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03/02/2021 | LUXEMBOURG | N°43236

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 février 2021, 43236


Tribunal administratif No 43236 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2019 3e chambre Audience publique du 3 février 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d’allocation de famille

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43236 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juillet 2019 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, demeurant à...

Tribunal administratif No 43236 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2019 3e chambre Audience publique du 3 février 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d’allocation de famille

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43236 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juillet 2019 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 16 novembre 2018 rejetant sa demande en remboursement intégral de l’allocation de famille, d’une décision du même ministre du 9 avril 2019 confirmant, sur recours gracieux, sa décision du 16 novembre 2018, et d’une décision, qualifiée comme telle, du Directeur du Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat du 26 juin 2019 ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2019 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2019 par Maître Albert RODESCH, préqualifié, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2019 par Maître Jean-Paul WILTZIUS pour compte de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2020 par Maître Albert RODESCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu les communications de Maître Jean-Paul WILTZIUS du 3 novembre 2020 et de Maître Albert RODESCH du 4 novembre 2020 suivant lesquelles ils marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions et l’acte critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 18 novembre 2020.

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Madame … fut engagée auprès du service de la … en 1998.

En date du 10 juillet 2008, Madame … épousa Monsieur ….

En date du 22 août 2018, Madame … sollicita le bénéfice de l’allocation de famille.

Suite à cette demande elle obtint, avec sa rémunération du mois de novembre 2018, un recalcul correspondant aux allocations de famille des cinq dernières années.

Par courrier adressé au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, ci-après désigné par le « ministre » en date du 26 octobre 2018, Madame … sollicita le paiement intégral de l’allocation de famille depuis juillet 2008.

Par décision du 16 novembre 2018, le ministre refusa le paiement intégral de l’allocation de famille dans les termes suivants : « […] J’ai l’honneur d’accuser bonne réception de votre demande émargée du 26 octobre 2018.

Avec votre rémunération de novembre 2018, vous avez obtenu un recalcul correspondant aux allocations de famille des cinq dernières années.

Les allocations de famille antérieures tombent sous la prescription quinquennale prévue par l’article 2277 du Code civil et ne peuvent par conséquent plus faire l’objet d’un paiement. […] ».

Par courrier du 1er février 2019, Madame … introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 16 novembre 2018.

En date du 9 avril 2019, le ministre confirma son précédent refus dans les termes suivants « […] J’ai l’honneur d’accuser bonne réception de votre recours gracieux dans le dossier émargé.

Après une nouvelle analyse de votre dossier, je ne peux que confirmer la décision du 16 novembre 2018.

Avec votre rémunération de novembre 2018, vous avez obtenu un recalcul correspondant aux allocations de famille des cinq dernières années.

Dans ce cadre, je tiens de nouveau à préciser que le délai de prescription des allocations de famille est de cinq ans (article 2277 du Code Civil) et qu’elles ne peuvent par conséquent plus faire l’objet d’un paiement. […] ».

Par courrier du 20 mai 2019, Madame … s’adressa au Directeur du Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat, ci-après désigné par le « directeur », afin de savoir si l’administration du personnel avait pris connaissance du changement de sa situation familiale en 2008 et si le rapport n° … avait été classé dans son dossier personnel.

Par courrier du 26 juin 2019, le directeur répondit dans les termes suivants : « […] J’accuse bonne réception de votre lettre du 20 mai 2019 relative à l’affaire sous rubrique.

En réponse, je suis au regret de vous informer que le Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat (CGPO) n’avait pas reçu communication du rapport auquel vous faites référence dans votre courrier précité, ni d’une réponse de votre part aux lettres circulaires afférentes à l’allocation de famille annexées à vos fiches de salaire du 18 février 2009 et du 22 mars 2010.

En date du 17 septembre 2018, vous avez fait parvenir au CGPO un certificat de l’employeur de votre conjoint attestant que celui-ci ne touche pas d’allocation de famille.

