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25/01/2021 | LUXEMBOURG | N°43114

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 janvier 2021, 43114


Tribunal administratif N° 43114 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2019 1re chambre Audience publique du 25 janvier 2021 Recours formé par l’association sans but lucratif A, Luxembourg, contre une décision du Conseil de la concurrence, en présence des sociétés anonymes B, C et D, … et … en matière de droit de la concurrence

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43114 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2019

, par la société à responsabilité limitée Moyse Bleser SARL, inscrite au barreau de Luxe...

Tribunal administratif N° 43114 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2019 1re chambre Audience publique du 25 janvier 2021 Recours formé par l’association sans but lucratif A, Luxembourg, contre une décision du Conseil de la concurrence, en présence des sociétés anonymes B, C et D, … et … en matière de droit de la concurrence

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43114 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2019, par la société à responsabilité limitée Moyse Bleser SARL, inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2680 Luxembourg, 10, rue de Vianden, immatriculée auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B211295, représentée aux fins de la présente par Maître Gabriel Bleser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’association sans but lucratif A, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du Conseil de la concurrence du …, référencée sous le numéro …, rejetant sa plainte déposée le … à l’encontre des sociétés B, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, C, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, D, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Tessy Siedler, en remplacement de l’huissier de justice Gilles Hoffmann, demeurant à Luxembourg, du 26 juin 2019 portant signification de ce recours à 1) la société B, 2) la société C, et 3) la société D, préqualifiées;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Serge Marx, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, assisté de Maître Alexandre Veerheyden, avocat, inscrit à l’Ordre français des avocats de Bruxelles, déposée le 9 juillet 2019 au greffe du tribunal administratif pour compte des sociétés B, C et D, préqualifiées ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2019 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2019 par Maître Serge Marx pour compte des sociétés B, C et D, préqualifiées ;

1 Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2019 par Maître Gabriel Bleser pour la A, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2020 ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2020 par Maître Serge Marx pour compte des sociétés B, C et D, préqualifiées ;

Vu la nouvelle constitution d’avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée Bonn & Schmitt SARL, inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1511 Luxembourg, 148, avenue de la Faïencerie, immatriculée auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B246634, représentée aux fins de la présente par Maître Gabriel Bleser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 12 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif pour compte de la A, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Gabriel Bleser, Maître Serge Marx, assisté Maître Alexandre Verheyden, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 décembre 2020.

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Par un courrier daté du 25 octobre 2018, entré au Conseil de la concurrence le 5 novembre 2018, l’association sans but lucratif A, ci-après désignée par « la A », déposa par l’intermédiaire de son litismandataire une plainte contre les sociétés anonymes B, ci-après désignée par « la société B », C, ci-après désignée par « la société C », et D, ci-après désignée par « la société D », sur la base de l’article 10 de la loi modifiée du 23 octobre 2011 relative à la concurrence, ci-après désignée par « la loi du 23 octobre 2011 », pour violation de l’article 5 de ladite loi, respectivement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), en faisant état de répercussions qu’aurait le rachat de la société D par le groupe B en juillet 2018.

Par un courrier du 18 décembre 2018, le président du Conseil de la concurrence s’adressa à la A dans les termes suivants :

« Je me réfère à votre plainte en date du 25 octobre 2018, déposée auprès du Conseil de la concurrence en votre qualité de mandataire de la A, saisissant le Conseil de la concurrence de faits susceptibles de constituer une violation des articles 5 de la loi modifiée du 23 octobre 2011 relative à la concurrence et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les faits présentés dans ladite plainte entrent dans le champ de compétence du Conseil qui se déclare compétent en la matière.

Partant, l'enquête préliminaire s'est concentrée sur deux éléments :

i.

Le rachat par B de D ;

2 ii.

Les pratiques pouvant survenir à l'avenir.

i. Quant au rachat par B de D Une opération de concentration peut être appréciée par le Conseil de la concurrence sous l'angle des articles 5 de la loi relative à la concurrence et 102 du TFUE. Bien qu'une mesure structurelle renforçant ou créant une position dominante soit susceptible de constituer un abus, cette affirmation reste soumise à trois conditions. Alors que ces conditions ne se trouvent pas remplies en l’espèce, et ce, dû principalement au fait que le rachat de D par B soit intervenu entre deux entreprises qui n'étaient pas en rapport de concurrence directe, le Conseil considère que cette opération ne saurait constituer un abus de position dominante.

ii.

Quant aux pratiques pouvant survenir à l'avenir Les articles 5 de la loi relative à la concurrence et 102 du TFUE ne permettent pas au Conseil de se prononcer sur un abus de position dominante seulement potentiel. Seuls des éléments concrets, constitutifs d'un éventuel abus de la part d'une entreprise en position de dominance sur un marché déterminé, pourraient justifier l'ouverture d'un dossier. Or, le Conseil constate que les éléments avancés dans votre plainte restent hypothétiques et se basent sur une situation à venir. De ce fait, le Conseil estime qu'il n'est pas en mesure d'intervenir à l'heure actuelle. Une intervention future n'est toutefois pas exclue en cas de constatation de faits concrets pouvant éventuellement caractériser un abus de position dominante.

Au regard de ce qui précède et conformément à l'article 15 du règlement intérieur du Conseil de la concurrence, il n'existe pas de motifs suffisants, en l'état actuel de la situation, pour donner suite à votre plainte et en conséquence, le Conseil ne compte pas procéder à l'ouverture de la procédure telle que prévue à l'article 7 (4) de la loi relative à la concurrence.

Il vous est loisible de faire parvenir votre point de vue par écrit au Conseil jusqu'au 21 janvier 2019. » Par un courrier de son litismandataire du 21 janvier 2019, la A prit position par rapport au courrier précité du 18 décembre 2018.

Par une décision du 15 mars 2019, référencée sous le numéro …, le Conseil de la concurrence rejeta la plainte introduite par la A sur base des motifs et considérations suivants :

« […] 4. Position du Conseil 4.1. Quant aux risques de comportements abusifs futurs 3 15. Ces griefs, s'ils se produisaient et à supposer que la société B soit en position dominante sur les marchés en cause, pourraient, selon le plaignant, caractériser un abus de position dominante de la part d'B, prohibé par les articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 relative à la concurrence (ci-après : « loi relative à la concurrence ») et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : « TFUE »).

16. L'article 5 de la loi relative à la concurrence est rédigé comme suit :[…] 17. L'article 102 du TFUE est rédigé dans des termes similaires, mais subordonne son application à l'affectation du commerce intracommunautaire.

18. Le Conseil souligne que les articles 5 de la loi relative à la concurrence et 102 du TFUE ne lui permettent pas de se prononcer sur un abus de position dominante seulement potentiel. Seuls des éléments concrets, constitutifs d'un éventuel abus de la part d'une entreprise en position dominante sur un marché déterminé, pourraient justifier l'ouverture d'un dossier. Or, en l'espèce, le Conseil constate que les éléments factuels fournis par le plaignant ne constituent que des hypothèses, sans qu'aucun des comportements allégués ne se soit encore produit. Partant, sur ce point, la plainte déposée devant le Conseil contient des motifs insuffisants à l'ouverture d'une enquête par celui-ci.

4.2.Quant au rachat par B de D 19. Une opération de concentration est réputée réalisée « lorsqu'un changement durable du contrôle résulte :

1) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou 2) de l'acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle directe ou indirecte de l'ensemble ou des parties d'une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen »3, 20. Le Grand-Duché de Luxembourg n'a pas introduit dans son système législatif de contrôle des concentrations ex ante. Bien que le Conseil ne dispose pas d'une compétence d'attribution, il peut en effet contrôler et agir sur une opération de concentration de manière ex post, suivant l'application des règles législatives applicables aux abus de position dominante4.

21. Afin de se prononcer pleinement sur la pertinence des motifs de la plainte déposée devant lui, le Conseil relève que la jurisprudence Continental Can ne prohibe pas per se les opérations de concentration susceptibles de créer ou de renforcer une position dominante sur le marché.

22. Comme expliqué supra, la CJUE a pu, par le passé, considérer qu'une opération de concentration pouvait effectivement porter atteinte à la concurrence sur un marché donné en modifiant substantiellement la concurrence sur ledit marché5.

4 23. Même à supposer qu'B détienne une position dominante sur les marchés pertinents, ce seul élément ne suffirait pas à caractériser à lui seul un abus de position dominante, l'élément déterminant étant la qualification de l'abus. Dans la mesure où le comportement en cause ne constitue pas un comportement abusif quelle que soit la position détenue par B sur les marchés en cause, la question de la position dominante peut rester ouverte.

24.

Par ailleurs, il échet de souligner que la solution retenue par la CJUE visée au point 19, concerne des opérations de concentration entre concurrents sur un même marché.

25. Or, en l'espèce, la situation se distingue de celle toisée dans l'arrêt Continental Can.

En effet, la société B est active sur les marchés de la fourniture et la distribution d'énergie, alors que la société D déploie ses activités sur le secteur des installations d'équipements techniques du bâtiment. Partant, ces services proposés n'étant pas substituables entre eux, ils ne sauraient faire partie d'un même marché.

26. Intervenant sur des marchés distincts, ou tout au plus adjacents, de par les services proposés, les deux sociétés ne se trouvaient pas en position de concurrence avant l'acquisition du capital social de D par B 27. Partant, le Conseil est d'avis que le rachat par B, de la société D n'a pas eu pour effet de placer les entreprises concurrentes d'B dans une situation de dépendance économique, le même constat étant valable pour les entreprises concurrentes de D 28. Par conséquent, le Conseil estime qu'il n'est pas en mesure d'intervenir à l'heure actuelle, sans préjudice de la recevabilité d'une autosaisine future ou d'une saisine par plainte, en cas de transmission d'éléments nouveaux permettant de fonder l'ouverture d'une enquête.

5.

Conclusion Il ressort des éléments fournis par le plaignant qu'il n'existe pas de motifs suffisants pour donner suite à la plainte déposée par la A. Il ne peut cependant en être déduit que des comportements comparables pourraient survenir à l'avenir sans que le Conseil n'estime nécessaire d'analyser leur violation potentielle avec le droit de la concurrence luxembourgeois et européen. […] »1.

1 Les notes de bas de page auxquelles la décision se réfère étant les suivantes:

« 3 Règlement (UE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, article 3.

4 Décision du Conseil de la concurrence n°2016-F0-04, Utopie, du 17 juin 2016, point 105.

5Voir l'arrêt de la Cour, Europemballage et Continental Can cl Commission, précité, point 21. La solution a été réaffirmée après l'introduction d'un contrôle de concentrations au niveau communautaire, voir notamment l'arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, T-210/0, General Electric Company c/ Commission, ECLI:EU:

T:2005:456 ».

5 Par requête inscrite sous le numéro 43114 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2019, la A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du Conseil du Conseil de la concurrence du 15 mars 2019 ayant rejeté sa plainte.

1) Quant à la recevabilité du recours Au vœu des dispositions de l’article 28 de la loi du 23 octobre 2011, « Un recours en pleine juridiction est ouvert devant le Tribunal administratif à l’encontre des décisions du Conseil en formation collégiale prises en application de la présente loi ».

Il s’ensuit qu’un recours en réformation devant le tribunal administratif est ouvert à l’égard d’une décision du Conseil de la concurrence, ayant statué en formation collégiale, portant rejet d’une plainte.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi, délai qui, à défaut de toute indication particulière figurant dans la loi du 23 octobre 2011, est de trois mois conformément à l’article 13 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

2) Quant au fond Les moyens sur lesquels la A fonde son recours peuvent être résumés comme suit :

- Principalement, la demanderesse fait valoir que la décision litigieuse aurait été prise en violation de la loi dans la mesure où le Conseil de la concurrence a considéré que les faits de l'espèce ne constituent pas des abus de position dominante et n’a pas procédé à une enquête à la suite de la plainte déposée par elle, alors que, d’après la demanderesse, il aurait été confronté à des faits résultant d'une concentration et menant à une distorsion de concurrence, la demanderesse faisant état d’abus dus à l’utilisation croisée de bases de données, d’abus dus à des ventes couplées, d’abus à travers la publicité, respectivement la stratégie de communication, d’abus dus à une barrière à l’entrée du marché et d’abus dus à une limitation des risques financiers dans le contexte de marchés publics. Face à ces éléments, le Conseil de la concurrence aurait, d’après la demanderesse, eu l'obligation de procéder à un contrôle de concentration ex post, et aurait, dans ce contexte plus particulièrement dû diligenter une enquête afin de détecter les abus potentiels identifiés par elle.

Enfin, au titre du moyen fondé sur une violation de la loi, la demanderesse reproche encore, de manière incidente dans sa requête introductive d’instance, mais de manière plus directe dans sa réplique, au Conseil de la concurrence un défaut de motivation, en critiquant 6 en substance le fait que la décision de refus aurait été prise sur base d’une motivation lacunaire.

- Subsidiairement, la demanderesse fait état d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du Conseil de la concurrence, en ce que celui-ci a retenu que ses reproches ne baseraient que sur des hypothèses, alors que, d’après la demanderesse, la « modification de la structure des marchés en cause » serait bien réelle et créerait une situation susceptible de nuire à la libre concurrence.

- Plus subsidiairement, la demanderesse met en question l’impartialité du Conseil de la concurrence en raison des participations directes ou indirectes de l’Etat dans la société B.

Encore que le moyen fondé sur une manque d’impartialité du Conseil de la concurrence n’est présenté qu’en dernier ordre de subsidiarité, le tribunal, qui n’est pas lié par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés et qui peut les toiser suivant la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, l’examen des moyens de légalité externe précédant celui de la légalité interne, est amené à examiner en premier lieu le moyen de légalité externe fondé sur une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, en l’occurrence le reproche d’une violation de l’obligation d’impartialité par le Conseil de la concurrence.

2.1 Quant au moyen fondé sur un manque d’impartialité du Conseil de la concurrence Arguments des parties La demanderesse invoque une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, en reprochant au Conseil de la concurrence d’avoir violé son obligation d’impartialité.

Elle fonde ce reproche, d’une part, sur le constat de participations directes ou indirectes de l’Etat dans la société B à hauteur de … %, ce qui signifierait que la décision litigieuse de racheter la société D serait in fine une décision de l'Etat luxembourgeois et, plus précisément, du ministre de l'Economie, et, d’autre part, sur la considération que suivant l’article 1er, point 6, de l’arrêté grand-ducal du 28 mai 2019 portant constitution des Ministères précisant les compositions et fonctions du gouvernement luxembourgeois, le Conseil de la concurrence dépendrait directement du ministre de l'Economie, tout en insinuant que si le Conseil de la concurrence avait fait droit à sa plainte cela aurait eu des répercussions négatives pour les intérêts de l'Etat luxembourgeois.

.

La demanderesse donne à considérer que comme en l'espèce, le Conseil de la concurrence aurait dû sanctionner une décision de son propre ministère de tutelle, il aurait été confronté à une situation délicate dans laquelle une neutralité absolue ne pourrait, d’après la demanderesse, être garantie. Le ministère de l'Economie, qui aurait accepté le rachat de la société D par le groupe B, serait « au-dessus » du Conseil de la concurrence, ce qui serait problématique au regard de la neutralité et de l'impartialité dont devrait faire preuve ce dernier, la demanderesse rappelant que la neutralité de l'organe amené à prendre une décision judiciaire ou quasi-judiciaire serait, en vertu de l'arrêt du 28 septembre 1995 de la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire Procola contre Luxembourg, indispensable afin de garantir le droit à un procès équitable, tel que consacré par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).

7 Dans ces conditions, la demanderesse estime que le lien étroit entre une analyse ex post de la concentration par le Conseil de la concurrence et les répercussions négatives que ladite analyse aurait eues pour les intérêts de l'État luxembourgeois, actionnaire majoritaire d'B et « régulateur du Conseil de la concurrence », aurait eu pour conséquence d'altérer l'impartialité du Conseil de la concurrence.

Dans sa réplique, la A insiste sur la remise en question de l’indépendance du Conseil de la concurrence, en donnant à considérer que le ministre de l’Economie en place au moment de la prise de la décision litigieuse aurait, avant sa nomination au poste de ministre, été président du conseil d’administration des sociétés anonymes Ca et Cb et président du conseil d’administration, respectivement administrateur-délégué de la société E.

L’Etat et les parties tierces intéressées concluent au rejet de ce moyen.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 6 de la loi du 23 octobre 2011 « Le Conseil de la concurrence […] est une autorité administrative indépendante, chargée de veiller à l'application des articles 3 à 5 de la présente loi ».

Conformément à l’article 7 de la même loi, le Conseil de la concurrence est un organe collégial, composé de quatre conseillers effectifs, à savoir un président, trois conseillers et de cinq conseillers suppléants, qui sont nommés par le Grand-Duc pour un terme de sept ans renouvelable, parmi lesquels un conseiller et un conseiller suppléant relèvent de la magistrature et les autres conseillers et conseillers suppléants sont choisis en raison de leurs compétences en matière économique ou en matière de droit de la concurrence, les conseillers ne pouvant être membres du Gouvernement, de la Chambre des députés, du Conseil d'Etat ou du Parlement européen ni exercer une activité incompatible avec leur fonction.

S’il est vrai qu’il est admis par la jurisprudence que la partialité objective peut découler de conditions structurelles ou organisationnelles qui autoriseraient à suspecter l’impartialité d’un organe, force est de constater que l’organisation et la composition du Conseil de la concurrence telle que prévue par la loi du 23 octobre 2011 ne révèle pas un défaut d’impartialité objective.

