’article 27 de la loi du 29 août 2008, le délégué du gouvernement se sert de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « CJUE », afin d’élucider la portée des notions d’ordre public et de sécurité public. En outre, selon la jurisprudence de la CJUE, l’appréciation de ces notions devrait se faire au cas par cas par les autorités nationales compétentes qui devraient analyser si le comportement individuel de la personne concernée représente à ce moment un danger réel et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Pour ce faire, les autorités devraient tenir compte de la nature et de la gravité des crimes ou agissements reprochés à cette personne, le niveau de son implication individuelle dans ceux-ci, l’existence ou non d’une condamnation pénale, du laps de temps écoulé depuis la commission présumée de ces crimes ou agissements ainsi que du comportement ultérieur de cette personne.
4Etant donné que Monsieur … aurait été condamné à 25 ans d’emprisonnement suivant jugement du 13 décembre 2005 du TPIR, peine qui aurait été confirmée en appel le 27 novembre 2007, et ce des chefs de génocide et d’extermination constitutive de crime contre l’humanité, et qu’il résulterait du prédit jugement ainsi que de la décision du président du Mécanisme par laquelle Monsieur … a été libéré de manière anticipée le 29 janvier 2019, que celui-ci n’aurait pas accepté la responsabilité pour ses crimes, de sorte à ne faire preuve d’aucun remords, et qu’il n’aurait à aucun moment coopéré lors de son procès, la menace que représenterait Monsieur … pour l’intérêt fondamental de la société luxembourgeoise serait de par sa nature durablement actuelle. Le délégué du gouvernement estime également que la protection de l’ordre public exigerait que tout devrait être mis en œuvre pour éviter, d’une part, que la population luxembourgeoise n’entre en contact avec Monsieur …, qui dans son pays d’origine se serait rendu coupable d’actes d’une cruauté sans équivalent et, d’autre part, que des victimes ayant eu à souffrir du génocide rwandais ou des membres de leur famille doivent cohabiter avec ce dernier et ceci indépendamment du fait que les crimes concernés se seraient produits il y a 25 ans dans un contexte historique et social spécifique qui ne serait pas susceptible de se reproduire au Luxembourg.
En outre, le fait d’accueillir Monsieur … sur le territoire luxembourgeois serait susceptible de se répercuter négativement sur la confiance de la population luxembourgeoise dans la politique d’immigration nationale et sur la crédibilité de l’engagement du Luxembourg dans la protection des valeurs fondamentales visées aux articles 2 et 3 du Traité sur l’Union européenne, ci-après désigné comme le « TUE ».
Selon le délégué de gouvernement, il importerait également de relever que la présence de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois serait de nature à porter préjudice aux relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg et en particulier aux relations avec la République du Rwanda.
Il ajoute que, conformément au principe de proportionnalité, le ministre devrait mettre en balance d’une part, la protection de l’intérêt fondamental de la société et d’autre part, les intérêts de la personne concernée, relatifs à l’exercice de sa liberté de circulation et de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union ainsi qu’à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel qu’il serait énoncé à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH.
Or, eu égard à la gravité exceptionnelle des crimes commis par Monsieur …, la restriction de sa liberté de circulation et de séjour serait la seule mesure adéquate afin d’assurer la protection des valeurs fondamentales telles que le respect de la dignité humaine, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, sur lesquelles, comme l’énoncerait l’article 2 du TUE, l’Union européenne et a fortiori la société luxembourgeoise seraient fondées.
La partie étatique considère également que l’ingérence de l’Etat luxembourgeois dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale de Monsieur … et au même titre de la demanderesse en interdisant à Monsieur … l’entrée et le droit de séjourner sur le territoire luxembourgeois ensemble avec sa famille résidant au Luxembourg, serait nécessaire à la sûreté publique.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse rétorque que lors de la demande en regroupement familial, elle aurait communiqué tous les documents relatifs à la demande de libération anticipée de Monsieur … et qu’« à aucun moment et sur aucun document », il ne serait relevé que les membres de sa famille auraient prétendu avoir un « rendez-vous fixé » avec 5les autorités luxembourgeoises. Dans le cadre des démarches devant le Mécanisme, ils auraient uniquement exposé qu’une demande de regroupement familial avait été introduite ainsi que les droits qu’ils entendraient faire valoir.