C’est sur base de ce certificat que le CGPO vous avait versé l’allocation de famille rétroactivement au 1er septembre 2013.

En ce qui concerne l’allocation de famille relative à la période antérieure à cette date, je tiens à vous informer que celle-ci est prescrite en vertu de l’article 2277 du Code civil applicable aux actions en paiement concernant les agents publics et suivant lequel le paiement des arriérés de rémunération se prescrit par 5 années.

Enfin, et à toutes fins utiles, je vous prie de noter que vous disposez d’un recours contre la présente décision à exercer par ministère d’avocat à la Cour dans un délai de trois mois devant le Tribunal administratif. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juillet 2019, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 16 novembre 2018 rejetant sa demande en remboursement intégral de l’allocation de famille, de la décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 9 avril 2019, et de la décision, qualifiée comme telle, du directeur du 26 juin 2019.

L’article 26 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le statut général » dispose que « les contestations auxquelles donneront lieu les décisions relatives à la fixation des traitements en principal et accessoires et des émoluments des fonctionnaires de l’Etat sont de la compétence du tribunal administratif statuant comme juge du fond […] ».

En l’espèce, les contestations soulevées par la demanderesse ne concernent point la fixation proprement dite de l’allocation de famille, étant donné que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si une partie des allocations de famille non touchées sont prescrites, de sorte qu’il échet au tribunal de constater que les contestations soulevées par la demanderesse ne rentrent pas sous les prévisions de l’article 26 du statut général, en ce qu’elles ne concernent pas directement la fixation de l’allocation de famille, dont le quantum n’est point mis en cause en tant que tel.

Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal. En revanche, il est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation.

Quant à la recevabilité du recours et eu égard au fait que la partie étatique s’est rapportée à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours, il appartient plus particulièrement au tribunal d’analyser la question du caractère décisionnel du courrier du directeur du 26 juin 2019 déféré, étant rappelé que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation1.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste2.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief3.

Plus particulièrement, n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision4. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux5.

Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif d’un acte, respectivement le caractère préparatoire de ce même acte en vue d’une décision ultérieure, il y a lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.

En l’espèce, il résulte des pièces soumises à l’appréciation du tribunal que Madame … s’est, en date du 20 mai 2019, adressée au directeur afin de savoir si le CGPO avait pris connaissance du changement de sa situation familiale en 2008 et si le rapport n°… avait été classé dans son dossier personnel. Il ressort ensuite de la lecture du courrier de réponse du directeur du 26 juin 2019, cité in extenso ci-avant, que celui-ci a informé Madame … que le CGPO n’avait ni reçu communication du rapport n° .. ni une réponse aux lettres circulaires relatives à l’allocation de famille annexées aux fiches de salaire du 18 février 2009 et du 22 1 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 814 et les autres références y citées.

2 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

3 Trib. adm., 18 juin 1998, nos 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 43 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas.

adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 63 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 75 et les autres références y citées.

mars 2010, de sorte que ledit courrier du directeur a un caractère purement informatif pour ne pas comporter un élément décisionnel susceptible de faire grief à Madame ….

Si le directeur a certes également indiqué dans le courrier sous analyse que suite à l’obtention du certificat de l’employeur du conjoint de Madame …, l’allocation de famille lui a été rétroactivement accordée jusqu’au 1er septembre 2013, et que l’allocation de famille relative à la période antérieure à cette date est prescrite, il n’en reste pas moins que cette explication ne saurait attribuer au courrier en question un caractère décisionnel, étant donné que le directeur ne fait que réexpliquer la situation factuelle et juridique à Madame …, telle que retenue par le ministre dans ses décisions des 16 novembre 2018 et 9 avril 2019.

Le courrier du directeur du 26 juin 2019 constitue dès lors un courrier purement informatif échappant en tant que tel au recours contentieux, étant encore rappelé, à toutes fins utiles, que l’indication erronée dans un courrier d’une autorité administrative de voies de recours, ne saurait créer un droit et conférer un quelconque caractère décisionnel à l’acte en question6.