Certes, suivant l’article 1er, point 6, tant de l’arrêté grand-ducal du 5 décembre 2018 portant constitution des Ministères que de l’arrêté grand-ducal du 28 mai 2019 portant constitution des Ministères, la législation en matière de concurrence, de même que le Conseil de la Concurrence, figurent parmi les attributions relevant du ministère de l’Economie. Ce constat ne permet toutefois pas ipso facto de conclure que le Conseil de la concurrence, qui en vertu des dispositions précitées de la loi du 23 octobre 2011 est un organe collégial indépendant composé de membres ayant la qualité de conseillers nommés par le Grand-Duc, ne soit pas impartial d’un point de vue structurel ou organisationnel ou que ses décisions seraient, sous cet aspect, soumises au contrôle de l’Etat en général et du ministre de l’Economie en particulier.

8 La demanderesse n’a pas non plus fourni un quelconque élément objectivement vérifiable qui permettrait de retenir qu’un ou plusieurs membres du Conseil de la concurrence puissent se voir reprocher une impartialité subjective en relation avec la décision entreprise, en ce sens qu’ils auraient par exemple procédé à des prises de positions antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure introduite devant le Conseil de la concurrence ou permettant de retenir l’existence d’un préjugé défavorable.

La circonstance avancée par la demanderesse que l’Etat détient des participations dans le groupe B, ou encore les postes antérieurement revêtus par le ministre de l’Economie en fonction au moment où le Conseil de la concurrence a rendu sa décision ne sont en tout état de cause pas de nature à faire admettre que les membres du Conseil de la concurrence n’aient pas pris la décision entreprise en toute impartialité et objectivité.

Le moyen afférent est partant rejeté.

2.2. Quant au moyen fondé sur une violation de la loi en ce que le Conseil de la concurrence aurait refusé de procéder à une enquête et n’aurait pas procédé à un contrôle ex post Arguments des parties A l’appui de son recours et quant aux faits, la demanderesse décrit les rétroactes tels que repris ci-avant, de même qu’elle précise les sociétés visées par la plainte et décrit leur actionnariat, le groupe auquel elles appartiennent, leurs secteurs d’activités et leur position, d’après elle, sur le marché, à savoir la société B, contrôlée par l’Etat et qui aurait une position dominante sur le marché luxembourgeois de l’électricité et des marchés connexes, la société C, le principal fournisseur et distributeur d’électricité, de gaz naturel et d’énergies renouvelables auprès des petites et moyennes entreprises, des entreprises industrielles, des distributeurs et des ménages au Luxembourg et la société D, un des leaders parmi les installateurs et prestataires de service dans le secteur de l’équipement technique du bâtiment sur le marché luxembourgeois.

Après avoir précisé la méthodologie pour déterminer la notion de « marché pertinent » en droit de la concurrence, elle fait valoir qu’en l’espèce, les marchés en cause pour apprécier l’existence d’une position dominante dans le chef de la société D seraient les suivants : (i) le marché des services de l'ingénierie et d'études techniques, (ii) le marché des travaux d'installation électrique, (iii) le marché de l'installation des bornes électriques, (iv) le marché du génie climatique, (v) le marché de la sécurité incendie, (vi) le marché de la sécurité privée, (vii) le marché des services informatiques, (viii) le marché de l'installation et de l'intégration des systèmes de télécommunications, (ix) le marché de la gestion et de la maintenance multi-technique incluant les services d'optimisation énergétique, et (x) le marché de l'énergie solaire photovoltaïque, tout en relevant que la dimension géographique de ces marchés serait limitée au territoire luxembourgeois.

De manière générale, la demanderesse estime que sur l'ensemble de ces marchés, la société D serait un des principaux acteurs et serait désormais bien placée afin de devenir l'acteur principal, ce qui serait notamment dû à son intégration dans le groupe B, qui lui permettrait d'avoir accès à des nouvelles ressources, capacités et informations. Il ne serait pas 9 exclu que le renforcement de la position de la société D sur les différents marchés créerait, et, le cas échéant, renforcerait des positions dominantes qui seraient utilisées abusivement et mèneraient à des restrictions considérables de la concurrence.

La demanderesse poursuit que compte tenu de l'absence de chiffres plus précis pour établir les positions respectives sur les différents marchés en cause, il aurait manifestement appartenu au Conseil de la concurrence d'identifier les différents marchés en cause et d’y déterminer les positions des différents acteurs.

Après avoir décrit ce qu’il faudrait entendre de manière générale par la notion de position dominante, la demanderesse explique qu’au regard du grand nombre des concurrents sur l’ensemble des marchés en cause, il lui serait impossible de présenter une analyse détaillée de la position exacte de la société D sur ces marchés, de sorte que son recours se fonderait sur une analyse globale pour déterminer la puissance économique de cette société par rapport à ses principaux concurrents, qui seraient les sociétés …, …, …, … et …. En examinant les chiffres d’affaires respectifs de ces sociétés, la demanderesse conclut que la société D serait un des principaux acteurs sur les marchés concernés, position qui pourrait être renforcée par son rachat par le groupe B, dont les sociétés membres disposeraient d’ores et déjà de positions largement dominantes, et qu’il serait « fort probable » que la société B utiliserait sa position en tant qu’opérateur historique pour consolider et renforcer la position de la société D sur les marchés relevant de ses activités, ce qui pourrait mener à des abus anticoncurrentiels. Or, le Conseil de la concurrence n’aurait pas procédé à aucune analyse des marchés.

La demanderesse précise ensuite que le marché géographique en cause serait le marché luxembourgeois, tout en soulignant que le commerce entre Etats membres de l’Union européenne serait affecté en l’espèce, dans la mesure où les abus de position dominante qu’elle aurait décrits pourraient écarter des entreprises étrangères des marchés en cause ou les empêcher d’accéder aux marchés luxembourgeois en cause.

En droit, la demanderesse reproche au Conseil de la concurrence une violation de la loi 23 octobre 2011 pour avoir retenu que les faits de l’espèce ne seraient pas constitutifs d’un abus de position dominante et pour avoir tiré cette conclusion sans avoir procédé à une enquête, alors que dès qu’il est confronté à des faits résultant d’une concentration et que ces faits mèneraient à une distorsion de concurrence, le Conseil de la concurrence aurait l’obligation de procéder à un contrôle ex post.

Ainsi, le Conseil de la concurrence n'aurait pas analysé les faits de l'espèce et se serait limité à quelques suppositions vagues et générales concernant l'existence d'un éventuel abus de position dominante, alors qu'il aurait dû procéder à une enquête afin de vérifier si le rachat de la société D est susceptible de provoquer une distorsion de concurrence.

En réalité, ce seul rachat et l’intégration de la société D dans le groupe B serait, d’après la demanderesse, susceptible de créer une distorsion de concurrence, étant donné qu'elle bénéficierait désormais de la réputation de ce groupe et aurait accès à des ressources financières, des informations et des capacités qu'elle n'aurait pas eues auparavant.

10 De plus, la demanderesse estime qu'il existerait des risques sérieux que les sociétés visées par la plainte adoptent plusieurs comportements abusifs menant à une restriction de la concurrence, à savoir :

(i) l'éviction d'entreprises concurrentes de la société D par l'utilisation abusive et croisée des bases de données du groupe B, constituées sur les marchés de l’énergie (autrefois en monopole), et de la gestion de réseaux (actuellement en monopole légal) ;

(ii) l'éviction d'entreprises concurrentes de la société D par des offres liées entre ses services dans le domaine des installations électriques et ceux des autres entreprises du groupe B ;

(iii) l'éviction d'entreprises concurrentes par des publicités faites à travers les autres entreprises du groupe B, par l’utilisation par la société D d’informations privilégiées et de la notoriété du groupe B, susceptibles de créer la confusion dans l’esprit des clients entre l’activité de fourniture d’électricité et notamment l’activité de fourniture d’équipements photovoltaïques, avantage qui ne serait pas réplicable par les concurrents;

(iv) l'éviction d'entreprises concurrentes par la mise en place de barrières à l'entrée du marché notamment au moyen de l’octroi à la société D de l’accès aux fichiers clients des sociétés du groupe B ;

(v) l'éviction des concurrents dans le domaine des marchés publics, étant donné que la société D pourrait alors offrir des garanties que ses concurrents ne pourraient présenter en raison du fait qu'elle relèverait d'un groupe détenant des monopoles historiques.

D’après la demanderesse, l’ensemble de ces comportements seraient susceptibles de relever des points c) et d) de l'article 102 du TFUE et de l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011.

La demanderesse insiste ensuite sur la considération que la société B chercherait à diversifier son activité sur plusieurs marchés de produits et de services touchant une même clientèle et serait de la sorte forcément incitée à utiliser la position historique acquise sur le marché de l'énergie pour promouvoir les nouveaux produits et services qu'elle chercherait à implanter dans son groupe à travers la société D. Il serait indéniable que la société B utiliserait les informations qu'elle détient sur ses clients, mais aussi sa renommée ou celle de son produit d'origine, en mettant en œuvre des techniques telles que l'utilisation croisée des bases de clientèle ou les ventes couplées.

La demanderesse relève encore que la concentration des deux sociétés concernerait aussi bien le marché de la fourniture d'énergie et de la gestion de réseau, dominé par le groupe B, que le marché connexe de la fourniture de services sur lequel agirait la société D.

En se référant à la jurisprudence communautaire en la matière, la demanderesse affirme que le fait que les entreprises en cause ne sont pas présentes sur le même marché n’exclurait pas un abus de position dominante dans le chef de la société B, dès lors qu'il existerait un lien de causalité entre son comportement et sa position dominante, ainsi qu'une connexité entre le marché où se situerait la société B et le marché où les effets anticoncurrentiels apparaîtraient, la demanderesse soulignant que son analyse se focaliserait ainsi sur le lien entre le marché de la fourniture d'énergie et de la gestion de réseau, en 11 l'espèce le marché dominé, et le marché de la fourniture de services offerts, le marché connexe, sur lequel les pratiques litigieuses risqueraient de se produire.

La demanderesse prend ensuite position plus en détail sur les différents comportements abusifs énumérés ci-avant et qui, d’après elle, risqueraient d’être adoptés par le fait de l’intégration de la société D dans le groupe B.

Toute en admettant que la législation luxembourgeoise ne connaîtrait pas le contrôle a priori des concentrations, régi au niveau européen par le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, ci-après désigné par « le règlement 139/2004 », non applicable en l’espèce, la demanderesse fait valoir que le Conseil de concurrence aurait expressément reconnu, à travers une décision du du 17 juin 20162, ci-après désignée par « l’affaire Utopia », sa compétence pour procéder à un contrôle des concentrations ex post au niveau national, de manière à vérifier, sous l'angle des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 du TFUE, si une concentration, qu'elle soit réalisée par une fusion entre entreprises ou par l'acquisition d'une entreprise par une autre, a ou peut avoir des effets négatifs sur la concurrence.

En se référant, par ailleurs, à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 février 19733, ci-après désigné par « l’arrêt Continental Can », la demanderesse fait valoir que ce contrôle ex post se justifierait par le fait qu'un rachat d'une entreprise concurrente pourrait créer ou renforcer une position dominante et, le cas échéant, constituer une violation de l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011 ou de l’article 102 TFUE.

Une telle violation interviendrait lorsqu'une mesure structurelle, comme le rachat d'une entreprise concurrente, accroîtrait les dimensions et la puissance économique de l'entreprise en position dominante, respectivement créerait une nouvelle position dominante, et produirait, par conséquent, une incidence sur les conditions du marché. Il ne serait pas requis que cette mesure soit explicitement prévue dans les pratiques énumérées à l'article 102 TFUE, ni qu’elle soit susceptible de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais il suffirait, suivant l’arrêt Continental Can, d'établir que la concurrence était si substantiellement affectée que les compétiteurs résiduels n'étaient pas susceptibles de constituer un contrepoids suffisant.

La demanderesse critique le Conseil de la concurrence pour avoir retenu que la jurisprudence Continental Can ne serait pas transposable en l’espèce. En lui reprochant de ne pas avoir procédé à une analyse de détermination du marché pertinent, la demanderesse affirme que le Conseil de la concurrence aurait conclu à tort que l'opération en cause ne saurait constituer un abus de position dominante en raison du fait que le groupe B et la société D n'étaient pas en rapport de concurrence directe. Ce raisonnement serait lacunaire et, en conséquence, erroné en droit, puisque dans la méthodologie de l'examen d'une concentration, l'étape de la détermination du marché pertinent serait un préalable nécessaire.

Selon la demanderesse, s’agissant d’une concentration non-horizontale, la société D, avec ses deux filiales, serait en position dominante sur le marché an aval des installateurs et prestataires de services dans le secteur de l’équipement technique du bâtiment, alors que les sociétés B et C seraient en position dominante sur le marché en amont de la fourniture de 2 affaire Utopia n° 2016-FO.

3 affaire Europemballage Corporation et Continental Can Company Inc. / Commission 6/72.

12 l’électricité et de gestion de réseaux. Le rachat de la société D créerait une position dominante sur le second marché qui ne résulterait pas immédiatement de la concentration mais ne se produirait, dans cette hypothèse, qu'après un certain temps et résulterait des comportements adoptés par la société B sur le premier marché où elle détiendrait déjà une position dominante.

La demanderesse fait valoir, en citant une jurisprudence du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 25 octobre 20024, qu’une concentration d'entreprises, que ce soit par fusion ou par acquisition, pourrait créer ou renforcer une position dominante susceptible de donner lieu à des abus sur le marché en cause.

La demanderesse poursuit que, suivant la Commission européenne, pourrait également constituer un abus, une pratique causant préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective, et notamment le fait pour une entreprise en position dominante de renforcer sa position de manière à entraver substantiellement la concurrence, en ne laissant subsister que des entreprises dépendantes de l’entreprise dominante, une entreprise en position dominante, tel que cela serait le cas de la société B, ayant une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective. Dès lors, la création d'une position dominante, tout comme le renforcement d'une position dominante préexistante à travers une concentration, pourrait entraver la concurrence de manière substantielle, et ce au point de constituer à lui seul un abus de cette position, qui pourrait être investigué et sanctionné sur base des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE.

La demanderesse se prévaut encore de la Communication de la Commission européenne sur la définition du marché pertinent aux fins du droit communautaire de la concurrence de 1997 pour ce qui est de l’appréciation du contrôle des concentrations, impliquant en l’occurrence un contrôle des changements structurels affectant l’offre d’un produit ou d’un service, de même que la prise en compte du point de vue des clients et des fournisseurs concurrents, ainsi que le contrôle du préjudice durable pour la concurrence. Le contrôle, qu’il soit ex ante ou ex post, aurait, d’après la demanderesse, en tout état de cause un caractère préventif.

La demanderesse estime que le Conseil de la concurrence aurait ainsi dû faire une analyse prospective de la demande et de l'offre et des comportements probables des clients et des concurrents, à brève échéance, après l'opération.

La demanderesse fait valoir que dans l’hypothèse d’une concentration conglomérale, une entreprise bénéficiant à l’issue de l’opération d’une position forte sur un marché pourrait être en mesure de verrouiller l’accès à un ou plusieurs marchés connexes en exploitant un effet de levier. Elle estime qu’en l’espèce, les sociétés concernées auraient des positions dominantes sur le marché en amont (B et C) et sur le marché en aval (la société D) et, de ce fait, pourraient influencer directement les prix sur le marché en aval où la nouvelle concentration serait en concurrence directe avec ses adhérents. A cause de la concentration, la société D aurait la possibilité d'emporter des marchés qu'elle n'aurait jamais pu emporter sans la concentration, puisqu’elle pourrait se prévaloir des informations et des relations avec la 4 Affaire T-5/02 Tetra Laval c/ Commission.

13 société B - en recourant, par exemple, à des bases de données relatives au marché en amont, notamment, à travers la participation des mêmes personnes physiques dans les conseils d'administration des parties à la concentration - informations que les concurrents n’auraient pas, de sorte à être évincés à cause d’un potentiel verrouillage du marché par la concentration.

Le Conseil de la concurrence n'aurait aucunement tenu compte de ces éléments et se serait limité à constater, sans présenter de plus amples explications, que certaines conditions de la jurisprudence Continental Can ne seraient pas remplies en raison du fait que les entreprises concernées n'étaient pas des concurrents directs. De plus, le Conseil de la concurrence aurait procédé à une interprétation erronée de l'arrêt Continental Can, cette jurisprudence ne fixant, d’après la demanderesse, pas trois, mais une seule condition relative à la modification, du fait de l’acquisition par une entreprise dominante, de la structure effective du marché, la demanderesse citant, à cet égard, différents passages dudit arrêt.

Elle conclut que le contrôle des concentrations viserait à garantir un « fonctionnement correct du marché » et qu’ainsi, qu'il soit ex ante ou ex post, il aurait une fonction préventive et serait indépendant d'une violation concrète et réalisée de dispositions légales et conventionnelles relatives à la libre concurrence, ce qui ressortirait aussi de l’arrêt Contintal Can, qui aurait retenu que l'article 102 TFUE ne viserait pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective, l'atteinte portée au jeu de la libre concurrence ne devant ainsi, d’après la demanderesse, pas être immédiate.

La demanderesse souligne qu’une entreprise comme B, qui détiendrait une position quasi monopolistique sur certains marchés en amont et qui acquérait une entreprise leader sur le marché en aval se créerait une position prééminente sur des marchés distincts, mais étroitement connexes, et serait ainsi placée dans une situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble de ces marchés. Dès lors, un comportement prétendument abusif d'une telle entreprise serait susceptible de relever de l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011 et de l'article 102 TFUE.

En l'espèce, afin de savoir si les entreprises concurrentes de la société D deviennent dépendantes, dans leur comportement, de l'entreprise dominante, il aurait fallu procéder à des analyses concrètes des marchés déterminés dans la plainte, alors que le Conseil de la concurrence se serait limité à des considérations générales faisant abstraction de ces marchés.

