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09/02/2021 | LUXEMBOURG | N°42428

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 février 2021, 42428


Tribunal administratif N° 42428 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2019 4e chambre Audience publique du 9 février 2021 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, …, contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42428 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2019 par Miloud Ahmed Boudouda, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…...

Tribunal administratif N° 42428 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2019 4e chambre Audience publique du 9 février 2021 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, …, contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42428 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2019 par Miloud Ahmed Boudouda, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 27 novembre 2018 confirmant, sur opposition, sa décision du 6 novembre 2018 prononçant une amende administrative de 2.500.- euros à son encontre ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2019 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 prise dans le cadre de la reprise de l’activité du tribunal administratif dans le contexte du dé-confinement ;

Vu la communication de Maître Miloud Ahmed Boubouda du 4 novembre 2020 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 17 novembre 2020.

___________________________________________________________________________

En date du 6 septembre 2018, l’Inspection du Travail et des Mines, dénommée ci-après « l’ITM », s’adressa à la société à responsabilité limitée … SARL, dénommée ci-après « la société … », dans les termes suivants :

« (…) En date du 06 septembre 2018, le salarié … s'est plaint du fait que l'indemnité correspondant au congé non encore pris ne lui a pas été versée.

L'article L. 233-12 du Code du travail dispose que « si après la résiliation du contrat de travail de la part soit de l'employeur soit du salarié, ce dernier quitte son emploi avant 1d'avoir joui de la totalité du congé qui lui est dû, l'indemnité correspondant au congé non encore pris lui est versée au moment de son départ sans préjudice de ses droits au préavis de licenciement. ».

En date du 06 septembre 2018, le salarié… s'est plaint de ne pas avoir obtenu son certificat de travail.

L'article L. 125-6 du Code du travail dispose qu’« à l'expiration du contrat de travail, l'employeur doit délivrer au salarié qui en fait la demande un certificat contenant exclusivement la date de son entrée en service et celle de sa sortie, la nature de l’emploi occupé ou, le cas échéant, des emplois successivement occupés ainsi que les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été occupés.

Aucune mention tendancieuse ou défavorable au salarié ne doit figurer sur le certificat.

Dans le cas d'un contrat conclu pour une durée déterminée, le certificat de travail doit être délivré au salarié qui en fait la demande au moins huit jours avant la date d'expiration du contrat. ».

En date du 06 septembre 2018, le salarié … s'est plaint de ne pas avoir été rémunéré en intégralité pour les mois de de décembre 2017, janvier, février et juillet 2018 et de ne pas avoir obtenu sa fiche de salaires pour le mois de juillet 2018.

L'article L.125-7 du Code du travail dispose que « l'employeur est obligé de remettre au salarié à la fin de chaque mois, ensemble avec le dernier versement de salaire, un décompte exact et détaillé quant au mode de calcul du salaire exprimant notamment la période de travail et le nombre total d'heures de travail correspondant au salaire versé, le taux de salaire des heures pestées ainsi que tout autre émolument en espèces ou en nature.

Lors de la résiliation du contrat de travail, le décompte mensuel précité doit être remis et le salaire encore dû doit être versé à la fin du contrat ou plus tard dans les cinq jours. ».

Par conséquent, nous vous sommons de :

- Verser l'indemnité de congé non encore pris pour compte du salarié et de nous faire parvenir une copie de la fiche de salaire rectifiée ainsi qu'une copie de la preuve de paiement de ladite indemnité.

- Nous faire parvenir une copie du certificat de travail concerné.

- Verser les salaires concernés pour compte du salarié et de nous faire parvenir les copies des preuves de paiement desdits salaires.

- Nous faire parvenir les copies des fiches de salaires concernées.

Endéans un délai de 8 jours calendrier au plus tard.

A défaut, copie de la présente ainsi que de la plainte du salarié sera adressée à l'attention des membres de l'inspectorat du travail de notre service « Inspections, contrôles et enquêtes », en vue d'un contrôle des dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles en matière de conditions de travail et de sécurité et de santé au travail. (…) ».