Il s’ensuit, que le recours sous examen est à déclarer irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le courrier du directeur du 26 juin 2019.

En revanche, le recours subsidiaire en annulation dirigé contre les décisions du ministre des 16 novembre 2018 et 9 avril 2019 est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Madame … rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes à la base des décisions litigieuses tels que retranscrits ci-avant, tout en ajoutant qu’en date du 14 juillet 2008, elle aurait informé, par la voie hiérarchique, la Direction des ressources humaines du changement de son état civil et que son acte de mariage aurait été transmis à l’Administration du personnel de l’Etat, entretemps dénommé Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat, ci-après le « CGPO » en date du 24 juillet 2008, de sorte que depuis le mois de septembre 2008, son salaire aurait été calculé sur base de la classe d’impôt 2.

En droit, et après avoir cité l’article 9, paragraphe 7 de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par la « loi du 22 juin 1963 » et l’article 2277 du Code civil, la demanderesse fait valoir que le CGPO, aurait reconnu à maintes reprises ses dettes envers elle, de sorte que le délai de prescription aurait été valablement interrompu conformément à l’article 2248 du Code civil. Elle se prévaut à cet égard de la circonstance que depuis septembre 2008, elle aurait été classée dans la classe d’impôt 2, de sorte que le ministre aurait eu connaissance du changement de son état civil.

Dans ce contexte, la demanderesse estime encore que l’attribution de l’allocation de famille ne serait pas soumise à une demande préalable du fonctionnaire, mais qu’il aurait incombé à l’Etat de lui verser lesdites allocations avec son salaire.

Elle estime encore que le libellé de l’article 9, paragraphe 7 de la loi du 22 juin 1963 constituerait une renonciation de jure expresse à la prescription pour valoir reconnaissance permanente des droits du fonctionnaire marié et instituerait une promesse de paiement permanente, renouvelée et impérative. A cet égard, la demanderesse souligne qu’une 6 Trib. adm., 29 avril 2015, n°34249 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

promesse de paiement serait de nature à interrompre la prescription. Sa demande en paiement des allocations de famille ne serait dès lors pas prescrite à ce jour, de sorte que les décisions litigieuses devraient être annulées.

A titre subsidiaire, la demanderesse, fait valoir que l’article 2277 du Code civil ne trouverait pas application en l’espèce, dans la mesure où il viserait les actions en paiement proprement dites et non pas les demandes de recalcul, la demanderesse se basant à cet égard sur un jugement du tribunal administratif du 23 mars 2015, n° 34331 du rôle. A défaut de délai de prescription spécifique prévu pour le recalcul des allocations de famille, la prescription trentenaire de droit commun prévue par l’article 2262 du Code civil serait d’application en l’espèce.

La partie étatique rétorque que le changement de la classe d’impôt sur la fiche de rémunération se ferait toujours automatiquement et qu’un tel changement ne signifierait pas que l’agent concerné aurait un droit absolu à l’allocation de famille. Madame … aurait ainsi dû soumettre au CGPO l’information quant à un éventuel droit ou non au bénéfice d’une allocation de famille dans le chef de son mari, et ce au plus tard dès réception des lettres circulaires annexées aux fiches de salaire du 18 février 2009 et du 22 mars 2010, envoyés à tous les agents de l’Etat, ce qu’elle n’aurait toutefois pas fait en temps utile.

Tout en admettant qu’aucune disposition légale ne prévoyait la procédure à suivre pour déclencher l’attribution de l’allocation de famille, la partie étatique souligne que le rôle du CGPO serait toujours passif, et qu’il ne lui aurait pas appartenu de rechercher si Madame … aurait éventuellement droit à cette allocation, mais qu’il aurait, au contraire, appartenu à Madame … d’introduire la demande d’attribution de l’allocation de famille en transmettant notamment à l’administration les informations relatives à la situation de son conjoint et d’informer le CGPO en cas de changement de son état civil.