Or, une analyse concrète de chaque marché aurait permis de constater que le rachat de la société D par le groupe B risquerait très sérieusement de restreindre la concurrence sur ces marchés, puisqu'une situation monopolistique ou quasi-monopolistique pourrait être créée par le monopole historique du groupe B sur le marché de l'électricité.

La demanderesse estime, en se référant à une décision de la Commission du 18 janvier 20005, qu’un potentiel abus de position dominante existerait indépendamment du fait que les sociétés visées n'étaient pas des concurrents directs, puisqu’un tel abus résulterait du comportement de la société en position dominante. De plus, l’abus pourrait être réalisé non 5 Décision du 18 janvier 2000, affaire Air Liquide.

14 seulement sur le marché dominé, mais aussi sur un marché connexe.

Elle réitère que la société D disposerait désormais de moyens financiers, de ressources humaines, d'informations et de bases de données que ses concurrents ne détiendraient pas, parce qu'ils n'auraient pas accès à ces éléments appartenant à l'opérateur historique du marché de l'électricité. Certes, ce marché ne serait pas le marché en cause, mais il serait étroitement connexe à celui-ci, ce qui serait d’ailleurs confirmé par le fait que l'opérateur historique serait responsable du développement de certains marchés en cause, dont celui de l'installation des bornes électriques.

En se référant à un arrêt de la CJUE du 14 novembre 19966, ci-après désigné par « l’arrêt Tetra Pak », la demanderesse réitère qu'en application des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE, et compte tenu de ce que la position quasi monopolistique détenue par le groupe B sur le marché de l'électricité et sa position prééminente sur les plusieurs marchés présentés dans la plainte, marchés distinctes mais étroitement connexes, cette entreprise serait placée dans une situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble des marchés en cause.

La demanderesse se réfère encore à la pratique de l’autorité française de la concurrence, qui reconnaîtrait l’existence d'un abus de position dominante sur un marché connexe au marché dominé, et qui se serait plus particulièrement prononcée sur un abus de position dominante de la société …, opérateur historique sur le marché de l'électricité en France, ayant agi de manière abusive sur un marché connexe, en l'occurrence le marché émergeant du photovoltaïque.

La demanderesse réitère ainsi la considération que l'abus de position dominante ne devrait pas se réaliser sur le marché dominé, ce qui serait tout à fait conforme avec l'esprit du droit de la concurrence, qui chercherait à garantir la concurrence en toutes circonstances et éviter tout abus envisageable.

Dès lors, l'analyse du Conseil de la concurrence serait erronée dans la mesure où il n’aurait pas tenu compte de l'interprétation des articles 101 et 102 TFUE faite par la Commission européenne, respectivement par la CJUE. En effet, si le Conseil de la concurrence avait effectué une analyse détaillée des marchés en cause, il aurait constaté que le rachat de la société D modifierait la structure de ces marchés de telle manière que la libre concurrence serait sérieusement compromise.

Pour mener son examen sur le fond, le Conseil de la concurrence aurait, d’après la demanderesse, dû tout d'abord lancer une enquête préliminaire et suivre une démarche systématique commençant par la délimitation des marchés pertinents, pour ensuite apprécier la probabilité que l'opération porte atteinte à la concurrence compte tenu du degré de concentration sur les marchés pertinents, puis approfondir son analyse en caractérisant les effets non coordonnés, qu'ils soient horizontaux, verticaux ou congloméraux. Dans les cas qui le justifient, le Conseil de la concurrence aurait dû analyser les risques de disparition d'un concurrent potentiel ou les risques de création ou de renforcement d'une puissance d'achat plaçant les fournisseurs dans une situation de dépendance économique et aurait encore dû 6 affaire C-333/94, Tetra Pak International c/ Commission.

15 analyser les effets coordonnés de l'opération. Si, au terme de cette analyse, le bilan concurrentiel restait négatif, le Conseil de la concurrence aurait dû examiner les mesures correctives éventuellement proposées par les parties. Finalement, il aurait dû déterminer si l'acquisition de la société D par la société B constitue une mesure structurelle susceptible d'affecter la concurrence effective sur les marchés en cause, dès lors que le groupe B détiendrait des monopoles historiques et disposerait d'un pouvoir considérable, voire d’une position dominante sur le marché de l'électricité, dont la société B pourrait profiter afin d'agir sur les marchés connexes au marché de l'électricité pour y consolider, voire renforcer la position de la société D qui serait déjà aujourd'hui un des plus grands, voire le plus grand acteur sur les marchés en cause.

Ayant accès à de nouvelles sources d'approvisionnement ou à de nouvelles débouchés, la situation financière de la société D serait nettement améliorée, puisque désormais son capital social serait détenu par une société dont trois quarts du capital social appartiennent à des entités publiques, ce qui limiterait son risque de se retrouver dans des situations financières difficiles, voire d'être confrontée à une procédure de faillite, puisque son capital social pourrait, en cas de difficultés financières, être indirectement augmenté par des deniers publics, ce qui lui procurerait un avantage net par rapport à ses concurrents.

En outre, la société D disposerait désormais de nouvelles débouchés, étant donné qu'elle serait fort probablement la seule dont les services allaient être sollicités par les entreprises du groupe B et ses actionnaires, dont la …, la … ou l'Etat lui-même. Plusieurs marchés importants seraient dominés par la société B, respectivement par ses actionnaires, voire confiés aux entreprises relevant du groupe B. Il serait « fort probable » que ces entreprises s'adresseraient directement à la société D afin d'exécuter des travaux ou prester des services en leur faveur, ce qui aurait une incidence directe sur l'évolution de la demande des produits et services concernés, puisque les plus grands acteurs de l'économie luxembourgeoise ne recourraient alors, d’après la demanderesse, plus à d'autres entreprises, ce qui aurait manifestement un impact négatif sur la concurrence.

Il existerait ainsi un risque réel et manifeste d'une éviction des concurrents de la société D des marchés en cause, ce qui aurait pour effet une limitation de la concurrence au détriment des consommateurs intermédiaires et finaux, qui, par ailleurs, pourraient être confrontés à des offres liées mises en place par la société C ou par la …, ces deux entreprises ayant de nombreux clients sur le territoire luxembourgeois et pouvant avoir l'intention de lier leurs services à ceux de la société D. Ainsi, à titre d'exemple, il serait possible que la société C proposerait des meilleures offres pour le rachat de l'électricité produite pour les plaques photovoltaïques installées par la société D.

En tout état de cause, le rachat de la société D s'avérerait problématique et risquerait de mener à des limitations considérables de la concurrence sur les marchés en cause.

La demanderesse fait ensuite valoir que, de plus, ses membres l’auraient informée récemment d'exemples concrets d'abus s'étant produits à la suite du rachat de la société D.

La demanderesse explique qu’au vu du fait que la société B serait active sur le marché du photovoltaïque, il serait incontestable que la société D, actuellement non-présente sur ce marché, y développerait une activité grâce à son rachat par C.

16 Dans ce cas précis, la société D serait en concurrence avec 40 entreprises. Pour toutes les entreprises opérant sur ce marché, un contrôle d'une société gestionnaire de réseaux d'électricité serait préalablement nécessaire pour l'injection d'électricité, opération qui nécessiterait de s'acquitter de formalités préalables allongeant la procédure de deux à trois mois pour les entreprises. Pour la société B, possédant la société E, ce contrôle pourrait se réaliser sans délai et sans s'acquitter d'une demande préalable formelle en ce qu'un agent de E pourrait directement être disponible, ce qui conférerait un désavantage concurrentiel manifeste aux concurrents.

De plus, en tant que société gestionnaire de réseaux d'électricité, la société E, et par conséquent la société C du fait de leur appartenance au même groupe, pourraient avoir accès à un ensemble d'informations concernant la production et les installations photovoltaïques au Grand-Duché de Luxembourg, les habitudes de consommation de l'ensemble des clients sur le territoire du Grand-Duché, ainsi que leurs coordonnées postales, informations qui ne seraient pas accessibles pour les entreprises concurrentes sur le marché du photovoltaïque, bien qu'essentielles et déterminantes pour leurs développements sur le marché en question.

L'utilisation et le croisement de ces données permettraient aux sociétés E et C d’adapter leurs stratégies d'entreprise concernant le stockage de l'énergie et d'adapter leurs investissements.

Ces informations permettraient encore à la société C d'optimiser et de prévoir la puissance énergétique qui serait injectée dans son réseau électrique, d'être plus efficiente et, par conséquent, de toucher davantage de primes d'injection.

Cette pratique commerciale à l'égard des concurrents visant au maintien d'avantages injustifiés, à supposer qu'elle soit établie, serait constitutive d'un abus de position dominante, la demanderesse estimant qu’il serait évident que le risque d'utilisation de telles informations serait très probable.

En ce sens, la société D pourrait développer une puissance économique considérable sur le marché de l'énergie solaire photovoltaïque en profitant de cet avantage concurrentiel, aspirant ledit marché en dehors de toute concurrence par les mérites et aboutissant à la création d'une position dominante avec effet anticoncurrentiel contraire aux articles 102 du TFUE et 5 de la loi du 23 octobre 2011.

D'autre part, la demanderesse fait état d'un appel d'offres portant sur des projets photovoltaïques, lancé en mai 2018 par le ministère de l'Economie, à laquelle aurait soumissionné la société B en partenariat commercial avec la société à responsabilité limitée F, ci-après désignée par « la société F ».

La société B aurait entamé des pourparlers avec la société F pour la sous-traitance desdits projets si ceux-ci étaient remportés par la société B.

Ultérieurement, une procédure européenne d'appel d'offres … aurait été lancée par la société C pour la sous-traitance desdits projets remportés.

Le dossier de candidature de l'association momentanée formée entre la société F et la société G déposé à ce titre n'aurait pas été retenu, et ce serait la candidature déposée par la société D qui aurait été retenue.

17 Cette pratique violerait manifestement les dispositions de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ci-après désignée par « la loi 8 avril 2018 », et permettrait, de surcroît, à la société D de développer une puissance économique majeure sur le marché de l'énergie solaire photovoltaïque menant à la création d'une position dominante avec effet anticoncurrentiel contraire aux articles 102 du TFUE et 5 de la loi du 23 octobre 2011.

En outre, dans le cadre d'appels d'offres, l'acquisition de la société D permettrait à celle-ci d'offrir ses services à un prix en dessous de certains de ses coûts dans le but d'éliminer les soumissionnaires concurrents grâce au soutien de la société C, détenue majoritairement par l'Etat et étant dans la capacité de couvrir le solde restant pour entrer dans les frais totaux, tel que cela serait, d’après la demanderesse, le cas du marché public …. Cette pratique de fixation de prix prédateurs dans un but d'éviction serait constitutive d'un abus de position dominante.

Dans leurs réponses respectives, tant l’Etat que les sociétés B, C et D concluent au rejet du recours.

L’Etat explique que la société B serait la société faîtière du groupe B, premier fournisseur d'énergie et gestionnaire de réseaux au Luxembourg. Les activités du groupe engloberaient la fourniture d'énergie, la génération d'énergies renouvelables, l'opération de réseaux d'électricité et de gaz, et des services variés autour de l'énergie.

La société B détiendrait la totalité des actions constituant le capital social des sociétés anonymes C et Cc, ainsi que 75% des actions de la société E, le plus important gestionnaire de réseaux d'électricité et de gaz au Luxembourg.

Parmi les actionnaires de la société B figureraient notamment :

· l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg (…%) ;

· la … (…%) ;

· la … (…%) ;

· la … (…%) ;

· l’… (…) (…%).

Les entités et entreprises publiques détiendraient ainsi 74,52% du capital d'B.

La société C serait le principal fournisseur et distributeur d'énergies au Grand-Duché de Luxembourg, active également en France, en Belgique et en Allemagne. Ses activités renfermeraient l'approvisionnement en électricité, gaz naturel et en énergies renouvelables, le développement de projets dans le domaine des énergies renouvelables, tel que la photovoltaïque. Elle aurait également été investie, par règlement grand-ducal du 3 décembre 2015, du déploiement d'un réseau de bornes de recharge pour voitures électriques, la société C détenant également la totalité du capital de la société H, la deuxième société de distribution d'énergie au Luxembourg.

La société Cc, qui détiendrait un portefeuille de sociétés fournissant des services divers dans le secteur de l'énergie, ne serait pas visée par la plainte alors que ce serait elle qui détiendrait la totalité des actions de la société D.

18 La société D, pour sa part, serait active dans le domaine de l'équipement du bâtiment au Luxembourg, à savoir l'installation, la gestion et la rénovation des équipements techniques du bâtiment de tout genre, l'ingénierie du bâtiment, les équipements de sécurité, d'informatique et de communication, l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables et divers équipements techniques spécialisés. Elle détiendrait également deux filiales, à savoir Da, établie au Luxembourg et la société Db, établie en France.

En droit, le délégué du gouvernement insiste à titre liminaire sur la considération que le Conseil de la concurrence n’aurait aucune obligation de déclencher une enquête lorsque les motifs de la plainte sont insuffisants.

Le Conseil de la concurrence serait, en effet, investi par la loi du 23 octobre 2011 de la mission d'appliquer ses articles 3 à 5, ainsi que les articles 101 et 102 du TFUE, interdisant les ententes et les abus de position dominante. Ces dispositions ne pourraient être appliquées que si le Conseil de la concurrence, à la suite d'une enquête préalable, « constate dans le cadre d'une procédure contradictoire l'existence d'une violation des dispositions des articles 3 à 5 de la présente loi ou des articles 101 et 102 du Traité »7.

L'ouverture d'une telle procédure d'infraction serait régie par l'article 10 de la loi du 23 octobre 2011, prévoyant que le Conseil de la concurrence « peut » intervenir à la demande de toute personne physique ou morale faisant valoir un intérêt légitime.

Si certes le Conseil de la concurrence aurait, tout comme la Commission européenne, le devoir d'examiner les plaintes portées à sa connaissance, il aurait également la faculté de considérer que les éléments mis à sa disposition sont insuffisants pour donner suite à une plainte et pourrait partant décider de ne pas procéder à une enquête approfondie, le délégué du gouvernement citant, à cet égard, l’article 15 du règlement intérieur du Conseil de la concurrence du 11 juin 2012 relatif au traitement des plaintes, ci-après désigné par « le règlement intérieur ».

A cet égard, il souligne que le droit européen de la concurrence ne conférerait pas au plaignant le droit d'exiger de l'autorité de concurrence une décision définitive quant à l'existence ou à l'inexistence de l'infraction alléguée, ni n'obligerait-il celle-ci à poursuivre en tout état de cause la procédure jusqu'au stade d'une décision finale, la CJUE8 ayant toutefois jugé que le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission dans le cadre du traitement des plaintes ne serait pas sans limites et qu'elle serait notamment astreinte à une obligation de motivation lorsqu'elle refuse de poursuivre l'examen d'une plainte alléguée.

Le délégué du gouvernement conclut ensuite à l'absence de violation de la loi par le Conseil de la concurrence, puisque celui-ci n’aurait pas été saisi de motifs suffisants pouvant justifier l'ouverture d'une enquête.

Si le Conseil de la concurrence pouvait ouvrir une enquête lorsqu'il dispose de motifs suffisants et concrets sur le prétendu comportement anticoncurrentiel, en l'espèce, à l'issue 7 Article 11 de loi du 23 octobre 2011.

8 Arrêt du 19 septembre 2013, affaire C-56/12, Efim c/ Commission.

19 d'une analyse succincte et sur le fondement des éléments exposés dans la plainte, il aurait toutefois constaté que (i) il n'y aurait eu aucun élément pouvant donner lieu à une suspicion de comportement abusif, et (ii) l'opération de concentration déjà mise en œuvre par les entreprises visées dans la plainte n'était - à ce stade - pas problématique sous l'angle de l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011, cette disposition nécessitant l'existence, d’une part, d'une position dominante et, d’autre part, d'un abus de cette position dominante. En l’espèce, toujours sur le fondement d'une analyse succincte et des éléments exposés dans la plainte, le Conseil de la concurrence aurait conclu à l'absence manifeste d'éléments pouvant constituer un abus, peu importe qu'une position dominante ait existé ou non, ce qu'il n'aurait, en tout état de cause, pas eu besoin d'établir.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’au stade de l'examen des plaintes, une telle analyse succincte serait, par nature, suffisante sans qu'il ne soit nécessaire, pour toute plainte, de poursuivre la procédure jusqu'au stade d'une décision finale à travers une analyse plus approfondie de la plainte. D'ailleurs la Commission opérerait de la même manière.

S’agissant de la notion de position dominante, le délégué du gouvernement relève que celle-ci ne serait définie ni dans la loi du 23 octobre 2011, ni par le TFUE, mais aurait été précisée par la jurisprudence européenne. Depuis un arrêt de la CJUE du 14 février 19789, la jurisprudence définirait la position dominante comme « une position de puissance économique, détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle à l'apparition et au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de se comporter indépendamment, dans une mesure appréciable vis-

à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement de ses consommateurs ».

Le constat d'une position dominante au sens de la jurisprudence de l'Union européenne requérait dès lors une analyse détaillée et approfondie, en plusieurs étapes, des marchés en cause et de l'entreprise mise en cause, cette analyse devant être accomplie par l'autorité de concurrence lors d'une enquête, elle-même menée dans le cadre d'une procédure d'infraction au sens des articles 11, 12 et 25 de la loi du 23 octobre 2011.

Une telle analyse ne saurait toutefois, suivant le délégué du gouvernement, pas être faite au stade de l'évaluation d'une plainte, avant même le déclenchement de toute procédure d'infraction.

