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22/02/2021 | LUXEMBOURG | N°43703

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 février 2021, 43703


Tribunal administratif N° 43703 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2019 2e chambre Audience publique du 22 février 2021 Recours formé par Monsieur … et consorts, Diekirch et Gilsdorf contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43703 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

 Monsieur …

, demeurant à L-…,  Monsieur …, demeurant à L-…,  Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeu...

Tribunal administratif N° 43703 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2019 2e chambre Audience publique du 22 février 2021 Recours formé par Monsieur … et consorts, Diekirch et Gilsdorf contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43703 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

 Monsieur …, demeurant à L-…,  Monsieur …, demeurant à L-…,  Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation de « la décision de la ministre de l’Intérieur notifiée (…) le 31 juillet 2019, portant la référence n°…, refusant d’approuver la décision du conseil communal de Diekirch du 13 juin 2019 et rejetant [leur] réclamation (…) », Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick Muller, demeurant à Diekirch, du 7 novembre 2019, portant signification de ce recours à l’administration communale de Diekirch, ayant sa maison communale à L-9233 Diekirch, 27, avenue de la Gare, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2019 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Diekirch, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2020 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 7 février 2020 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’administration communale de Diekirch, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2020 par Maître Georges Krieger, au nom des parties demanderesses ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2020 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’administration communale de Diekirch ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que l’acte attaqué ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sébastien Couvreur, en remplacement de Georges Krieger, Maître Paul Schintgen, en remplacement de Maître Albert Rodesch, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 novembre 2020.

______________________________________________________________________________

Lors de sa séance publique du 24 septembre 2015, le conseil communal de Diekirch, ci-après désigné par le « conseil communal », fut saisi par le collège des bourgmestre et échevins de Diekirch, ci-après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », d’un projet d’aménagement général pour la commune de Diekirch, à l’égard duquel il décida à l’unanimité d’« (…) émettre un vote positif (…) de sorte que le collège des bourgmestre et échevins peut procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi (…) du 19/07/2004 (…) ».

Par courrier du 2 novembre 2015, Monsieur …, Monsieur … et Monsieur …, ainsi que son épouse, Madame … désignés ci-après par « les consorts … », propriétaires respectifs de différentes parcelles inscrites au cadastre de la commune de Diekirch, section … « … », sous les numéros …, …, …, …, …, …, … et …, désignées ci-après par « les parcelles …, …, …, …, …, …, … et … », soumirent au collège des bourgmestre et échevins des objections à l’encontre dudit projet d’aménagement général.

Lors de sa séance publique du 24 mars 2016, le conseil communal décida d’approuver :

« unanimement la partie graphique du projet d'aménagement général, modifiée suivant les avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations (…) unanimement la partie écrite du projet d'aménagement général, modifiée suivant l'avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures -

département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations (…) unanimement • la partie graphique du projet d'aménagement général, modifiée suivant les avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations • la partie écrite du projet d'aménagement général, modifiée suivant l'avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations (…) ».

Le conseil communal prit, par ailleurs, position sur les objections formulées par les consorts … en décidant unanimement de ne pas y réserver de suite favorable.

Le 13 avril 2016, les consorts … introduisirent auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », une réclamation à l’encontre de la susdite délibération du conseil communal du 24 mars 2016.

Par décision du 19 octobre 2016, le ministre approuva ladite délibération du conseil communal du 24 mars 2016 portant adoption du plan d’aménagement général et déclara recevable mais non fondée la réclamation des consorts ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2017, les consorts … firent introduire un recours en annulation contre « 1) la délibération du conseil communal de la commune de Diekirch du 24 mars 2016 portant adoption du projet d’aménagement général, parties écrite et graphique ; 2) la décision d’approbation du ministre de l’Intérieur notifiée aux requérants le 4 novembre 2016, portant la référence n°… ».

Par un jugement du 19 avril 2018, inscrit sous le numéro 39032 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours en annulation précité recevable en la forme et, quant au fond, le déclara justifié. Le tribunal annula partant la délibération du conseil communal du 24 mars 2016 portant adoption de la partie graphique et de la partie écrite du projet d'aménagement général de Diekirch ainsi que la décision du ministre du 19 octobre 2016 approuvant la délibération précitée du conseil communal du 24 mars 2016.