La partie étatique souligne encore qu’elle aurait, à plusieurs reprises, envoyé une lettre circulaire à tous les agents de l’Etat les informant qu’un formulaire leur allait être transmis dans le contexte d’une attribution éventuelle de l’allocation de famille. Elle explique que ce formulaire aurait été à remplir par les employeurs des conjoints des agents de l’Etat pour certifier le montant exact de toutes indemnités versées en raison de la charge de famille de son bénéficiaire. Lesdites lettres auraient encore invité les personnes ne bénéficiant pas de l’allocation de famille mais qui estiment remplir les conditions de se renseigner auprès du CGPO. Dans la mesure où la demanderesse n’aurait pas répondu auxdites lettres circulaires envoyées en 2009 et 2010, le CGPO aurait valablement pu présumer qu’elle estimerait pas avoir droit à cette allocation et que les données dans son dossier seraient justes.

Elle estime dans ce conteste qu’il y aurait lieu de faire un parallélisme avec les prestations familiales payées par la Caisse pour l’Avenir des Enfants, qui elles aussi ne seraient payées que sur demande expresse.

Elle conteste ensuite que le jugement du tribunal administratif invoqué par la demanderesse serait transposable au cas d’espèce, étant donné que ledit litige n’aurait pas concerné un élément de la rémunération, et estime que l’allocation de famille, en tant qu’élément de rémunération payé chaque mois, tomberait bien sous l’article 2277 du Code civil.

Dans son mémoire en réplique, Madame … conteste l’affirmation étatique, suivant laquelle le CGPO n’aurait pas reçu son acte de mariage avant 2018, soulignant qu’elle aurait eu connaissance de son changement de l’état civil déjà en 2008 eu égard au changement de sa classe d’impôt. Tout en admettant que si suivant l’article 8 du règlement du 22 juin 1988 le ministre aurait effectivement fait parvenir au début de chaque année un formulaire à remplir par tous les agents publics concernant l’allocation de famille, la demanderesse fait plaider qu’il n’y aurait pas été prévu que le bénéficiaire de l’allocation de famille devrait remplir un tel formulaire au moment de la naissance de son droit, à savoir au moment du changement de son état civil, de sorte que le paiement de l’allocation de famille aurait dû se faire d’office au moment où le CGPO avait connaissance du changement de son état civil. Elle conteste encore que l’agent devrait adopter un comportement actif dans la matière ainsi que l’application d’un parallélisme avec le fonctionnement de la Caisse pour l’Avenir des Enfants.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique conteste avoir reçu l’information quant au mariage de Madame … par le Ministère de la Justice en indiquant que cette information n’aurait jamais été transmise au CGPO et n’aurait pas figuré dans son dossier personnel.

La partie étatique souligne ensuite de nouveau que l’attribution de l’allocation de famille ne se ferait pas de manière automatique, et ne serait pas non plus considérée comme un droit reconnu d’office à l’agent de l’État, de sorte que le CGPO n’aurait pas été obligé de payer d’office l’allocation de famille à la demanderesse sans avoir eu connaissance ni de son changement de l’état civil ni de sa situation familiale.

Elle précise que le CGPO n’accorderait pas automatiquement les allocations de famille sur base du simple changement de la classe d’impôt, et que non seulement les agents mariés bénéficieraient de l’allocation de famille, mais également, sous certaines conditions, le fonctionnaire veuf, séparé de corps judiciairement ou divorcé ainsi que le fonctionnaire célibataire ou le fonctionnaire ayant enregistré un partenariat au sens de la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, de sorte que seul l’acte de mariage était considéré comme preuve de pouvoir bénéficier d’une allocation de famille et le détail de la situation professionnelle des époux, la partie étatique soulignant que le CGPO aurait ignoré si Monsieur … touchait une allocation de famille.