Dès lors, les reproches de la demanderesse aux termes desquels le Conseil de la concurrence n'aurait opéré une analyse ni des marchés, ni des positions des sociétés mises en cause, ni procédé à « l'amorce d'une détermination des marchés pertinents », ne seraient pas fondés. Le Conseil de la concurrence ne se serait, en effet, à juste titre pas prononcé sur l'existence de l'absence d'une position dominante dans le chef de la ou des entreprises mises en cause par la requérante, en soulignant que l'élément déterminant serait la qualification de l'abus.

Le délégué du gouvernement souligne que le constat de motifs insuffisants pour ouvrir une enquête en raison de l'absence manifeste d'éléments de nature à établir un abus dans les faits rapportés par la demanderesse est suffisant pour justifier le rejet de la plainte, 9 affaire C-27/76, United Brands c/ Commission.

20 tout en soulignant encore que l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011 relatif à l'interdiction des abus de position dominante ne serait pas applicable à des abus potentiels.

Or, les développements de la demanderesse dans sa requête introductive d’instance ne feraient état d'aucun fait susceptible de violer la loi du 23 octobre 2011. A une exception près, la demanderesse n’aurait, en effet, su faire état d'aucun comportement concret ou avéré, qui, le cas échéant, aurait pu être qualifié d'abusif. Tous les « abus » allégués seraient des possibilités théoriques et/ou des conjectures uniquement basées sur des hypothèses et des suppositions, mais qui ne se fonderaient sur aucun élément concret, de sorte que l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011 ne pourrait trouver application.

Afin de déclencher une enquête, le Conseil de la concurrence devrait, en effet, au moins pouvoir disposer de quelques éléments factuels tangibles de nature à fonder une suspicion d'infraction, de sorte que toute plainte devrait présenter non seulement des raisonnements théoriques, mais également des éléments factuels concrets susceptibles d’indiquer l'existence d'un abus réellement commis. A défaut, le Conseil de la concurrence serait libre de ne pas déclencher d'enquête.

En l’espèce, il n’y aurait justement pas eu de motifs suffisants de nature à faire soupçonner un abus, le seul élément factuel rapporté par la demanderesse étant l'acquisition, non contestée, de la société D par la société B et son intégration dans le groupe B. Ce serait ce seul élément factuel qui pourrait être apprécié dans le cadre de l'évaluation de la plainte.

Or, cette opération de concentration ne pourrait pas être susceptible d'un abus de position dominante dans le cas d'espèce.

Le délégué du gouvernement poursuit qu’en l'absence au Luxembourg de régime de contrôle des opérations de concentration ex ante entre entreprises, le Conseil de la concurrence pourrait néanmoins examiner une opération ex post, une telle analyse étant alors menée à l'aune des dispositions relatives à l'interdiction des abus de position dominante, en l’occurrence l’article 5 de la loi du 23 octobre 2011.

Il souligne, dans ce contexte, que le contrôle des concentrations ex ante, opéré avant la mise en œuvre de l’opération de concentration et à titre préventif et censé anticiper les effets futurs de l'opération, n’existerait actuellement pas en droit luxembourgeois.

En revanche, le contrôle des concentrations ex post, opéré après la mise en œuvre de l'opération de concentration, ne pourrait être « préventif » puisqu'il interviendrait par nature après la réalisation de l'opération. Ce serait un tel contrôle qui aurait été mené par le Conseil de la concurrence dans l'affaire Utopia, invoquée par la demanderesse, ce en application d'une jurisprudence européenne bien établie.

En l’espèce, le Conseil de la concurrence aurait, à juste titre, après une analyse succincte de nature ex post de l'opération de concentration d’ores et déjà réalisée, retenu que l'acquisition de la société D ne constituait pas un abus de position dominante dans ce cadre.

A cet égard, le délégué du gouvernement se réfère à la jurisprudence Continental Can ayant défini les conditions dans lesquelles une concentration entre entreprises est susceptible 21 de constituer un abus de position dominante au sens de l'article 102 TFUE. Cette jurisprudence n'interdirait pas d'office les opérations de concentration impliquant une entreprise en position dominante sur un marché. Une concentration pourrait être abusive si elle renforce la position d'une entreprise dominante au point qu'il ne subsiste plus que des entreprises dépendantes de l'entreprise dominante, c'est-à-dire, qu'elle élimine la concurrence sur le marché. Or, tel ne serait manifestement pas le cas en l'espèce, puisque la concentration ne modifierait pas la position des différentes entreprises sur leurs marchés respectifs.

A cet égard, il conviendrait de prendre en considération la position des sociétés B et D sur leurs marchés respectifs, face à leurs concurrents, avant et après la concentration.

Ainsi, avant l'opération de concentration, les sociétés faisant partie du groupe B auraient déployé leurs activités dans la distribution et, dans une moindre mesure, dans la génération d'énergie, ainsi que dans la gestion des réseaux d'électricité et de gaz, ce qu'elles auraient continué à faire une fois l'acquisition réalisée.

La société D, quant à elle, serait une entreprise active sur les différents marchés, bien distincts, de l'équipement technique du bâtiment, mais n’aurait toutefois aucune activité sur les marchés précités sur lesquels les autres entreprises du groupe B sont actives.

Dans ces conditions, la reprise de la société D ne changerait en rien la structure des marchés en cause, ne renforcerait pas la position d'une entreprise dominante, à supposer qu'il y en ait eu une, et n'éliminerait pas la concurrence au point qu’il ne subsisterait que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l'entreprise dominante sur ces marchés.

Similairement, les sociétés du groupe B n’auraient, avant la concentration, poursuivi aucune activité sur les différents marchés des équipements techniques du bâtiment servis par la société D. Partant, la structure des marchés servis par cette dernière serait restée inchangée après l'opération de concentration en cause. Cette dernière n'aurait pas non plus renforcé de position dominante, à supposer qu'il y en ait eu une, ni n'aurait-elle éliminé la concurrence au point qu'il ne subsisterait que des entreprises dépendantes du groupe B. La multitude de concurrents qui auraient existé et qui existeraient toujours sur les différents marchés de l'équipement technique du bâtiment servis par la société D, en témoignerait. Que ces concurrents soient de taille importante ou modeste, l'opération de concentration ne changerait rien au fait qu'ils resteraient des concurrents de la société D et donc, après l'opération de concentration, du groupe B.

Comme les deux sociétés en cause ne se trouveraient pas en position de concurrence avant l'acquisition du capital social de la société D, cette opération serait une concentration verticale et/ou conglomérale, mais pas horizontale et ne saurait dès lors éliminer la concurrence au sens de la jurisprudence applicable.

Partant, la condition essentielle de l'arrêt Continental Can ne serait pas vérifiée et il n'y aurait donc pas d'abus en l'espèce, de sorte que le Conseil de la concurrence n’aurait pu ni interdire, ni sanctionner, et encore moins défaire l'opération de concentration en cause, cette conclusion découlant d'une analyse menée au stade de l'examen de la plainte, analyse nécessairement succincte par nature et faite à ce titre sur la base d'éléments rapportés dans la plainte, et ne requérant pas d'analyse de marché ni l'ouverture d'une procédure d'infraction sur 22 base de l'article 10 de la loi du 23 octobre 2011.

Pour le surplus, le délégué du gouvernement prend position par rapport au nouvel élément soulevé dans la requête introductive d’instance et fondé sur le reproche d’un abus pour éviction d'un marché public.

Le délégué du gouvernement souligne que le Conseil de la concurrence n’aurait pu tenir compte dans la décision attaquée de ce reproche non invoqué dans la plainte.

Pour le surplus, il déclare que la partie étatique partagerait les inquiétudes légitimes de la demanderesse au sujet des risques engendrés par l'opération en cause, ses effets possibles sur le marché et les possibilités d'abus pouvant résulter à l'avenir de toute opération de concentration, tout en relevant que suivant l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 25 octobre 2002, invoqué par la demanderesse, un comportement abusif pourrait résulter soit de la concentration elle-même, soit de comportements futurs de l'entreprise mise en cause.

Dans ces conditions, il serait toutefois loisible à la demanderesse ainsi qu'à toute autre entreprise concernée de saisir le Conseil de la concurrence à tout moment sur base de faits précis et concrets. Toutefois, à ce stade, le moyen nouveau ne serait pas de nature à remettre en cause la décision déférée.

Dans leur réponse, les sociétés B, C et D, ci-après désignées par « les parties tierces intéressées », décrivent à leur tour l’organigramme du groupe B et leur propre place dans ce contexte, de même que leurs champs d’activités respectifs.

Elles invoquent de prime abord trois moyens procéduraux pour conclure au rejet du recours.

Ainsi, par rapport au reproche au Conseil de la concurrence d’une argumentation lacunaire, et pour autant que ce reproche tend à critiquer un défaut de motivation, elles font valoir que la décision litigieuse respecterait pleinement les exigences de motivation en droit administratif.

En second lieu, elles estiment que la décision litigieuse serait conforme au principe de l'opportunité des poursuites, en passant en revue le déroulement procédural devant le Conseil de la concurrence tel que conçu par le législateur et tel qu'ancré dans le règlement intérieur, la procédure débutant par l'acte de saisine qui pourrait prendre la forme d'une plainte émanant d'une personne physique ou morale justifiant d'un intérêt légitime à agir, le Conseil de la concurrence pouvant également décider de s'autosaisir. Il appartiendrait ensuite au Conseil de la concurrence d'examiner la plainte et de déterminer si elle est recevable ou si elle doit être rejetée. La plainte sera irrecevable et donc rejetée, outre en cas d'incompétence, d'absence d'objet, d'absence de cause, d'absence d'intérêt à agir ou de libellé obscur, si la demande est manifestement dénuée de tout fondement au sens de l’article 15, alinéa ter du règlement intérieur. Ainsi, si le Conseil de la concurrence estimait que sur la base des informations portées à sa connaissance, il n'existait pas de motifs suffisants pour donner suite à la plainte, le président en informerait le plaignant, et lui impartirait un délai pour faire connaître son point de vue par écrit, ce qui aurait été fait en l'espèce par courrier du 18 décembre 2018. Au 23 cas où le plaignant fait connaître son point de vue dans le délai fixé par le Conseil de la concurrence et où ses observations ne mènent pas à une appréciation différente de la plainte, le Conseil de la concurrence rejetterait la plainte.

A l'instar de la Commission européenne, le Conseil de la concurrence n'aurait dès lors aucunement l'obligation d'instruire une plainte non fondée et disposerait, au contraire, de la liberté d'apprécier l'opportunité des poursuites.

En troisième lieu, les parties tierces intéressées invoquent un défaut de base juridique et l’incompétence du Conseil de la concurrence pour procéder à un contrôle des concentrations ou pour instruire ex ante des prétendus abus de position dominante non avérés, à défaut par le droit luxembourgeois de prévoir un régime en ce sens, en insistant sur la considération qu’au Luxembourg, il n’existerait pas de régime autonome de contrôle des concentrations que ce soit ex ante ou ex post.

Quant au fond, les parties tierces intéressées concluent au caractère non fondé des moyens présentés à l’appui du recours, en réitérant que le droit luxembourgeois de la concurrence ne prévoirait pas de régime autonome de contrôle des concentrations, que ce soit ex ante ou ex post, de sorte que le Conseil de la concurrence ne saurait analyser de manière prospective les pratiques reprochées à la société B.

A cet égard, elles se prévalent de prime abord d’une absence de contrôle ex ante des concentrations au Luxembourg, la loi du 23 octobre 2011 encadrant simplement le contrôle des pratiques anticoncurrentielles à travers ses articles 3 et 5.

Certes, le Conseil de la concurrence aurait dans l’affaire Utopia admis un contrôle ex post en s’appuyant sur l’arrêt Continental Can et sur l'article 102 TFUE et/ou l'article 5 de la loi du 23 octobre 2011, partant dans le cadre d'un potentiel abus de position dominante. Les parties tierces intéressées estiment toutefois qu’un tel contrôle ex post ne serait pas applicable en l’espèce.

Elles soulignent, à cet égard, que les cas de contrôle ex post des concentrations sur le fondement de la jurisprudence Continental Can seraient limités, puisqu’un tel contrôle serait envisageable au Luxembourg uniquement au titre des règles relatives aux abus de position dominante prévues aux articles 102 TFUE et 5 de la loi du 23 octobre 2011.

En application de la jurisprudence Continental Can, seule serait, en effet, susceptible d'être qualifiée d'abus de position dominante l'acquisition (i) d'un concurrent qui (ii) entraverait substantiellement la concurrence, (iii) éliminerait pratiquement la concurrence effective ou potentielle, et (iv) empêcherait les compétiteurs résiduels de constituer un contrepoids suffisant, les parties tierces intéressées exposant, par ailleurs, plus en détail les conclusions qu’il conviendrait, d’après elles, de tirer de l’arrêt Continental Can.

Dans cet arrêt, la CJUE n’aurait toutefois nulle part retenu que la simple acquisition d'un concurrent par une entreprise dominante constituerait en soi un abus de position dominante. Au contraire, elle aurait jugé que l'acquisition d'un concurrent par une entreprise dominante pourrait « dans certaines circonstances » constituer une pratique abusive.

24 Selon cette jurisprudence, l'article 86 du traité CEE (aujourd'hui article 102 TFUE) viserait notamment les pratiques susceptibles de causer un préjudice aux consommateurs « en portant atteinte à une structure de concurrence effective ». Ce même article interdirait les concentrations mises en œuvre par une entreprise en position dominante dès lors que « le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c'est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l'entreprise dominante ».

La CJUE aurait jugé qu'un tel abus de position dominante serait caractérisé dans le cas où « une entreprise en position dominante [renforcerait] celle-ci par voie de concentration, dès lors que la concurrence effective ou potentielle serait pratiquement éliminée pour les produits en cause dans une partie substantielle du marché commun », l'élimination pratique de toute concurrence constituant nécessairement une modification si substantielle de la structure de l'offre que « la liberté du consommateur sur le marché se trouve gravement compromise ».

La jurisprudence ultérieure aurait confirmé que seul le rachat d'un concurrent serait susceptible d'être qualifié d'abus au sens de l'arrêt Continental Can, en l’occurrence un arrêt du TUE du 21 septembre 200510, ci-après désigné par « l’arrêt EDP», ce qui aurait également été confirmé par la Commission dans sa décision du 10 novembre 1992 (affaire Warner-

Lambert c/ Gilette).

Il résulterait des jurisprudences ainsi citées que l’arrêt Continental Can ne s'appliquerait pas indistinctement à tous types de concentrations, mais seulement à celles entre concurrents, dites « concentrations horizontales ».

Par ailleurs, dans l’affaire Continental Can, la CJUE aurait également analysé la question de savoir si le degré de domination atteint ne laissait subsister que des entreprises dépendantes dans leur comportement, les parties tierces intéressées relevant que la Commission se serait, dans cette affaire, fondée sur divers paramètres tels que le niveau très élevé des parts de marché, la dépendance économique des clients par rapport à la nouvelle entité créée, la faiblesse et la dépendance des concurrents subsistants éventuels et le niveau des barrières à l'entrée.

Il conviendrait d’en conclure que toute acquisition par une entreprise dominante ne constituerait pas automatiquement un abus.

Après avoir relevé que ce serait dans ce contexte qu’au niveau luxembourgeois, le Conseil de la concurrence aurait affirmé sa compétence pour contrôler ex post les concentrations sur le fondement de la jurisprudence Continental Can, les parties tierces intéressées analysent la décision du Conseil de la concurrence dans l’affaire Utopia, pour ensuite conclure que la jurisprudence Continental Can n'aurait vocation à s'appliquer qu'à des concentrations entre concurrents, partant des concentrations dites « horizontales » qui, par ailleurs, rempliraient les trois autres conditions sus énoncées.

10 Affaire n° T-87/05 25 Or, comme en l'espèce, les conditions de la jurisprudence Continental Can ne seraient pas remplies, le contrôle des concentrations ex post ne serait pas applicable.

En effet, l'acquisition de la société D ne constituerait pas une concentration horizontale, ni même verticale, mais, au mieux, une concentration dite « conglomérale » pour certains produits ou services concernés, une telle concentration conglomérale impliquant des entreprises opérant sur des marchés distincts mais liés.

En affirmant de manière erronée que les sociétés B et D se feraient «directement concurrence », la demanderesse ignorerait manifestement le fait que ces sociétés opéreraient sur des marchés distincts, la société B opérant principalement dans la production d'électricité, la fourniture d'électricité et de gaz naturel auprès des clients résidentiels et non résidentiels au Luxembourg, en France, en Allemagne et en Belgique, ainsi que dans la gestion de réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz au Luxembourg et en Allemagne, tandis que la société D serait active dans le secteur de l'installation et de la maintenance d'installations électriques, exclusivement auprès de clients non résidentiels. Ainsi, préalablement au rachat litigieux, le groupe B n’aurait pas exercé d'activité concurrente de la société D au Luxembourg, les marchés respectifs étant tout à fait distincts. Ne s’agissant pas d’une concentration horizontale, l’opération litigeuse ne relèverait dès lors pas du champ d'application de la jurisprudence Continental Can.

Ce serait encore à tort que la demanderesse affirme que le rachat aurait créé une situation de « quasi-monopole » ou de superdominance sur les marchés sur lesquels la société D est active, puisque la demanderesse ne démontrerait pas que la société D détiendrait une position tellement importante sur les différents marchés sur lesquels elle est active, résultant de son acquisition par le groupe B, tout en critiquant l’analyse de la demanderesse quant à la position de la société D sur les marchés concernés. Les parties tierces intéressées concluent que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la société D détiendrait une position dominante sur les marchés en cause ou, à tout le moins, serait un des principaux acteurs sur les marchés concernés, manquerait en fait.