La demanderesse reproche ensuite à la partie étatique d’avoir refusé le regroupement familial alors que le lien de filiation ne serait plus contesté et que Monsieur … serait à considérer comme ascendant à charge conformément à l’article 12 de la loi du 29 août 2008.
A cet égard, la demanderesse explique que depuis son incarcération en 2001 jusqu’à sa libération le 29 janvier 2019, Monsieur … aurait été pris en charge par l’administration du TPIR. Or depuis sa libération, sa prise en charge serait assurée par elle-même, la demanderesse précisant qu’elle se serait engagée auprès du Mécanisme, qui aurait d’ailleurs reconnu dans sa décision que Monsieur …, vu son âge et son état de santé précaire, serait dans l’incapacité de se prendre en charge lui-même. Dès lors l’argument de la partie étatique selon lequel le soutien financier aurait été fait dans le seul but de servir de base à la demande de regroupement serait à rejeter.
En outre, l’argument du délégué de gouvernement selon lequel Monsieur … serait pris en charge par des membres de sa famille résidant à Cotonou respectivement à Porto au Bénin serait à rejeter alors que l’aide financière viendrait du Grand-Duché de Luxembourg respectivement de la Belgique, la demanderesse expliquant que Monsieur … ne disposerait d’aucun document administratif, ni de carte d’identité lui permettant de retirer de l’argent auprès de prestataires financiers comme Western Union, Moneygram ou RIA, de sorte que ce seraient les membres de sa famille indirecte qui le feraient pour lui.
La demanderesse conclut que nonobstant la présence de membres de famille « indirecte » au Bénin, elle ne devrait pas être privée de son droit au regroupement familial dans le chef de son père lequel serait à considérer comme ascendant à charge au sens de l’article 12 alinéas 1er et 2 de la loi du 29 août 2008.
En ce qui concerne plus particulièrement l’argument du délégué du gouvernement quant à la menace que présenterait Monsieur … pour l’intérêt fondamental de la société luxembourgeoise, la demanderesse estime que la partie étatique serait en train de refaire le procès à Monsieur … « pour justifier l’injustifiable » alors qu’il aurait déjà été jugé par le TIPR à tort ou à raison. La circonstance d’avoir été condamné par le TIPR, tribunal qui ne serait pas exempt de critiques par des spécialistes du droit, ne justifierait pas pour autant que Monsieur … aurait réellement participé ou contribué aux crimes pour lesquels il a été condamné, la demanderesse rappelant que celui-ci aurait toujours clamé son innocence. Dans ce contexte, la demanderesse donne à considérer que plusieurs de ses frères et sœurs auraient obtenu le statut de réfugié politique au Grand-Duché de Luxembourg sous le patronyme de « … », de sorte que le trouble à l’ordre public avancé par le délégué du gouvernement devait déjà avoir eu lieu.
La demanderesse affirme ensuite qu’il aurait été jugé qu’aucune autorité nationale ne puisse refuser le droit au regroupement familial dans le chef de Monsieur … pour des raisons d’ordre public, sur base de sa seule condamnation pour des crimes de génocide. En effet, la notion d’ordre public ne pourrait en aucun cas être invoquée pour mettre en œuvre une dérogation à une liberté ou un droit fondamental, à savoir le droit de mener une vie familiale garanti par l’article 7 de la Charte et par l’article 8 de la CEDH qui auraient une position supranationale en ce sens qu’ils seraient au-dessus des relations diplomatiques invoquées par la partie étatique.
