Tribunal administratif Numéro 44301 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2020 1re chambre Audience publique du 24 mars 2021 Recours formés par Madame …, … (Pays-Bas), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 44301 du rôle et déposée le 20 mars 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Mario Di Stefano, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à NL-… (Pays-Bas), …, et élisant domicile en l’étude de Maître Mario Di Stefano, préqualifié, tendant 1) à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes datée du 30 décembre 2019 prise sur recours hiérarchique formel et demandant 2) de « procéder, par voie de conséquence, à l’annulation des Bulletins et du Décompte » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2020 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Mario Di Stefano déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2020 au nom et pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 1er décembre 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 décembre 2020, et vu les remarques écrites de Maître Mario Di Stefano du 7 décembre 2020 produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.
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Il se dégage du dossier soumis au tribunal ensemble les explications des parties à l’instance qu’en date du 4 juillet 2007, le bureau d’imposition Luxembourg 3, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Madame … un bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2002, ainsi qu’un bulletin de l’impôt sur la fortune de l’année 2003.
Par courrier de son litismandataire du 22 juin 2018, Madame … s’adressa au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », dans les termes suivants :
« […] Au nom et pour le compte de ma Mandante, j'introduis, par la présente, un recours hiérarchique à l'encontre 1 du bulletin de l'Impôt sur le Revenu (« IR ») pour l'année 2002 émis par le bureau d'imposition Luxembourg 3 de l'Administration des Contributions Directes (« ACD »), et du bulletin de l'Impôt sur la Fortune (« IF ») pour l'année 2003 émis par le bureau d'imposition Luxembourg 3 de l'ACE), (Collectivement les « Bulletins ») et du décompte émis par le bureau de recette Luxembourg de l'ACD (le « Décompte ») relatifs aux Bulletins susmentionnés.
Il est à noter que les Bulletins et le Décompte n'ont pas pu être examinés par nos soins de sorte que les dates d'émission y relatives sont manquantes.
En effet, nous contestons le bien-fondé des montants d'impôt réclamés figurant sur les Bulletins et le Décompte à savoir :
IR pour l'année 2002: EUR … IF pour l'année 2003: EUR … des intérêts de retard y afférents o d'un montant d'EUR … pour l'IR 2002 et o d'un montant d'EUR … pour l'IF 2003 des frais divers d'un montant d'EUR … Soit un total de EUR … ;
et je demande l'annulation sinon la réformation des Bulletins et du Décompte selon les moyens développés ci-après.
1.
Rappel des faits et rétroactes Madame … avait été résidente au Luxembourg jusqu'au 14 janvier 2004 date à laquelle elle a quitté le Luxembourg pour s'installer aux Pays-Bas tel qu'a repris dans le courrier du 1er juin 2018 de Monsieur …, Préposé des bureaux d'imposition 1 et 4 de l'ACD.
Le 24 juin 2003, elle a déposé une déclaration pour l'impôt sur le revenu pour l'année 2002 et une déclaration de la fortune au 1er janvier 2003.
Des Bulletins d'impôt ainsi que le Décompte y relatifs ont été émis par l'ACD. Ils ne figurent plus dans le dossier de la Mandante selon le précité courrier du 1er juin 2018 de Monsieur …. De plus, ils n'ont pas pu être consultés sur place au bureau Recette Luxembourg.
La Mandante est partie aux Pays-Bas, étant persuadée d'avoir dûment réglé toutes les dettes d'impôt en suspens.
Le 24 avril 2018, à son grand étonnement, la Réclamante a été avertie par les autorités fiscales Néerlandaises des mesures de recouvrement en cours sur place à son encontre. Les mesures précitées portent sur les montants suivants :
2 IR pour l'année 2002: EUR … IF pour l'année 2003: EUR … des intérêts de retard y afférents o d'un montant d'EUR … relatif à l'IR 2002 et o d'un montant d'EUR … relatif à l'IF 2003 des frais divers d'un montant d'EUR … Soit un total de EUR … ;
Ces mesures de recouvrement ont été initiées par les autorités fiscales Néerlandaises en réponse à la requête de l'ACD du 21 décembre 2017 en paiement d'une dette fiscale étrangère sur le fondement de la convention signée entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas relative à l'assistance réciproque en matière de recouvrement de créances fiscales signée le 5 septembre 1952.
Le dossier ayant plus de 10 ans d'ancienneté, la Mandante n'a pas gardé ni pièces, ni documents fiscaux de la période pendant laquelle, elle avait été résidente fiscale au Luxembourg. Les demandes de communication de pièces que nous avions envoyées à la fois au bureau de Recette Luxembourg et au bureau d'imposition 1 étant restées infructueuses, en qualité de Mandataire de la Réclamante, nous nous sommes rendus au bureau de Recette Luxembourg de l'ACD afin d'obtenir copies d'un certain nombre de pièces du dossier de la Mandante. Les pièces les plus pertinentes sont jointes à la présente.
2.
Discussion 2.1.
Délai de conservation des documents fiscaux expiré Le paragraphe 162 (8) Abgabenordnung (« AO ») dispose que Die Bücher, Aufzeichnungen und, soweit sie für die Besteuerung von Bedeutung sind, auch die Geschäftspapiere und die sonstigen Unterlagen sollen zehn Jahre aufbewahrt werden; die Frist läuft vom Schluss des Kalenderjahrs an, in dem die letzte Eintragung in die Bücher und Aufzeichnungen gemacht ist oder die Geschäftspapiere oder die sonstigen Unterlagen entstanden sind.
Il en ressort qu'un contribuable est tenu de conserver les documents revêtant une incidence pour l'imposition pendant 10 ans.
Les impôts faisant objet de la procédure d'assistance en recouvrement forcé d'impôts du 21 décembre 2017 relèvent des années 2002 et 2003. Il est donc incontestable que le délai de 10 ans aux fins de conservation des documents fiscaux a définitivement expiré. Il ne saurait être reproché à la Mandante de ne pas continuer à garder ses documents fiscaux.
2.2.
