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22/02/2021 | LUXEMBOURG | N°43195

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 février 2021, 43195


Tribunal administratif Numéro 43195 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2019 1re chambre Audience publique du 22 février 2021 Recours formé par Monsieur …, … (Liechtenstein) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 43195 du rôle et déposée le 28 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane Ebel, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à LI-...

Tribunal administratif Numéro 43195 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2019 1re chambre Audience publique du 22 février 2021 Recours formé par Monsieur …, … (Liechtenstein) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 43195 du rôle et déposée le 28 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane Ebel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à LI-… (Liechtenstein), …, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur du 28 mars 2019 portant rejet de sa réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 10 octobre 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 octobre 2020, et vu les remarques écrites de Maître Stéphane Ebel du 13 octobre 2020, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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En date du 10 octobre 2018, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie sur le fondement du paragraphe 118 de la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931 (« Abgabenordnung », en abrégé « AO ») à l’encontre de Monsieur … en sa qualité d’administrateur en charge de la gestion de la société anonyme …, en faillite, ci-après désignée par « la société … », ledit bulletin déclarant Monsieur … co-débiteur solidaire d’un montant total de … euros en principal et intérêts, au titre de la retenue d’impôts sur les traitements et salaires des années 2014 et 2015.

Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … en faillite ayant son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … à titre de l'impôt sur les traitements et salaires :

1 Année Principal Intérêts Total 2014 … € … € … € 2015 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Registre de Commerce et des Sociétés sous la référence … du 06.09.2013 que vous avez été nommé administrateur de la société … en faillite.

En cette qualité vous avez eu le pouvoir d'engager la société sous signature conjointe depuis le 05.09.2013.

En votre qualité d'administrateur vous étiez en charge de la gestion de la société … en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société … en faillite à l'aide des fonds administrés.

En vertu de l'article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu à déclarer et à verser l'impôt retenu à l'Administration des contributions directes.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société … en faillite il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2014 à 2015 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L'omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … en faillite.

2 L'omission de payer sur les fonds disponibles de la société … en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d'inexécution de vos obligations.

Suite à l'inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2014 … € … € … € 2015 … € … € … € TOTAL … € … € … € En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l'extinction de votre pouvoir de représentation.

Considérant qu'en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … en faillite.

Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l'inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l'impôt légalement dû, vous êtes constitué codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu'en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société … en faillite j'engage votre responsabilité, l'appel en garantie s'élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l'Administration des contributions directes à Luxembourg au […], tout en indiquant le numéro du dossier fiscal. […] ».

Par un courrier de son litismandataire du 9 janvier 2019, réceptionné par l’administration des Contributions directes le 11 janvier 2019, Monsieur … introduisit une réclamation à l’encontre dudit bulletin.

Par une décision du 28 mars 2019, référencée sous le numéro C 25825 du rôle, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », rejeta ladite réclamation dans les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite le 9 janvier 2019 par Me Stéphane Ebel, au nom du sieur …, LI-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS 1 en date du 10 octobre 2018 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l'impôt sur les traitements et salaires des années 2014 et 2015 au motif qu'il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société anonyme …, en état de faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d'impôt sur les salaires, et dont la société était et est toujours redevable ;

Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d'une personne morale est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant qu'il s'avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu'en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre, quod non en l'espèce, étant donné que d'autres bulletins d'appel en garantie ont été émis à l'encontre des sieurs …, … et … ;

Considérant, matériellement, qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) l'employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l'administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu'il en est de même en ce qui 4 concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBl. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBl. 1981 Il 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.

