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01/03/2021 | LUXEMBOURG | N°43376

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 mars 2021, 43376


Tribunal administratif N° 43376 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2019 1re chambre Audience publique du 1er mars 2021 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre un arrêté du Conseil de gouvernement en matière de sites et monuments

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43376 et déposée le 2 août 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son si...

Tribunal administratif N° 43376 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2019 1re chambre Audience publique du 1er mars 2021 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre un arrêté du Conseil de gouvernement en matière de sites et monuments

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43376 et déposée le 2 août 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonction, tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du Conseil de gouvernement du 3 mai 2019 classant comme monument national l’immeuble lui appartenant sis à …, inscrit au cadastre de la commune de Grosbous, section … de …, sous le numéro … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 décembre 2019;

Vu le mémoire en réplique de Maître Martine Lamesch déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 janvier 2020 au nom de la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 9 décembre 2020, et vu les remarques écrites de Maître Martine Lamesch du 7 décembre 2020 et de Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert du 8 décembre 2020, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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Il se dégage des explications non contestées de la société à responsabilité limitée …, ci-

après désignée par « la société … », qu’après que le ministre de la Culture, ci-après désigné par « le ministre », l’ait informée de son intention d’inscrire à l’inventaire supplémentaire les immeubles lui appartenant sis …, inscrits au cadastre de la commune de Grosbous, section … de …, sous les numéro … et …, suite à des discussions intervenues entre les parties, seul le corps de logis fut finalement inscrit audit inventaire par arrêté ministériel du 15 octobre 2009 et ce, après que le Service des sites et monuments nationaux (SSMN) ait marqué, par courrier du 6 octobre 2009, son accord avec la conservation et la restauration de la seule maison d’habitation, ainsi qu’avec la démolition et le remplacement des granges situées de part et d’autre de celle-

ci par de nouvelles constructions devant s’intégrer dans le contexte sensible de la … et dont l’architecture devrait transposer le caractère des dépendances agricoles d’origine.

Par courrier du 8 juin 2018, la société … introduisit auprès du SSMN une demande de démolition partielle de la maison litigieuse en mettant en avant qu’au vu de l’état de vétusté avancée de la maison, seule la façade avant serait à conserver par le biais d’un épinglage réalisé suivant les règles de l’art. Cette demande fut rencontrée par un avis négatif de la part du ministre lui transmis par courrier du 27 juin 2018 qui informa, par ailleurs, la société qu’en cas de non-respect des observations du SSMN, il aurait l’intention, conformément à l’article 17, alinéa 4, de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 1983 », d’engager une procédure de classement.

Par courrier du 17 juillet 2018 adressé au ministre, la société … réitéra sa proposition de conserver la façade de l’immeuble litigieux moyennant réalisation d’un épinglage suivant les règles de l’art, tout en précisant que « l’état de vétusté avancée de l’immeuble, les modifications déjà apportées à l’immeuble par rapport à sa construction initiale, les couts supplémentaires, un meilleur aménagement intérieur du point de vue architectural et de fonctionnement, sans oublier la partie environnementale » l’auraient conduite à vouloir procéder à la démolition du reste de l’immeuble.

Par courrier recommandé séparé du 27 août 2018, le ministre informa la société … qu’une procédure de classement comme monument national de l’immeuble sis à …, inscrit au cadastre de la commune de Grosbous sous le numéro …, avait été engagée d’urgence, tout en annexant audit courrier un arrêté de proposition de classement de l’objet en question datant du même jour.

L’intérêt historique, architectural et esthétique justifiant la proposition de classement de l’immeuble en question fut motivé comme suit :

« La … a son point de départ en plein centre de la localité, marqué par l’église et l’ancienne école. Cette rue, menant vers …, a remarquablement bien préservé son agencement d’époque. De cette façon le côté gauche de la rue présente une rangée de plusieurs fermes et maisons (n°… à …) très bien conservées, construites au 19e et au début du 20e siècle. En face, se situe l’ancienne ferme (n° …) qui s’intègre bien dans cet ensemble. Il en est de même de la maison sise …, qui en quelque sorte complète l’enfilade des immeubles n°… à …, ….

L’ancienne ferme sise … a été construite vers 1860. L’ensemble est constitué d’une maison d’habitation à laquelle sont accolées de part et d’autre dans le même alignement de façade, les dépendances agricoles. Le logis s’élève sur deux niveaux et se divise, de manière symétrique, en trois travées. L’habitation a été élargie au niveau des combles par l’installation d’une toiture à la Mansart, comprenant trois lucarnes et un grand portail a été percé dans la façade de la grange. ».

Dans sa séance publique du 17 octobre 2018, le conseil communal de Grosbous émit un avis défavorable à l’égard de l’arrêté de proposition de classement du 27 août 2018, tandis que, par avis du 6 février 2019, la Commission des sites et monuments nationaux (COSIMO) émit un avis favorable.