Dans la mesure où, contrairement aux faits ayant mené à la décision Utopia, les sociétés B et D n'acquerraient pas de superdominance, de sorte qu’il serait exagéré d'affirmer que les autres acteurs présents sur les marchés sur lesquels la société D est active ne seraient plus en mesure d'exercer une pression concurrentielle suffisante, la condition énoncée par le Conseil de la concurrence dans l’affaire Utopia et liée à l'absence de contrepoids suffisant ne serait manifestement pas remplie en l'espèce.

De même, les conditions tenant à l’« entrave substantielle de la concurrence » et à l'«élimination pratique de la concurrence », posées par la jurisprudence Continental Can et telles qu'interprétées par le Conseil de la concurrence dans sa décision Utopia, ne seraient pas non plus satisfaites en l'espèce, puisque l'acquisition de la société D ne laisserait pas subsister exclusivement des entreprises dépendantes, dans leur comportement, des sociétés du groupe B, les concurrents de la société D étant, en effet, des entreprises de toute taille, dont certaines génèreraient un chiffre d'affaires significatif et/ou seraient adossées à un grand groupe, qui exerceraient une pression concurrentielle réelle sur la société D, les parties tierces intéressées citant divers exemples de telles entreprises. Il ne serait en tout cas pas expliqué en quoi, postérieurement à l'acquisition litigieuse, les concurrents de la société D seraient 26 économiquement dépendants, dans leur comportement, des sociétés du groupe B, ni dans quelle mesure les concurrents seraient incapables à l'avenir d'exercer la moindre pression concurrentielle et d'exercer ainsi un réel contrepoids sur la nouvelle entité. La demanderesse reconnaîtrait d’ailleurs elle-même dans la requête introductive l'absence d'atteinte à une structure de concurrence effective résultant directement de l'acquisition, puisqu’elle affirmerait que la position dominante sur le second marché ne résulterait pas immédiatement de la concentration mais ne se produirait qu'après un certain temps Dès lors, les conditions d'application de la jurisprudence Continental Can ne seraient pas remplies en l'espèce, si bien que le contrôle des concentrations ex post qui en découlerait n'aurait pas vocation à s'appliquer.

Les parties tierces intéressées font ensuite valoir que l’argumentation de la demanderesse serait en tout cas le fruit d’une interprétation extensive des conditions d'application du contrôle ex post des concentrations issues de l'arrêt Continental Can et de la décision Utopia, qui serait contraire au principe de sécurité juridique, consacré par la jurisprudence en tant que principe général du droit de l'Union européenne et exigeant, notamment, qu'une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence, ce principe visant à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l'Union européenne, y compris l'interdiction des abus de position dominante prévue à l'article 102 TFUE.

En l'espèce, le principe de sécurité juridique pourrait se décliner de deux façons, en ce sens qu’il exigerait, d’une part, que le contrôle ex post reste limité à des cas très isolés et clairement identifiables en amont par les entreprises et, d’autre part, que le délai de remise en cause potentielle d'une concentration soit délimitée dans le temps.

Les parties tierces intéressées critiquent ainsi l'insécurité juridique inhérente au régime actuel, à la suite de la décision Utopia, qui serait susceptible de générer de l'inquiétude et de l'incertitude pour les différents acteurs de l'économie et qui serait encore renforcée par l'interprétation extrêmement large de l'arrêt Continental Can prônée par la demanderesse, puisque celle-ci permettrait d'étendre le contrôle ex post à tout type de concentrations, quelle qu'en soit la nature, c'est-à-dire non seulement aux concentrations horizontales entre concurrents, mais également verticales ou conglomérales, par le biais des règles relatives aux abus de position dominante.

Pour illustrer leurs inquiétudes, les parties tierces intéressées se prévalent plus particulièrement des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Continental Can.

De plus, malgré une reformulation claire par le Conseil de la concurrence des conditions du recours à un contrôle ex post, la décision Utopia n'aurait pas fait disparaître tout risque d'insécurité juridique, puisqu’elle ne permettrait pas aux entreprises souhaitant prendre part à des concentrations d'évaluer avec certitude si leur projet risque ou non d'être contraire au droit de la concurrence, de sorte qu’il serait d'autant plus important de procéder à une interprétation stricte des conditions formulées par le Conseil de la concurrence.

27 Les parties tierces intéressées soulignent que si la société B avait procédé à l'acquisition de la société D, ce serait notamment parce qu'elle pouvait raisonnablement escompter que l'acquisition d'une entreprise non concurrente, ni même verticalement intégrée, serait conforme au droit de la concurrence et ne serait pas susceptible d'être remise en cause plus d'un an après sa réalisation, tout en relevant que même dans le cadre d'un contrôle ex ante, une acquisition de type conglomérale serait, par nature, moins susceptible de générer des problèmes de concurrence qu'une concentration horizontale.

Elles poursuivent que même dans les pays qui prévoient spécifiquement un régime autonome de contrôle ex post des concentrations, l'intervention des autorités de concurrence serait encadrée par des conditions très strictes, précisément afin de ne pas remettre en cause le principe de sécurité juridique, de sorte qu’un pays comme le Luxembourg, qui ne disposerait pas de régime spécifique de contrôle des concentrations, ne pourrait pas soumettre les parties à une concentration à une insécurité juridique plus grande que celle existant dans les pays qui disposent d'un régime de contrôle ex post des concentrations.

Les parties tierces intéressées donnent encore à considérer que, de manière générale, le contrôle ex post d'une opération de concentration, quelle que soit la base juridique en cause, pourrait mener à une décision d'autorisation, avec ou sans conditions, ou à une décision d'interdiction, de sorte qu’un contrôle ex post placerait les dirigeants des parties à la concentration dans l'incertitude quant à la gestion quotidienne de la nouvelle entité, et poserait des difficultés pour modifier ou annuler rétroactivement une opération de concentration, certaines mesures prises par la nouvelle entité pouvant même être irréversibles.

Pour toutes ces raisons, dans des régimes de contrôle des concentrations avec notification facultative, des critères stricts seraient prévus pour justifier l'examen ex post d'une concentration.

En second lieu, d'un point de vue temporel, il ne serait pas raisonnable qu'une concentration finalisée puisse être remise en cause indéfiniment, de sorte qu’en l'absence de disposition législative expresse, l'examen ex post par le Conseil de la concurrence devrait intervenir dans un délai raisonnable, qui devrait être d'une courte durée afin de réduire l'incertitude dans laquelle est placée la nouvelle entité, les parties tierces intéressées soulignant que les principales juridictions qui exercent, en plus d'un contrôle ex ante, un mécanisme de contrôle ex post des concentrations prévoiraient généralement des délais d'intervention entre six mois et deux ans à compter de la réalisation de l'opération ou de la signature des documents juridiquement contraignants.

Dès lors, un examen ex post des concentrations devrait toujours être encadré par des conditions strictes en raison du risque d'insécurité juridique important qu'il génère pour les parties.

En l’espèce, l'examen ex post du rachat litigieux poserait ainsi un réel problème de sécurité juridique en ce qu'il équivaudrait à examiner la conformité de l'acquisition de la société D plus d'un an après sa réalisation le 10 juillet 2018.

28 Les parties tierces intéressées concluent ainsi que pour l’ensemble de ces considérations, la jurisprudence Continental Can ne serait pas applicable et son application suivant l'interprétation préconisée par la demanderesse soulèverait en outre un véritable risque d'insécurité juridique.

Elles relèvent ensuite que le Conseil de la concurrence ne serait pas compétent pour examiner des pratiques abusives futures hypothétiques. Au contraire, il serait requis que soit rapportée la preuve d'une pratique passée ou existante susceptible d'avoir un effet de forclusion anticoncurrentiel à tout le moins potentiel, preuve qui ne serait toutefois pas rapportée en l’espèce. Par ailleurs, les pratiques prétendument abusives exposées par la demanderesse seraient d'autant plus improbables que nombre d'entre elles enfreindraient en outre manifestement la loi luxembourgeoise relative à la réglementation du secteur de l'énergie et/ou des marchés publics.

Ainsi, les parties tierces intéressées relèvent en premier lieu que la constatation d'un abus de position dominante nécessiterait la preuve d'une pratique passée ou actuelle, tout en soulignant que le droit des pratiques anticoncurrentielles relèverait de la matière quasi-pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

Les autorités de concurrence seraient, en vertu du droit européen et luxembourgeois de la concurrence, compétentes pour constater « l'existence » d'une infraction et pour obliger les entreprises concernées à y mettre fin. Dans sa pratique décisionnelle, l'autorité de la concurrence française aurait également clairement précisé qu'elle était uniquement habilitée à sanctionner ex post les pratiques anticoncurrentielles « passées ou existantes ».

En rappelant que le dispositif luxembourgeois de régulation de la concurrence ne prévoirait pas de mécanisme d'autorisation, d'avis ou d'intervention préventive du Conseil de la concurrence à l'égard de projets envisagés par les entreprises en ce qui concerne l'application des règles relatives aux pratiques anticoncurrentielles, le Conseil de la concurrence étant seulement habilité à rendre des avis consultatifs sur des questions générales de concurrence ou sur des projets de textes législatifs ou réglementaires dans les conditions prévues par l'article 29 de la loi du 23 octobre 2011, approche qui serait également confirmée par la doctrine, les parties tierces intéressées font valoir que la demanderesse procèderait par voie d'affirmation en relevant des comportements futurs hypothétiques sans toutefois apporter un quelconque élément de preuve concret, ni aucun exemple précis à la base de ses allégations.

Or, en vertu de la loi du 23 octobre 2011, le Conseil de la concurrence ne serait pas autorisé à sanctionner de simples risques qu'une entreprise adopte un comportement anticoncurrentiel, de sorte que le Conseil de la concurrence aurait, à juste titre, rejeté la plainte pour motifs insuffisants.

Ensuite, la constatation d'un abus de position dominante requérait la démonstration d'une capacité d'éviction ou d'effets d'éviction anticoncurrentiels. Il ne pourrait, en effet, être retenu que le seul rachat de la société D et son intégration dans le groupe B serait susceptible de créer une distorsion de concurrence pour en conclure à un abus de position dominante. La demanderesse aurait, au contraire, omis de prendre en compte la nécessité d'effets actuels ou potentiels d'éviction anticoncurrentielle de ce rachat.

29 En effet, la qualification d'une pratique ou action comme abus de position dominante reposerait sur une approche économique, c'est-à-dire une analyse concrète des effets sur le marché des pratiques alléguées, approche qui aurait été reconnue à la fois au niveau européen et en droit luxembourgeois.

Les parties tierces intéressées font valoir que même si les autorités de concurrence ne s’étaient pas tenues de démontrer que la pratique alléguée a eu un effet concret sur le marché, elles devraient rapporter la preuve que le comportement de l'entreprise en position dominante a pu engendrer un effet d'éviction potentiel, tout en renvoyant, pour ce qui est de cette approche par les effets, aux conclusions de l’avocat général dans l’affaire Deutsche Telekom c/ Commission (affaire C-280/08) et à la Communication de la Commission de 2009 intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes », ci-après désignée par « la Communication de 2009 ».

Ainsi, selon la Commission, une éviction anticoncurrentielle désignerait une situation dans laquelle, en raison du comportement de l'entreprise dominante, un accès effectif des concurrents actuels ou potentiels aux sources d'approvisionnement ou aux marchés serait entravé ou supprimé au détriment des consommateurs. De manière générale, l'appréciation d'un effet d'éviction anticoncurrentiel reposerait sur un ensemble de facteurs, en ce compris la position de l'entreprise dominante, les caractéristiques du marché pertinent, la position des concurrents, la position des clients et des fournisseurs, le taux de couverture des pratiques, les preuves d'une éviction ainsi que l'existence d'une stratégie d'éviction.

La jurisprudence européenne appliquerait pareillement l'approche par les effets, les parties tierces intéressées renvoyant, à cet égard, à un arrêt de la CJUE Post Danmark I 11 et à la jurisprudence ultérieure de la CJUE, plus particulièrement dans les affaires Post Danmark II12, Intel13 et MEO14.

Ainsi, eu égard à la jurisprudence européenne et à l'approche de la Commission telle que reflétée dans sa Communication de 2009, la démonstration d'un abus de position dominante exigerait la preuve d'une capacité d'éviction ou d'effets d'éviction anticoncurrentielle.

Cette approche par les effets aurait également été consacrée au plan luxembourgeois, les parties tierces intéressées soulignant que le législateur admettrait que le droit de la concurrence aurait pour objectif de protéger la concurrence en tant que telle, et donc in fine les consommateurs, et non les concurrents et renvoyant, par ailleurs, à un jugement du tribunal administratif du 21 novembre 2016, inscrit sous le numéro 35847a du rôle, dans l'affaire Entreprise des Postes et Télécommunications, et à la pratique décisionnelle récente du Conseil de la concurrence luxembourgeois en matière d'abus en citant l’affaire Utopia.

11 affaire C-209/10.

12 affaire C-23/14.

13 affaire C-413/14.

14 affaire C-525/16.

30 Ainsi, ni la jurisprudence européenne ni le droit luxembourgeois n'admettraient la théorie de l'interdiction per se d'un abus de position dominante, de sorte que le moyen de la demanderesse suivant lequel le seul rachat litigieux serait susceptible de créer une distorsion de concurrence, sans analyse des effets d'éviction ou, à tout le moins, de la capacité d'éviction anticoncurrentielle de ce rachat, serait à rejeter.

Dès lors, à défaut d'éléments matériels tangibles constitutifs d'un éventuel abus, ce serait à bon droit que le Conseil de la concurrence a rejeté la plainte pour motifs insuffisants.

Les parties tierces intéressées critiquent encore la demanderesse en ce qu’elle présumerait non seulement sans preuve l'existence d'abus de position dominante hypothétiques et non avérés, mais puisque, de plus, certains des abus reprochés seraient contraires à la réglementation régissant le secteur de l'énergie et/ou les marchés publics.

A cet égard, les parties tierces intéressées réfutent les reproches de la demanderesse suivant lesquels les sociétés du groupe B enfreindraient à de multiples reprises la règlementation sectorielle en matière d'énergie, respectivement suivant lesquels celles-ci auraient l’intention, ensemble avec l'Etat luxembourgeois, de violer la loi sur les marchés publics.

Ces reproches négligeraient la réglementation sectorielle applicable dans le secteur de l'énergie puisqu'ils impliqueraient par exemple une discrimination par la société E entre la société D et ses concurrents ou encore une circulation totalement libre au sein du groupe B des informations commercialement sensibles détenues par la société E, alors que la réglementation sectorielle en matière d'énergie, tant au niveau européen qu’au niveau national, interdirait toute discrimination entre utilisateurs des réseaux de transport et de distribution de gaz ou d'électricité, et que, pareillement, la réglementation européenne en matière d’électricité et la réglementation sectorielle en matière de gaz contiendraient une obligation de confidentialité, cette dernière obligation s'appliquant non seulement aux gestionnaires de réseaux de transport, mais également aux gestionnaires d'installation de stockage et d'installation de gaz naturel liquéfié, les directives afférentes ayant été transposées en droit luxembourgeois par deux lois du 7 août 2012. Les dispositions concernant l'obligation de confidentialité du gestionnaire de réseau de transport, c'est-à-dire E, seraient substantiellement identiques à celle des directives européennes.

Les parties tierces intéressées réfutent dès lors les reproches de la demanderesse suivant lesquels la société D bénéficierait, grâce à l'intégration verticale du groupe B, d'un accès privilégié au gestionnaire du réseau de transport d'électricité E, qui procèderait alors plus rapidement à des contrôles des installations de la société D que celles de ses concurrents préalablement à l'injection d'électricité et dont la société D aurait accès aux bases de données, contenant des informations commercialement sensibles sur les producteurs d'électricité photovoltaïque, ce qui permettrait d’optimiser la stratégie commerciale de la société D et de la société C.

Ces allégations non seulement ne seraient étayées par aucun élément de preuve et ne feraient que présupposer l'existence d'abus potentiels futurs, mais, de plus, ignoreraient manifestement la réglementation régissant le secteur de l'énergie, les règles de séparation (unbundling) prévues par la réglementation sectorielle érigeant des barrières hermétiques 31 entre le gestionnaire de réseau E et les fournisseurs d'énergie, comme C, de manière à interdire toute coopération commerciale pouvant générer un avantage concurrentiel dans le chef d'C. Or, jusqu'à preuve du contraire, les sociétés du groupe B seraient présumées se conformer à la législation en vigueur dans le secteur de l'énergie.

Certaines des pratiques alléguées par la demanderesse négligeraient encore totalement la règlementation luxembourgeoise en matière de marchés publics, de sorte que ce serait à tort que la demanderesse soutient qu'il serait fort probable que l'Etat luxembourgeois, ainsi que les entités publiques détenant une participation dans la société B favoriseraient la société D dans le cadre d'appels d'offres, au détriment de ses concurrents qui n'obtiendraient plus de marchés d'exécution de travaux ou de prestation de services.

A cet égard, les parties tierces intéressées rappellent les garanties prévues par la législation en matière de marchés publics en qui concerne l’égalité de traitement de tous les soumissionnaires, l'obligation, ou la faculté selon les cas, d'exclure un soumissionnaire d'une procédure de passation d'un marché public permettant ainsi au pouvoir adjudicateur de lutter efficacement contre les conflits d'intérêts et le favoritisme et le fait que la procédure d'attribution des marchés publics se fonde sur des critères objectifs de manière à éviter tout risque de discrimination des soumissionnaires.

S'agissant du rôle de l'Etat luxembourgeois, les parties tierces intéressées donnent à considérer que tout marché d'une certaine ampleur impliquant une entité publique et auquel la société D a décidé de soumissionner devrait impérativement faire l'objet d'une procédure publique d'appel d'offres, mettant tous les installateurs électriques soumissionnaires sur un pied d'égalité, l'entité adjudicatrice devant attribuer le marché sur la base de critères objectifs.