6 La demanderesse considère que l’objectif de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial serait de favoriser le regroupement familial, de sorte que la position contraire de la partie étatique lui porterait gravement préjudice et elle conclut dès lors à l’annulation de la décision ministérielle litigieuse.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait qu’il ressortirait clairement de la décision du président du Mécanisme du 17 janvier 2019 par laquelle Monsieur … se serait vu accorder sa libération anticipée que les membres de la famille auraient affirmé avoir eu un rendez-vous avec les autorités luxembourgeoises en novembre 2018, de sorte que la demanderesse ne saurait raisonnablement prétendre ne pas avoir tenu de tels propos, ayant eu pour effet d’induire en erreur le président du Mécanisme.
Le délégué de gouvernement s’interroge ensuite sur la question de savoir pourquoi les versements d’argent au profit de Monsieur … auraient débuté en décembre 2017 si celui-ci aurait effectivement été pris en charge par l’ONU durant son incarcération et qu’il n’aurait été libéré qu’en janvier 2019.
En outre, il ressortirait des propos de la demanderesse que Monsieur … ne serait pas uniquement à sa charge mais que l’aide financière proviendrait tant de membres de famille résidant au Luxembourg qu’en Belgique. Du fait que Monsieur … serait à charge de l’ensemble de la famille, la condition de l’article 12 alinéa 1 d) de la loi du 29 août 2008 ne serait pas satisfaite alors que ce même article exigerait que l’ascendant nécessiterait le soutien matériel du citoyen de l’Union européenne afin de subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine ou de provenance.
Le délégué du gouvernement explique également que la partie étatique n’aurait pas l’intention de refaire le procès à Monsieur …, mais que le ministre aurait l’obligation, avant de prendre une décision justifiée par des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, de procéder à une appréciation au cas par cas de l’ensemble des éléments à sa disposition afin de vérifier si le concerné représente ou non une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Dans le cadre de cette analyse, il incomberait au ministre d’analyser minutieusement l’ensemble des éléments résultant, le cas échéant, du corps du jugement, respectivement de l’arrêt se prononçant sur la culpabilité de la personne intéressée dans la mesure où, suivant la jurisprudence de la CJUE, les autorités nationales devraient tenir compte de la nature et de la gravité des crimes ou des agissements reprochés à cette même personne, du niveau de son implication ainsi que de l’existence ou non d’une condamnation pénale. En l’occurrence, le ministre, après son analyse, aurait retenu dans le chef de Monsieur … une menace pour l’ordre public et la sécurité publique du Grand-Duché de Luxembourg.
Le délégué du gouvernement rappelle également l’existence des preuves à charge de Monsieur …, lesquelles ne laisseraient aucun doute quant à sa culpabilité et il insiste sur le fait que la peine retenue dans le jugement du TPIR du 13 décembre 2005 aurait été confirmée en appel le 27 novembre 2007. Il souligne que Monsieur … continuerait à nier sa responsabilité pour les crimes commis dans le cadre du génocide rwandais et qu’il ferait état d’aucun remords, ce qui ne ferait que conforter l’évaluation faite par le ministre selon laquelle le comportement de Monsieur … témoignerait de sa persistance d’une attitude attentatoire aux valeurs fondamentales visées aux articles 2 et 3 TUE, telles que la dignité humaine et les droits de l’homme, de sorte à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’intérêt fondamental de la société luxembourgeoise.
7 Le délégué du gouvernement indique encore que le ministre n’aurait pas connaissance de faits impliquant les enfants de Monsieur … dans le cadre du génocide rwandais, et que l’identité et le visage des membres de la famille de Monsieur … ne seraient a priori pas connus du public et plus particulièrement des personnes d’origine rwandaise, ce qui ne serait cependant pas le cas pour Monsieur … dont l’affaire aurait été hautement médiatisée, et ce encore en 2018 lorsque le gouvernement rwandais se serait opposé à sa libération anticipée, de sorte qu’il serait probable que Monsieur … pourrait être reconnu au Luxembourg notamment par des personnes ayant eu à souffrir du génocide rwandais ou par des membres de leur famille, situation qu’il conviendrait d’éviter à tout prix.