Par arrêté du 3 mai 2019, notifié à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 15 mai 2019, le Conseil de gouvernement procéda au classement de l’immeuble litigieux. Cet arrêté a la teneur suivante :

« Art. 1er.- Est classé monument national, l’immeuble sis …, inscrit au cadastre de la commune de Grosbous, section … de …, sous le numéro …, appartenant à … Art. 2.- La présente décision est susceptible d’un recours en réformation devant le tribunal administratif. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat à la Cour dans les trois mois de la notification du présent arrêté au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif.

Art. 3.- Le présent arrêté est transmis au ministre de la Culture aux fins d’exécution.

Copie en est notifiée au propriétaire et à la Ville de Luxembourg […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 août 2019, la société … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté du Conseil de gouvernement du 3 mai 2019 portant classement comme monument national de l’immeuble prédécrit.

Conformément à l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983, le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond sur les recours dirigés contre un arrêté de classement comme monument national, de sorte qu’un recours en réformation a valablement pu être introduit contre l’arrêté précité du Conseil de gouvernement du 3 mai 2019 classant l’immeuble litigieux comme monument national.

Le recours principal en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, la société demanderesse invoque une violation, par le Conseil de gouvernement, de la loi du 18 juillet 1983 et plus particulièrement de son article 1er, tout en faisant valoir que l’arrêté en question contreviendrait, par ailleurs, au droit de propriété constitutionnellement garanti par l’article 16 de la Constitution ainsi que par l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Elle fait, à cet égard, valoir que même si l’article 4, alinéa 3, de la loi du 18 juillet 1983 instaurait dans le chef du propriétaire un droit au paiement d’une indemnité représentative du préjudice résultant pour lui des servitudes et obligations du classement, il n’en resterait pas moins qu’il faudrait de prime abord que les critères d’appréciation pouvant entraîner un classement soient remplis, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, étant donné que, selon elle, l’immeuble litigieux ne présenterait aucun intérêt public, respectivement pas un intérêt suffisant d’un point de vue historique, architectural ou esthétique pour justifier sa préservation.

A l’appui de son argumentaire, elle renvoie aux photographies versées en cause dont il se dégagerait que l’immeuble en question ne présenterait aucune caractéristique particulière méritant d’être protégée via son intégration dans le patrimoine architectural du Grand-Duché de Luxembourg. Il ne s’agirait pas non plus d’un immeuble représentatif d’un style particulier ou présentant un intérêt historique.

Elle souligne, à cet égard, que les éléments avancés par le ministre et repris tant dans l’avis de la COSIMO que par le Conseil de gouvernement pour motiver l’arrêté litigieux, seraient insuffisants pour justifier un classement, alors que mis à part des affirmations sommaires, arbitraires et théoriques, aucun élément ne permettrait de retracer concrètement les critères retenus pour justifier la conservation de la bâtisse au moyen d’un procédé aussi incisif des droits de propriété.

Ainsi, l’avis de la COSIMO retiendrait, d’une part, que de par son implantation au milieu du noyau historique de la localité de Grosbous, à proximité de l’église et de l’école, l’immeuble mériterait d’être protégé, tout en mettant l’accent sur le fait que la … aurait bien conservé son apparence d’époque et que le côté gauche de ladite rue serait marqué par une rangée de plusieurs fermes et maisons bien conservées, pour en conclure que l’immeuble litigieux ferait partie de l’histoire locale et du tissu originaire du village en ce qu’il témoignerait de l’architecture rurale du 18e et 19e siècle.

Or, la société demanderesse donne à considérer que même si certes le côté gauche de la … témoignait d’une certaine homogénéité par la présence de quelques fermes et maisons construites au début du 20e siècle, il ne pourrait toutefois pas être affirmé que tel est le cas pour toute la rue, ni plus particulièrement pour le côté droit de la rue qui se caractériserait par la présence d’immeubles modernes.

Elle ajoute que la description des lieux telle que se dégageant de l’avis de la COSIMO et celle se dégageant de la délibération du conseil communal de Grosbous seraient diamétralement opposées, le conseil communal ayant notamment tenu compte du fait qu’une partie du plan d’aménagement particulier d’ores et déjà réalisé se caractériserait par des structures modernes se situant à l’arrière de l’immeuble litigieux pour en conclure qu’une bonne intégration de celui-ci dans le tissu bâti moderne adjacent à créer serait difficile à réaliser.

La société demanderesse insiste également sur le fait que du côté gauche de l’immeuble se trouverait une bâtisse ne présentant aucun aspect rural, mais témoignant de l’époque actuelle, tout en se distinguant par l’emploi de couleurs criardes.

Au vu de ces considérations, elle conteste qu’il puisse être affirmé qu’il existe un style urbanistique d’ensemble justifiant la préservation de l’immeuble litigieux, tout en donnant à considérer que cet état de fait à lui seul serait de toute façon insuffisant pour justifier un classement.