En présumant que l'Etat luxembourgeois ou C, de manière générale, favoriseraient probablement la société D pour l'exécution de certains travaux, la demanderesse aurait manifestement ignoré que cela constituerait une violation flagrante des règles élémentaires de la commande publique ou tenterait de nuire à la réputation du groupe B et de l'Etat luxembourgeois sans que ces allégations ne soient étayées par le moindre élément de preuve, les parties tierces intéressées prenant, par ailleurs, plus en détail position par rapport aux reproches soulevés en relation avec un dossier de candidature de l'association momentanée formée entre F et G.

A titre surabondant, tout en relevant que leur argumentation principale serait à elle seule suffisante pour rejeter le recours, les parties tierces intéressées répondent ensuite en détail aux divers moyens de réformation soulevés par la demanderesse, en rappelant le principe de liberté de commerce et de l’industrie, de même que la liberté des anciens monopoles historiques de se diversifier sur les marchés concurrentiels, y compris connexes, sur le plan européen et national, et en analysant ensuite les dix marchés en cause invoqués par la demanderesse comme étant pertinents et la prétendue position dominante du groupe B sur ces marchés, tout en soulignant que (i) la quasi-totalité des travaux d'installation électrique effectués par la société D s'inscrirait dans le cadre d'appels d'offres lancés par des clients professionnels, que (ii) l'énumération des dix prétendus marchés pertinents, tels qu'identifiés par la requérante, ne correspondrait pas à la réalité économique que connaît la société D sur le terrain et que (iii) il conviendrait de constater que l'affirmation de l'existence d'une position dominante de la société D sur les prétendus marchés pertinents ne serait pas étayée et en tout 32 cas contestée. Ensuite, les parties tierces intéressées examinent le prétendu lien de connexité entre les marchés concernés par la plainte et les marchés historiques de la fourniture d’électricité et de gaz et prennent, pour le surplus, position sur les différents griefs soulevés par la demanderesse, à savoir les griefs tirés de l'utilisation croisée des bases de données clients du groupe B, le grief tiré de pratiques de ventes liées entre les services de la société D et ceux du groupe B, le grief tiré de la communication du groupe B et, plus généralement, de l'utilisation de l'image de marque et de la notoriété d'C par la société D, le grief tiré de la création de barrières à l'entrée, le grief tiré d'une hypothétique éviction future en matière de marchés publics, le grief tiré d'une prétendue pratique de prix prédateurs et le grief tiré d'un prétendu favoritisme de l'Etat luxembourgeois vis-à-vis de la société D.

Dans sa réplique, la demanderesse insiste sur le reproche d’un défaut de motivation en affirmant que le mémoire en réponse de l’Etat ne permettrait pas d'identifier avec certitude les motifs ayant mené à la décision attaquée. Le Conseil de la concurrence n'ayant pas expliqué pour quelle raison les arguments avancés par elle ne sauraient démontrer le risque réel et sérieux d'une atteinte à la libre concurrence, il y aurait dès lors lieu de réformer la décision litigieuse.

Ensuite, elle soutient que le Conseil de la concurrence, chargé en vertu de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 23 octobre 2011 de veiller à l’application des articles 3 à 5 de la même loi, aurait eu l’obligation d’ouvrir une procédure d’infraction et ne saurait invoquer le principe de l’’opportunité des poursuites, non prévu par la législation luxembourgeoise en la matière.

Ainsi, la demanderesse estime qu’eu égard aux circonstances de l'espèce et en vertu d'une lecture combinée des articles 6, paragraphe 1, et 10, alinéa 1er, de la loi du 23 octobre 2011, le Conseil de la concurrence aurait eu l'obligation de s'autosaisir dès lors qu'il avait connaissance d'une violation du droit de la concurrence, respectivement de retirer sa décision de classement et de mener une enquête sur la base de la plainte déposée, la demanderesse affirmant que le Conseil de la concurrence aurait d’ailleurs admis dans le mémoire en réponse de l’existence d’un risque réel et sérieux d’une violation du droit de la concurrence. La demanderesse donne encore à considérer que le Conseil de la concurrence ne pourrait pas se fonder sur son règlement intérieur pour justifier l'application du principe d'opportunité des poursuites et pour refuser une enquête à la suite de sa plainte dans la mesure où ce règlement intérieur serait basé sur des dispositions légales, en l'occurrence les articles 7, 25 et 26 de la loi du 23 octobre 2011, qui seraient contraires aux articles 26 et 32 de la Constitution, tout en soulevant la question préjudicielle de constitutionnalité suivante : « Les articles 7, 25 et 26 de la Loi du 23 octobre 2011 relative à la concurrence, telle que modifiée, sur la base desquels le Règlement intérieur du Conseil de la concurrence du 11 juin 2012 a été adopté, sont-ils conformes aux articles 26 et 32 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg, dès lors que la détermination des règles procédurales qui touchent à l'enquête et aux droits de la défense relève de la seule compétence de la loi et ne sauraient être déterminées par un règlement adopté par une autorité administrative indépendante ». A cet égard, la demanderesse se prévaut de l’opposition formelle du Conseil d’Etat au projet ayant donné lieu à la loi du 23 octobre 2011 et de l’exposé des motifs du projet de loi déposé le 1er octobre 2019 portant organisation de l’autorité nationale de concurrence.

33 La demanderesse affirme ensuite que le droit de l’Union européenne et, notamment le règlement CE n° 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE, désigné ci-après par « le règlement n° 773/2004 », ne constituerait pas non plus un fondement suffisant de l’opportunité des poursuites invoqué par la partie étatique, puisque les règles procédurales applicables devant une autorité nationale de concurrence seraient déterminées par le droit national et non pas par les dispositions de droit européen.

En conséquence, le Conseil de la concurrence n’aurait eu aucun fondement légal pour rejeter la plainte pour motifs insuffisants, mais aurait dû mener une enquête afin de vérifier si ses allégations sont fondées.

La demanderesse insiste ensuite sur la considération que sa plainte serait suffisamment fondée, tout en insistant sur l’importance d’un contrôle des concentrations et en affirmant qu’elle solliciterait un tel contrôle afin de faire vérifier si l'acquisition de la société D par le groupe B est susceptible de créer des distorsions de concurrence et, dans l'affirmative, que des engagements soient adoptés.

La demanderesse réitère encore son argumentation fondée sur l’application du contrôle ex post sur le fondement de l’arrêt Continental Can, en soulignant notamment que dans ledit arrêt la CJUE n’aurait pas mentionné que le contrôle ex post des concentrations ne serait admis que dans le seul cas des concentrations horizontales, tel que le soutiennent les parties tierces intéressées, une telle limitation de l'application du contrôle ex post revenant, suivant la demanderesse, à conférer une portée exagérément limitée à la jurisprudence Continental Can et à réduire l'effectivité des décisions de justice, cela d'autant plus que la pratique européenne du contrôle des concentrations concernerait à la fois les concentrations horizontales et non horizontales, c'est-à-dire verticales et conglomérales. S’y ajouterait que si les concentrations conglomérales ne pouvaient faire l'objet d'un contrôle ex post, les entreprises pourraient trouver des voies pour créer des concentrations qui nuisent à la libre concurrence sans que le Conseil de la concurrence n’ait la possibilité d'intervenir et de rendre une décision afin de mettre un terme aux effets négatifs pour la concurrence. Il s’ensuivrait que l'arrêt Continental Can pourrait parfaitement être appliqué à des concentrations conglomérales.

La demanderesse affirme ensuite qu’il serait erroné d'affirmer que le contrôle des concentrations ne serait pas applicable en l'espèce du fait que les trois conditions citées par les parties tierces intéressées par référence à l’arrêt Continental Can ne seraient pas remplies, en insistant sur la considération que ces conditions concerneraient la caractérisation de l'abus à l'issue du contrôle ex post de la concentration, mais ne conditionneraient pas l'exercice de ce contrôle en tant que tel. En effet, s'il était constaté que l'opération concernée remplit les trois conditions cumulatives en question, alors la concentration pourrait être interdite comme constituant un abus de position dominante, conclusion ne pouvant toutefois être tirée qu’à l'issue du contrôle ex post de l'opération.

Dans le même ordre d’idées, la demanderesse fait valoir que dans l’affaire Utopia, le Conseil de la concurrence aurait énoncé trois conditions cumulatives afin de caractériser l'abus de position dominante, mais qu’il ne les aurait pas énoncées pour effectuer le contrôle ex post.

34 Dès lors, l'opération de rachat litigieuse devrait faire l'objet d'un contrôle ex post des concentrations, contrôle qui aurait une fonction préventive en ce qu’il permettrait au Conseil de la concurrence de vérifier si la concentration concernée produit ou peut produire des effets anticoncurrentiels. Dans le cas où une concentration a ou peut avoir pour effet de renforcer une position dominante sur le marché concerné, cette situation demanderait une vigilance particulière étant donné que cette situation de force pourrait laisser place à d'éventuelles pratiques abusives. Dès lors, le Conseil de la concurrence aurait dû analyser l'opération de concentration et rendre une décision portant interdiction, autorisation sous conditions ou autorisation pure et simple de l'opération de concentration soumise à son contrôle.

La demanderesse est d’avis qu’en l’espèce, certaines pratiques mises en œuvre par les entreprises concernées « semblent » pouvoir être qualifiées d'abus de position dominante, de sorte que l’opération devrait faire l'objet soit d'une décision d’interdiction, en ce qu'elle produirait d’ores et déjà des effets anticoncurrentiels, soit d'une décision d’autorisation sous conditions, afin de prévenir la commission d'abus de position dominante, la demanderesse se référant, à cet égard, à un avis de l'autorité de la concurrence française quant aux types de conditions pouvant assortir la diversification des activités des entreprises concernées.

Par rapport aux considérations invoquées par les parties tierces intéressées quant à l’atteinte à la sécurité juridique d’un contrôle ex post, la demanderesse fait valoir qu’un tel contrôle serait justifié par la nécessité de protéger la concurrence, les entreprises concernées devant ainsi adopter un comportement vigilant afin de ne pas causer de préjudice à la concurrence et de s'assurer que leur comportement est conforme au droit de la concurrence.

S’agissant des enseignements à tirer de l’arrêt Continental Can, la demanderesse réitère qu’il en découlerait que le contrôle ex post serait applicable aussi bien à des concentrations horizontales qu'à des concentrations verticales ou conglomérales, tout en discutant les arguments présentés par les parties tierces intéressées quant à l’interprétation à donner à cet arrêt. La demanderesse réitère encore que les trois conditions cumulatives énoncées par le Conseil de la concurrence dans l’affaire Utopia ne concerneraient que la qualification de l'abus et non les conditions auxquelles est soumis le contrôle ex post des concentrations. L’argumentation des parties tierces intéressées sur la question de la sécurité juridique invoquée dans ce contexte serait dès lors non pertinente.

Toujours par rapport au reproche des incidences d’un contrôle ex post sur la sécurité juridique, la demanderesse fait valoir que les entreprises parties à une opération de concentration auraient la possibilité d'évaluer elles-mêmes si leur opération est conforme au droit de la concurrence étant donné que les pratiques anticoncurrentielles seraient prohibées au titre des articles 101 et 102 TFUE, et 3 et 5 de la loi du 23 octobre 2011, le Conseil de la concurrence ayant, par ailleurs, reconnu son pouvoir de contrôle ex post des concentrations des opérations ayant notamment pour effet de renforcer une position dominante. Les entreprises pourraient ainsi prévoir avec un degré de probabilité important si leur opération fera l'objet soit d'une interdiction pour violation du droit de la concurrence, soit d'une autorisation sous conditions, soit d'une autorisation sans conditions et ne pourraient ignorer que les opérations de concentration peuvent faire l'objet d'une telle mesure si un abus de position dominante est ou peut être caractérisé.

35 S’agissant de l’argumentation des parties tierces intéressées fondée sur la nécessité de procéder au contrôle dans un délai raisonnable d'une courte durée dans l'optique de diminuer l'incertitude juridique, la demanderesse donne à considérer qu’en l’espèce, le contrôle ex post de la concentration serait opéré dans un délai raisonnable pour intervenir dans un délai inférieur à 2 ans depuis la réalisation de l'opération.

Il s’ensuivrait que l'arrêt Continental Can serait applicable en l’espèce, son application n'étant, par ailleurs, pas source d'insécurité juridique.

Ensuite, pour ce qui de l’argumentation des parties tierces intéressées suivant laquelle il faudrait rapporter la preuve d’une pratique passée ou actuelle, la demanderesse fait valoir que l'article 102 TFUE serait appliqué dans le cadre d'un contrôle des concentrations, la finalité d'un tel contrôle ex post concernant des abus de position dominante potentiels étant de prévenir la mise en place de telles pratiques abusives, la demanderesse s’en référant à la jurisprudence européenne et notamment à un arrêt de la CJUE du 15 février 200515 et à un rapport du groupe de travail institué par le Conseil de la concurrence du 31 octobre 2016. Le caractère préventif du contrôle des concentrations permettrait dès lors à une entreprise de simplement alléguer des abus de position dominante potentiels résultant de l'examen de la concentration concernée.

S’y ajouterait que l'Etat aurait lui-même reconnu dans son mémoire en réponse que le Conseil de la concurrence partagerait ses inquiétudes légitimes au sujet des risques engendrés par l'opération en cause.

La demanderesse affirme encore que dans le cas où, à l'issue du contrôle ex post, le Conseil de la concurrence constaterait un abus de position dominante avéré, il devrait alors rendre une décision tendant à l'interdiction de la concentration, alors que s'il conclut que la concentration concernée pourrait aboutir à la réalisation d'un futur abus de position dominante, il devrait rendre une décision d'autorisation assortie de conditions. Ce serait dans ce dernier cas de figure que l'abus potentiel serait suffisant pour permettre au Conseil de la concurrence de rendre sa décision, sans avoir à constater l'existence même d'une infraction au droit de la concurrence.

La demanderesse donne encore à considérer que, contrairement à ce qui est avancé par les parties tierces intéressées, elle aurait dans sa requête introductive fourni plusieurs exemples précis de potentiels abus de position dominante, notamment en ce qui concerne l'utilisation croisée des bases de données, les ventes couplées, la barrière à l'entrée du marché, la limitation des risques financiers ainsi que les marchés publics, tout en se référant aux explications fournies sur le site internet de l'entreprise Cc, qui montrerait que la société D bénéficierait déjà des ressources de ses actionnaires directs et indirects.

L’argumentation des parties tierces intéressées fondée sur l’absence de mécanisme d'autorisation, d'avis ou d'intervention préventive du Conseil de la concurrence à l'égard de projets envisagés, serait inopérant en ce qu'il s'agirait en l’espèce d'un contrôle ex post et non d'un contrôle ex ante des concentrations et qu’il s’agirait de pratiques anticoncurrentielles potentielles et non de simples projets.

15 Affaire Commission c/ Tetra Laval, C-12/03.

36 Pour ce qui est de la condition énoncée par les parties tierces intéressées tenant à la démonstration d'une capacité d'éviction ou d'effets d'éviction anticoncurrentiels, la demanderesse affirme qu’une telle preuve serait rapportée dans le cadre des développements consacrés aux différents abus potentiels de position dominante, à savoir notamment (i) des abus dus à l'utilisation croisée des bases de données, l'entreprise B ayant en sa possession des informations lui permettant d'augmenter sa position et de se démarquer de la concurrence présente sur le marché de référence au sein duquel elle chercherait à se développer, (ii) des abus dus à des ventes couplées grâce à la notoriété du groupe B auprès des particuliers et des industriels, son importante clientèle, représentant un avantage indéniable dont bénéficierait la société D, qui pourrait profiter de la vente groupée pour évoluer beaucoup plus rapidement que ses concurrents sur son marché respectif, sans devoir affronter une concurrence par les mérites, (iii) des abus résultant de la publicité et de la stratégie de communication, la société D pouvant bénéficier de la notoriété de la société B en raison de la possible confusion pouvant naître dans l'esprit des consommateurs et (iv) un potentiel abus dû à l'attribution des marchés publics en ce que la société B pourrait écarter les concurrents de la société D des marchés publics concernés mais également en ce que l'Etat pourrait la privilégier lors de l'attribution de marchés publics, (v) des potentiels abus dus à une barrière à l'entrée du marché ainsi que (vi) une potentielle pratique abusive ressortant d'une limitation des risques financiers.

La demanderesse estime ainsi avoir démontré que les différents abus de position dominante potentiels invoqués manifesteraient une capacité d'éviction et créeraient des effets d'éviction anticoncurrentiels provenant de l'opération de concentration.

Elle réitère que, dans le cadre du contrôle ex post des concentrations, il serait suffisant de démontrer un potentiel abus de position dominante pour démontrer les risques sérieux que ferait peser l'opération sur la concurrence et ainsi justifier une décision d'interdiction ou d'autorisation sous conditions par le Conseil de la concurrence.

Enfin, la demanderesse prend plus amplement position sur l'analyse des marchés en cause et quant au reproche des parties tierces intéressées qu’elle aurait procédé à une mauvaise application de différentes législations, de même que quant à celui que certains abus potentiels ne pourraient se réaliser en raison de la législation existante sur le marché de l'électricité ou les marchés publics.

Tout en reconnaissant que les dispositions invoquées par les parties tierces intéressées prévoient une obligation de confidentialité, la demanderesse donne à considérer que celle-ci ne serait applicable qu'aux gestionnaires de réseau, aux propriétaires de réseau de transport ou d'un réseau industriel, mais non aux fournisseurs d'électricité, ce qui signifierait que la société C pourrait communiquer des informations relatives à ses clients à la société D, de telles informations étant, d’après la demanderesse, considérablement plus intéressantes pour la société D que les informations à la disposition de E.