2Par courrier recommandé du 28 septembre 2018, l’ITM fit parvenir à la société … une injonction dans les termes suivants :

« (…) Par lettre du 6 septembre 2018, nous vous avions prié de verser l'intégralité des salaires de décembre 2017, janvier 2018, février 2018 et juillet 2018, ainsi qu'une indemnité de congé non-pris pour compte du salarié… (Matricule : …) et nous faire parvenir les documents suivants reprenant ces régularisations :

- Décompte mensuel / Fiche de salaire (L.125-7) - juillet 2018 - Preuve de paiement des salaires (L.125-7) - décembre 2016, janvier 2018, février 2018, juillet 2018 et indemnité de congé non-pris - Certificat de travail (L.125-6) Or, à la date de ce jour vous n'avez toujours pas donné de suites à notre demande du 6 septembre 2018.

Par la présente, nous vous enjoignons dès lors de bien vouloir nous fournir toutes informations et tous les documents réclamés ci-avant conformément aux articles L.614-4, paragraphe 1er, point a et L.614-5 du Code du travail endéans un délai de 8 jours.

Tout manquement de votre part de vous y conformer risque de vous exposer aux mesures et sanctions administratives prévues à l'article L.614-13 du même Code qui dispose que : « En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur ou des membres de l'inspectorat du travail, dument notifiées par écrit, conformément aux articles L.614-4 à L.614-6 et L.614-8 à L.614-11, le directeur de l'Inspection du travail et des mines est en droit d'infliger à l'employeur, à son délégué ou au salarié une amende administrative dont le montant est fixé entre 25 euros et 25.000 euros. (…) ».

En date du 6 novembre 2018, le directeur de l’ITM, dénommé ci-après « le directeur », prit la décision qui suit :

« (…) Le Directeur de l'Inspection du travail et des mines, Vu l'article L.614-13 du Code du travail ;

Vu l'injonction du 28 septembre 2018 qui a été établie conformément aux articles L.614-4 et L.614-5 du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;

Vu le rapport du 10 octobre 2018 qui a été établi conformément à l'article L.614-3 du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;

Attendu que la société … S.A R.L. sise au … à L-… (matricule : …), en qualité d'employeur, n'a pas donné de suites endéans le délai imparti à l'injonction du 28 septembre 2018 qui lui a été notifiée par …, Inspecteur principal du travail de l’Inspection du travail et des mines ;

3Que la fiche de salaire du mois de juillet 2018 du salarié … (matricule : …), n'a pas été notifiée par la société … S.A R.L., préqualifiée, endéans le délai imparti par l'injonction du 28 septembre 2018 et que celle-ci fait toujours défaut ;

Que les preuves de paiement des mois de janvier 2018, février 2018 et juillet 2018 ainsi que de l'indemnité pour congé non-pris du salarié … (matricule : …), n'ont pas été notifiées par la société … S.A R.L., préqualifiée, endéans le délai imparti par l'injonction du 28 septembre 2018 et que celles-ci font toujours défaut ;

Que le certificat de travail pour le salarié … (matricule : …), n'a pas été notifié par la société … S.A R.L., préqualifiée, endéans le délai imparti par l’injonction du 28 septembre 2018 et que celui-ci fait toujours défaut;

Que la société … S.A R.L., préqualifiée, n'a pas pris les mesures requises endéans le délai imparti par l’injonction du 28 septembre 2018;

décide:

Art. 1er D'infliger une amende administrative de 2.500 euros à la société … S.A R.L. sise au … à L… (matricule : …), en qualité d'employeur, pour avoir omis de donner des suites et de prendre les mesures requises endéans le délai imparti par l'injonction du 28 septembre 2018 qui lui a été notifiée par …, Inspecteur principal du travail de l'Inspection du travail et des mines.

Art. 2 Le montant de l'amende est à verser, dans un délai de quinze jours, au numéro de compte bancaire suivant de l'Administration de l'Enregistrement, des Domaines et de la TVA en indiquant obligatoirement la référence « ITM Amende … » : (…) ».

En date du 19 novembre 2018, la société … forma opposition contre la décision précitée dans les termes suivants :

« (…) Par la présente, conformément à l’article L614-13 du code du travail, je forme opposition à l’amende administrative infligée à la SARL … dont je suis le gérant pour les motifs suivants :

- Comme vous pouvez le constater sur la photocopie ci-jointe le courrier avec les documents pour Mr … envoyé en AR est revenu avec la notification (Retour Non- réclamé) - A plusieurs reprises j’ai tenté de joindre Monsieur … afin de lui faire part de ce retour de courrier, j’ai également laisser des messages qui sont restés sans suite (la standardiste peut en témoigner) - Moi je suis tout à fait disposer à solder le compte de Mr … au centime près mais encore faudrait savoir où est-il.