Ensuite, la société demanderesse fait valoir que comme l’immeuble litigieux ne pourrait être qualifié d’objet rare de nos jours et dont la perte entraînerait non seulement sa disparition, mais aussi celle du genre du bâti lui-même, il ne pourrait être considéré comme présentant à lui seul un intérêt suffisant pour être classé. Elle insiste, à cet égard, sur le fait que dans les alentours et dans la localité de Grosbous se trouveraient encore de nombreuses fermes bien conservées et dont les annexes auraient été préservées.

Elle donne, dans ce même contexte, à considérer que l’affirmation suivant laquelle l’ancienne ferme serait un témoin de l’histoire rurale de la commune de Grosbous et qu’elle ferait partie du développement de la localité serait tout à fait théorique, ce d’autant plus eu égard au fait que seule la maison d’habitation existerait encore suite à la démolition des deux granges s’étant trouvées du côté droit et gauche, de sorte que l’immeuble aurait, en tout état de cause, perdu son aspect de « ferme rurale ».

Elle insiste sur le fait qu’elle aurait marqué son accord pour conserver la façade et respecter le gabarit de la maison d’habitation, de sorte à satisfaire au but recherché par le SSMN visant à conserver une certaine uniformité dans le village et bannir des constructions modernes à cet endroit.

La société demanderesse constate ensuite que la description de l’apparence extérieure de l’immeuble litigieux contenue dans l’avis de la COSIMO correspondrait à des milliers de maisons ou de fermettes situées au Luxembourg. Plus particulièrement, si la COSIMO avait retenu que l’immeuble aurait été érigé dans un style typique et caractéristique de son époque de construction, il ne serait pas précisé en quoi consiste le style et les critères de la période de construction.

Elle ajoute que du fait que les annexes du côté gauche et droit ont été détruites en 2009, l’immeuble en cause présenterait des pignons nus peu esthétiques. Elle s’appuie ensuite sur les photographies versées en cause et plus particulièrement sur l’aspect des façades pour contester le fait qu’il puisse être soutenu que le style architectural et la substance bâtie sont encore authentiques. A cela s’ajouterait que la toiture ne serait pas originale, mais qu’elle serait plutôt courante dans le pays.

Il s’ensuivrait que les éléments mis en avant ne permettraient pas de mettre en valeur l’apparence de l’immeuble ni a fortiori de justifier à eux seuls un classement pour des raisons historiques, architecturales ou esthétiques.

La société demanderesse met ensuite en avant que s’il se dégageait de l’avis servant de motivation à l’arrêté entrepris que le corps de logis présenterait encore certains éléments historiques, l’énumération y contenue ne serait pas suffisante pour donner un caractère exceptionnel à l’intérieur de la bâtisse, ce d’autant plus que cet intérieur relèverait de la sphère privée du propriétaire, de sorte qu’il ne devrait pas être pris en considération pour justifier un classement. Cela serait d’autant plus vrai qu’en principe, tout immeuble datant de 1850 disposerait d’escaliers en bois ou d’un plancher en bois. A cela s’ajouterait que des portes avec des chambranles en bois n’auraient rien d’exceptionnel non plus et que, par ailleurs, les éléments ayant été incorporés à l’époque et plus tard à l’intérieur de la bâtisse ne se distingueraient pas par une finition particulière ou recherchée, voire par l’emploi de matériaux nobles.

La société demanderesse conteste ensuite l’emploi et l’existence de stuc sur les plafonds, tout en insistant sur le fait que la maison d’habitation n’aurait jamais été rénovée de manière soignée au fil des années, mais que seules des réparations et ajouts utiles auraient été effectués. Elle souligne, dans ce contexte, que le bâtiment serait inhabité depuis 16 ans et qu’il se trouverait dans un état de délabrement avancé tel qu’il serait très difficile de combattre et de remédier aux problèmes de moisissure et de structure qui se poseraient, ce d’autant plus eu égard à la disposition intérieure de la bâtisse et à la hauteur sous plafond qui rendraient impossible une rénovation conforme à la réglementation urbanistique en vigueur.

Après avoir souligné que, par ailleurs, aucun personnage célèbre n’aurait vécu dans l’immeuble en question ni aucune activité particulière ne s’y serait déroulée et tout en admettant que, dans une certaine mesure, la maison pourrait, au vu de son âge, le cas échéant, être considérée comme un témoin d’une époque passée, la société demanderesse insiste sur le fait que la maison litigieuse ne relèverait toutefois pas d’une forme élaborée ni d’un style particulier ou d’une valeur historique particulière.

Elle estime, en tout état de cause, que l’exigence du SSMN de conserver les structures tant intérieures qu’extérieures de l’immeuble en cause ne seraient pas justifiée et disproportionnée par rapport au but recherché.