5 Abs. 3) ; que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en oeuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu'il n'accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d'avant son entrée en fonction, à l'aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l'emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu'elle s'est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d'après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle;

Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu'en ce qui concerne la notion de l'inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que:

1) « Dans la mesure où il n'est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n'ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n'ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d'imposition à procéder par la voie de la taxation d'office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d'avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d'imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l'appelant, étant donné qu'en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu'il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d'impôt et que l'omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) 5 Or, le fait pour l'appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d'impôt soient déposées en temps utile auprès de l'administration des Contributions directes, est à qualifier d'inexécution fautive des obligations du représentant d'une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle à l'égard des créances d'impôt visées dans le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l'argumentation de l'appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu'il est resté trop longtemps inactif et qu'il semblerait, d'après les éléments du dossier, qu'il n'est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d'une société à l'obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l'obligation des représentants d'une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l'analyse sur l'obligation de paiement des impôts dus. mais il convient d'avoir égard à l'ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l'impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d'imposition est aux antipodes de l'attitude que l'on peut attendre d'une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d'administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d'imposition et qu'il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;

Considérant qu'il découle de ce qui précède que c'est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, de sorte que la mise à charge des arriérés de la société au titre de la retenue d'impôt sur les traitements et salaires des années 2014 et 2015, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, 6 la rejette comme non fondée. ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 juin 2019, inscrite sous le numéro 43195 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du directeur du 28 mars 2019 portant rejet de la réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 10 octobre 2018.

Conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 28 mars 2019, précitée, ayant statué sur les mérites de la réclamation introduite contre le bulletin d’appel en garantie litigieux du 10 octobre 2018.

Ledit recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision directoriale, précitée.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.

En droit, il fait valoir que les conditions cumulatives de mise en œuvre de sa responsabilité, et plus particulèrement celle d’une inexécution fautive (« Schuldhafte Verletzung ») dans son chef, ne seraient pas remplies en l’espèce.

Après avoir rappelé le cadre juridique de la présente affaire, il insiste plus particulièrement sur la notion d’« inexécution fautive », laquelle viserait le manque de diligences ou de soins apportés à l’exécution des obligations fiscales de la société qu’il administre, voire la mauvaise administration, c’est-à-dire la faute que n’aurait pas commise une personne normalement prudente et vigilante placée dans les mêmes circonstances. Il donne à considérer, en se référant à un jugement du tribunal administratif du 13 janvier 2003, inscrit sous le numéro 18459 du rôle, qu’il appartiendrait au bureau d’imposition, émetteur du bulletin d’appel en garantie, et a fortiori au directeur lorsqu’il est saisi d’une réclamation, d’apprécier le comportement du dirigeant et de préciser les faits caractérisant la faute de celui-ci, tout en soulignant qu’il reviendrait au tribunal de censurer le bulletin d’appel en garantie lorsqu’il ne préciserait pas à suffisance le caractère fautif de cette inexécution.

Il soutient qu’en vertu du paragraphe 108 AO, la poursuite en garantie du tiers responsable serait discrétionnaire et exigerait, conformément au paragraphe 2 de la loi modifiée d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après désignée par « StAnpG », une appréciation effective et explicite des circonstances justifiant la décisionen raison et en équité, et, partant, une motivation quant au principe-même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un administrateur. Or, le seul non-paiement des impôts d’une société ne serait pas nécessairement fautif et, par conséquent, insuffisant pour engager la responsabilité de son dirigeant.

A cet égard, le demandeur donne à considérer que la gestion journalière aurait été déléguée à Monsieur …, mais que suite au constat, lors de différents audits diligentés au sein de la société … depuis fin 2013, de divers manquements par celui-ci, il aurait été mis fin à son mandat d’administrateur et d’administrateur-délégué lors d’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de ladite société du 11 février 2015, dont le demandeur verse une copie du procès-verbal.

Il insiste sur le fait qu’il n’aurait pas été le seul membre du conseil d’administration de la société …, tout en relevant que les actionnaires de ladite société auraient parfaitement eu connaissance des « dérives ayant eu lieu » en modifiant les possibilités de délégation de pouvoirs à personne unique dans la deuxième résolution de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 11 février 2015, avec suppression de la possibilité de signature unique.

Il précise que les agissements reprochés à Monsieur … auraient également fait l’objet d’une plainte pénale en date du 20 avril 2015 pour abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie, faux et usage de faux, vol, banqueroute simple et frauduleuse et déclarations mensongères, tout en insistant sur le fait qu’à la lecture de ladite plainte pénale, il serait incontestable que les autres membres du conseil d’administration de la société … auraient été exclus de plusieurs décisions hautement préjudiciables à la société et à sa solvabilité, le demandeur renvoyant encore à un courrier adressé au curateur de la faillite de la société … faisant état de l’ensemble des efforts déployés par les administrateurs restants pour remédier à une situation qui, selon lui, aurait été sciemment orchestrée et leur aurait été longtemps cachée.