Créances de l'ACD concernant l'IR 2002 et l'IF 2003 éteintes par la prescription En vertu de l'article 10 de la Loi du 27 novembre 1933 telle que modifiée, « La créance du Trésor se prescrit par cinq ans. Toutefois, en cas de non-déclaration ou en cas d'imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans.
3Ces prescriptions s'appliquent à tous impôts, taxes, cotisations, droits d'accise, amendes, frais et autres perceptions généralement quelconques dont est chargée l'administration des contributions, sauf la prolongation conventionnelle des droits du Trésor.
La prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l'année pendant laquelle la créance est née ».
Or en l'espèce, l'on ne se trouve nullement dans l'hypothèse d'une « déclaration incomplète ou inexacte ».
Partant, la prescription de la créance du Trésor est de 5 ans en l'espèce.
Ainsi, s'agissant de l'IR relatif à l'année 2002, les délais de prescription ont commencé à courir à compter du fait générateur de l'IR, à savoir le 1er janvier 2003, pour expirer le 1er janvier 2008.
S'agissant de l'IF relatif à l'année 2003, les délais de prescription ont commencé à courir à compter du fait générateur de I'IF, à savoir le 1er janvier 2004, pour expirer le 1er janvier 2009.
Concernant l'interruption du délai de prescription, il convient de relever que l'article 3 de la loi du 22 décembre 1951 (« Loi 1951 ») portant prorogation du délai de prescription de certains impôts directs et précision des conditions dans lesquelles les prescriptions fiscales peuvent être interrompues dispose dans son alinéa (1) que « Les délais de prescription pour l'établissement et le recouvrement des sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales, dues au titre des impôts visés à l'alinéa 2 de l'article 1er de la présente loi sont interrompus, soit de la manière et dans les conditions prévues par les articles 2244 et suivants du code civil, soit par une renonciation du contribuable au temps déjà couru de la prescription […] ».
Ainsi, les actes interruptifs de prescription sont de deux ordres : ceux émanant des services du Trésor de l'ACD et ceux de la part du contribuable lui-même.
Concernant les actes interruptifs provenant du Trésor, force est de constater qu'en l'espèce, aucun des actes juridiques entraînant l'interruption civile, énumérés à l'article 2244 du Code civil, à savoir une citation en justice, un commandement ou une saisie, « signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire » ne trouve son existence établie, voire alléguée.
En effet, le seul acte juridique qui aurait pu interrompre la prescription concernant les dettes d'IR 2002 et d'IF 2003 en cause, quod non, est la sommation à tiers détenteur du 19 novembre 2007. Celle-ci fut signifiée à « la société anonyme … établie et ayant son siège social à L-…. » Or, en premier lieu, force est de constater que ladite sommation à tiers détenteur ne fut ni signifiée, ni notifiée à ma Mandante.
De plus, il est à rappeler que, selon la jurisprudence constante en la matière, une sommation à tiers détenteur constitue une saisie-arrêt sous forme simplifiée qui est un privilège accordé au Trésor.
4Par ailleurs, la jurisprudence constante en la matière pose comme condition essentielle selon laquelle une sommation à tiers détenteur doit être signifiée « à celui qu'on veut empêcher de prescrire » pour pouvoir interrompre la prescription.
En effet, il a été jugé que :
« Or, cette position du délégué du gouvernement méconnaît qu'un jugement de validation d'une saisie-arrêt ne produit ses effets à l'égard des parties qu'à partir de sa signification à ces dernières et que l'article 2244 du Code civil, applicable en la matière au vœu de l'article 3 de la loi susvisée du 22 décembre 1951, érige la signification du commandement ou de la saisie « à celui qu'on veut empêcher de prescrire » en condition pour emporter l'interruption de la prescription. Par voie de conséquence, la sommation à tiers détenteur du 30 décembre 2003 non signifiée à l'intéressée n'a pas eu pour effet d'interrompre le délai de prescription de la dette d'impôt sur le revenu pour l'année 1998 … ».
Au vu des pièces du dossier consultées auprès du bureau de Recette Luxembourg de l'ACD, il y avait eu trois autres sommations à tiers détenteur datant respectivement du 3 juin 2010, du 22 décembre 2014 et du 27 juillet 2017 portant tous sur les mêmes montants de dettes en principal d'IR et d'IF.
De même, des contraintes portant sur les mêmes montants en principal de dettes d'IR pour 2002 et d'IF pour 2003 ont été émises par l'ACD en dates du 26 mai 2010, 6 novembre 2014 et 20 novembre 2017.
Or, il convient de rappeler que le délai de prescription a expiré respectivement le 1er janvier 2008 pour la dette d'IR 2002 et le 1er janvier 2009 pour la dette d’IF 2003.
Force est donc de constater que ces contraintes ayant toutes été délivrées après l'expiration des périodes de prescription, elles n'ont pas pu interrompre utilement les délais de prescription en cause.
Compte tenu de ce qui précède, il ressort, on ne peut plus clair, que la prescription n'a jamais été validement interrompue, de sorte que les dettes d'IR relative à 2002 et celle d'IF relative à 2003 ont été éteintes par la prescription extinctive.
2.3.
L'accessoire suit le principal ; le traitement des intérêts de retard suit celui des impôts en principal L'article 155bis LIR, tel qu'il a été introduit par l'article 4 de la loi du 31 juillet 1982, dispose que « Les intérêts de retard constituent des prestations accessoires aux impôts auxquels ils se rapportent. Les dispositions applicables à ces impôts sont d'application correspondante aux intérêts de retard ».
Ainsi et selon la jurisprudence constante en la matière, les intérêts de retard constituent un accessoire à l'impôt auquel ils se rapportent et dont ils suivent le sort.
En l'occurrence, dans la mesure où les dettes d'IR relative à 2002 et d'IF relative à 2003 ont été éteintes par la prescription, les intérêts de retard n'ont plus lieu d'être.
5Partant, les montants d'intérêts de retard de EUR … relatifs à l'IR 2002 et de EUR … relatifs à l'IF 2003 ainsi que le des frais divers d'un montant frais de EUR … sont à annuler.