Au vu des considérations qui précèdent, et tout en soulignant qu’il appartiendrait à l’Etat de prouver de manière circonstanciée les motifs à la base d’une décision restreignant les droits de propriété, la société demanderesse conclut qu’il devrait, en l’espèce, être retenu que l’immeuble litigieux ne correspondrait à aucun style architectural, que la présence d’éléments typiques ferait défaut pour ne pas avoir été utilisés ni intégrés dans l’architecture de la bâtisse et que le bâtiment en cause ne comporterait, en conséquence, aucun élément, pris isolément ou dans son ensemble, qui serait à qualifier d’exceptionnel et qui mériterait de ce fait d’être protégé.

A titre subsidiaire, elle demande au tribunal d’effectuer une visite des lieux pour se rendre compte de la situation et notamment de l’implantation et des alentours de l’immeuble litigieux, de même que pour constater l’état de vétusté et de délabrement du bâtiment.

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique entend tout d’abord préciser que l’argumentaire contenu dans l’arrêté ministériel de proposition de classement constituerait avant tout une description, voire une énumération de caractéristiques et ce, dans le but de refléter une image générale de l’immeuble à partir de laquelle pourrait ensuite être déduite sa valeur patrimoniale en mettant en avant de manière précise les critères de protection auxquels répondrait l’immeuble.

Elle insiste ensuite sur le fait que ce ne seraient pas seulement les éléments décoratifs ou les originalités qui feraient qu’un immeuble soit digne de protection et que, pour ce qui serait des qualités architecturales et esthétiques de l’immeuble litigieux, celles-ci ne découleraient pas des différents éléments égrenés de sa description générale mais de tous ces éléments pris dans leur ensemble. Elle ajoute que la motivation justifiant la protection de l’immeuble en cause ne se limiterait pas à la seule description de celui-ci puisqu’il serait également fait état de l’ensemble que celui-ci formerait avec les bâtiments d’en face et ce eu égard au fait que la maison formerait un pendant à l’enfilade des fermes situées de l’autre côté de la rue. Ainsi, la maison litigieuse serait-elle un témoin caractéristique de son époque de construction et de sa région, de même que de l’architecture des 18e et 19e siècles, tout en illustrant ainsi le passé rural et le développement urbanistique de la localité de Grosbous. Elle ferait plus particulièrement partie d’un ensemble d’immeubles marquant le village de Grosbous et serait de ce fait devenue partie intégrante de l’histoire locale.

La partie étatique insiste ensuite sur le fait qu’il ne faudrait pas voir l’immeuble litigieux comme une ouverture inesthétique ou un élément perturbateur, mais il faudrait, au contraire, le voir comme un élément clé à cet endroit et plus particulièrement comme un générateur d’identité et de mémoire du lieu. En effet, le corps de logis de l’ancienne ferme ferait partie d’un ensemble d’anciens immeubles historiques témoignant de l’architecture traditionnelle et marquant ainsi la physionomie de la localité.

En renvoyant au libellé de l’article 1er de la loi du 18 juillet 1983, la partie étatique donne à considérer qu’il serait évident que presqu’aucun immeuble ne pourrait remplir simultanément tous les intérêts y énumérés, mais que, selon l’analyse du SSMN, le corps de logis de l’ancienne ferme présenterait bel et bien un intérêt public du fait qu’il remplirait sans doute deux des critères cités par la loi, à savoir l’intérêt historique et esthétique.

Elle précise que l’intérêt public de conserver l’immeuble en cause serait donné du fait que la maison ferait partie du patrimoine de la localité en ce sens que du fait de son implantation, elle marquerait l’espace-rue de la localité depuis des siècles. L’intérêt public d’un point de vue historique serait également donné du fait que l’immeuble ferait partie de l’histoire locale et du tissu originaire du village.

Tout en admettant que l’immeuble aurait été inoccupé et peu entretenu pendant plusieurs années et que des dégâts existeraient, la partie étatique insiste sur le fait qu’une restauration serait tout à fait possible et que celle-ci, en ce qu’elle serait accompagnée par les experts du SSMN, permettrait même de procéder à des réaménagements afin d’adapter les lieux aux besoins des futurs occupants, le tout en respectant la substance bâtie.

Elle ajoute qu’un classement n’exclurait nullement la modernisation de la bâtisse en mettant en avant que les différentes parties pourraient bénéficier de changements afin de les adapter aux besoins actuels, tout en conservant la substance bâtie et sans que l’aspect de l’immeuble ne soit perdu. Elle précise, à cet égard, qu’une analyse s’imposerait certes pour définir le degré d’intervention sur les différentes parties de l’immeuble et qu’un bureau d’ingénieur aurait été chargé pour mener une analyse sur la structure historique du bâtiment.

Elle explique que suite à la dernière visite de l’immeuble en date du 8 octobre 2019 avec le propriétaire, son architecte, un ingénieur et un représentant du SSMN, un accord aurait été trouvé ayant permis de conserver la substance historique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Elle précise, à cet égard, que le projet soumis en 2015 au SSMN par un cabinet d’architecture aurait déjà démontré que les hauteurs sous plafonds et les anciennes dalles pourraient être respectées et intégrées dans un projet de restauration valable et que le projet adapté qui aurait été soumis au SSMN le 16 octobre 2019 aurait été retravaillé en respectant les observations du SSMN et l’avis de l’ingénieur-conseil.