Je reconnais au lieu de contacter Monsieur … par téléphone, j’aurai certainement du lui envoyer un courrier.

Espérant avoir repondu à votre demande (…) ».

4Le 27 novembre 2018, le directeur confirma sa décision comme suit :

« (…) Le Directeur de l'Inspection du travail et des mines, Vu l'article L.614-13 du Code du travail ;

Vu l'injonction du 28 septembre 2018 qui a été établie conformément aux articles L.614-4 et L.614-5 du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines;

Vu le rapport du 10 octobre 2018 qui a été établi conformément à l'article L.614-3 du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines;

Vu la décision du 6 novembre 2018 du Directeur de l'Inspection du travail et des mines d'infliger une amende administrative « ITM Amende … » de 2.500 euros à la société … S.A R.L. sise au … à L-… (matricule : …), en qualité d'employeur, pour avoir omis de donner des suites et de prendre les mesures requises endéans le délai imparti par l'injonction du 28 septembre 2018 qui lui a été notifiée par…, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;

Vu l'opposition du 19 novembre 2018 contre ladite décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines, qui a été notifiée par la société … S.A R.L., préqualifiée, et qui a été reçue par l'Inspection du travail et des mines en date du 20 novembre 2018 ;

Que l'opposition du 19 novembre 2018 contre la décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines a été régulièrement notifiée endéans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'amende administrative ;

Que Monsieur …, gérant de la société … SA R.L, préqualifiée, prétend avoir envoyé les documents au salairé … par lettre recommandée en date du 10 août 2018 et que celle-ci serait revenue avec la notification « Retour Non-Réclamé » ;

Que Monsieur …, gérant de la société … SA R.L., préqualifiée, prétend avoir tenté de joindre Madame … à plusieurs reprises et lui avoir laissé des messages afin de lui faire part de ce retour, mais que ceux-ci sont restés sans suites ;

Que Monsieur …, gérant de la société … SA R.L, préqualifiée, prétend de vouloir solder le compte du salarié … au centime près mais qu'il ne saurait pas où le salarié se trouve ;

Que Monsieur …, gérant de la société … S.A R.L, préqualifiée, reconnaît qu'il aurait dû envoyer un courrier à Madame …, au lieu de téléphoner, afin de répondre à l'injonction ;

Que la fiche de salaire du mois de juillet 2018 du salarié … (matricule : …), n'a pas été notifiée par la société … S.A R.L., préqualifiée, endéans le délai imparti par l’injonction du 28 septembre 2018 et que celle- ci fait toujours défaut;

Que les preuves de paiement des mois de janvier 2018, février 2018 et juillet 2018 ainsi que de l'indemnité pour congé non-pris du salarié … (matricule : …), n'ont pas été notifiées par la société … S.A R.L, préqualifiée, endéans le délai imparti par l’injonction du 28 septembre 2018 et que celles-ci font toujours défaut ;

5 Que le certificat de travail pour le salarié … (matricule : …), n'a pas été notifié par la société … S.A R.L, préqualifiée, endéans le délai imparti par l'injonction du 28 septembre 2018 et que celui-ci fait toujours défaut;

Que les motifs invoqués par la société … SA R.L., préqualifiée, dans son opposition ne sauraient être retenus et ne permettent dès lors pas une décharge de l'amende administrative;

Par ces motifs le Directeur de l'Inspection du travail et des mines se déclare compétent pour connaître de l'opposition introduite par la société … S.A R.L.

sise au … sise à L-… (matricule : …), en qualité d'employeur ;

la dit recevable mais non fondée;

confirme l'imposition de l’amende administrative de 2.500 euros qui a été retenue au sein de la décision du 6 novembre 2018 du Directeur de l'Inspection du travail et des mines, ainsi maintenue à l'encontre de la société … S.A R.L. sise au … à L-… (matricule : …), en qualité d'employeur. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2019, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision directoriale précitée du 27 novembre 2018.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

En application de l’article L.614-14 du Code du travail, « toutes les décisions administratives prises sur base des dispositions de la présente loi sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».

En l’espèce, la décision déférée a été prise sur base de l’article L.614-13 du Code du travail et elle porte sur la fixation d’une amende administrative décidée à l’encontre de la société …. Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation.