[…]. » Par une décision du 30 décembre 2019, répertoriée sous le numéro C 27316 du rôle, le directeur qualifia ledit courrier de recours hiérarchique formel et le déclara irrecevable. Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 22 juin 2018 par Maître Alex Pham, au nom de la dame …, demeurant à … NL, …, pour introduire, un « recours hiérarchique » contre l'« impôt sur le revenu pour 2002 », « impôt sur la fortune pour 2003 », les « intérêts de retard et divers frais [de poursuite] » ;
Vu le dossier fiscal ;
Considérant que la voie de recours contre un bulletin d'impôt au sens du § 210 de la loi générale des impôts (AO) n'est pas, comme le fait valoir la réclamante, soutenue dans ses démarches par un professionnel de la consultation et de la représentation en matière d'impôts, le recours hiérarchique formel visé par les §§ 237 et 303 AO, mais la réclamation au sens du § 228 AO ; que les intérêts de retard, de leur côté, ne forment qu'un accessoire au principal dû (cf. article 155bis de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.)), de sorte qu'en cas de réclamation en bonne et due forme contre les bulletins d'impôt les ayant institués, les intérêts courant et étant dus pour cause de non paiement, à son échéance, de la cote d'impôt par le débiteur, leur sort va de pair avec la cote proprement dite ; qu'il n'existe donc aucune voie de recours exerçable, le cas échéant, contre les seuls intérêts de retard, ni par ailleurs contre les frais de poursuite ; qu'il en découle que le « recours hiérarchique » contre l'« impôt sur le revenu pour 2002 », « impôt sur la fortune pour 2003 », les « intérêts de retard et divers frais » est à déclarer irrecevable ;
Considérant encore et à titre purement superfétatoire que même à admettre le recours introduit en bonne et due forme, sous forme de réclamation au sens du § 228 AO notamment et non pas sous forme de recours hiérarchique formel au sens des §§ 237 et 303 AO, quod non, il n'en resterait pas moins qu'en l'espèce, les réclamations seraient à considérer comme tardives ; qu'en effet, le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2002 tout comme le bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier de l'année 2003 ayant été émis le 4 juillet 2007, ils ont été notifiés en date du 9 juillet 2007, de sorte que le délai a expiré en date du 9 octobre 2007 ;
que les réclamations, introduites en date du 22 juin 2018, auraient donc été tardives ;
PAR CES MOTIFS dit le « recours hiérarchique » contre l’« impôt sur le revenu pour 2002 », l’« impôt sur la fortune pour 2003 », les « intérêts de retard et divers frais » irrecevable. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2020 et inscrite sou le numéro 44301 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du directeur du 30 décembre 2019, tout en demandant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, de « procéder, par voie de conséquence, à l’annulation des Bulletins et du Décompte ».
6A la suite d’un avis du tribunal du 1er décembre 2020 par le biais duquel il a informé les parties qu’à l’audience des plaidoiries il entend soulever d’office la question de la recevabilité du recours en annulation sous analyse en ce qu’il est dirigé contre les bulletins de l’impôt, respectivement contre le décompte y relatif, la demanderesse a, à travers son écrit du 7 décembre 2020, expliqué que son recours en annulation est dirigé contre la seule décision du directeur du 30 décembre 2019 sans viser les bulletins de l’impôt litigieux, respectivement le décompte y relatif, tout en précisant que si elle avait conclu dans sa requête introductive d’instance à l’annulation desdits bulletins et dudit décompte, elle l’aurait fait seulement pour tirer toutes les conséquences logiques de la demande en annulation de la décision directoriale du 30 décembre 2019.
Le tribunal prend ainsi acte que le recours est dirigé exclusivement contre la décision directoriale du 30 décembre 2019.
S’agissant, ensuite, de la question de la recevabilité du recours sous analyse en ce qu’il est dirigé contre la décision du directeur intervenue sur « recours hiérarchique formel », il échet de relever que la nature du recours dépend non pas de la qualification de la demande dont a été saisi le directeur, mais elle dépend du fondement sur lequel la décision attaquée a été prise.
En l’espèce, force est de constater que le directeur a qualifié le courrier du litismandataire de Madame … du 22 juin 2018 comme étant un recours hiérarchique formel au sens du paragraphe 237 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », et a partant statué sur ce fondement.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 237 AO et de l’article 8, paragraphe (3) 2. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désigné par « la loi du 7 novembre 1996 », aux termes duquel « 2. En cas d’application du §237 de la loi générale des impôts le tribunal administratif statue conformément aux dispositions de l’article 2. », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge de l’annulation sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’un recours hiérarchique formel.
Dans la mesure où la demanderesse a basé le recours sous analyse sur le fondement de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 aux termes duquel : « (1) Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. », auquel l’article 8, paragraphe (3) 2. renvoie expressément en cas d’application du paragraphe 237 AO, le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce, et ce indépendamment de la question du bien-fondé de la qualification retenue par le directeur s’agissant du courrier du 22 juin 2018, cette question relevant, en effet, du fond de l’affaire et sera examinée ci-après.
Ledit recours en annulation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a sollicité la jonction du recours sous examen avec un autre recours déposé par la demanderesse au greffe du tribunal administratif également en date du 20 mars 2020, inscrit sous les numéros 44300 du rôle, et 7introduit à l’encontre d’une décision du directeur du 30 décembre 2019 rendue « sur réclamation ».
Une jonction entre différentes affaires est susceptible d’être prononcée, dans le souci d’une bonne administration de la justice, dans l’hypothèse où ces affaires concernent les mêmes parties et où elles ont trait au même objet.1 Or, étant donné que le recours inscrit sous le numéro 44300 du rôle est dirigé contre un acte juridiquement distinct, à savoir une décision du directeur prise sur réclamation, alors que le présent recours vise une décision du directeur sur recours hiérarchique formel, il n’a pas trait au même objet que celui sous analyse, ce d’autant plus qu’il concerne l’imposition sur le revenu de l’année 2001 et l’imposition sur la fortune de l’année 2002. Dès lors, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique qu’elle aurait été résidente au Luxembourg jusqu’au 14 janvier 2004, date à laquelle elle aurait quitté le Luxembourg pour s’installer aux Pays-Bas.