Sur appel formé tant par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg que par l’administration communale de Diekirch contre le jugement du tribunal administratif précité du 19 avril 2018, la Cour administrative, par arrêt du 7 février 2019, inscrit sous les numéros 41199C et 41209C du rôle, confirma partiellement le jugement dont appel. La Cour annula, ainsi, la délibération du conseil communal du 24 mars 2016 et la décision d’approbation afférente du ministre de l’Intérieur du 19 octobre 2016 « de manière partielle et limitée à la question du reclassement des parcelles litigieuses de Messieurs … et …, ainsi que des époux … » et dit qu’il n’y avait pas lieu à annulation de ces deux actes pour le surplus.

En ce qui concerne plus particulièrement le classement urbanistique des parcelles des consorts …, la Cour retint notamment que leur situation en zone potentiellement inondable ne devait constituer « pas plus que pour le passé, un obstacle irrémédiable à toute forme de constructibilité à l’endroit ».

La Cour précisa ensuite que : « Cette conclusion est à tirer sur le plan des principes en ce qu’elle aboutit à l’annulation des délibération communale et décision étatique critiquées en ce qui concerne le reclassement des terrains litigieux d’une zone constructible en une zone non constructible, sans qu’à ce stade du litige, il ne soit nécessaire de différencier vers quelle zone constructible exactement le nouveau classement aurait dû se diriger. Il convient en effet que les autorités communales puissent, dans un esprit de subsidiarité, revoir la situation à nouveau et placer les terrains litigieux, chacun en ce qui le concerne, en zone constructible, tel que cela a été le cas jusque lors, quitte à prévoir les conditions et modalités adéquates, le cas échéant différenciées, compte tenu de la situation potentiellement inondable de ceux-ci dans le contexte donné suivant une saine appréciation du principe de précaution tel que mis en avant par le directeur dans le cadre des dispositions de l’article 39 de la loi du 19 décembre 2008 conditionnant directement ce classement. ». Enfin, la Cour renvoya « le dossier devant le conseil communal de Diekirch dans la limite de l’annulation partielle prononcée ».

Le conseil communal s’est réuni le 6 mai 2019 avec comme ordre du jour : « URBANISME :

Prise de position quant à la réclamation de « …, … … et … » (article 14 de la loi modifiée du 19/07/2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain) ». Il ressort de l’extrait du registre aux délibérations du conseil communal concernant la séance du 6 mai 2019 que le conseil communal a retenu qu’il était : « maintenant appelé à statuer une nouvelle fois sur la réclamation du 02 novembre 2015 introduite par Messieurs … et …, ainsi que par les époux … » et que le vote consécutif du conseil communal a abouti à un partage des voix. L’extrait du registre afférent indique ainsi que le conseil communal : « procède au vote qui donne : 6 voix positives, 6 voix négatives et 1 abstention ». Le même extrait du registre renseigne, en dernier lieu, la conclusion tirée par le conseil communal du partage de voix comme suit : « Comme il y a partage des voix, le présent point est reporté à la prochaine séance du Conseil communal conformément à l’article 19 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ».

En date du 13 juin 2019, le conseil communal se réunit de nouveau pour délibérer sur les réclamations dirigées par les consorts … contre le projet d’aménagement général. Le vote du conseil communal aboutit au résultat suivant : « 6 voix positives, 6 voix négatives et 1 abstention ». D’après l’extrait du registre aux délibérations du conseil communal de la séance afférente le conseil communal tira la conclusion suivante de ce vote : « Etant donné qu’il y a de nouveau partage de voix, le bourgmestre a voix prépondérante selon l’article 19 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988. Comme lors du vote le bourgmestre s’est abstenu, le résultat final du vote reste inchangé.

Conformément aux dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, le dossier complet est transmis pour approbation à l’autorité supérieure. ».

Par courrier de leur litismandataire du 28 juin 2019 les consorts … ont introduit auprès du ministre leurs observations et objections à l’encontre des votes du conseil communal des 6 mai et 13 juin 2019.

Le 31 juillet 2019, le ministre s’adressa par courrier, référencé sous le numéro …, au collège des bourgmestre et échevins. Ledit courrier est de la teneur suivante :

« Je reviens vers vous suite aux différentes délibérations que vous m’avez fait parvenir en vue de mon approbation.

Après instruction du dossier, je suis amenée à constater qu’il y a eu, par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre.

De par ce fait, et conformément aux dispositions de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, je ne suis pas en mesure d’exercer mon pouvoir de tutelle d’approbation.

Il en résulte qu’aucune majorité n’a pu se dégager des deux votes précités, ainsi aucun projet d’aménagement général n’a pu être soumis et le conseil communal n’a pas été en mesure de prendre une décision conformément à l’article 14 de la loi précitée.