Dans son mémoire en réponse et à titre liminaire, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours quant au délai et quant à la forme, sans pour autant fournir la moindre argumentation à ce sujet.

6Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser quelles formes n’auraient pas été respectées en l’espèce, respectivement dans quelle mesure le délai d’introduction du recours n’aurait pas été respecté, les moyens d’irrecevabilité afférents encourent le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en réformation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la partie demanderesse, outre de passer en revue certains rétroactes de cette affaire, tels que repris ci-avant, précise que parallèlement à la procédure litigieuse, le salarié concerné aurait déposé une requête devant le tribunal de travail de et à Luxembourg siégeant en matière de référé en date du 2 novembre 2018 en vue d'obtenir le paiement d'arriérés de salaire (principalement du mois de juillet 2018) et du solde de congés non pris, ainsi que la communication d'un certain nombre de documents en lien avec la relation de travail.

Elle donne à considérer que suite à la reprise du fonds de commerce de la société à responsabilité limitée … SARL, elle aurait, par un avenant du 15 novembre 2017 au contrat de travail initial daté du 1er octobre 2016, également repris à son service le salarié en question qui, malgré un salaire élevé et une augmentation substantielle stipulés dans le précité avenant, aurait engendré de graves problèmes de désorganisation de l’entreprise en refusant de travailler le samedi, de sorte qu’il aurait été décidé de le licencier avec le préavis légal de 2 mois.

La partie demanderesse souligne qu’en date du 15 octobre 2018, l'ITM, saisi d’une plainte du salarié concerné du 5 septembre 2018, aurait répondu à ce dernier que le dossier serait considéré comme clos, tout en lui suggérant de saisir le tribunal du travail compétent afin de faire valoir ses revendications.

En droit, la partie demanderesse conclut en premier lieu à un excès de pouvoir dans le chef de l’ITM du fait que ce dernier aurait « relancé l'affaire » sans se baser sur une nouvelle plainte du salarié, alors même qu’en date du 15 octobre 2018, elle aurait pris une décision de classement de ladite plainte.

En deuxième lieu, la partie demanderesse reproche à l’ITM d’avoir commis un détournement de pouvoir, du fait de lui avoir, sans disposer « du pouvoir judiciaire de contrainte », adressé une injonction de se voir verser, sous peine de sanction, la preuve du paiement dudit salaire et desdits congés non pris, ce qui reviendrait pour l’ITM à se substituer à un juge condamnant l’employeur à verser un salaire au salarié, sans pour autant vérifier le bien-fondé de la demande du salarié. En effet, pour éviter toute sanction, l’employeur n’aurait d'autre choix que de payer, afin de pouvoir verser la preuve du paiement, ce qui reviendrait in fine à une sorte de condamnation à payer.

7Ce détournement de pouvoir serait encore aggravé par le fait que l’ITM aurait également joué le rôle d’un conseil juridique en annexant, dans son courrier du 5 septembre 2018 adressé au salarié concerné, un modèle d'une requête en référé, affichant ainsi un parti pris évident.

La partie demanderesse fait finalement plaider que la sanction prononcée ne serait pas justifiée, alors que, d’un côté, elle aurait bien donné suite à l'injonction de l’ITM du 10 août 2018, en envoyant au salarié concerné un courrier recommandé avec avis de réception contenant les documents cités dans l’ordonnance de référé travail du 6 février 2019, qu’elle verse à l’appui de son recours et dans laquelle le juge des référés aurait pu constater que ledit courrier, revenu à l’adresse de l'employeur avec la mention « retour non réclamé », aurait contenu « le certificat de travail et la fiche de salaire pour le mois de juillet 2018 ».

Alors même que ledit courrier aurait affiché une erreur dans l’adresse du salarié, en ce que le numéro de maison y renseigné aurait été le 28 au lieu du 29, la partie demanderesse estime qu’en raison du fait que ledit courrier lui aurait été retourné avec la mention « retour non réclamé », elle aurait dès lors pu penser de bonne foi que ce dernier n'aurait pas été réclamé, sans que son attention ne soit attirée sur une erreur dans l’adresse.