Le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

En ce qui concerne en premier lieu le moyen de la demanderesse, suivant lequel le ministre aurait, à tort, fait application de la prescription quinquennale prévue par l’article 2277 du Code civil au motif que l’article 2262 du Code civil aurait vocation à s’appliquer en l’espèce, il échet au tribunal de constater que l’article 2262 du Code civil prévoit la prescription de droit commun en disposant que : « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre, ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi », tandis que l’article 2277 du Code civil prévoit des prescriptions particulières en disposant que : « Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié.

Se prescrivent par cinq ans les actions de payement :

Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ;

Des loyers et fermages ;

Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année où à des termes périodiques plus courts. ».

Il se dégage de ce dernier article qu’en disposant que la prescription quinquennale s’applique « généralement de tout ce qui est payable par année où à des termes périodiques plus courts » le législateur n’a visé que les dettes qui, ayant pour objet les produits ou revenus périodiques et s’augmentant d’elles-mêmes par l’effet du temps, sont susceptibles, par leur propre accumulation, de ruiner le débiteur ; l’article 2277 est donc inapplicable à des annuités qui ne sont pas des prestations périodiques, mais autant de fractions d’un prix global, auquel avaient été assignées autant de termes7.

Force est encore de constater que le paiement des traitements des fonctionnaires et agents des organismes de droit public est régi par la prescription de cinq ans de l’article 2277 du Code civil, applicable à tout ce qui est payable par année où à des termes périodiques plus courts8.

Il échet encore de souligner qu’il découle du libellé de l’article 2277 du Code civil qu’une créance de rémunération, qu’elle soit spécifiquement due aux salariés au sens de son alinéa 1er ou simplement payable par année ou à des termes périodiques plus courts au sens de son alinéa 5, est soumise à un délai de prescription, ceci indépendamment de la nature de l’obligation à sa base, le texte de l’article 2277 Code civil ayant vocation générale à s’appliquer et ne distinguant pas à cet égard9.

En l’espèce, force est de constater que l’allocation de famille constitue un accessoire au traitement d’un fonctionnaire de l’Etat et est payable à des termes périodiques aussi longtemps que l’intéressé remplit les conditions légales y relatives, de sorte que les allocations de famille sont susceptibles de constituer des dettes de nature à s’augmentant d’elles-mêmes par l’effet du temps et non pas des fractions d’un prix global fixé à l’avance.

Il s’ensuit que le paiement de l’allocation de famille est régi par la prescription de cinq ans prévue par l’article 2277 du Code civil10.

Cette constatation n’est pas énervée par l’allégation de la demanderesse suivant laquelle le libellé de l’article 9, paragraphe 7 de la loi du 22 juin 1963 disposant que :

« Lorsque le droit à l’allocation de famille prend naissance après la date d’entrée en fonctions du fonctionnaire, celui-ci en bénéficie à compter du premier jour du mois au cours duquel le droit a pris naissance. Dans les cas du passage du fonctionnaire d’un grade de traitement à un autre grade, l’allocation calculée sur le nouveau traitement de base est accordée à partir du mois pour lequel ce traitement est dû. » constituerait une renonciation de 7 Cour d’appel 25 juillet 1913, Pas. 9, p.167.

8 Cour d’appel 6 janvier 1969, Pas. 21, p.92.

9 Trib. adm., 29 janvier 2001, n° 12267 du rôle, confirmé par Cour adm., 28 juin 2001, n° 13040C du rôle, Pas.

adm. 2020, V° Fonction publique, n° 457 et les autres références y citées.

10 En ce sens Cour adm., 14 mars 2017, n° 38711C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

jure expresse à la prescription et une promesse de paiement permanente, étant donné que ledit paragraphe se limite à fixer la date de début du droit à l’allocation de famille ainsi que son mode de calcul en cas de passage du fonctionnaire d’un grade de traitement à un autre grade sans cependant constituer une promesse de paiement individuelle susceptible de rendre l’article 2277 du Code civil inapplicable aux allocations de famille.