Le délégué du gouvernement estime ainsi que le ministre aurait procédé à une mise en balance entre, d’une part, la protection de l’intérêt fondamental de la société luxembourgeoise et des relations diplomatiques du Grand-Duché et, d’autre part, des intérêts de Monsieur … dont notamment son droit au respect de sa vie privée et familiale pour finalement arriver à la conclusion qu’eu égard à la gravité exceptionnelle des crimes commis par celui-ci, et à son comportement affiché tant au cours que postérieurement à son procès, la restriction de sa liberté de circulation et de séjour ainsi que l’ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie familiale apparaîtrait comme la seule mesure adéquate pour assurer la protection des valeurs fondamentales telles que le respect de la dignité humaine, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités sur lesquelles l’article 2 du TUE, l’Union européenne et a fortiori la société luxembourgeoise seraient fondées ainsi que pour préserver les relations diplomatiques du Luxembourg avec la République du Rwanda.
Finalement, la partie étatique estime que l’état de santé dégradé de Monsieur … ainsi que son âge avancé mis en pondération avec les crimes commis par ce dernier ne sauraient justifier l’octroi dans son chef d’une autorisation de séjour à titre de membre de famille au Luxembourg et elle conclut au rejet du recours sous analyse.
Le tribunal constate en premier lieu que, le délégué du gouvernement a, conformément à la possibilité lui concédée par la jurisprudence constante des juridictions administratives, complété en cours de procédure contentieuse la motivation ministérielle pour des considérations d’ordre public et de sécurité publique prévues à l’article 27 de la loi du 29 août 2008.
Le tribunal n’étant pas tenu par l’ordre des moyens tel que présenté par les parties et détenant le pouvoir de les toiser suivant une bonne administration de la justice et la logique juridique s’en dégageant, il y a, tout d’abord, lieu d’analyser les moyens concernant les conditions prévues par l’article 27 de la loi du 29 août 2008 avant d’analyser, le cas échéant, les moyens d’annulation ayant trait aux conditions prévues par l’article 12 de la loi du 29 août 2008.
Il échet de rappeler que l’article 27 de la loi du 29 août 2008, transposant l’article 27 de la directive 2004/38/CE, prévoit que « (1) Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières, l’entrée sur le territoire luxembourgeois peut être refusée et le droit de séjour peut être refusé ou retiré au citoyen de l’Union, ainsi qu’aux membres de sa famille de quelque nationalité qu’ils soient, et une décision d’éloignement du territoire peut être prise à leur encontre, pour des raisons d’ordre 8public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.
(2) L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver le refus de séjour. Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel du citoyen de l’Union et des membres de sa famille qui en font l’objet. Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, sans que des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne puissent être retenues.
(3) Aux fins d’établir si la personne concernée représente un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique, les autorités compétentes peuvent lors de la délivrance de l’attestation d’enregistrement ou encore lors de la délivrance de la carte de séjour, demander à l’Etat membre d’origine et, éventuellement, à d’autres Etats membres des renseignements sur les antécédents judiciaires de la personne concernée. Cette consultation ne peut avoir un caractère systématique. […] » En l’espèce, il est constant en cause que Monsieur … a été condamné par jugement du TPIR en date du 13 décembre 2005, confirmé en appel le 17 novembre 2007, à une peine d’emprisonnement de 25 ans pour des crimes commis dans le cadre du génocide rwandais.
Si l’article 27 de la loi du 29 août 2008, applicable aux citoyens de l’Union européenne et aux membres de leur famille, prévoit expressément que l’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver le refus de séjour, il prévoit toutefois que le droit de séjour peut être refusé pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.
La notion d’ordre public suppose en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Quant à la notion de « sécurité publique », « celle-ci couvre à la fois la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure […]. La sécurité intérieure peut être affectée, notamment, par une menace directe pour la tranquillité et la sécurité physique de la population de l’État membre concerné […]. Quant à la sécurité extérieure, celle-ci est susceptible d’être affectée, notamment, par le risque d’une perturbation grave des relations extérieures de cet État membre ou de la coexistence pacifique des peuples […] » 1.