D’un autre côté, la sanction litigieuse serait également viciée par le détournement de pouvoir dont elle aurait fait état en deuxième lieu.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens, en se rapportant principalement à prudence de justice quant à la recevabilité des nombreux moyens adverses invoqués dans le recours du fait qu’ils seraient à considérer comme des moyens nouveaux non invoqués dans l'acte d'opposition du 19 novembre 2018 adressé au directeur.

Or, force est de relever qu’il ne saurait être interdit à un administré de présenter, à l’appui de son recours contentieux, des moyens nouveaux par rapport à ceux qu’il a fait valoir dans la phase précontentieuse, en l’occurrence dans le cadre de son opposition contre la décision initiale du 6 novembre 2018, étant donné que son recours se dirige contre une nouvelle décision, prise sur recours gracieux, ayant une existence propre et posant le cas échéant des problèmes de légalité ou d’opportunité qui lui sont également propres, d’autant plus qu’il a été jugé qu’aucune disposition légale n'interdit de présenter un moyen à l'appui d'une demande en annulation même pour la première fois dans un mémoire en réplique, du fait que le défendeur puisse y prendre position à travers son mémoire en duplique1, solution qu’il y a lieu d’appliquer a fortiori par rapport à la requête introductive d’instance, de sorte que l’argumentation gouvernementale y relative est à rejeter.

Quant au moyen relatif à un excès de pouvoir de la part de l’ITM du fait d’avoir ré-

ouvert un dossier qu’elle aurait préalablement classé, force est de relever que le courrier en question du 15 octobre 2018, d’ailleurs adressé non pas à l’employeur, mais au salarié concerné, se borne à informer ce dernier que la partie demanderesse n’a pas donné de suites à la demande de régularisation lui adressée par l’ITM en dates des 6 et 28 septembre 2018, de sorte qu’il y est suggéré au salarié de porter ses revendications devant la juridiction de travail.

1 Cour. adm. 29 mai 2008, n° 23891C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure Contentieuse, n° 833 et les autres références y citées.

8Du fait que l’ITM constate seulement que les revendications du salarié concerné n’ont pas pu être résolues par son intervention auprès de la demanderesse, cette dernière ne saurait en tirer un quelconque droit de nature à empêcher l’ITM à agir contre la demanderesse sur base de l’article L.614-13 du Code du travail disposant que « (1) En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué ou au salarié une amende administrative.

(2) La notification de l’amende à l’employeur, à son délégué ou au salarié destinataire s’effectue moyennant lettre recommandée ou contre signature apposée sur le double de la décision.

(3) En cas de désaccord, l’employeur, son délégué ou le salarié destinataire doit former opposition par écrit motivé endéans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l’amende administrative, moyennant notification, par lettre recommandée ou contre signature sur le double de sa réclamation, au directeur de l’Inspection du travail et des mines.

(4) En cas d’opposition, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend au vu de la motivation écrite lui notifiée par l’employeur, son délégué ou le salarié destinataire une nouvelle décision motivée, à caractère contradictoire, qui est à son tour notifiée tel que disposé au paragraphe (2) du présent article. (…) ».

En effet, il échet de souligner que la décision déférée vise à sanctionner la partie demanderesse en raison du fait que cette dernière n’avait pas pris le soin de réagir à l’invitation et puis à l’injonction de l’ITM, sans préjudice du bien-fondé des revendications du salarié, question qui n’a pas pu faire l’objet d’une prise en considération par l’ITM, alors que la partie demanderesse ne s’était pas manifestée en ce sens auprès d’elle. A ce sujet, il est d’ailleurs relevé qu’il ressort du courrier d’opposition, cité in extenso ci-avant, ainsi que de l’ordonnance du président du tribunal de travail de Luxembourg du 6 février 2019, telle que versée à l’appui du recours, que mis à part l’indemnité compensatoire pour congés non pris, la demanderesse ne conteste pas les revendications de son ancien salarié.

Il suit de ces considérations que la décision du directeur visant à infliger une sanction pécuniaire à la partie demanderesse pour ne pas avoir donné de suites à l’injonction de l’ITM n’est pas en contradiction avec les renseignements du courrier du 15 octobre 2018, mais, au contraire, en constitue la suite logique du manquement y constaté dans le chef de la demanderesse.

Il ne saurait dès lors être décelé le moindre excès de pouvoir dans ce contexte, de sorte que le moyen y relatif encourt le rejet.