En conclusion, je me dois de vous informer que je ne saurais donner une suite favorable à votre demande d’approbation. (…) ».

Par un courrier du même jour, référencé sous le numéro …, le ministre s’adressa au litismandataire des consorts … dans les termes suivants :

« Je reviens vers vous suite à votre courrier recommandé du 28 juin dernier.

Par ce courrier, vous entendez porter devant moi vos observations et objections en vertu de l’article 16 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal à l’encontre du vote définitif de la commune de Diekirch du 13 juin dernier.

Comme vous le mentionnez dans votre missive il y a effectivement eu, par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre.

Je ne m’estime dès lors pas saisie en vue de l’exercice de mon pouvoir de tutelle d’approbation qui m’est conféré par l’article 18 de la loi précitée.

4 En effet, au vu de l’issue des différents votes, les autorités communales ne m’ont pas soumis de projet d’aménagement général alors qu’aucune majorité n’a pu se dégager des deux votes précités et que le conseil communal n’a dès lors pas pu prendre de décision conformément à l’article 14 de la loi précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019, les consorts …, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation « la décision de la ministre de l’Intérieur notifiée (…) le 31 juillet 2019, portant la référence n°…, refusant d’approuver la décision du conseil communal de Diekirch du 13 juin 2019 et rejetant [leur] réclamation (…) ».

I) Quant à la compétence du tribunal administratif pour connaître du recours Les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’elles concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire. Les décisions d’approbation du ministre participent au caractère réglementaire des actes approuvés1.

Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation sous examen.

II) Quant à la recevabilité du recours Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours quant aux délais et quant à la forme.

L’administration communale de la Ville de Diekirch, désignée ci-après par « l’administration communale », conclut à l’irrecevabilité du recours sur base d’un raisonnement en deux étapes.

L’administration communale explique ainsi dans un premier temps que les délibérations du conseil communal des 6 mai et 13 juin 2019 ne constitueraient pas des décisions de refus implicite. En effet, un PAG constituerait un acte administratif réglementaire et le législateur n’aurait pas étendu aux actes réglementaires le mécanisme des décisions implicites de refus prévu pour les décisions administratives individuelles par l’article 4 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, désignées ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 ».

La Cour administrative aurait d’ailleurs confirmé par un arrêt du 5 mars 2009, inscrit sous le numéro 24981C du rôle, que le mécanisme des décisions implicites de refus ne se concevait pas en matière d’actes réglementaires. L’administration communale conclut qu’aucun PAG n’aurait été approuvé par le conseil communal pour les parcelles litigieuses et que les délibérations des 6 mai et 13 juin 2019 du conseil communal ne pourraient pas être interprétées non plus comme décisions implicites de refus des réclamations des demandeurs.

Dans un second temps, l’administration communale argumente qu’étant donné que le conseil communal n’aurait pris aucune décision, il serait évident que le ministre, dans le cadre de son pouvoir de tutelle, n’aurait pas été en mesure de prendre une décision. Le courrier du ministre ne pourrait pas non plus être qualifié de décision implicite de refus. Il y aurait lieu d’appliquer le même raisonnement 1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 20, V° Actes réglementaires, n° 49 et les autres références y citées.que celui appliqué au niveau de la procédure communale. La démarche ministérielle dans le contexte de l’approbation d’un PAG s’opérerait en deux temps. Il y aurait ainsi d’abord lieu de trancher les réclamations, ce que le ministre n’aurait en l’occurrence pas pu faire faute d’avoir été saisi d’un projet d’aménagement général adopté par le conseil communal. Il y aurait ensuite lieu d’approuver ou de rejeter le projet d’aménagement général, ce que le ministre n’aurait pas fait non plus, pour la même raison. Aucune décision n’aurait partant été adoptée par le ministre, ni au niveau de la réclamation ni au niveau de l’approbation, de sorte que le recours serait à déclarer irrecevable faute de décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.