Enfin, elle souligne que des mesures de consolidation et de stabilisation pourraient être largement subventionnées par l’Etat.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse constate que la partie étatique n’aurait apporté à travers son mémoire en réponse aucune précision supplémentaire ou élément nouveau permettant de justifier le classement litigieux, notamment par le biais d’une documentation circonstanciée attestant une qualité historique, esthétique ou architecturale dans le chef de l’immeuble en cause, de même qu’elle resterait en défaut de démontrer en quoi il s’agirait d’un bâtiment représentatif d’un genre ou d’une époque.

Elle insiste sur le fait que le corps de logis de l’ancienne ferme ne présenterait aucun particularisme méritant d’être protégé, ce d’autant plus qu’il ne s’agirait pas d’un objet se démarquant par sa rareté.

Elle ajoute que mis à part le fait de dater d’une certaine époque, l’immeuble litigieux ne présenterait ni de l’intérieur ni de l’extérieur une quelconque caractéristique particulière, telle l’authenticité de sa substance bâtie, des colombages ou ornements, l’emploi de pierres de taille, de bois ou d’avants corps, ni a fortiori un intérêt public à être conservé. Elle relève que pour retenir le critère de l’authenticité dans le chef de l’immeuble litigieux, la partie étatique se contenterait d’indiquer qu’il n’aurait connu que peu de modifications, affirmation qui serait toutefois largement relativisée par les constatations de l’expert … dans un rapport datant de l’été 1979 et figurant parmi les pièces versées par l’Etat. A cela s’ajouterait que « l’ensemble typique bien équilibré » auquel il serait fait référence dans ce rapport n’existerait plus depuis la démolition des annexes du côté gauche et droit, la société demanderesse soulignant que le seul élément positif existant encore serait la porte d’entrée en bois, élément qui serait toutefois à lui seul largement insuffisant pour imposer la conservation d’un immeuble délabré et insalubre, ce d’autant plus que rien ne s’opposerait à conserver la porte d’entrée et à l’intégrer dans le nouveau bâtiment qui y sera construit.

Pour ce qui est de l’implantation de la maison telle qu’invoquée par la partie étatique pour justifier que l’immeuble serait à conserver d’un point de vue historique pour être un témoin de l’histoire locale et du tissu originaire de la localité de Grosbous, la société demanderesse insiste sur le fait qu’il ne suffirait pas qu’un immeuble puisse être attribué à une certaine époque pour établir dans son chef un intérêt historique. A cela s’ajouterait que l’aspect et l’agencement des rues serait préservée puisque le PAP ayant été approuvé par le ministre compétent maintiendrait les alignements et les proportions telles qu’elles existaient auparavant.

Elle ajoute qu’il se dégagerait de l’esquisse élaborée par le bureau d’architecture diligenté par elle que le nouveau projet s’intégrerait parfaitement tant dans le tissu rural existant du côté gauche de la rue que dans le tissu plus moderne existant le long de la rue de l’implantation du projet, dans la mesure où la maison principale garderait un style très similaire et où les « annexes » seraient érigées dans un style plus moderne. Il s’ensuivrait qu’une reconstruction de l’immeuble dans un style quasi identique permettrait non seulement de contrer les craintes exprimées par le SSMN, mais une telle reconstruction serait également nécessaire eu égard au fait que la substance bâtie de l’immeuble serait gravement affectée et qu’une restauration s’avérerait impossible, sinon économiquement hors proportion et dérisoire. Il ne faudrait pas non plus perdre de vue que le cachet de l’immeuble, à admettre qu’il en aurait existé un, aurait été détruit après que les annexes, peu esthétiques, aient été enlevées.

La société demanderesse donne ensuite à considérer que même si la partie étatique soutenait que des réaménagements seraient permis et qu’une modernisation ne serait pas exclue, il se poserait la question de savoir de quelle manière exactement le SSMN imaginerait les choses alors que l’intérêt consisterait à protéger les aménagements intérieurs, tels les agencements existants qui témoigneraient prétendument du passé rural, de même que les escaliers en bois.

Elle réfute ensuite qu’un accord aurait été trouvé avec le propriétaire pour conserver la substance historique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’immeuble, tout en soulignant qu’il se dégagerait de nombreux courriers échangés que son intention n’aurait pas été la conservation de l’immeuble mais la « conservation esthétique du lieu ». Elle explique, à cet égard, vouloir réaliser un projet de grande qualité architecturale s’intégrant dans le tissu urbain existant et répondant aux normes urbanistiques et environnementales actuelles, ce qui ne serait toutefois pas possible en cas de classement impliquant la conservation de la substance bâtie intérieure et extérieure. Elle ajoute qu’au vu des nombreux inconvénients liés à une telle rénovation, même des promesses de subventions pour les mesures de consolidation et de stabilisation n’auraient pas pu la persuader à accepter le classement.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique insiste sur le fait que la ferme litigieuse connue sous la dénomination « … » serait un des bâtiments déjà inscrit sur le plan cadastral appelé « Urkadaster », ce qui démontrerait à suffisance qu’il s’agirait d’une des maisons historiques de la localité de Grosbous.