Il ajoute que les comptes de l’exercice 2014 n’auraient pas été arrêtés ni approuvés au moment de la faillite de la société …, de sorte qu’au vu de ce qui précède, il serait difficilement concevable de mettre à sa charge une quelconque responsabilité.

Il conclut qu’en l’appelant en garantie, le préposé du bureau d'imposition et, par la suite le directeur, auraient omis de se livrer à une appréciation objective et explicite des circonstances particulières de l’espèce susceptibles de fonder en raison et en équité leur décision, tout en soulignant qu’en l’espèce, ces raisons ne ressortiraient aucunement du bulletin d’appel en garantie qui ne contiendrait qu’une motivation stéréotypée et qui ne résisterait pas non plus à l’épreuve d’une analyse de la situation factuelle telle que ressortant des différents documents de support versés en l’espèce.

Il fait par ailleurs valoir que ni le bulletin d’appel en garantie ni la décision directoriale querellée ne préciseraient les raisons pour lesquelles l’administration aurait engagé plutôt sa responsabilité que celle de Monsieur …, tel que le requerrait pourtant le paragraphe 7, point (3) du StAnpG.

Il estime qu’en omettant de rapporter la preuve d’une inexécution fautive dans son chef, d’une part, et de prendre en considération les actes reprochés à Monsieur …, d’autre part, ni le bureau d’imposition, ni le directeur n’auraient correctement fondé sa responsabilité.

Il s’ensuivrait que la décision de l’appeler en garantie serait infondée et inéquitable et qu’il y aurait dès lors lieu de la réformer.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour être non fondé.

Quant aux faits, il met en exergue que suivant l’assemblée générale des actionnaires de la société … du 26 mai 2011, le demandeur, ensemble avec Madame …, auraient été nommés administrateurs et que lors de l’assemblée générale des actionnaires du 5 septembre 2013, son mandat, ainsi que celui de Monsieur et de Madame … auraient été renouvelés.

Après avoir cité les termes de l’article 13 des statuts de la société …, en sa version avant la modification intervenue le 11 février 2015, disposant que « la société sera engagée par la signature collective de deux (2) administrateurs ou la seule signature de toute(s) personne(s) à laquelle (auxquelles) pareils pouvoirs de signature auront été délégués par le conseil d’administration. Lorsque le conseil d’administration est composé d’un seul membre, la société sera engagée par sa seule signature », il donne à considérer que suivant le bulletin d’appel en garantie du 10 octobre 2018, la responsabilité du demandeur serait recherchée pour non-continuation des retenues sur salaire des années 2014 et 2015.

En droit, il avance qu’en vertu du paragraphe 103 AO, le représentant légal serait tenu de remplir les obligations fiscales qui incomberaient à la société et notamment de payer, sur les fonds qu’il gère, les impôts dont la société serait redevable, cette obligation incombant, selon le délégué du gouvernement, à l’employeur conformément à l’article 136, alinéa 4 de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », et, dans le cas d’une société commerciale, au représentant légal qui aurait le pouvoir d’engager la société envers des tiers conformément aux paragraphes 103 et 109 AO.

Après avoir exposé les conditions de mise en œuvre de la responsabilité d’un représentant d’une société en vertu du paragraphe 109 AO, à savoir l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage, il donne à considérer que la faute consisterait, en matière de retenues d’impôts sur les salaires et traitements, dans la non-

continuation de celles-ci au fisc et qu’il serait de jurisprudence constante que le fait pour un représentant légal de ne pas verser les retenues sur salaire à la Caisse serait constitutif d’un comportement fautif per se dans le chef dudit représentant, et sans qu’il ne soit nécessaire de rapporter d’autres preuves à ce titre. Le dommage résulterait du non-encaissement des retenues par le Trésor et le lien de causalité exigerait que le dommage soit la suite de la faute.