Elle donne à considérer que si elle avait déposé le 24 juin 2003 auprès bureau d’imposition une déclaration de l’impôt sur le revenu pour l’année 2002, ainsi qu’une déclaration de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2003, ni les bulletins de l’impôt y relatifs, ni le décompte ne figureraient parmi les pièces de son dossier fiscal, tel que cela se dégagerait d’un courrier du préposé des bureaux d’imposition 1 et 4 de l’administration des Contributions directes du 1er juin 2018, auquel elle renvoie.
Elle insiste sur le fait que lesdits bulletins de l’impôt, ainsi que le décompte y relatif ne lui auraient, par ailleurs, pas été notifiés et qu’ils n’auraient, de surcroît, pas pu être consultés par son litismandataire sur place au bureau de recettes Luxembourg de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau de recettes ».
Elle met en avant qu’elle serait partie aux Pays-Bas, persuadée d’avoir dûment réglé toutes les dettes d’impôt en suspens.
Ce serait dès lors à son grand étonnement qu’en date du 24 avril 2018, elle aurait été avertie par les autorités fiscales néerlandaises des mesures de recouvrement en cours à son encontre et portant sur les montants, en principal et intérêts, tels que retenus dans les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2002, et sur la fortune au 1er janvier de l’année 2003.
Elle fait valoir que ces mesures de recouvrement auraient été initiées par les autorités fiscales néerlandaises en réponse à une requête de l’administration des Contributions directes du 21 décembre 2017 en paiement d’une dette fiscale étrangère sur le fondement de la convention signée entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas relative à l’assistance réciproque en matière de recouvrement de créances fiscales signée le 5 septembre 1952.
Elle donne à considérer que comme son dossier aurait plus de 10 ans d’ancienneté, elle n’aurait gardé ni les pièces justificatives, ni les documents fiscaux se rapportant à la période pendant laquelle elle avait été résidente fiscale au Luxembourg.
1 V. en ce sens : trib. adm. 12 juin 2003, n° 15385 du rôle, et trib. adm. 15 mai 2003, n° 14299 du rôle, confirmé par Cour adm. 15 juillet 2003, n° 16468C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 909 et 915 et les autres références y citées.
8Elle met en avant que les demandes de communication de pièces envoyées à la fois au bureau de recettes et au bureau d’imposition seraient restées infructueuses, tout en soulignant que son litismandataire se serait rendu au bureau de recettes afin d’obtenir copies d’un certain nombre de pièces de son dossier, dont notamment des sommations à tiers détenteur et des contraintes émises par l’administration des Contributions directes à son encontre, dont la demanderesse cite un listing.
Elle soutient ensuite que si en date du 22 juin 2018, elle avait introduit un « recours hiérarchique » à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2002 et sur la fortune de l’année 2003, ainsi que du décompte y relatif, elle n’aurait toutefois à aucun moment fait référence au « recours hiérarchique formel » visé au paragraphes 237 et 303 AO.
Elle explique que son courrier du 22 juin 2018 aurait été déposé au bureau de la direction de l’administration des Contributions directes par porteur, en soulignant qu’elle aurait pris le soin de demander et d’obtenir un tampon de l’agent ayant réceptionné ledit recours certifiant ainsi de la réalité du dépôt et de sa date d’entrée.
Elle insiste sur le fait qu’elle n’aurait jamais été informée du numéro de rôle attribué à son affaire et que si son litismandataire avait, à plusieurs reprises, appelé le service de contentieux de l’administration des Contributions directes, celui-ci aurait toujours nié l’existence d’un tel recours.
Elle fait, à cet égard, référence à un entretien téléphonique qu’elle aurait eu le 3 juillet 2018 avec le chef de division adjoint du service contentieux de l’administration des Contributions directes, ainsi qu’à un email du même jour de son litismandataire s’enquérant du statut du recours et demandant expressément au chef de division adjoint du service contentieux de faire les vérifications nécessaires.
Elle souligne que l’administration des Contributions directes n’aurait jamais daigné donner suite à ses sollicitations et que le numéro de rôle n’aurait été connu par elle pour la première fois qu’à la suite de la décision du directeur déférée en l’espèce.
Elle donne, enfin, à considérer qu’une opposition à contrainte avec assignation devant le Tribunal arrondissement de et à Luxembourg aurait été dûment signifiée par elle le 2 juillet 2018 à l’encontre de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d’Etat actuellement en fonctions, d’une part, et de Monsieur le préposé du bureau de recette, d’autre part, en soulignant que dans le cadre de cette opposition à contrainte, elle aurait, à maintes reprises, soulevé la question de savoir pour quels motifs réels l’administration des Contributions directes n’aurait pas donné suite à son recours du 22 juin 2018, la demanderesse estimant, en effet, qu’en s’étant aperçue que ce serait une « stratégie sans issue sur le plan civil », ladite administration aurait été contrainte de prendre une décision.
En droit, la demanderesse invoque tout d’abord un excès de pouvoir dans le chef du directeur.
Elle se prévaut, à cet égard, des dispositions des articles 6, paragraphe 1er, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », 1er et 51 de la Constitution, ainsi que de diverses jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et d’un arrêt de la Cour 9constitutionnelle du 28 mai 20192 consacrant les principes d’un recours effectif, d’un accès à un tribunal impartial, d’un procès équitable, d’un délai raisonnable, de l’égalité des armes entre les parties, du contradictoire, ainsi que des droits de la défense.
Elle fait valoir que si suivant le paragraphe 162 (8) AO, un contribuable était tenu de conserver les documents revêtant une incidence pour l’imposition pendant 10 ans, les impôts faisant objet de la procédure d’assistance en recouvrement forcé d’impôts du 21 décembre 2017 relèveraient des années 2002 et 2003, de sorte qu’il serait incontestable que le délai de 10 ans aux fins de conservation des documents fiscaux aurait définitivement expiré. Il serait dès lors tout à fait normal qu’elle n’aurait pas continué à garder lesdits documents fiscaux.