Dans ce contexte, il convient encore de rejeter l’allégation de la demanderesse, suivant laquelle elle n’aurait pas intenté une action en paiement « proprement dite », mais aurait sollicité un « recalcul » des allocations de famille, dans la mesure où il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, et plus particulièrement de son courrier du 26 octobre 2018 ainsi que des décisions litigieuses, que Madame … n’a pas sollicité un recalcul du quantum de l’allocation de famille lui versé périodiquement, voire contesté la fixation de l’allocation de famille dans son principe. En effet, les parties sont, tel que souligné ci-avant, unanimes pour admettre que la demanderesse remplit les conditions pour bénéficier des allocations de famille et sont d’accord sur le montant à lui verser périodiquement. En revanche, par son courrier du 26 octobre 2018, la demanderesse a sollicité un paiement des arriérés de l’allocation de famille, à savoir un paiement rétroactif au juillet 2008, de sorte qu’il échet de constater que l’action litigieuse de la demanderesse constitue bel et bien une action en paiement d’un salarié contre son employeur telle que visée par l’article 2277 du Code civil.

En ce qui ensuite l’argumentation de la demanderesse, suivant laquelle le délai de prescription aurait été valablement interrompu conformément à l’article 2248 du Code civil, suivant lequel « La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait. », force est au tribunal de constater qu’aucun acte interrompant la prescription, à savoir, un acte émanant du débiteur et portant reconnaissance des droits du créancier, n’a été soumis à l’appréciation du tribunal.

En effet, il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que la partie étatique a, à un moment donné, expressément reconnu tant le principe que le quantum du bénéfice de l’allocation de famille dans le chef de la demanderesse antérieurement au 29 octobre 2018, date à laquelle la demanderesse a obtenu, ensemble avec sa rémunération du mois de novembre 2018, les allocations de famille des cinq dernières années.

La circonstance que le salaire Madame … a été, depuis le mois de septembre 2008, calculé sur base de la classe d’impôt 2, ne saurait constituer un acte interruptif de la prescription prévu par l’article 2248 du Code civil, étant donné qu’elle ne contient aucune reconnaissance formelle du droit au bénéfice de l’allocation de famille dans le chef de la demanderesse, mais se limite à lui accorder les avantages résultant de son rangement dans la classe d’impôt 2 suite à son mariage.

Dans ce contexte, il échet encore au tribunal de souligner qu’il est, en l’espèce, indifférent de savoir si le CGPO a eu connaissance du changement de l’état civil de la demanderesse depuis 2008 et si l’attribution de l’allocation de famille se fait de manière automatique, tel que soutenu par la demanderesse, ou bien si l’attribution de l’allocation de famille est soumise à une démarche préalable du fonctionnaire, de sorte que le rôle du CGPO est purement passif, tel qu’allégué par la partie étatique, dans la mesure où ces circonstances ne sont pas de nature à anéantir les constations du tribunal, suivant lesquelles, d’un côté, la prescription de l’article 2277 du Code civil a vocation à s’appliquer au cas d’espèce et, de l’autre côté, aucun acte interruptif de cette prescription n’est intervenu.

Il résulte dès lors de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre a pu se prévaloir de la prescription quinquennale de l’article 2277 du Code civil en ce qui concerne les allocations de famille antérieures au mois de septembre 2013 et ainsi se limiter à verser à la demanderesse que les allocations de famille à partir dudit mois, de sorte qu’à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a encore lieu de rejeter la demande de la demanderesse en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.-€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation dirigé contre le courrier du Directeur du Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat du 20 mai 2019 ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre les décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative des 16 novembre 2018 et 9 avril 2019 ;

au fond, le déclare non-justifié, partant le rejette ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par la demanderesse ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 février 2021 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 février 2021 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43236
Date de la décision : 03/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-02-03;43236 ?

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