L’appréciation de ces notions doit également se faire au cas par cas par les autorités nationales compétentes qui doivent analyser si le comportement individuel de la personne concernée représente actuellement un danger réel et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Pour ce faire, les autorités doivent tenir compte de la nature et de la gravité des crimes ou agissements reprochées à cette personne, le niveau de son implication individuelle dans ceux-ci, l’existence ou non d’une condamnation pénale, du laps de temps écoulé depuis la commission présumée de ces crimes ou agissements ainsi que du comportement ultérieur de cette personne2.
1 CJUE, 2 mai 2018, K. c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justice et H.F. c. Belgische Staat, C-331/16 et C-
366/16, point 42.
2 Voir en ce sens, ibidem, point 66, 9La CJUE précise encore que, « si, en général, la constatation d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, […], implique, chez l’individu concerné, une tendance à maintenir à l’avenir le comportement qui constitue une telle menace, il peut arriver aussi que le seul fait du comportement passé réunisse les conditions de pareille menace […]3. Le temps écoulé depuis cette commission est, certes, un élément pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’une menace […]. Toutefois, l’éventuelle gravité exceptionnelle des actes en cause peut être de nature à caractériser, même après une période de temps relativement longue, la persistance d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.4 […] À cet égard, il y a lieu de relever que, quand bien même il paraîtrait peu probable que de tels crimes ou agissements puissent se reproduire en dehors de leur contexte historique et social spécifique, un comportement de l’intéressé témoignant de la persistance, chez lui, d’une attitude attentatoire aux valeurs fondamentales visées aux articles 2 et 3 TUE, telles que la dignité humaine et les droits de l’homme, que ces crimes ou ces agissements révèlent, est, quant à lui, susceptible de constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société,[…].5 ».
En l’espèce, il ressort notamment du jugement précité de plus de 161 pages que « […] La Chambre a déclaré … coupable de génocide et d’extermination constitutive de crime contre l’humanité en raison de sa participation à une entreprise criminelle commune visant à tuer des civils tutsis au collège technique de … et de la paroisse de … et par les encouragements et la caution qu’il a apportés aux auteurs des massacres, qui ont fait des milliers de morts civils tutsis. La Chambre a estimé que l’aide et l’encouragement apportés par … avaient une contribution substantielle et que le rôle qui avait été le sien dans l’entreprise criminelle commune faisait de lui un auteur principal. »6. Il échet donc de constater, à l’instar de la partie étatique, que les crimes commis par Monsieur … dans le cadre du génocide rwandais et pour lesquels il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 25 ans sont d’une gravité indiscutable et exceptionnelle et qu’il doit être considéré comme un auteur principal de ces crimes.
C’est encore à juste titre que le délégué du gouvernement souligne que Monsieur … a, tant pendant la procédure pénale que pendant la procédure administrative, nié les faits à la base de sa condamnation pénale coulée en force de chose jugée et ce malgré l’existence de preuves à sa charge, Monsieur … ayant en effet toujours maintenu la thèse que le fait d’avoir été condamné par le TPIR ne justifierait pas pour autant qu’il aurait réellement participé ou contribué à l’exécution des faits dont on l’accusait. En raison de cette absence de tout repentir, voire de toute prise de conscience de la gravité des actes commis, témoignant de la persistance, chez lui, d’une attitude attentatoire aux valeurs fondamentales de la société luxembourgeoise, Monsieur … ne saurait soutenir qu’il ne constituerait pas une menace grave pour un intérêt fondamental du pays, consistant en la protection des valeurs fondamentales visées aux articles 2 et 3 TUE. C’est encore la gravité particulière des faits de l’espèce, étant rappelé que Monsieur … a été condamné en tant que collaborateur actif dans le cadre du génocide rwandais, qui amène le tribunal à retenir, même 25 ans après la commission de ces crimes, la persistance d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’intérêt fondamental de la société luxembourgeoise.