Elle réitère, dans ce contexte, que des démarches auraient été entreprises par son litismandataire afin de se voir communiquer les pièces pertinentes de son dossier fiscal.
Elle explique que suite au courrier du préposé du bureau d’imposition Luxembourg 4 du 1er juin 2018 l’informant que son dossier aurait été radié, son litismandataire se serait rendu le 7 juin 2018 dans les locaux de l’administration de Contributions directes afin de pouvoir consulter le dossier sur place et de faire des copies d’un nombre limité de pièces que l’administration aurait bien voulu mettre à sa disposition.
En s’appuyant sur un avis du Conseil d’Etat du 16 mars 2004 à propos du projet de loi relative à la concurrence3, elle soutient qu’il y aurait en l’espèce violation de ses droits de la défense et plus particulièrement du principe de l’égalité des armes, en ce que, en sa situation de faiblesse de par son statut de contribuable face à une administration étatique qu’est l’administration des Contributions directes, elle aurait, dans un premier temps, été désavantagée par le refus de communication de son dossier de la part de ladite administration, pour se voir, dans un deuxième temps, accorder un accès seulement restreint à son dossier, par la consultation d’un nombre limité de documents sur place.
Elle avance que le principe du contradictoire serait également gravement bafoué en l’espèce, alors que, n’ayant pas à sa disposition le « même niveau » de documents et d’informations que la partie étatique, elle n’aurait aucune chance de se défendre correctement.
En se référant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) du 5 avril 20124, elle conclut que le processus ayant abouti à la prise de la décision directoriale entreprise serait entachée d’une violation de ses droits de la défense, du principe du contradictoire, ainsi que de celui de l’égalité des armes.
Elle cite, ensuite, un arrêt de la Cour administrative du 15 octobre 20195 à propos de la question d’un recours effectif devant une « instance nationale » au sens de l’article 13 de la CEDH, en faisant valoir que l’administration des Contributions directes aurait tout fait jusqu’à feindre d’ignorer l’existence du recours hiérarchique.
2 Cour const., 28 mai 2019, n° 00146 du registre.
3 Projet de loi No 5229 aboutissant à la Loi du 17 mai 2004 relative à la concurrence - Avis du Conseil d'Etat du 16.3.2004 4 Cour EDH, 5 avril 2012, n° 11663/04 - Chambaz c. Suisse.
5 Cour adm., 15 octobre 2019, n° 43366C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
10Elle avance qu’alors même que la preuve de l’existence et du dépôt du recours hiérarchique ne souffrirait d’aucune discussion possible, l’administration des Contributions directes n’aurait jamais jugé utile d’attribuer un numéro de rôle à ce recours, tout en soulignant qu’il aurait fallu attendre la réception de la décision directoriale déférée pour qu’elle puisse avoir la certitude que son recours avait été dûment enrôlé et qu’un numéro de rôle lui avait été attribué.
Elle réitère, à cet égard, que malgré les différents rappels de son litisman dataire, l’administration des Contributions directes n’aurait jamais pris position quant au recours hiérarchique introduit par elle, tout en insistant sur le fait que le directeur aurait uniquement pris une décision le 30 décembre 2019, soit 18 mois après le dépôt du recours hiérarchique le 22 juin 2018, au vu de la tournure qu’aurait pris le contentieux civil.
Elle soutient que la décision déférée n’aurait dès lors pas été prise en toute impartialité ni en toute objectivité, en soulignant que le sort du recours ayant été « scellé depuis le commencement » ne pourrait lui être favorable quels que soient les arguments soulevés par elle, alors que la décision aurait été émise exclusivement dans le but de servir les causes de l’administration des Contributions directes, partie dans le cadre du contentieux civil.
Il devrait dès lors être retenu en l’espèce qu’elle n’aurait pas eu droit « à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ».
Elle ajoute qu’au vu du comportement arbitraire de la part de l’administration des Contributions directes, la décision entreprise ne satisferait, par ailleurs, nullement à l’exigence d’indépendance en ce que ladite administration cumulerait à la fois le rôle de juge par rapport au recours que celui de partie dans le cadre du contentieux civil.
Il s’ensuivrait dès lors incontestablement que le processus ayant abouti à la prise de la décision déférée aurait été particulièrement vicié par des violations inadmissibles de ses droits de la défense, du principe du contradictoire, de celui de l’égalité des armes, ainsi que de celui de l’indépendance d’une administration, de sorte que la décision encourrait l’annulation.
La demanderesse invoque ensuite une violation de la loi et plus particulièrement du paragraphe 91 AO en ce que les bulletins de l’impôt litigieux et le décompte y relatif ne lui auraient pas été régulièrement notifiés.
En se prévalant de la jurisprudence des juridictions administratives6, elle fait valoir que pour qu’une décision administrative en matière fiscale puisse prendre effet (« wirksam werden »), elle devrait être portée régulièrement à la connaissance (« bekanntgeben ») de la personne à laquelle elle est destinée (« demjenigen für den sie bestimmt ist; an den sie gerichtet ist »). Par ailleurs, une notification régulière impliquerait que la décision en cause soit non seulement communiquée dans l’une des formes admises par la loi, mais également que l’administration prenne des dispositions administratives nécessaires pour que la notification de la décision en question parvienne directement dans le ressort du destinataire pour que celui-ci soit utilement mis en mesure d’en prendre connaissance. En d’autres termes, la décision administrative en matière fiscale ne deviendrait opposable à son destinataire que lorsqu’elle aurait été régulièrement notifiée, une simple prise de connaissance du contenu de la décision 6 Trib. adm., 10 décembre 2007, n° 22640 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
11ne pouvant, selon la demanderesse, pas être assimilée à une notification d’après les termes exprès du paragraphe 91 AO.