Il met en avant que les administrateurs seraient nommés parce que l’on attendrait d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, et qu’il serait de doctrine constante en la matière que ni une éventuelle incompétence technique, ni un motif philanthropique pour lequel il aurait accepté sa mission, ni d’éventuelles absences au sein du conseil d’administration ne pourraient limiter la responsabilité d’un administrateur. De même, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société serait en soi une faute de gestion.

Il relève que le paiement des impôts sur salaire ne constituerait pas un acte de moindre d’importance, tout en réitérant que l’impôt sur les salaires et traitements serait un impôt dû par le salarié et que l’obligation de l’employeur consisterait à retenir et à continuer à l’administration fiscale cet impôt pour compte du salarié à partir du moment qu’un salaire passible dudit impôt est versé au salarié.

Il soutient qu’un représentant d’une société ayant accepté cette fonction ne pourrait pas se contenter de contester son pouvoir et qu’en n'exécutant pas les obligations légales de la société, celui-ci manquerait à son premier devoir, celui d’administrer.

Il précise que les administrateurs seraient également responsables d’un défaut de surveillance à la gestion journalière et que même la nomination d’un administrateur-délégué n’enlèverait en rien la responsabilité des autres membres du conseil d'administration, ceci plus particulièrement dans la mesure où cet organe préserverait son caractère d’« autorité supérieure à laquelle sont dévolus la haute direction et le contrôle de la gestion sociale ».

Il met en exergue que les pouvoirs et devoirs attribués par la loi au conseil d’administration ne pourraient faire l’objet d’aucune délégation et que seuls les actes « qui en raison tant de leur peu d’importance que de la nécessité d’une prompte solution ne justifiant pas l’intervention du conseil d’administration lui-même », pourraient faire l’objet d’une délégation.

A cela s’ajouterait qu’il serait de jurisprudence que les membres du conseil d’administration ne pourraient échapper à leur responsabilité parce qu’ils délèguent celles-ci en tout ou en partie à d’autres et qu’ils devraient assumer une surveillance constante de ceux-

ci à qui ils donnent pareille délégation.

Il donne finalement à considérer que la faute n’impliquerait pas de la part de l’administrateur un agissement actif, mais que sa responsabilité pourrait aussi être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie, tout en soulignant que le comportement d’un demandeur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable devrait être considérée comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes.

Le délégué du gouvernement relève ensuite qu’en l’espèce, Monsieur … aurait été le représentant de la société … et donc responsable de la continuation des retenues sur salaire, en soulignant qu’il aurait disposé du pouvoir de signature conjointe avec un autre administrateur.

Il donne à considérer que des retenues sur salaire auraient été pratiquées mais non continuées au fisc et ce pendant une période lors de laquelle le demandeur aurait été le représentant de la personne morale, de sorte qu’en application des textes précités, sa responsabilité pourrait être engagée.

Quant à l’argumentation du demandeur que Monsieur … aurait été chargé de la gestion journalière de la société …, le délégué du gouvernement cite le listing des nominations telles qu’elles figurent au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg (RCS) et conclut qu’il en découlerait que Monsieur … n’aurait à aucun moment été nommé administrateur-délégué de la société …, tout en soulignant, à cet égard, que même si tel avait été le cas, le conseil d’administration resterait en tout état de cause investi d’un devoir de contrôle et de surveillance à l’égard de son délégué à la gestion journalière.

Il fait valoir que la plainte pénale du 20 avril 2015 à l’encontre de Monsieur … ne serait pas pertinente en l’espèce, alors qu’elle n’aurait été déposée ni par le demandeur lui-même, ni par la société …, mais par la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … ». Parailleurs, la plainte n’aurait été déposée qu’après la faillite de la société … et pour des faits remontant déjà à 2012.

Le délégué du gouvernement donne finalement à considérer que des bulletins d’appel en garantie auraient également été adressés à Monsieur …, à Monsieur …, ainsi qu’à Monsieur ….

Il échet tout d’abord au tribunal de relever que les impôts litigieux pour lesquels la responsabilité de Monsieur … est recherchée concernent les retenues d’impôt sur traitements et salaires que la société … aurait dû opérer et continuer pour les années 2014 et 2015, étant relevé que ni le défaut de paiement desdites retenues ni le montant de la créance étatique, partant la réalité du dommage causé au Trésor public ne sont contestés en l’espèce.