S’agissant du reproche d’avoir ignoré le droit applicable aux marchés publics, qui empêcherait les sociétés C ou E de favoriser la société D lors de l'attribution d'un marché public, la demanderesse relève que l'existence d'une législation à elle seule serait insuffisante pour en empêcher des violations ou des abus de position dominante. Par ailleurs, la société D 37 serait confortablement située pour présenter des offres qui seraient les moins-disantes, puisqu'elle pourrait présenter des offres ayant une marge bénéficiaire limitée, surtout si on considère que les montants à payer resteraient au sein du même groupe d'entreprises au cas où il s'agit d'un marché public par les entreprises C ou E.

Dès lors, les abus potentiels soulevés dans la plainte et dans la requête introductive d’instance pourraient se réaliser sur les différents marchés en cause.

En ce qui concerne plus précisément les marchés en cause, la demanderesse souligne que si la société D était un des principaux acteurs sur les marchés déterminés, cette position jouerait un rôle inférieur dans la réalisation d'un abus de position dominante, étant donné que le risque d'un tel abus serait lié à la position dominante des sociétés C et E sur leurs marchés respectifs, ces sociétés pouvant, d’après la demanderesse, utiliser abusivement leur position dominante pour développer les activités de la société D et évincer ainsi les concurrents de celle-ci.

La demanderesse explique qu’en identifiant une dizaine de marchés distincts, elle aurait eu l'intention de présenter les marchés sur lesquels le groupe B pourrait réaliser des abus de position dominante par l'intermédiaire de sa filiale D.

L'objectif de sa plainte serait de pousser le Conseil de la concurrence vers un contrôle des concentrations afin de déterminer si l'acquisition de la société D par le groupe B pourrait mener à des abus de position dominante et, si tel est le cas, de demander des engagements garantissant aux concurrents de la société D qu'il n'y aura pas de distorsions de concurrence.

Dans leurs mémoires en duplique respectifs, l’Etat et les parties tierces intéressées concluent au rejet des moyens présentés par la demanderesse.

A cet égard, le délégué du gouvernement prend position plus amplement sur la question de la motivation de la décision du Conseil de la concurrence, de même que sur la question de l’opportunité des poursuites, en insistant, à cet égard, sur la considération que la décision de rejet litigieuse serait fondée non pas sur le règlement intérieur du Conseil de la concurrence, critiqué par la demanderesse, mais sur les faits rapportés dont l’examen aurait conduit le Conseil de la concurrence à conclure qu’il ne pourrait procéder à une enquête en l’absence d’éléments factuels suffisants, aucune disposition ne l’obligeant de mener une enquête en l’absence manifeste de motifs suffisants dans la plainte, tout en contestant avoir affirmé dans sa réponse qu’il y aurait des éléments permettant d’ouvrir une enquête.

Le délégué du gouvernement souligne encore que l’affirmation de la demanderesse que le Conseil de la concurrence devrait s’autosaisir malgré le rejet de la plainte dépasserait le cadre du présent recours, tout en insistant sur le fait que le Conseil de la concurrence pourrait entreprendre une procédure, via plainte ou auto-saisine, uniquement si des éléments concrets l'amènent à soupçonner une violation des articles 3 à 5 de la loi du 23 octobre 2011 ou 101 et 102 TFUE.

Enfin, le délégué du gouvernement insiste sur la considération que l’opération de concentration critiquée ne remplirait pas les conditions de l’arrêt Continental Can.

38 Les parties tierces intéressées, à leur tour, affirment, s’agissant des moyens d’ordre procédural présentés par la demanderesse, que le règlement intérieur du Conseil de la concurrence ne constituerait pas la base du refus de mener une enquête, de sorte que dans ce contexte, la question préjudicielle soulevée serait dénuée de fondement, tout en soulignant que la loi du 23 octobre 2011 ne prévoirait pas une obligation pour le Conseil de la concurrence d'ouvrir une enquête et d'adopter une décision définitive dans chaque affaire pour laquelle il est saisi et que le principe de l’opportunité des poursuites découlerait du droit de l’Union européenne, ce principe ayant été harmonisé dans la directive 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des Etats membre des moyens pour mettre en œuvre efficacement les règles de concurrence et pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, ci-après désignée par « la directive 2019/1 », certes non encore transposée en droit national, mais que le tribunal ne pourrait ignorer, celui-ci devant s’abstenir d’interpréter le droit interne d’une manière qui risquerait de compromettre sérieusement, après l’expiration du délai de transposition, la réalisation de l’objectif poursuivi par cette directive.

Les parties tierces intéressées relèvent, enfin, que, contrairement à ce qui est affirmé par la demanderesse, le Conseil de la concurrence n'aurait pas considéré dans son mémoire en réponse qu'il y avait des éléments qui permettraient d'ouvrir une enquête.

S’agissant des moyens de droit quant au fond présentés par la demanderesse, les parties tierces intéressées réitèrent que le principe général d'un contrôle ex post des concentrations ne serait pas acquis en droit luxembourgeois, un tel contrôle ex post n’étant envisageable au Luxembourg qu’au titre des articles 102 TFUE et 5 de la loi du 23 octobre 2011. Dans la mesure où un tel contrôle, sur le fondement de la jurisprudence Continental Can, consisterait exclusivement à examiner l'affectation de la structure concurrentielle du marché, ce type de contrôle ne pourrait porter que sur des concentrations horizontales, donc entre concurrents, et ne serait dès lors pas applicable en l'espèce, les parties tierces intéressées examinant, à cet égard, plus en avant la jurisprudence Continental Can et les conclusions qu’il conviendrait d’en tirer par rapport au présent cas, tout en insistant sur le contexte historique dans lequel cette jurisprudence s’était forgée. S’y ajouterait que la demanderesse n’aurait de toute manière pas rapporté la preuve de pratiques actuelles ou passées ayant une capacité d'éviction ou des effets d'éviction anticoncurrentiels, les parties tierces intéressées insistant sur le fait que, contrairement à ce qu’elle aurait avancé dans la requête introductive, la demanderesse n’affirmerait d’ailleurs désormais plus que les pratiques abusives alléguées seraient actuelles ou passées.

Appréciation du tribunal Remarques liminaires Force est de constater que le Conseil de la concurrence a examiné la plainte de la demanderesse sous deux angles, à savoir, d’une part, par rapport au reproche que l'acquisition du capital social de la société D en juillet 2018 par la société B présenterait des risques sérieux que ces sociétés adoptent plusieurs comportements abusifs, énumérés par la demanderesse et repris ci-avant, menant à une restriction de concurrence, et, d’autre part, par rapport au reproche que l'opération de concentration survenue entre les sociétés B et D porterait atteinte à une structure de concurrence effective et pourrait être qualifiée, à elle-

39 seule, d'abus de position dominante, la demanderesse s’étant prévalue, à cet égard, de la solution consacrée par la CJUE dans l’arrêt Continental Can.

Face à ces reproches, le Conseil de la concurrence a retenu que les articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 du TFUE ne lui permettent pas de se prononcer sur un abus de position dominante seulement potentiel, alors que seuls des éléments concrets constitutifs d'un éventuel abus de la part d'une entreprise en position dominante sur un marché déterminé pourraient justifier l'ouverture d'un dossier, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce.

En outre, il a retenu que bien qu’il ne dispose pas d'une compétence d'attribution pour opérer un contrôle des concentrations ex post, il pourrait contrôler et agir sur une opération de concentration de manière ex post sur le fondement des règles relatives aux abus de position dominante, par référence à sa décision dans l’affaire Utopia, elle-même s’appuyant sur la jurisprudence Continental Can, pour ensuite retenir qu’en l’espèce, à défaut de constat d’un abus, et cela peu importe la position détenue par la société B sur le ou les marchés en cause, une violation de la législation sur la concurrence ne pourrait être retenue, tout en relevant, par ailleurs, que, contrairement à l’affaire Continental Can invoquée par la demanderesse, la situation de l’espèce ne constituerait pas une concentration horizontale, donc entre concurrents agissant sur un même marché, les sociétés acquéreuses n’opérant pas sur le même marché que la société achetée, de sorte que le rachat de la société D n’aurait eu pour effet de placer ni les concurrents d’B, ni ceux de la société D dans une situation de dépendance économique.

Au-delà des reproches par rapport à l’opération d’acquisition de la société D, se recoupant en substance avec ceux présentés devant le Conseil de la concurrence et examinés par ce dernier, la demanderesse reproche, à l’appui de son recours, au Conseil de la concurrence d’avoir rejeté sa plainte sans avoir procédé à une enquête, tout en insistant sur la considération que le Conseil de la concurrence aurait l’obligation d’opérer un contrôle des concentrations ex post non seulement dans l’hypothèse de concentrations horizontales, mais également dans l’hypothèse de concentrations non horizontales, telles que, comme en l’espèce, de concentrations conglomérales et que, par ailleurs, pour qu’une violation des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE puisse être retenue, il serait suffisant de faire état d’un potentiel abus de position dominante pour démontrer les risques sérieux que ferait peser l'opération sur la concurrence et ainsi justifier une décision d'interdiction ou d'autorisation sous conditions par le Conseil de la concurrence, tout en affirmant que, de toute manière, elle aurait soumis au Conseil de la concurrence des éléments suffisants à cet égard.

Le tribunal relève que les moyens tels que présentés par la demanderesse au titre de la violation de la loi se déclinent autour, d’une part, le reproche d’une motivation lacunaire de la décision du Conseil de la concurrence, et, d’autre part, la question de l’existence et du bien-

fondé des motifs de refus.

Il convient de prime abord d’examiner le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs, pour ensuite examiner les moyens d’ordre procédural soulevés de part et d’autre, tournant autour de la question de la compétence du Conseil de la concurrence pour exercer un contrôle ex post d’une concentration et de celle de l’opportunité des poursuites, respectivement de celle d’une obligation éventuelle du Conseil de la concurrence de mener en toute hypothèse une enquête dans ce contexte. Enfin, il appartient au tribunal d’examiner le 40 bien-fondé de la décision du Conseil de la concurrence de rejeter la plainte de la demanderesse.

Toujours à titre liminaire et avant de procéder à l’examen de ces moyens, le tribunal relève, comme retenu ci-avant, qu’il statue en l’espèce en tant que juge de la réformation, le recours en réformation étant l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Dans le cadre d’un tel recours, le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, mais encore à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration16 et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration, indépendamment de la légalité de la décision déférée17.

Ce pouvoir se heurte toutefois à deux limitations.

D’une part, le juge de la réformation ne saurait dépasser son rôle de juge qui consiste à statuer par rapport à une espèce donnée. Il ne saurait, en particulier, étendre son contrôle de l’opportunité de manière à empiéter sur le terrain des choix de politique générale, en imposant à une matière des orientations qui dépassent le cadre d’une décision limitée à une espèce donnée18.

D’autre part, encore que le juge de la réformation est appelé à refaire une appréciation des éléments de fait et de droit avec effet au jour où il statue, démarche comportant le pouvoir de substituer en définitive sa décision à celle de l’autorité administrative, il n’en reste pas moins qu’également le juge de la réformation ne statue que dans la limite des moyens utilement produits devant lui19, et pour autant qu’ils se rattachent à la décision qui fait l’objet du recours. Plus particulièrement, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs spécifiques à l’acte déféré, mais son rôle ne consiste pas à procéder indépendamment des moyens à un réexamen général et global de la situation de l’administré.

Il convient toutefois encore de tenir compte de la particularité de la présente matière, en ce que la procédure contentieuse devant le tribunal administratif est précédée d’une procédure devant respecter le principe du contradictoire20, en l’occurrence, le cas échéant, d’une procédure d’instruction suivie d’une audition contradictoire devant le Conseil de la concurrence, menant à une décision susceptible de prononcer une sanction administrative à l’encontre de l’entreprise dont la pratique commerciale est incriminée. Tant la Cour 16 Cour adm. 23 novembre 2010, n° 26851C, Pas. adm. 2020, V° Recours en réformation, n° 12.

17 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C, ibidem.

18 Trib. adm.12 juillet 2000, n° 11322, Pas. adm. 2020, V° Recours en réformation, n° 30.

19 Cour adm. 12 juillet 2007, n° 22717C, Pas. adm. 2020, V° Recours en réformation, n° 20.

20 L’article 11 de la loi du 23 octobre 2011 imposent que la décision du Conseil de la concurrence est prise « dans le cadre d’une procédure contradictoire ».

41 européenne des droits de l’homme21 que la CJUE22 reconnaissent l’applicabilité au droit de la concurrence du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 de la CEDH, dont l’une des garanties est le droit au respect du contradictoire, applicabilité d’ailleurs rappelée dans l’exposé des motifs du projet de loi à la base de la loi du 23 octobre 201123. S’agissant d’une procédure susceptible de déboucher sur une sanction administrative, qui a à la fois un caractère préventif et punitif et vu l’importance des peines pécuniaires susceptibles d’être prononcées, le respect des garanties inhérentes à l’article 6 de la CEDH est d’autant plus important.

Dès lors, encore que le tribunal statue en la présente matière en tant que juge de la réformation, amené en principe à prendre en considération la situation de fait et de droit existant au moment où il statue, il ne saurait, eu égard à la particularité de la présente matière, susceptible, ainsi que relevé ci-avant, d’engendrer des sanctions ou mesures lourdes de conséquences pour les entreprises concernées par la plainte et eu égard à la nécessité du respect du droit à un procès équitable dans ce contexte, prendre en considération que les faits qui étaient dans les débats au moment où le Conseil de la concurrence a statué, à l’exclusion de faits survenus postérieurement, respectivement non invoqués ou discutés devant le Conseil de la concurrence24. A l’instar du juge pénal qui, étant saisi in rem, ne saurait faire entrer dans les débats des faits ne se trouvant pas dans l’acte de saisine25, le tribunal administratif ne peut retenir des griefs autres que ceux discutés devant le Conseil de la concurrence et ayant fait l’objet d’une instruction et de débats contradictoires, au risque de priver l’entreprise dont la pratique commerciale est incriminée non seulement de la possibilité de faire valoir ses moyens et de se défendre à un stade précontentieux, mais encore d’un degré de juridiction, ceci en violation des principes consacrés par l’article 6 de la CEDH26.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, les éléments nouveaux que la demanderesse a invoqués pour la première fois au cours de la présente instance et liés à des marchés publics auxquels la société D a participé, ne sauraient être pris en compte par le tribunal dans son analyse, la demanderesse restant libre de saisir, si elle l’estime opportun, le Conseil de la concurrence de nouveaux faits si elle estime qu’ils sont contraires à la législation sur la concurrence.

21 Affaire Fortum Oil and Gas Oy c. Finlande du 12 novembre 2002, à propos d’une amende prononcée pour abus de position dominante; Thomas Bombois, « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la concurrence », n°36 et suivants, éditions Larcier.

22 Affaire Baustahlgewebe GmbH c. Commission du 17 décembre 1998, ayant appliqué le droit à un procès équitable en tant que principe général de droit communautaire s’inspirant de l’article 6 de la CEDH dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission infligeant à une entreprise des amendes pour violation du droit de la concurrence. ; Limburgse Vinyl Maatschappij c. Commission du 15 octobre 2002, reconnaissant aux entreprises poursuivies pour infraction au droit européen de la concurrence la faculté d’invoquer les droits de la défense tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 de la CEDH ; Der Grüne Punkt-

Duales System Deutschland c. Commission du 16 juillet 2009, C-385, ayant confirmé, à propos d’un moyen tiré d’un dépassement du délai raisonnable, l’applicabilité du droit à un procès équitable en tant que principe général du droit communautaire au droit de la concurrence, tout en se référant également à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; Thomas Bombois, « La Protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la concurrence », n° 96 et suivants.

23 Doc. parl. n° 5816, exposé des motifs et annexe 1.

24 En ce sens à propos de la question d’une reformation in pejus: Trib. adm. 21 novembre 2016, n° 35847a du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en réformation, n° 29.

25 Henri D. Bosly, « Elements de procédure pénale », p. 178.

26 Trib. adm. 21 novembre 2016, n° 35847a, précité.

42 D’autre part, dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, le tribunal statue uniquement par rapport à la décision du Conseil de la concurrence du 15 mars 2019 déférée et cela dans la limite des moyens présentés par les parties par rapport à cette décision, il n’a pas à répondre aux moyens de la demanderesse tournant autour de la question de savoir si le Conseil de la concurrence devrait, face aux éléments nouveaux qu’elle invoque et qui, d’après elle, constitueraient des abus, s’autosaisir après avoir été dessaisi par la prise de la décision du 15 mars 2019, cette question dépassant le cadre du présent recours.

C’est sur cette toile de fond que le tribunal examinera la décision lui déférée par rapport aux moyens développés.

Quant au moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, non expressément invoqué par la demanderesse, mais auquel le moyen tel que présenté peut en substance être rattaché, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, notamment lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

En l’espèce, au-delà du constat que la décision litigieuse du Conseil de la concurrence est à suffisance de droit motivée par l’indication des éléments de fait et de droit à sa base, étant relevé qu’il suffit, pour répondre aux exigences d’indication formelle des motifs, que cette indication soit sommaire, le tribunal relève que de toute façon, un défaut d’indication des motifs n’entraîne pas ipso facto l’annulation de la décision, mais que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours, la décision restant a priori valable et l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois à la phase contentieuse27.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs est rejeté, cette conclusion n’affectant toutefois pas la question du bien-fondé de ces motifs, examen qui sera fait ci-après, étant relevé que les contestations de la demanderesse se rattachent en réalité davantage à la question de l’existence des motifs et de leur bien-fondé.

Quant à la compétence du Conseil de la concurrence d’opérer un contrôle ex post de la concentration critiquée en l’espèce Force est de constater, à l’instar de l’Etat et des parties tierces intéressées, que le droit national luxembourgeois n’a pas instauré un régime autonome du contrôle des concentrations, que ce soit ex ante ou ex post, étant relevé que la demanderesse admet que la concentration litigieuse n’est pas susceptible de tomber dans le champ d’application du règlement CE 139/2004.