Elle ajoute que dans la mesure où, dans la …, plusieurs bâtiments de cette même époque seraient conservés, notamment une rangée de fermes et maisons allant du n°… au n°…, la maison litigieuse serait à considérer comme faisant partie de cet ensemble remarquable. Elle précise que comme l’extérieur de la maison serait revêtu d’un style architectural datant de la deuxième moitié du 19e siècle, une évolution de la maison en question serait à constater et que le changement en question ferait partie de l’histoire du bâtiment, de sorte à l’ériger en témoin du développement de la localité.

La partie étatique admet que la maison litigieuse se présenterait actuellement dans un état déplorable, tout en soulignant que celui-ci aurait été causé par la négligence de ses propriétaires. Il n’en resterait pas moins que la substance bâtie montrerait toujours des éléments caractéristiques qui représenteraient une partie du patrimoine architectural assez riche et concentré dans cette partie de la ….

Au vu de ces considérations, il devrait être admis que les critères relatifs à la période de construction, à la typicité du lieu, à l’évolution du bâti et au type de bâti seraient remplis en ce sens qu’ils seraient présents et lisibles dans la substance historique de l’immeuble.

Elle ajoute que les encadrements des baies en pierre de taille seraient rectangulaires et très simples ce qui serait caractéristique pour la période du 19e siècle (Classicisme), tout en soulignant que si certes les encadrements en question n’étaient pas exceptionnels du point de vue de l’histoire de l’art, ils constitueraient néanmoins un témoin de cette époque. Elle explique ensuite que la toiture mansardée serait un développement de l’immeuble et qu’elle serait typique pour la période de l’Historicisme. Par ailleurs, elle insiste sur le fait qu’à l’intérieur, l’escalier en bois datant des années 1930 serait encore bien conservé et qu’il s’agirait d’un travail de menuiserie spécifique clairement reconnaissable et de ce fait rattachable à une époque précise.

La partie étatique souligne que la maison représenterait différentes et diverses couches temporelles en ce qu’elle serait marquée par plusieurs phases historiques et caractéristiques de leur époque d’intervention. De ce fait, un développement ultérieur ne serait pas exclu, le tout en respectant la substance historique bâtie.

La partie étatique fait ensuite valoir que les encadrements en pierre de taille rouge seraient un élément typique pour la région géographique en ce que le grès rouge aurait été extrait dans les carrières locales et utilisé principalement dans la région « Gutland ».

Elle réitère que le type de bâtiment en cause se composerait d’une ancienne ferme ayant été construite le long de la rue et qu’elle aurait été flanquée de granges des deux côtés, tout en expliquant que sur le premier plan cadastral, la forme de l’ancienne ferme aurait été même plus grande alors que du côté gauche, une annexe aurait été accolée perpendiculairement à l’ancienne grange. Or, cette forme en « L » serait typique pour la région. A cela s’ajouterait que les murs porteurs avec leurs épaisseurs typiques, les plafonds en bois et la disposition des pièces seraient toujours reconnaissables et renseignerait des méthodes de construction d’antan.

Enfin, la partie étatique explique que le 8 octobre 2019, une réunion de concertation se serait tenue sur place à laquelle auraient assisté un représentant de la société …, un architecte auprès du SSMN, un représentant d’un bureau d’ingénieurs et l’architecte mandaté par la société demanderesse et lors de laquelle il aurait été convenu que les plans seraient à modifier pour garantir au maximum le respect de la substance bâtie, suite à quoi des plans retravaillés auraient été soumis le 16 octobre 2019 au SSMN.

Aux termes de l’article 1er de la loi du 18 juillet 1983, « Les immeubles, nus ou bâtis, dont la conservation présente au point de vue archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, sont classés comme monuments nationaux en totalité ou en partie par les soins du Gouvernement, […].».

Il s’ensuit que pour pouvoir faire l’objet d’un classement, les immeubles concernés doivent mériter d’être protégés, mérite qui se mesure par rapport à l’intérêt public que présente leur conservation.

Le tribunal relève ensuite que lorsque le ministre propose un immeuble au classement comme monument national en raison de son intérêt historique, architectural et esthétique, tel que cela a été le cas en l’espèce, il doit, en tout état de cause, pouvoir justifier que la conservation de cet immeuble présente un intérêt public1.