3 Ibidem, point 56.
4 Ibidem, point 58.
5 Ibidem, point 60.
6 Tribunal pénal international pour le Rwanda, 13 décembre 2005, Le Procureur contre …, point ….
10Il s’ensuit que c’est a priori à juste titre que le ministre a refusé le regroupement familial dans le chef de Monsieur ….
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le trouble à l’ordre public aurait nécessairement déjà eu lieu dans la mesure où plusieurs des frères et sœurs de Monsieur … auraient obtenu le statut de réfugié politique au Grand-Duché de Luxembourg sous le patronyme de « … », alors qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que ceux-ci auraient été impliqués dans le cadre du génocide rwandais.
Quant à l’argumentation de la demanderesse fondée sur l’article 8 de la CEDH, similaire à l’article 7 de la Charte, qui dispose: « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui », il convient de relever que s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de cette même convention.
Il convient néanmoins dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. S’il est vrai que sur base dudit article l'existence d’une vie familiale effective et stable, susceptible d'être protégée, peut effectivement constituer un éventuel obstacle à un refus de séjour, il faut encore que le demandeur puisse invoquer l'existence d'une vie familiale effective et stable que le refus du ministre perturbe de façon disproportionnée.
Force est au tribunal de constater que la demanderesse est restée en défaut de soumettre au tribunal des documents probants quant à l’existence d'une vie familiale réelle et effective, étant relevé qu'il ressort, au contraire, du dossier administratif que Monsieur … a été incarcéré de 2001 à 2019 au Bénin et que la demanderesse a vécu en Belgique depuis 2002 avant de rejoindre le Luxembourg en août 2005.
Par ailleurs, et même à admettre l’existence d’une vie familiale effective au sens des dispositions de l'article 8 de la CEDH entre la demanderesse et son père, de sorte que le refus d’un titre de séjour serait à qualifier d'ingérence dans cette vie familiale, il se dégage des développements exposés ci-avant au niveau de la légalité de la décision querellée qu’elle s’analyse en une mesure légalement prévue en droit luxembourgeois, de sorte que la condition afférente énoncée à l'article 8, paragraphe 2 de la CEDH est remplie en l’espèce.
S’il est encore vrai qu'une ingérence est, en principe, justifiée lorsque le comportement de l’intéressé est constitutif d'un danger pour l'ordre public et la sécurité public, il n’en reste pas moins qu’aux termes de l'article 8, paragraphe (2) de la CEDH, l’ingérence doit être nécessaire dans une société démocratique. La vérification de cette exigence appelle le tribunal à mettre en balance l’ampleur de l’atteinte à la vie familiale dont il est question avec la gravité du trouble que l'étranger cause ou risque de causer à l’ordre public et la sécurité public.
11En l'espèce, eu égard aux antécédents judiciaires de Monsieur … et la gravité particulière des crimes commis et l’absence de repentir dans le chef de celui-ci ainsi que le risque de perturber gravement les relations bilatérales entre le Luxembourg et la République du Rwanda, alors que le gouvernement rwandais, par communiqué de presse du 21 décembre 2018, s’est opposé dans les termes les plus vigoureux à la libération anticipée de Monsieur …, le tribunal arrive à la conclusion que le refus de séjour ne s’analyse pas en une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale de la demanderesse par rapport au but poursuivi par les autorités compétentes, tendant à assurer la défense de l'ordre public et de la sécurité public, de sorte que c'est à tort que la demanderesse se prévaut d'une violation de l'article 8 de la CEDH, respectivement de l’article 7 de la Charte.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l'article 8 de la CEDH est à rejeter comme étant non fondé.
En ce qui concerne le moyen basé sur une violation de la Convention relative aux droits de l’enfant, ce moyen doit être qualifié de simplement suggéré sans être effectivement soutenu, de sorte à encourir le rejet, le tribunal n’étant pas censé pallier la carence des parties dans la présentation de leurs moyens.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en annulation sans qu’il y ait besoin d’analyser les autres moyens d’annulation invoqués par la partie demanderesse ayant trait aux conditions prévues par l’article 12 de la loi du 29 août 2008, cet examen devenant surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2021 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn 12Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 13