En ce qui concerne le moyen tenant à reprocher au directeur un détournement de pouvoir, force est d’abord de rappeler que le recours pour détournement de pouvoir tend à sanctionner l’obligation pour les autorités administratives d’agir exclusivement dans l’intérêt général.

Or, en l’espèce, il n’est pas établi que l’ITM aurait exercé une de ses compétences dans un but autre que celui pour lequel cette compétence lui a été conférée, étant relevé que 9l’injonction adressée à la demanderesse par l’ITM rentre parfaitement dans le cadre des compétences de cette dernière qui, en vertu de l’article L. 612-1, paragraphe (1) du Code du Travail, est « (…) chargée notamment:

a) de veiller et de faire veiller à l’application de la législation dont notamment les conditions de travail et la protection des salariés;

c) de mettre fin aux situations en contradiction avec les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles en matière de travail et de sécurité et santé au travail; (…) ».

Pour la réalisation de ses objectifs, les membres de l’inspectorat du travail sont autorisés en vertu de l’article L. 614-4, paragraphe (1) du Code du Travail « a) à procéder à tous les examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles sont effectivement observées et notamment:

– à s’informer, soit seuls, soit sur demande d’une des parties en présence de témoins, auprès de l’employeur ou de son représentant et du personnel de l’entreprise ou de ses représentants sur toutes les matières relatives à l’application desdites dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles;

– à demander communication dans les meilleurs délais de tous livres, registres, fichiers, documents et informations (…) ».

Il s’ensuit qu’en enjoignant à la partie demanderesse de fournir la fiche de salaire du mois de juillet 2018, les preuves de paiement des salaires des mois de janvier 2018, février 2018 et juillet 2018, ainsi que de l'indemnité pour congé non-pris, de même que le certificat de travail, l’ITM a parfaitement agi dans la sphère de ses compétences et dans la limite des pouvoirs lui conférés.

Quant à l’argumentation de la partie demanderesse selon laquelle le fait, pour l’ITM, de lui avoir adressé une injonction de se voir verser, sous peine de sanction, la preuve du paiement dudit salaire et desdits congés non pris, reviendrait, pour l’ITM, à se substituer à un juge condamnant l’employeur à verser un salaire au salarié, sans pour autant que le bien-fondé de la demande du salarié soit vérifié, force est de constater qu’au-delà du constat que, tel que relevé ci-avant, les revendications du salarié concerné, mis à part l’indemnité de congés non pris, ne sont pas contestées par la partie demanderesse, l’amende administrative du 6 novembre 2018, telle que confirmée par la décision déférée du 27 novembre 2018, vise à sanctionner le fait que la partie demanderesse n’a donné aucune suite à l’injonction précitée, ni en fournissant les documents réclamés, ni en contestant, le cas échéant, le bien-fondé des réclamations, étant relevé que contrairement à ce qui a été le cas devant le président du tribunal de travail, la partie demanderesse, dans son acte d’opposition du 19 novembre 2018, n’a à aucun moment mis en doute le bien-fondé des revendications de son ancien salarié, son gérant y affirmant même au contraire vouloir « solder le compte de Mr … au centime près », de sorte qu’il ne saurait être reproché au directeur, dans sa décision du 27 novembre 2018 telle que déférée, de ne pas avoir mis en doute le bien-fondé des revendications du salarié concerné.

Au vu de ces considérations, il ne saurait être prétendu que l’ITM aurait prononcé, de la sorte, une condamnation à payer à l’égard de la demanderesse sans se soucier du bien-fondé de la demande du salarié et d’avoir ainsi commis un détournement de pouvoir.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que l’ITM a, dans son courrier du 5 septembre 2018, adressé au salarié concerné un modèle d'une requête en référé, alors qu’en 10vertu de l’article L. 612-1, paragraphe (1), point b) du Code du Travail, l’ITM est notamment chargée « (…) de conseiller et d’assister les employeurs et les salariés et de fournir des informations juridiques et techniques pratiques dans la mise en œuvre des dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles en matière de travail et de sécurité et santé au travail ainsi que d’assumer une fonction d’interlocuteur commun en vue de prévenir et d’aplanir des conflits sociaux individuels ; », de même qu’aux termes de l’article L. 614-2 du même code, « Les membres de l’inspectorat du travail informent, donnent conseil, interviennent ou, à la demande d’une des parties concernées, assument une fonction de médiation informelle pour tout litige individuel du travail, susceptible de surgir ou déjà né et actuel entre parties, afférent à l’ensemble des questions relevant du droit du travail ou de la sécurité et de la santé des salariés. (…) ».