Elle soutient qu’une irrégularité, voire un défaut de notification valable d’un bulletin d’imposition ne conditionnerait certes pas pour autant son existence juridique, mais uniquement son efficacité à travers la force exécutoire qui lui est conférée, en donnant à considérer que le paragraphe 91 AO érigerait le bulletin d’imposition non pas en un acte réceptif n’ayant d’existence juridique qu’à la condition d’être notifié à son destinataire, mais seulement en un acte ayant une existence juridique propre, sa notification ne conditionnant, en effet, selon elle, que ses effets à l’égard de son destinataire. Il s’ensuivrait qu’un bulletin non valablement notifié serait à qualifier d’acte administratif purement interne à l’administration.
La demanderesse insiste, à cet égard, sur le fait qu’elle n’aurait jamais reçu les bulletins litigieux, même si la partie étatique prétend que ceux-ci avaient été envoyés à son adresse de l’époque, à savoir … (Pays-Bas).
Elle se pose ensuite la question de savoir pour quels motifs réels l’administration des Contributions directes n’aurait pas fourni les bulletins de l’impôt comme preuves afin qu’elle puisse les analyser, tout en soulignant qu’il serait même étonnant que lors de la consultation sur place des documents, son litismandantaire n’aurait pas été autorisé à consulter les bulletins, voire d’en faire une copie.
En se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 18 mars 20137 relatif aux règles de notification d’un bulletin de l’impôt, elle avance qu’il appartiendrait en tout état de cause à l’administration des Contributions directes d’apporter la preuve de l’existence des bulletins litigieux, ainsi que de leur notification régulière, respectivement de leur remise à la poste.
Elle conclut qu’à défaut par la partie étatique de rapporter cette preuve, la présomption de notification des bulletins litigieux ne saurait s’appliquer en l’espèce, de sorte que ceux-ci ne pourraient produire aucun effet à son égard et plus particulièrement n’auraient pas pu fixer des bases d’imposition et des cotes d’impôt dont elle serait redevable.
La demanderesse invoque, ensuite, une violation de l’article 10 de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau-de-vie et des cotisations d’assurance sociale, ci-après désignée par « la loi du 27 novembre 1933 », en ce que les créances de la partie étatique concernant le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2002, ainsi que celui sur la fortune de l’année 2003 seraient éteintes par la prescription.
Elle soutient, finalement, que comme les créances étatiques relatives à l’impôt sur le revenu de l’année 2002 et à l’imposition sur la fortune de l’année 2003 seraient éteintes par prescription, en application du principe suivant lequel l’accessoire suit le principal, aucun intérêt de retard ne saurait être exigé.
7 Trib. adm., 18 mars 2013, n° 29974 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
12A titre subsidiaire, elle fait valoir que le recours « hiérarchique » s’analyserait, de par son contenu, comme ayant pour fondement juridique le paragraphe 46 AO8.
En se prévalant de deux arrêts de la Cour administrative des 29 juillet 2009 et 20 décembre 2012, inscrits respectivement sous les numéros 25165C et 30889C du rôle, ayant trait au pouvoir hiérarchique du directeur prévu par le paragraphe 46 AO, elle donne à considérer qu’en l’espèce son courrier du 22 juin 2018 n’aurait mentionné aucune base juridique précise, de sorte qu’une qualification ne pourrait résulter que de l’examen des faits tels qu’ils ressortiraient des termes de ce recours lui-même.
Elle avance, à cet égard, que son courrier du 22 juin 2018 ne serait en aucun cas une réclamation au sens du paragraphe 228 AO.
Par ailleurs, ledit courrier aurait été expressément dirigé à l’adresse du directeur aux fins de lui demander de rapporter une décision dans un cas d’imposition individuel, à savoir l’annulation, sinon la réformation des bulletins litigieux émis par le bureau d’imposition. Il serait, par conséquent, clair qu’elle aurait demandé par le biais d’un « recours hiérarchique » au directeur d’user de ses prérogatives accordées par le paragraphe 46 (1) AO lequel conférerait au directeur la mission de diriger l’administration des Contributions directes et de superviser les bureaux d’imposition pour s’assurer du respect, par ces derniers, du principe d’égalité et de la bonne gestion des cas d’imposition.
Elle explique que le directeur disposerait en vertu du paragraphe 46 (2) AO du pouvoir de rapporter d’office une décision, et que ce serait dans cette optique qu’elle aurait déposé le « recours hiérarchique ».
Il s’ensuivrait que la décision déférée en déclarant irrecevable son « recours hiérarchique » fondé sur le paragraphe 46 (2) AO violerait la loi et la jurisprudence en vigueur, de sorte à devoir encourir l’annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement explique, à titre de remarques introductives, que la contestation de la dette d’impôt résultant d’un courrier du mandataire de la demanderesse daté du 22 juin 2018 serait intitulée « recours hiérarchique », et insiste sur le fait qu’en matière fiscale, la terminologie relative aux recours gracieux et hiérarchique divergerait du droit administratif général, en ce que la réclamation au sens du paragraphe 228 AO, le recours hiérarchique formel au sens du paragraphe 237 AO et le recours gracieux au sens du paragraphe 131 AO auraient des significations qui leur seraient propres.
Il s’ensuivrait que si un professionnel de la postulation introduisait un recours intitulé « recours hiérarchique », l’administration fiscale pourrait légitiment en déduire que le mandataire souhaiterait exercer au nom de son client le recours prévu au paragraphe 237 AO et non pas l’un des deux autres recours précités.
8 Paragraphe 46 AO: « (1) Der Steuerdirektor hat die Leitung der Steuerverwaltung. Er überwacht die Gleichmässigkeit der Gesetzesanwendung und beaufsichtigt die Geschäftsführung der Steuerkontrollstellen.
(2) Der Steuerdirektor und der Finanzminister können im Aufsichtsweg Verfügungen nachgeordneter Behörden von Amts wegen oder auf Gegenvorstellung hin ausser Kraft setzen und diese Behörden anweisen; Verfügungen können jedoch nur dann ausser Kraft gesetzt werden, wenn sie von den nachgeordneten Behörden zurückgenommen werden könnten. ».