A cet égard, il ressort du dossier administratif et plus particulièrement du bulletin d’appel en garantie du 10 octobre 2018, que la responsabilité du demandeur est recherchée pour le non-paiement des impôts sur les traitements et salaires de l’année 2014, ainsi que ceux de l’année 2015, échus avant la faillite de la société … intervenue le 9 mars 2015.

En ce qui concerne les obligations à charge d’un employeur en relation avec l’impôt dû par les salariés, il convient de relever qu’en vertu des dispositions de l’article 136, paragraphe (4) LIR, l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant à l’employeur est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen », de sorte que le représentant légal d’une société commerciale est tenu de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fait du non-paiement d’impôts, il y a lieu de relever que le dirigeant d’une société ne peut être tenu personnellement responsable du non-paiement de ces impôts que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO, aux termes duquel « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu Unrecht gewährt worden sind. ».

Cette disposition soumet la mise en œuvre de l’appel en garantie à la triple condition de l’existence d’une faute (« schuldhafte Verletzung ») commise dans une qualité visée aux paragraphes 103 à 108 AO, d’un dommage subi par l’Etat et d’un lien de causalité entre le dommage et la faute.

Il se dégage de ces dispositions légales précitées que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO, précité, n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie,le législateur ayant, en effet, posé, à cet égard, l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers le fisc.

En cas de pluralité de responsables, le pouvoir de poursuivre simultanément tous les responsables résulte du paragraphe 7, alinéa (3) StAnpG, disposant, par ailleurs, que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldetet Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern ».

Le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève toutefois pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

A cet égard, il convient de relever que conformément au paragraphe 2 StAnpG, disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision.

S’agissant, de prime abord, des contestations du demandeur quant au choix de diriger le bulletin d’appel en garantie à son encontre malgré la présence d’autres administrateurs de la société …, respectivement quant au principe même de la mise en œuvre de sa responsabilité, pour autant que ces contestations visent un défaut d’indication formelle des motifs à la base de la décision litigieuse, force est de constater qu’une décision directoriale statuant sur une réclamation n’est pas soumise à une exigence formelle de motivation complète dont le non-

respect serait sanctionné par l’annulation de la décision et que l’obligation de motivation ne se conçoit à l’égard d’une décision directoriale qu’à travers le principe général du droit au respect des droits de la défense, en ce sens qu’il faut et il suffit que les motifs à la base de la décision aient existé à la date où elle a été prise et que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense1, ce qui a été le cas en l’espèce.

Dans la mesure où les motifs quant au principe de l’engagement de la responsabilité du demandeur et quant au choix des personnes responsables ressortent tant du bulletin d’appel en garantie que de la décision directoriale, ces motifs ayant été utilement complétés par les explications du délégué du gouvernement au cours de la présente instance, le reproche d’un défaut d’indication des motifs est rejeté.

1 Cour adm. 5 juillet 2016, n° 36888C du rôle ; 27 juillet 2016, nos 36842C et 36845C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.Pour le surplus, il échet de relever que les contestations soulevées par le demandeur visent en réalité le bien-fondé et l’existence des motifs à la base de l’appel en garantie en ce qu’il conclut à l’absence de toute faute dans son chef, en excipant que lui-même n’aurait pas été en charge de la gestion journalière de la société …, qui aurait en réalité été déléguée à Monsieur …, et en soulignant que les manquements graves par ce dernier dans l’exercice de ses fonctions auraient été sciemment cachés par celui-ci et auraient, de surcroît, conduit non seulement à la fin de son mandat d’administrateur et d’administrateur-délégué ainsi qu’à la modification des statuts de la société … s’agissant des possibilités de délégation de pouvoirs à une personne unique, mais également au dépôt d’une plainte pénale en date du 20 avril 2015.