En l’espèce, il se dégage de l’arrêté ministériel de proposition de classement sur lequel le Gouvernement en conseil s’est notamment fondé pour décider le classement litigieux que celui-ci est motivé par le caractère rural de l’ensemble que représenterait la maison d’habitation avec ses dépendances agricoles qui y seraient accolées de part et d’autre dans le même alignement de façade, caractère rural qui ferait que l’ancienne ferme s’intégrerait bien dans l’ensemble formé du côté opposé de la rue par une rangée de plusieurs fermes et maisons très bien conservées et construites au 19e et au début du 20e siècle.

Un premier constat s’impose toutefois, à savoir que cette motivation est contredite par les éléments du dossier, notamment par les photographies versées en cause, ainsi que par les explications concordantes des parties dont il se dégage sans équivoque que les annexes du côté gauche et droit du corps de logis n’existent plus, pour avoir été détruites en 2009.

Le tribunal relève à cet égard que, dans le cadre de la procédure contentieuse, la partie étatique, tout en concédant qu’actuellement seul le corps de logis existe toujours, est toutefois d’avis que celui-ci mériterait d’être protégé pour constituer, en raison de son caractère rural, à lui seul non seulement un témoin de son époque de construction, mais également pour être typique de la région et pour faire partie de l’ensemble remarquable constitué par la rangée de maisons et fermes se trouvant de l’autre côté de la rue.

Or, si certes il se dégage des pièces versées en cause que l’ensemble formé par le passé par la maison d’habitation et ses dépendances agricoles y accolées des deux côtés présentait un caractère rural, il n’en reste pas moins que tel n’est plus le cas depuis qu’il n’existe plus que le 1 Trib. adm. 17 avril 2013, n°29956 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Sites et Monuments, n°24 et les autres références y citées.

corps de logis qui, à lui seul, compte tenu de l’allure de sa façade principale et de sa toiture mansardée imposante, n’a pas un caractère particulièrement rural.

Il peut dès lors être difficilement soutenu que le corps de logis à lui tout seul présente un intérêt public à être conservé au motif qu’il formerait un élément exemplaire de l’architecture rurale et traditionnelle du 18e et 19e siècle, ni a fortiori au motif qu’il serait un témoin de l’histoire rurale de la commune de Grosbous, respectivement qu’il ferait partie du développement de la localité.

Pour la même raison, il y a lieu d’admettre que s’il ne peut être exclu que la maison d’habitation a pu marquer l’espace-rue de la localité de Grosbous par son caractère rural lorsqu’elle était encore entourée de ses dépendances agricoles, il se dégage des photographies versées en cause que tel n’est actuellement plus le cas puisque la maison litigieuse est actuellement la seule maison ancienne encore située du côté droit de la rue.

Le tribunal ne conçoit pas non plus dans quelle mesure il pourrait être affirmé que la maison d’habitation de type non spécialement rural ferait partie de l’ensemble constitué par la rangée de fermes et maisons d’époque se situant de l’autre côté de la rue, respectivement qu’elle formerait « un pendant à l’enfilade des fermes situées de l’autre côté de la rue », la maison litigieuse n’étant, en effet, pas comparable à celles se situant du côté opposé de la rue.

Ensuite, le tribunal ne décèle pas, sur base des éléments soumis en cause, d’autres caractéristiques particulières ou attributs essentiels qui justifieraient la conservation de la maison d’habitation dans le patrimoine architectural du Grand-Duché de Luxembourg par le biais d’un classement, étant relevé que de telles caractéristiques doivent, en tout état de cause, apparaître de manière évidente pour justifier l’atteinte portée à la situation du propriétaire par les effets d’un classement.

Il ne se dégage plus particulièrement pas des éléments à la disposition du tribunal dans quelle mesure une préservation de la maison d’habitation litigieuse pourrait se justifier en raison de sa qualité de témoin d’une époque déterminée ou bien d’objet significatif d’un point de vue architectural. En effet, un objet est important d’un point de vue architectural ou historique soit s’il représente le style ou l’époque de façon exemplaire, soit s’il constitue le paroxysme ou l’exception de la période artistique en question. Ainsi, des objets qui représentent un progrès particulier pour leur époque ou les idées novatrices de leur période de construction2 répondent aux critères architecturaux et historiques justifiant leur classement.

Or, le seul fait que la maison d’habitation ait été érigée vers le milieu du 19e siècle et qu’elle présente encore quelques éléments d’époque à l’intérieur, tels que notamment un escalier ou des planchers en bois, voire des portes avec des chambranles en bois, n’en fait pas dans son ensemble une bâtisse particulièrement représentative de sa période de construction ou importante d’un point de vue historique, alors que le fait qu’une maison construite vers 1850 présente des éléments intérieurs et extérieurs datant de cette époque, respectivement représente différentes et diverses couches temporelles n’a en tout état de cause rien d’exceptionnel puisqu’il est évident que plus une maison est vieille, plus il y a de chances qu’elle soit marquée par diverses phases historiques et caractéristiques de leur époque d’intervention. De même, n’y a-t-il rien d’exceptionnel à ce que la maison ait été construite de manière fonctionnelle avec les matériaux et techniques disponibles de l’époque.