13Il soutient que l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle « aurait déposé sa déclaration d’impôt pour l’année 2002 le 25 juin 2003 et serait partie ensuite au Pays-Bas, persuadée que d’avoir dûment réglé toutes les dettes d’impôt », serait fausse dans la mesure où les bulletins en cause auraient été émis en 2007. A cela s’ajouterait le fait qu’un contribuable, déposant une déclaration d’impôt pour l’année 2002 renseignant un revenu imposable de …- euros, devrait légitimement s’attendre à ce qu’une cote d’impôt soit due, de sorte que la demanderesse serait malvenue de prétendre qu’elle serait persuadée de ne plus rien devoir au fisc, le délégué du gouvernement soulignant qu’une attitude diligente afin d’accélérer le processus d’imposition aurait plutôt consisté à anticiper la situation envisagée en informant dûment le fisc qu’elle souhaiterait quitter définitivement le Luxembourg, ce que la demanderesse serait pourtant restée en défaut de faire.
Au fond, le délégué du gouvernement avance que les bulletins de l’impôt sur le revenu et sur la fortune de l’année d’imposition 2002 auraient été notifiés en bonne et due forme en date du 9 juillet 2007, de sorte que le délai légal endéans lequel un recours au sens du paragraphe 237 AO, voire même au sens du paragraphe 228 AO pouvait être introduit aurait expiré en date du 9 octobre 2007.
Il s’ensuivrait que le « recours hiérarchique » introduit en date du 22 juin 2018 serait irrecevable pour cause de forclusion et que la décision directoriale serait à confirmer dans toute sa teneur.
Il donne, finalement, à considérer que des contraintes auraient successivement été émises en date des 26 mai 2010, 6 novembre 2014 et 20 novembre 2017 attestant de l’interruption de la prescription extinctive de la dette fiscale.
Dans sa réplique, la demanderesse reproche tout d’abord à la partie étatique de ne pas avoir pris position sur le moyen fondé sur une violation de ses droits de la défense, en réitérant (i) que l’administration des Contributions directes aurait refusé de lui communiquer les pièces du dossier, (ii) qu’elle n’aurait jamais été informée de l’enrôlement de son « recours hiérarchique » et qu’aucun numéro de rôle ne lui aurait été communiqué, (iii) que l’administration aurait continué à nier l’existence du « recours hiérarchique » en ne donnant pas suite aux différentes demandes de son litismandataire, et (iv) que compte tenu des circonstances de l’espèce et notamment du contentieux civil en cours, la décision déférée du 30 décembre 2019 serait impartiale et inique.
S’agissant de l’irrégularité au niveau de la notification des bulletins, elle conteste que les documents attestant de la notification desdits bulletins aient été communiqués dans le cadre de la présente procédure, en avançant qu’aucune telle pièce n’aurait été fournie à l’appui du mémoire de réponse.
Elle réitère, à cet égard, qu’elle n’aurait jamais reçu les bulletins litigieux, tout en insistant sur le fait qu’il appartiendrait en tout état de cause à la partie étatique d’apporter la preuve que ceux-ci lui auraient été dûment notifiés, voire qu’ils auraient été remis à la poste, preuve que la partie étatique ne rapporterait toutefois pas en l’espèce, de sorte que la présomption de notification légale ne pourrait s’appliquer.
Il s’ensuivrait que les bulletins litigieux ne produiraient aucun effet à son égard et plus particulièrement n’auraient pas pu fixer des bases d’imposition et des cotes d’impôt dont elle 14serait redevable et que la « décision sur recours hiérarchique formel » déférée en l’espèce ayant pour effet de valider lesdits bulletins serait à annuler.
Elle insiste ensuite sur son moyen fondé sur la prescription de la créance étatique relative aux bulletins de l’impôt, en insistant sur le fait que la charge de la preuve quant à la notification des contraintes ayant pour effet d’interrompre la prescription incomberait à la partie étatique.
Elle réitère, finalement, son argumentation suivant laquelle le sort des intérêts de retard suivrait celui des impôts en principal pour en déduire que comme les créances relatives à l’impôt sur le revenu de l’année 2002 et à l’imposition sur la fortune de l’année 2003 auraient été éteintes par prescription, aucun intérêt de retard ne serait dû.
A titre « accessoire », elle soutient que le « recours hiérarchique » serait fondé sur le paragraphe 46 AO, de sorte qu’aucune forclusion ne pourrait être soulevée en l’espèce.
Elle avance, à cet égard, que la partie étatique méconnaîtrait la loi en ignorant l’existence du recours hiérarchique instauré par le paragraphe 46 AO et mis en œuvre par la jurisprudence administrative constante en la matière. Elle donne à considérer que les développements théoriques du délégué du gouvernement quant à la différence entre le contentieux administratif général et le contentieux fiscal ne présenteraient dès lors aucune utilité, ce à quoi s’ajouterait le fait que celui-ci resterait, par ailleurs, en défaut de produire les références légales et jurisprudentielles pertinentes afin d’appuyer ses allégations. La demanderesse reproche encore à l’administration d’avoir déduit qu’il s’agirait d’un recours hiérarchique formel sans effectuer des recherches plus approfondies. Elle renvoie, pour le surplus, à ses arguments développés ci-avant qui seraient étayés par des références légales et des jurisprudentielles valides.
Le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens dans lequel ils sont présentés dans la requête introductive d’instance, mais suivant la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent.
Si, entre autre, la demanderesse reproche au directeur de ne pas avoir répondu à son courrier du 22 juin 2018 dans un délai raisonnable, la réponse à donner à ce reproche dépend de la question de savoir dans quel contexte le directeur a, respectivement aurait dû statuer, dans la mesure où, indépendamment de la question de la pertinence des principes invoqués par la demanderesse reposant notamment sur le respect du délai raisonnable, d’un procès équitable et de l’égalité des armes, le contribuable dispose, en fonction de la voie choisie, le cas échéant, des outils empêchant qu’il soit contraint d’attendre une décision de l’administration, tel par exemple l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi du 7 novembre 1996 lui permettant de diriger un recours contre les bulletins de l’impôt si après qu’il a saisi le directeur d’une réclamation, celui-
ci n’a pas répondu dans un délai de six mois, ou encore l’article 8, paragraphe (2) de la même loi si le directeur a été saisi d’un recours hiérarchique formel. Ainsi, encore que ce n’est qu’à titre subsidiaire que la demanderesse reproche au directeur d’avoir qualifié son courrier du 22 juin 2018 de recours hiérarchique formel au sens du 237 AO au lieu de l’avoir qualifié de demande au sens du paragraphe 46 AO, il appartient au tribunal d’examiner ce moyen en premier lieu.