Vu que la demanderesse ne s’est pas utilement manifestée auprès de l’ITM après s’être fait adresser deux courriers de sa part, elle ne saurait actuellement se plaindre d’un prétendu « parti pris évident ».

Le moyen tenant à un détournement de pouvoir est dès lors également à rejeter.

En ce qui concerne finalement le bien-fondé de la décision déférée du 27 novembre 2018, il échet de rappeler que cette dernière est basée sur l’article L. 614-13 du Code du Travail, aux termes duquel « (1) En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué ou au salarié une amende administrative. (…) ».

Force est d’abord de relever qu’en ce qui concerne le renvoi, dans ce contexte, par la partie demanderesse à ses conclusions relatives au détournement de pouvoir, le tribunal ne saurait que réitérer ses considérations prises plus en avant, de sorte que ce moyen est d’ores et déjà à rejeter quant à ce volet.

Quant à l’argumentation de la partie demanderesse suivant laquelle elle n’aurait pas été en faute du fait d’avoir, au moins, tenté d’envoyer les documents réclamés à son ancien salarié par un courrier 10 août 2018 qui lui aurait cependant été retourné avec la mention « non réclamé », force est de relever que ces considérations ne sont d’aucune pertinence en l’espèce, alors que l’amende prononcée par la décision du 6 novembre 2018, telle que confirmée par la décision déférée du 27 novembre 2018, vise à sanctionner le fait pour la demanderesse de n’avoir réservé un quelconque suivi aux courriers de l’ITM du 6 et du 28 septembre 2018, en ce qu’elle n’a pas fait parvenir à cette dernière les documents réclamés dans les délais impartis, fait d’ailleurs non contesté, ce qui est d’autant plus étonnant que la partie demanderesse avait déjà, d’après ses propres dires, envoyé en date du 10 août 2018 un courrier à son ancien salarié dans ce contexte, comprenant d’après elle la fiche de salaire du mois de juillet 2018 ainsi que le certificat de travail, et que les revendications salariales n’étaient pas contestées.

Il ne saurait dès lors être reproché au directeur d’avoir constaté que la partie demanderesse n’a pas réagi aux invitation et injonction de l’ITM pour lui faire parvenir la documentation réclamée dans les délais.

Il échet ensuite de relever que la partie demanderesse est également en aveu de ne pas avoir respecté à la lettre les prescriptions légales vis-à-vis de son ancien salarié, en ce qu’il 11ressort des pièces versées qu’elle a attendu l’ordonnance du président du tribunal de travail du 6 février 2019 pour se faire condamner à payer les arriérés de salaires contestés ni en leur principe ni en leur quantum. Il en va de même pour le solde de tout compte et le certificat de rémunération pour l’année 2018. Il ressort également de cette même ordonnance que la demanderesse a attendu l’audience des plaidoiries en question, du 24 janvier 2019, pour remettre à son ancien salarié le certificat de travail et la fiche de salaire du mois de juillet 2018, documents qui, d’après la demanderesse, étaient a priori prêts depuis au moins le 10 août 2018, date à laquelle elle a tenté de les envoyer à son ancien salarié.

Il suit de toutes ces considérations que c’est à bon droit que la décision déférée du 27 novembre 2018 a constaté que malgré une invitation et une injonction de la part de l’ITM, la demanderesse ne lui a adressé aucun des documents réclamés, de même qu’elle n’avait pas profité de son opposition contre la décision du 6 novembre 2018 pour se régulariser, alors même qu’elle y a affirmé ne pas contester les revendications de son ancien salarié, de sorte que la confirmation par le directeur de l’amende est amplement justifiée en son principe, le quantum de cette dernière n’étant, quant à lui, pas mis en cause par la partie demanderesse.

Le moyen mettant en cause le bien-fondé de la décision déférée est dès lors à rejeter.

Aucun autre moyen n’ayant été soulevé en cause, le présent recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500.- € présentée par la partie demanderesse sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par la partie demanderesse ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 février 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Alexandra Bochet. juge, en présence du greffier Marc Warken.

12 s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 février 2021 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 42428
Date de la décision : 09/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-02-09;42428 ?

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