2 SSMN « La protection du patrimoine architectural par les plans d’aménagement généraux », page 6, point 2.

Il ne se dégage, ensuite, pas des éléments mis en avant à quel style architectural le corps de logis est concrètement rattachable, l’unique affirmation non autrement étayée suivant laquelle la toiture mansardée dont est dotée la maison serait typique pour la période de l’Historicisme n’étant, en tout état de cause, pas de nature à élucider cette question, étant, en effet, relevé que dans la mesure où l’Historicisme correspond à une phase unique dans l’architecture où de nombreux et différents styles cohabitaient, il ne suffit certainement pas de renvoyer à la période de l’Historicisme, mais encore faut-il expliquer à quel style en particulier de cette époque la mansarde est rattachable et pour quelle raison cette mansarde serait d’une exceptionnalité particulière conférant à la maison litigieuse le cachet d’un style architectural caractéristique ou d’une valeur historique justifiée. Ce constat est d’autant plus vrai qu’il n’est pas contesté que la toiture en question n’est pas originale, de même qu’il est indéniable qu’il s’agit d’une toiture assez courante ne reflétant a priori aucun style architectural en particulier.

En ce qui concerne le reste du corps de logis, si la partie étatique en décrit certes l’aspect extérieur, tout en soutenant que la maison serait revêtue du style architectural datant de la deuxième moitié du 19e siècle, respectivement que la maison serait un témoin caractéristique de l’architecture des 18e et 19e siècles, il s’agit d’une affirmation tout à fait théorique et abstraite, alors que la partie étatique n’explique pas quel est concrètement le style architectural auquel elle se réfère ni a fortiori dans quelle mesure le fait que le corps de logis s’élève sur deux niveaux et se divise de manière symétrique en trois travées en ferait un objet représentatif d’un style architectural en particulier. Ce constat est d’autant plus vrai qu’il vient d’être retenu ci-avant que si certes l’ensemble formé par le passé par la maison d’habitation ensemble avec les dépendances agricoles y accolées des deux côtés présentait un caractère rural, tel n’est plus le cas depuis qu’il n’existe plus que le corps de logis qui, tel que relevé ci-avant, n’a pas un caractère particulièrement rural, de sorte que l’intérêt public à le conserver ne saurait être recherché dans le fait qu’il serait particulièrement caractéristique de l’architecture rurale et traditionnelle des 18e et 19e siècles.

Il ne suffit, en tout état de cause, pas de vanter l’authenticité du style architectural et de la substance bâtie d’une bâtisse, encore faut-il être en mesure de rattacher celle-ci à un style ou à une époque de construction en particulier, ce que, tel que relevé ci-avant, la partie étatique reste en défaut de faire pour ce qui est du corps de logis.

Si le corps de logis litigieux, du fait de sa date de construction, fait donc nécessairement - à l’instar de toutes les autres constructions de cet âge - partie du patrimoine bâti de la localité de Grosbous, cette circonstance à elle seule ni n’explique, ni ne justifie-elle le classement de cet immeuble en tant que monument national au sens de la loi.

Par ailleurs, si, d’après les critères mis en place par le SSMN, les objets qui illustrent la vie de périodes passées et qui montrent l’histoire sociale sont dignes d’être conservés, encore faut-il toutefois que ces objets remplissent des critères d’authenticité plus importants s’ils ne remplissent pas déjà le critère de rareté3.

Or, en l’espèce, il ne saurait être valablement soutenu que le corps de logis litigieux constituerait un exemplaire représentatif d’un genre ou d’un type de construction qui se fait rare de nos jours et dont la perte entraînerait non seulement sa disparition, mais aussi la disparition du genre de bâti lui-même4, puisque, de par son aspect extérieur, il correspond à de 3 idem, page 9, point 8.

4 ibidem, page 6, point 3.

nombreuses autres maisons érigées à la même époque au Grand-Duché de Luxembourg sans que le tribunal ne puisse dénoter l’existence d’éléments individualisés d’une exceptionnalité particulière conférant à la maison litigieuse le cachet d’un type architectural caractéristique ou d’une valeur historique justifiée.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours en réformation tel qu’introduit par la société demanderesse justifié et par réformation d’annuler l’arrêté du Conseil de gouvernement du 3 mai 2019 décidant du classement comme monument national de l’immeuble sis à …, inscrit au cadastre de la commune de Grosbous, section … de …, sous le numéro ….

La société demanderesse a encore sollicité, pour autant que de besoin, une visite des lieux, demande à laquelle, compte tenu des conclusions dégagées ci-avant, il n’y a pas lieu de donner suite.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le dit justifié ;

partant, dans le cadre du recours principal en réformation, annule l’arrêté du Conseil de gouvernement du 3 mai 2019 décidant du classement comme monument national de l’immeuble sis à …, inscrit au cadastre de la commune de Grosbous, section … de …, sous le numéro … ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er mars 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43376
Date de la décision : 01/03/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-03-01;43376 ?

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