Il échet, à cet égard, de relever qu’en matière fiscale, les recours prévus par la loi, et plus particulièrement par la AO contre les actes relevant de l’administration fiscale ont des portées différentes et que chaque recours répond en effet à un formalisme rigoureux et à des 15délais stricts à respecter, afin qu’il puisse être recevable. Ainsi, la réclamation au sens du paragraphe 228 AO (« Anfechtung ») est à distinguer du recours hiérarchique formel au sens du paragraphe 237 AO (« Beschwerde ») qui lui est encore à distinguer d’une demande de remise gracieuse au sens du paragraphe 131 AO, d’une demande en rectification au sens du paragraphe 94 AO, d’une demande en sursis à exécution au sens du paragraphe 251 AO ou du recours au sens du paragraphe 46 AO (« Dienstaufsichtsbeschwerde »), étant, à cet égard, rappelé qu’il appartient en tout état de cause au bureau d’imposition et a fortiori au directeur, sur le fondement du paragraphe 249, alinéas 1er et 2 AO, de qualifier la demande dont le contribuable a saisi l’administration fiscale selon l’intention qu’il y manifeste plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes employés et d’en réserver les conséquences juridiques qui s’imposent.
Le tribunal relève, dans ce contexte, qu’en application des paragraphes 228 et 245 AO, les décisions visées aux paragraphes 211, 212, 212a alinéa 1er, 214, 215, 215a et 235 AO, donc les bulletins de l’impôt lato sensu ou une décision y assimilée par la loi9, peuvent être attaquées par la voie de la réclamation (« Anfechtung ») endéans un délai de trois mois. Le paragraphe 237 AO institue, quant à lui, un recours (« Beschwerde ») contre toutes les autres décisions dites « discrétionnaires » (« Ermessensentscheidungen ») prises par le bureau d’imposition qui ne sont pas des bulletins au sens de la AO10, tels que le refus d’un délai de paiement, la décision portant fixation d’un supplément d’impôt pour défaut de déclaration d’impôt ou déclaration tardive, les décisions refusant d’accorder au contribuable une faveur que la loi met à la disposition de l’administration de lui accorder, etc.. Enfin, le recours au sens du paragraphe 46 (2) AO (« Dienstaufsichtsbeschwerde ») permet au directeur de rapporter d’office une décision (« Verfügungen untergeordneter Behörden von Amts wegen oder auf Gegenvorstellung hin außer Kraft setzen »), ou d’enjoindre aux autorités subordonnées de faire quelque chose (diese Behörden anweisen »), étant relevé qu’un tel recours n’entraîne pas le réexamen d’office du cas d’imposition conformément aux paragraphes 243 et 244 AO et ne constitue pas le renouvellement de la procédure d’imposition11. Par contre, elle peut déclencher l’application du paragraphe 222 AO qui permet la révision des bulletins de l’impôt sous certaines conditions, même après expiration du délai de réclamation.
Le tribunal est de prime abord amené à retenir que le courrier du 22 juin 2018 ne saurait être considéré comme une réclamation au sens du paragraphe 228 AO, dans la mesure où la demanderesse n’affirme à aucun moment qu’elle se considère lésée par les bulletins de l’impôt litigieux, ni ne sollicite-t-elle un réexamen de son imposition en remettant en question le bien-
fondé de celle-ci.
Force est ensuite de constater que si le courrier du 22 juin 2018 est certes intitulé « recours hiérarchique », il ne se dégage toutefois pas des termes utilisés dans le corps dudit courrier que la demanderesse aurait voulu introduire un recours hiérarchique formel au sens du paragraphe 237 AO contre une décision discrétionnaire prise par le bureau d’imposition qui serait susceptible d’un recours hiérarchique formel. En effet, ni l’affirmation qu’elle aurait été persuadée qu’au moment d’avoir déménagé aux Pays-Bas, elle aurait réglé toutes les dettes d’impôt en suspens, ni ses contestations, d’une part, par rapport à la notification régulière desdits bulletins, et, d’autre part, par rapport à son obligation de conserver des documents fiscaux datés de plus de dix ans, ni encore son argumentation relative à la prescription des créances fiscales concernant les impôts dus, respectivement des intérêts de retard y relatifs, ne 9 Etudes fiscales, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, novembre 1989, n°22, page 22.
10 Idem, n° 38, page 32.
11 Idem, n° 55, page 48.
16permettent de qualifier le courrier du 22 juin 2018 de recours hiérarchique formel au sens du paragraphe 237 AO. Force est, au contraire, de constater que les contestations soulevées par la demanderesse à l’appui de son courrier du 22 juin 2018 ont uniquement trait à l’exécution des bulletins de l’impôt litigieux, en ce qu’elles remettent plus particulièrement en cause les actes posés dans le cadre de la phase du recouvrement desdits impôts, telle la sommation à tiers détenteur ou encore la contrainte et remettant ainsi en question les conséquences juridiques de l’imposition telle qu’elle a été retenue par le bureau d’imposition pour les années 2002 et 2003.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal arrive dès lors à la conclusion que le directeur a commis une erreur d’appréciation en qualifiant le courrier du 22 juin 2018 de recours hiérarchique formel au sens du paragraphe 237 AO, de sorte que la décision du 30 décembre 2019 déférée est à annuler et que le dossier est à renvoyer devant le directeur, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens, dont l’examen devient, par conséquent, surabondant.
S’agissant, enfin, de la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, celle-ci est à rejeter, alors que la demanderesse n’établit pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa seule charge les frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation dirigé contre la décision du directeur du 30 décembre 2019 en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision du 30 décembre 2019 et renvoie le dossier devant le directeur ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
met les frais et dépens à charge de l’Etat.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mars 2021 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annick Braun 17Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 18