Dans le cadre de leur mémoire en réplique, les demandeurs regrettent de prime abord que l’administration communale ainsi que l’Etat se renverraient la balle et les responsabilités à leur détriment, en faisant de cette manière, obstacle à l’exécution de l’arrêt précité de la Cour administrative du 7 février 2019. Ils expliquent qu’en ce qui concerne leurs parcelles, le nouveau PAG serait toujours en cours de procédure et se trouverait dans une sorte de « no-mans land » qui perdurerait depuis 2016. Ils rappellent que la décision déférée en l’espèce du ministre daterait du 31 juillet 2019 et se rapporterait à une délibération du conseil communal du 13 juin 2019. A leur avis, si, tel que le plaide l’administration communale, aucune décision n’avait était prise par le conseil communal en date du 13 juin 2019 sur le sort de leurs parcelles, une décision aurait entretemps pu être prise à ce propos et soumise au ministre pour approbation. Or, depuis plus d’un an, aucune nouvelle décision n’aurait été adoptée par le conseil communal, ce qui prouverait bien que la délibération du conseil communal du 13 juin 2019 serait à qualifier de décision et corollairement la décision d’approbation du ministre de tutelle serait celle du 31 juillet 2019, déférée en l’espèce.

En ce qui concerne plus particulièrement la question de la recevabilité du recours, les demandeurs affirment que le ministre aurait bien été saisi d’une décision du conseil communal. Ils expliquent que l’attitude de la commune et de l’Etat viseraient à leur dénier un droit de recours et à faire obstacle à l’exécution de l’arrêt précité de la Cour administrative, ce qui serait contraire au droit au recours effectif prévu par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH ». Ils se réfèrent dans ce contexte à un arrêt de la Cour administrative du 30 novembre 2010, inscrit sous le numéro 27241C du rôle. Ils ajoutent que dans le cadre d’une autre affaire, la Cour administrative aurait par un arrêt du 1er avril 2004, inscrit sous le numéro 17221C du rôle, retenu l’existence d’une voie de recours contre une décision implicite en matière de PAG en se fondant sur le droit à un recours effectif. L’enseignement de la Cour serait transposable au recours sous examen, étant donné qu’ils seraient, à leur tour, confrontés à une attitude purement négative de l’administration consistant dans le refus de toiser leur réclamation.

Les demandeurs argumentent encore qu’en vertu de la loi, le conseil communal aurait été tenu de statuer ce qu’il aurait fait en décidant implicitement mais nécessairement de ne pas faire droit à leur réclamation. Selon les demandeurs, le ministre aurait donc bien été saisi et il lui aurait appartenu de statuer à son tour sur la réclamation réitérée devant lui.

Les demandeurs font encore valoir que le ministre serait tenu d’un pouvoir de tutelle spéciale en matière de PAG et se fondent à cet égard sur un arrêt de la Cour administrative du 9 octobre 2014, inscrit sous le numéro 33257C du rôle. Ils en concluent que le ministre aurait été valablement saisi non seulement de la décision du conseil communal mais encore de leur réclamation, qu’il aurait dû analyser en vertu de son pouvoir de réformation tel que délimité par la Cour administrative.

Le tribunal constate qu’en substance, les parties sont en désaccord sur la question de la qualification juridique du courrier adressé le 31 juillet 2019 par le ministre au litismandataire des demandeurs au sujet de la réclamation introduite par ces derniers. Leur désaccord porte plusparticulièrement sur la question de savoir si ledit courrier est à qualifier de décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux. Si l’administration communale conclut à l’irrecevabilité du recours faute de l’existence dans le chef du ministre d’une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours, au motif qu’à la base, le conseil communal n’aurait pas pris de décision, de sorte que le ministre n’aurait été saisi d’aucun acte sur lequel il aurait pu statuer, les demandeurs concluent, en revanche, à la recevabilité du recours en qualifiant le courrier déféré du ministre du 31 juillet 2019 de décision implicite de rejet de leur réclamation. La partie étatique n’a pas pris position par rapport à la question ainsi discutée par l’administration communale et les demandeurs dans leurs mémoires respectifs.

Dans ce contexte, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article 2 paragraphe 1er de la loi du 7 novembre 1996, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Cette disposition limite dès lors l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives siégeant en matière administrative notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux devant le juge administratif, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-

même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.

Afin de pouvoir apprécier en l’espèce si le courrier déféré du 31 juillet 2019 est à qualifier d’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, il y a donc notamment lieu de se référer au libellé dudit courrier afin de déterminer l’intention du ministre.

Dans le courrier en question du 31 juillet 2019, que le tribunal vient de citer in extenso, le ministre se réfère aux délibérations du conseil communal des 6 mai et 13 juin 2019 au sujet de la réclamation introduite par les demandeurs et affirme qu’ « il y a effectivement eu, par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre », de sorte qu’il ne s’ « estime dès lors pas saisi[…] en vue de l’exercice de [son] pouvoir de tutelle d’approbation qui [lui] est conféré par l’article 18 de la loi précitée ». En d’autres termes, le ministre explique que si de manière générale il est compétent pour connaître en tant qu’autorité de tutelle des réclamations portées devant lui dans le cadre de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004, il estime toutefois qu’en l’espèce il n’aurait pas été valablement saisi en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004, au motif qu’il y aurait eu « par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre », de sorte qu’il serait incompétent pour exercer son pouvoir de tutelle lui conféré par l’article 18 en question.