En l’espèce, il se dégage du bulletin d’appel en garantie émis le 10 octobre 2018 que le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité d’administrateur de la société … ayant disposé, depuis le 5 janvier 2013 et jusqu’au jugement déclaratif de faillite de ladite société en date du 9 mars 2015, du pouvoir d’engager la société sous sa signature conjointe pour conclure qu’en cette qualité, il lui aurait incombé de procéder aux retenues d’impôt sur salaires pour les années 2014 et 2015 et de verser ces retenues au Trésor public.

Il résulte ensuite des éléments en cause, ainsi que des explications non contestées du délégué du gouvernement que lors d’une assemblée générale des actionnaires de la société … du 26 mai 2011, Monsieur … a été nommé, ensemble avec Madame …, comme administrateur de ladite société. Lors d’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires ayant eu lieu le 5 septembre 2013, le mandat de Monsieur … a été renouvelé, ensemble avec ceux de Monsieur … et de Madame … et il n’est pas contesté que Monsieur … est resté en fonctions en tant qu’administrateur jusqu’au jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 9 mars 2015, ayant prononcé la faillite sur aveu de la société ….

S’agissant des pouvoirs de signature pour représenter la société à l’égard des tiers, il est constant en cause que l’article 13 des statuts de la société …, en sa version initiale, disposait que la société … pouvait être engagée par la signature collective de deux administrateurs ou par la seule signature de toute personne à laquelle pareils pouvoirs de signature auront été délégués par le conseil d’administration, et que la possibilité de signature par une personne unique a été supprimée par la modification statuaire intervenue le 11 février 2015.

Dans la mesure où le demandeur a été nommé administrateur à partir du 26 mai 2011 et a continué à revêtir ce mandat jusqu’au 9 mars 2015, date du prononcé du jugement déclaratif de faillite, il a été de jure en charge de l’administration de ladite société, et était partant personnellement tenu, en vertu des dispositions légales précitées, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, et plus particulièrement de celle de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le verser au Trésor public pendant les périodes litigieuses.

En ce qui concerne ensuite l’appréciation de la faute du demandeur en sa qualité d’administrateur de la société …, il convient de rappeler que l’impôt sur les salaires, en relation avec lequel l’appel en garantie a été émis en l’espèce, est un impôt dû par le salarié qu’il incombe à l’employeur de retenir et de continuer pour compte du salarié à partir du moment qu’un salaire passible dudit impôt lui est versé.

Il s’ensuit que le fait par l’employeur de verser un salaire sans pour autant effectuer, voire continuer les retenues qui s’imposent, s’analyse en un détournement des sommes enquestion au profit de la société, alors que cette partie du salaire est due à l’Etat non pas par l’employeur, mais par le salarié.

Dès lors, le fait, non contesté, que les impôts litigieux n’ont pas été payés, est susceptible d’engager la responsabilité du demandeur en sa qualité d’administrateur de la société ….

Monsieur … n’est, à cet égard, pas fondé à s’exonérer de sa responsabilité en excipant du fait qu’il n’aurait pas été en charge de la gestion effective de la société …, au motif que la société aurait de facto été exclusivement gérée par Monsieur … à qui la gestion journalière aurait été déléguée.

En effet, si, contrairement aux affirmations du délégué du gouvernement, il résulte des éléments en cause, et notamment d’un extrait du RCS que lors d’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société … du 9 septembre 2013, Monsieur … a effectivement été nommé aux fonctions d’administrateur-délégué et que suivant les termes de l’ancien article 13 des statuts de la société …, cités in extenso ci-dessus et applicable pendant la période litigieuse, celle-ci pouvait être engagée soit par la signature collective de deux administrateurs soit par la seule signature de toute personne à laquelle pareils pouvoirs de signature ont été délégués par le conseil d’administration, de sorte qu’a priori Monsieur … avait un pouvoir de signature individuel, ces circonstances ne sont pas de nature à exclure la responsabilité du demandeur en sa qualité d’administrateur.

En effet, les membres du conseil d’administration n’échappent pas à leurs responsabilités parce qu’ils délèguent en tout ou en partie celles-ci à d’autres, mais ils doivent au contraire assumer une surveillance constante de ceux à qui ils donnent pareille délégation2, puisque nonobstant l’existence dans une société d’un délégué à la gestion journalière, « les administrateurs devraient aussi répondre d’un défaut de surveillance du délégué à la gestion journalière »34. Les administrateurs sont, en effet, nommés parce que l’on attend d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-

actifs, ils répondent de leurs actes de la même façon. Ni une éventuelle incompétence technique, ni le motif philanthropique pour lequel il aurait accepté sa mission, ni d’éventuelles absences au sein du conseil ne pourraient limiter la responsabilité d’un administrateur5, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant en soi une faute de gestion6. Par ailleurs, la faute n’implique pas de la part de l’administrateur un agissement actif et la responsabilité de l’administrateur peut être engagée par son attitude passive, sa négligence ou son incurie7.

Aussi, le comportement d’un administrateur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable doit être considéré comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant 2 Mons, 20 mai 1985, R.P.S., 1985, p.290.

3 J. Van Ryn et P. Van Ommeslaghe, Examen de la jurisprudence - les sociétés commerciales, R.C.J.B., 1973, p.532.

4 Cour adm., 12 jullet 2018, n°39985C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

5 D. Matray, Observations sur la responsabilité dans la constitution et la gestion des sociétés, notes n° 211, 212 et 213, dans : Chroniques de droit à l’usage du Palais, Tome VII, Le droit des sociétés, 1989.

6 Ibidem, note n° 214.

7 P.Thielen et J. Delvaux, La responsabilité civile des administrateurs de sociétés anonymes en droit luxembourgeois - situation actuelle et tendance future, Bulletin Droit et banque, 4/1948, p.6, et N. Schaeffer, Réflexions sur la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés commerciales de capitaux, Bulletin de la Conférence St Yves, n° 77, novembre 1990, p.18.raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes8.

En l’espèce, le comportement du demandeur est fautif, dans la mesure où, bien qu’étant administrateur et ayant en tant que tel une obligation de surveillance de Monsieur … en sa qualité d’administrateur-délégué, il n’a pas rempli cette mission de surveillance.

En effet, si l’appréciation de la faute d’un administrateur en rapport avec un défaut de surveillance est à nuancer en fonction de ce que l’administrateur concerné a ou n’a pas concrètement entrepris ou tenté d’entreprendre des diligences auprès de ses collègues en charge de la gestion journalière9, en l’espèce, aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal ne permet toutefois de documenter que le demandeur était intervenu concrètement auprès de Monsieur … en vue de s’assurer du respect par la société … de ses obligations fiscales. Si le demandeur affirme certes que « les autres membres » du conseil d’administration de la société … auraient été sciemment exclus par Monsieur … de plusieurs décisions hautement préjudiciables à la société et à sa solvabilité, cet état de fait, à le supposer avéré, n’est pas de nature à décharger le demandeur de sa responsabilité de représentant et, a fortiori, de son devoir de surveiller la personne en charge de la gestion de la société. En effet, si le demandeur avait eu le sentiment qu’il aurait été sciemment tenu à l’écart par Monsieur … de la gestion de la société dont il était pourtant de jure responsable, voire que de facto il n’aurait eu aucun pouvoir au sein de la société, il lui aurait en tout état de cause appartenu, en tant que dirigeant raisonnablement diligent et prudent, de contrôler les agissements de Monsieur …, et, dans l’hypothèse d’un manque de collaboration de celui-ci, de démissionner de ses fonctions, ce que le demandeur est resté pourtant en défaut de faire. Ceci est d’autant plus vrai, alors que le demandeur a affirmé dans sa requête introductive d’instance avoir eu connaissance, depuis fin 2013, de divers manquements commis par Monsieur … dans l’exercice de ses fonctions d’administrateur et d’administrateur-délégué au sein de la société …, ce qui aurait l’obligé de vérifier davantage si la société remplit ses obligations légales et notamment fiscales, étant, à cet égard, relevé qu’une surveillance normale de l’accomplissement des démarches d’ordre fiscal par rapport à une obligation légale de prélever une retenue sur les rémunérations du personnel qui se répète mensuellement aurait permis de déceler les manquements à l’obligation de verser les retenues au Trésor ou, en cas de problèmes pour obtenir les informations afférentes, d’entreprendre des démarches nécessaires afin de voir rétablir la situation10, ce que le demandeur est pourtant resté en défaut de faire.