L’analyse du libellé du courrier déféré du 31 juillet 2019 amène donc le tribunal à le qualifier de décision d’incompétence du ministre pour connaître de la réclamation lui soumise.

Contrairement aux affirmations des demandeurs, la décision déférée ne s’analyse donc pas en une décision implicite de refus de leur demande – théorie d’ailleurs largement critiquée en matière d’actes administratifs à caractère réglementaire – mais en une décision d’incompétence du ministre.

Or, une telle décision d’incompétence, en ce qu’elle refuse de faire droit à la demande formulée, au motif que l’autorité saisie serait incompétente pour en connaître, s’analyse en une 2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 40, et autres références.décision négative de nature à causer grief à l’administré, et comme telle, elle est susceptible d’un recours contentieux3.

La question du bien-fondé de la décision d’incompétence relève du fond du recours, de sorte qu’elle n’est pas pertinente à ce stade de l’analyse du recours réservé à la seule question de la recevabilité du recours.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen d’irrecevabilité du recours soulevé par l’administration communale est à rejeter pour ne pas être fondé. Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été invoqué, le recours est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

III) Quant au fond En ce qui concerne la question du bien-fondé de la décision ministérielle déférée, les demandeurs soulèvent deux moyens, à savoir, d’une part, une violation de l’autorité de la chose jugée au motif que dans le cadre de son arrêt précité du 7 février 2019, inscrit sous les numéros 41199C et 41209C du rôle, la Cour administrative aurait estimé que leurs parcelles devraient être classées en zone constructible et que le ministre n’aurait aucunement exécuté ledit arrêt, alors même qu’il aurait été appelé à statuer sur leurs réclamations en vertu de son pouvoir de tutelle spéciale. D’autre part, ils invoquent une violation des principes de bonne administration et de sécurité juridique au motif qu’en l’espèce ni la procédure de collaboration et de participation, ni la perspective de l’aplanissement des difficultés n’auraient été respectées.

La partie étatique ainsi que l’administration communale concluent au rejet des deux moyens ainsi avancés.

Le tribunal souligne de prime abord qu’il vient de qualifier l’acte ministériel déféré de décision d’incompétence du ministre pour connaître de la réclamation lui soumise. Les parties en cause n’ont toutefois pas pris position dans le cadre de leurs mémoires respectifs quant à la question du bien-fondé de la décision d’incompétence du ministre pour statuer sur la réclamation lui déférée en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004. Leurs mémoires ont, en effet, essentiellement été axés, d’une part, sur la recevabilité du recours et plus particulièrement sur la question de la qualification de l’acte déféré en décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux et, d’autre part, sur les moyens avancés au fond contre le courrier ministériel déféré. Il y a dès lors lieu, avant tout progrès en cause, de soulever d’office la question du bien-fondé de la décision d’incompétence du ministre et d’inviter les parties à prendre position par rapport à cette question moyennant des mémoires supplémentaires à déposer successivement au greffe du tribunal administratif, afin de garantir le respect des droits de la défense ainsi que du principe du contradictoire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

3 Voir par analogie trib. adm. 2 février 1998, n° 10283, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 87 et les autres références y citées.

au fond, et avant tout autre progrès en cause, soulève d’office la question du bien-fondé de la décision d’incompétence du ministre pour statuer sur la réclamation lui déférée en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 ;

fixe le délai pour les consorts … pour déposer un mémoire supplémentaire ayant comme unique objet de prendre position par rapport à la question soulevée d’office par le tribunal administratif, au 8 mars 2021, à 17.00 heures au plus tard ;

fixe le délai pour la partie étatique ainsi que pour l’administration communale de Diekirch pour déposer un mémoire supplémentaire ayant comme unique objet de prendre position par rapport à la question soulevée d’office par le tribunal administratif, au 30 avril 2021, à 17.00 heures au plus tard ;

fixe l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique de la 2e chambre du tribunal administratif du 21 juin 2021, à 15.00 heures ;

réserve la demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros, formulée par les demandeurs ;

réserve les frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 22 février 2021 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2021 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43703
Date de la décision : 22/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-02-22;43703 ?

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