Certes, le demandeur fait état de ce que Monsieur … aurait été révoqué en tant qu’administrateur-délégué et que le pouvoir de signature aurait été modifié, force est toutefois de constater que ces mesures non seulement ne sont pas intervenues à l’initiative de Monsieur …, mais à l’initiative d’un autre administrateur, à savoir Monsieur …, administrateur de la société … depuis le 11 février 2015 et administrateur de la société … depuis 2010, mais aussi uniquement à peine un mois avant la faillite de la société …, alors que pourtant le demandeur admet avoir eu connaissance des manquements de Monsieur … depuis 2013. S’agissant de la plainte pénale déposée à l’encontre de Monsieur …, force est de constater que mis à part le fait que celle-ci n’a été introduite ni par le demandeur lui-même ni par la société …, mais par la société …, elle a, de surcroît, été déposée le 20 avril 2015, soit postérieurement au jugement déclaratif de faillite de la société … le 9 mars 2015 et donc à la période pendant laquelle le demandeur était administrateur et tenu de veiller à ce que les obligations fiscales de la société 8 D. Matray, op.cit, notes n° 67, 68, 69 et 70.

9 Cour adm. 4 janvier 2018, n° 40079C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 514 et les autres références y citées.

10 Cour adm. 28 juin 2018, n° 40895C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 516…. soient respectées. Il en est de même en ce qui concerne le courrier adressé au curateur de la faillite de la société … le 26 mars 2015 et dont se prévaut en l’espèce le demandeur, de sorte que ni celui-ci, ni aucun autre élément soumis à l’appréciation du tribunal n’est de nature à remettre en cause le comportement fautif du demandeur pendant la période litigieuse.

Enfin, le fait que les comptes pour l’année 2014 n’auraient pas été approuvés par la société … n’est pas non plus de nature à exonérer le demandeur de sa responsabilité de représentant et, a fortiori, de ses obligations de veiller, pendant la durée de son mandat d’administrateur de la société …, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à ladite société, et plus particulièrement de celle de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le verser au Trésor public, mais est plutôt, au contraire, un signe supplémentaire d’un défaut de diligences dans la gestion de la société, dont Monsieur … était pourtant en charge en sa qualité d’administrateur.

C’est encore à tort que le demandeur critique le choix du bureau d’imposition d’avoir engagé plutôt sa responsabilité que celle de Monsieur …, alors qu’il se dégage de la décision directoriale elle-même, ainsi que des explications non contestées du délégué du gouvernement qu’un appel en garantie pour les retenues d’impôt sur salaire des années 2014 et 2015 litigieuses a également été émis en vertu du paragraphe 118 AO à l’encontre de Monsieur …, de Monsieur … et de Monsieur …, en leur qualité d’administrateurs de la société ….

Au regard de ces considérations, le tribunal est amené à retenir, de concert avec la partie étatique, qu’en omettant en sa qualité de représentant légal de la société … de verser au Trésor public l’impôt qui était dû sur les traitements et salaires du personnel de celle-ci pendant la durée de son mandat ou du moins de veiller à ce que les paiements soient effectués, le demandeur s’est rendu coupable d’une inexécution fautive de ses obligations au sens du paragraphe 109 AO.

C’est dès lors à bon droit que le directeur a confirmé le bureau d’imposition pour avoir recherché la responsabilité personnelle du demandeur pour le non-paiement des retenues sur traitements et salaires des années 2014 et 2015 dues par la société …, respectivement de veiller à ce que ces retenues soient opérées et continuées au Trésor public.

Au vu de tout ce qui précède, et à défaut d’autres moyens, le recours contre la décision du directeur déférée est rejeté pour être non fondé.

Le demandeur sollicite encore la condamnation de la partie étatique au paiement des frais et dépens de l’instance, ainsi qu’à une indemnité de procédure, conformément aux articles 32 et 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qu’il y a lieu de rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 mars 2019 ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 février 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2021 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43195
Date de la décision : 22/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-02-22;43195 ?

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