27 Cour adm. 20 octobre 2009, n°25738C du rôle, Pas. adm. 2020, Procédure non contentieuse, n° 90.

43 En effet, la loi du 23 octobre 2011 prévoit uniquement, à travers son article 328, une interdiction des ententes et, à travers son article 529, une interdiction des abus de positions dominantes, ces dispositions reprenant en substance les termes des articles 101 et 102 TFUE (anciens articles 81 et 82 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE)), dont l’application est subordonnée à la condition que le commerce communautaire soit affecté.

A défaut par le législateur d’avoir prévu un contrôle autonome des concentrations, plus particulièrement a posteriori qui serait purement préventif, tel que la demanderesse l’entend faire opérer en l’espèce, le Conseil de la concurrence n’a aucune compétence d’attribution d’opérer un tel contrôle, tel que le Conseil de la concurrence l’a d’ailleurs à juste titre relevé en l’espèce sous le considérant numéro 20 de sa décision.

Ce n’est qu’à travers un contrôle du respect des dispositions des articles 3 à 5 de la loi du 23 octobre 2011, respectivement 101 et 102 TFUE, dont il est chargé de veiller à l’application par l’article 6 de la même loi30, que le Conseil de la concurrence peut opérer, de façon incidente lorsqu’il est saisi suivant les modalités de l’article 10 de la même loi, à savoir soit d’office, soit à la demande de toute personne physique ou morale faisant valoir un intérêt légitime, soit à la demande du ministre 31, un contrôle des concentrations. Dans cette optique, ce sont les articles 5 et 102 TFUE, - l’application de l’article 102 TFUE, pertinent dans 28 Article 3 : « Les accords, décisions ou pratiques concertées interdits en vertu de dispositions du présent article sont nuls de plein droit.

Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché et notamment ceux qui consistent à:

1) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transactions;

2) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements;

3) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement;

4) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

5) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation par les partenaires de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. ».

29 Article 5 : « Est interdit le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:

1) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables;

2) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs;

3) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

4) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation par les partenaires de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. ».

30 Article 6, intitulé « Missions, compétences et pouvoirs du Conseil » : « (1) Le Conseil de la concurrence, ci-

après dénommé « Conseil », est une autorité administrative indépendante, chargée de veiller à l’application des articles 3 à 5 de la présente loi.

(2) Le Conseil a la compétence pour appliquer les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après dénommé « le Traité ». […] » 31 Article 10 : « En toutes matières, le Conseil peut intervenir de sa propre initiative ou à la demande de toute personne physique ou morale faisant valoir un intérêt légitime ou à la demande du ministre.

En matière de violations des articles 3 à 5 de la présente loi ou des articles 101 et 102 du Traité, il est saisi sans formes. Toutefois, l’acte de saisine devra contenir une description détaillée du fait dénoncé et tous les éléments de son existence présumée qui sont à la disposition de l’auteur de la saisine. Le Conseil accuse en tout état de cause réception des plaintes qui lui sont adressées. », 44 l’hypothèse où le commerce entre Etats membres est susceptible d’être affecté, n’étant pas remise en cause par les parties à l’instance -, visant les abus de position dominante qui sont susceptibles d’être pertinents dans le contexte d’une concentration pouvant naître du fait de l’acquisition d’une entreprise.

S’agissant de l’étendue du contrôle pouvant être opéré par le Conseil de la concurrence sur le fondement de ces dispositions, le tribunal retient de prime abord que, compte tenu des considérations qui précèdent, ce contrôle ne saurait, sous peine de dépasser les pouvoirs que la loi du 23 octobre 2011 confère au Conseil de la concurrence, porter de manière purement et exclusivement préventive sur une opération de concentration et cela à défaut de tout élément factuel susceptible d’être rattaché à une violation des dispositions dont le législateur lui a confié la mission de veiller à l’application, un tel contrôle revenant, en effet, en substance à opérer un contrôle ex post autonome des concentrations, justement non prévu par le législateur luxembourgeois.

Le Conseil de la concurrence doit dès lors être saisi d’éléments factuels concrets susceptibles d’être qualifiés de violation des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011, respectivement 102 TFUE.

A cet égard, le tribunal relève que la question de l’instauration d’un contrôle des concentrations ex post purement préventif, indépendamment de tout fait concret susceptible d’être qualifié d’infraction à la législation en matière de concurrence, comme semble l’entendre la demanderesse, relève d’un choix politique du législateur, choix dont le tribunal n’a pas à apprécier l’opportunité. A défaut par le législateur d’avoir prévu un tel contrôle, il n’appartient pas non plus au tribunal, ni d’ailleurs au Conseil de la concurrence, de l’instaurer par voie de création jurisprudentielle en se substituant au législateur32, une telle approche constituant indéniablement une ingérence, non admise, par le tribunal dans les attributions du législateur.

Se pose toutefois encore la question de savoir si, le cas échéant, la seule acquisition de la société D par la société B est susceptible d’être qualifiée de violation des dispositions des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011, respectivement 102 TFUE, question que le tribunal examinera ci-après, cet examen impliquant plus particulièrement celui des obligations du Conseil de la concurrence dans ce contexte lorsqu’il est saisi d’une plainte.

Quant au reproche que le Conseil de la concurrence aurait dû mener une enquête En l’espèce, le Conseil de la concurrence a retenu que les éléments lui soumis sont manifestement insuffisants pour qu’une enquête ait dû être déclenchée, la partie étatique, rejointe sur ce point par les parties tierces intéressées, justifiant cette approche par le principe de l’opportunité des poursuites, alors que la demanderesse estime que le Conseil de la concurrence aurait été obligé de procéder à une instruction en toute hypothèse.

Le tribunal relève, tel que les parties tierces intéressées l’ont souligné dans leur duplique, que les reproches de la demanderesse partent du postulat qu'il existerait en droit 32 En ce sens : Cour adm. 13 juillet 2006, n° 21143C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Lois et règlements, n° 151 et les autres références y citées.

45 luxembourgeois un principe général de contrôle ex post des concentrations, ce postulat sous-

tendant l'ensemble du raisonnement de la demanderesse, qui considère ainsi qu'un contrôle ex post s'appliquerait, par principe, indistinctement à tout type de concentration, au regard du seul constat d’un abus potentiel résultant de la concentration, et cela indépendamment d'une violation concrète et réalisée de dispositions légales et conventionnelles.

Or, tel que le tribunal vient de le retenir, la loi du 23 octobre 2011 ne constitue justement pas une base légale suffisante permettant au Conseil de la concurrence d’opérer de manière autonome un contrôle des concentrations purement préventif, indépendamment de tout fait susceptible d’être qualifié de violation des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE.

En conséquence, le Conseil de la concurrence n’avait pas l’obligation de mener une enquête sous ce seul aspect de la nécessité, alléguée par la demanderesse, d’opérer un contrôle purement préventif.

Ensuite, sous l’aspect du contrôle d’une violation des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE, se pose encore la question de savoir si, de manière générale, lorsqu’il est saisi d’une plainte, le Conseil de la concurrence doit en toute hypothèse mener une instruction ou s’il dispose d’une certaine latitude pour rejeter, après un premier examen sommaire des reproches lui soumis, une plainte sur base du seul constat de faits insuffisants, et plus loin, celle de savoir si, en l’espèce, confronté aux éléments lui soumis par la demanderesse, il pouvait sans violer la loi ni d’ailleurs commettre une erreur d’appréciation, rejeter la plainte au motif que les éléments soumis sont manifestement insuffisants.

Il est certes vrai, tel que la demanderesse le relève, que le principe de l’opportunité des poursuites n’est pas expressis verbis ancré dans la loi du 23 octobre 2011.

De l’autre côté, le tribunal relève que la loi du 23 octobre 2011 ne contient pas non plus de disposition qui obligerait le Conseil de la concurrence de procéder à des mesures d’instruction en toute hypothèse, la loi lui conférant uniquement un certain nombre d’outils33 dont il peut user dans le cadre d’une procédure contradictoire34 pour mener une enquête, sans qu’il ne se dégage des dispositions de la loi du 23 octobre 2011 que le Conseil de la concurrence ait en toute hypothèse l’obligation de mener une enquête en usant de ces divers moyens d’instruction.

Sachant que le Conseil de la concurrence est, en vertu de l’article 6, paragraphes (1) et (2) de la loi du 23 octobre 2011, chargé de veiller à l’application des article 3 à 5 de la même loi et peut également appliquer les articles 101 et 102 TFUE et qu’il dispose, conformément au paragraphe (5) du même article 6, pour l’exécution de ses missions du pouvoir de rechercher et de sanctionner, d’office ou sur plainte, des violations aux articles 3 à 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 101 et 102 TFUE, l’exercice de ses missions s’inscrit nécessairement dans le contexte d’une violation de ces dispositions, ce qui suppose qu’il doit être saisi d’une plainte sur base de faits concrets35. Or, une plainte qui ne contient manifestement aucun fait 33 plus amplement décrits sous la section II, intitulée « Pouvoirs d’enquête ».

34 Article 11 de la loi du 23 octobre 2011.

35 L’article 10 de la loi du 23 octobre 2011 requérant une description détaillée du fait dénoncé.

46 susceptible de répondre à la qualification d’abus de position dominante ou d’une autre violation des dispositions dont le Conseil de la concurrence est chargé de veiller au respect, ne peut qu’être rejetée et cela sans qu’une enquête ne soit nécessaire, une telle mesure étant alors surabondante. Une plainte ne peut, en effet, pas avoir exclusivement un objet purement inquisitoire en ce sens que les faits qui caractérisent une violation des articles 3 à 5 de la loi du 23 octobre 2011, respectivement 101 et 102 TFUE n’apparaîtraient qu’à travers une enquête à mener par le Conseil de la concurrence.

Dès lors, la conclusion s’impose que si le principe de l’opportunité des poursuites n’est pas formellement inscrit dans la loi, il découle néanmoins implicitement, mais nécessairement de l’esprit des dispositions de la loi du 23 octobre 2011.

Le tribunal est dès lors amené à retenir que le Conseil de la concurrence n’est pas en toute hypothèse obligé de mener une enquête, mais qu’il a le pouvoir de rejeter une plainte sur base du seul constat que les éléments lui soumis sont manifestement insuffisants pour être susceptibles de constituer une atteinte aux articles 3 à 5 de la loi du 23 octobre 2011, respectivement 101 et 102 TFUE, sous réserve de l’obligation du Conseil de la concurrence de motiver sa décision.

Cette conclusion n’est pas infirmée par la référence faite par la demanderesse à l’article 6 de la loi du 23 octobre 2011, qui ne fait que décrire les missions et pouvoirs du Conseil de la concurrence et de consacrer son indépendance, mais qui ne permet pas de retenir dans son chef une obligation de mener une enquête en toute hypothèse. Bien au contraire, le fait que le Conseil de la Concurrence est institué en tant qu’autorité administrative indépendante confirme que celui-ci est libre d’exercer la mission lui confiée par la loi, en respectant la procédure décrite par la loi, qui justement ne prévoit aucune obligation de mener en toute hypothèse une enquête, mais uniquement une faculté.

Le reproche suivant lequel le Conseil de la concurrence aurait en toute hypothèse automatiquement dû procéder à une enquête est dès lors à rejeter, sans que le tribunal n’ait à prendre position sur le moyen d’inconstitutionnalité invoqué par la demanderesse et la question préjudicielle posée dans ce contexte, cet examen devenant surabondant dans la mesure où la conclusion retenue par le tribunal s’impose sur base des dispositions de la loi du 23 octobre 2011, qui elles seules permettent de retenir que le Conseil de la concurrence n’est pas en toute hypothèse obligé de mener une enquête et cela indépendamment de la question de la conformité du règlement intérieur du Conseil de la concurrence, ensemble les articles 7, 25 et 26 de la loi du 23 octobre 2011, à la Constitution.

La question pertinente qui se pose toutefois en l’espèce est celle de savoir si le Conseil de la concurrence a, à leur juste mesure, apprécié les faits lui soumis en l’espèce et pouvait ainsi qualifier la plainte comme étant manifestement non fondée et partant la rejeter sans procéder à des mesures d’instruction, ce qui amène le tribunal à l’examen des motifs avancés pour justifier le caractère manifestement non fondé de la plainte.

Quant au bien-fondé des motifs de rejet de la plainte Tel que cela a été retenu ci-avant, le Conseil de la concurrence a rejeté la plainte comme manifestement non fondée au motif, d’une part, que les articles 5 de la loi du 23 47 octobre 2011 et 102 du TFUE ne lui permettent pas de se prononcer sur un abus de position dominante seulement potentiel, alors que seuls des éléments concrets constitutifs d'un éventuel abus de la part d'une entreprise en position dominante sur un marché déterminé pourraient justifier l'ouverture d'un dossier, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce. Il a, d’autre part, retenu, par rapport à l’acquisition par la société B de la société D en tant que telle, qu’à défaut de constat d’un abus, et cela peu importe la positon détenue par la société B sur le ou les marchés en cause, une violation de la législation sur la concurrence ne pourrait être retenue du fait du seul achat, tout en relevant, par ailleurs, qu’à défaut de constituer une concentration horizontale, le rachat de la société D n’aurait eu pour effet de placer ni les concurrents d’B, ni ceux de la société D dans une situation de dépendance économique.

Aux termes de l’article 5 de la loi du 23 octobre 2011, reprenant en substance les termes de l’article 102 TFUE dont l’applicabilité en l’espèce n’est, tel que relevé ci-avant, pas contestée :

« Est interdit le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:

1) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables;

2) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs;

3) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

4) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation par les partenaires de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. ».

Aux termes de l’article 10 de la loi du 23 octobre 2011 : « L’acte de saisine devra contenir une description détaillée du fait dénoncé et tous les éléments de son existence présumée qui sont à la disposition de l’auteur de la saisine ».

Le tribunal relève de prime abord, au regard des principes retenus ci-avant, que le caractère manifestement fondé ou non fondé d’une plainte doit nécessairement être apprécié au regard des conditions de la qualification d’un abus de position dominante au sens des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE.

A cet égard, la demanderesse n’est pas fondée à reprocher à la partie étatique et aux parties tierces intéressées de faire une confusion entre le principe d’un contrôle ex post et les conditions de la qualification d’un abus de position dominante dans la mesure où, tel que retenu ci-avant, une plainte qui ne contient manifestement aucun fait susceptible de répondre à la qualification d’abus de position dominante ne peut qu’être rejetée, un tel contrôle se confondant, en effet, avec un contrôle ex post autonome, justement non prévu en droit national luxembourgeois.

Les parties à l’instance sont en désaccord sur la question de savoir quels faits sont susceptibles d’être qualifiés d’abus de position dominante dans le contexte d’une acquisition d’une entreprise par une autre, la demanderesse estimant que le seul fait de la concentration, 48 même à défaut de toute preuve d’un fait avéré autre que la concentration, serait suffisant, en appuyant sa thèse sur l’arrêt Continental Can, alors que l’Etat, rejoint par les parties tierces intéressées, fait valoir que dans le contexte de l’acquisition d’une entreprise par une entreprise ayant une position dominante, un abus de position dominante ne pourrait être retenu que dans l’hypothèse (i) de la reprise d’une entreprise concurrente, partant dans l’hypothèse d’une concentration horizontale, et (ii) en présence d’un comportement avéré, partant en cas de preuve d'une pratique passée ou actuelle qui (iii) doit éliminer la concurrence effective ou potentielle, ayant partant des effets actuels ou potentiels d'éviction anticoncurrentielle.

Force est de constater qu’en l’espèce, le seul fait concret dont le Conseil de la concurrence était saisi est le rachat, non contesté, de la société D par la société B. Au-delà de ce fait, les reproches de la demanderesse se résument à des simples hypothèses et partant à des craintes de violations seulement potentielles et non encore avérées des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE, étant relevé que (i) la terminologie employée par la demanderesse dans sa requête introductive d’instance confirme le caractère seulement hypothétique des abus allégués en ce que pour l’ensemble des marchés mentionnés par elle comme étant pertinents, elle affirme que la société D « semble[rait] détenir une puissance considérable, voire une position dominante », serait « en mesure d’obtenir un monopole », « pourra développer une puissance considérable, voire obtenir une position dominante », « dispose[rait] d’une puissance considérable, voire d’une position dominante », voire « risque[rait] de développer une position dominante », et (ii) la demanderesse a insisté elle-

même dans sa réplique et en termes de plaidoiries à l’audience des plaidoiries qu’elle estime qu’un abus de position seulement potentiel du fait d’une concentration par l’acquisition par une entreprise dominante sur un marché d’une entreprise non concurrente serait suffisant pour retenir la qualification d’abus de position dominante, l’argumentation de la demanderesse reposant, en substance, sur la prémisse qu’une telle acquisition constituerait per se une violation des articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE pour être susceptible de créer une distorsion de concurrence.

Le tribunal rejoint de prime abord la conclusion retenue par le Conseil de la concurrence que l’invocation d’abus uniquement potentiels futurs est insuffisante pour retenir la qualification d’abus de position dominante. Tel que relevé ci-avant, il se dégage de l’esprit de la loi du 23 octobre 2011 que le Conseil de la concurrence doit nécessairement être saisi de faits concrets. Dès lors, il peut, et cela sans être obligé de diligenter une enquête, tel que retenu ci-avant, rejeter comme manifestement infondée une plainte qui s’appuie exclusivement sur des suppositions d’abus futurs, non encore avérés, partant sur base de la seule crainte d’abus hypothétiques, ni l’article 5 de la loi du 23 octobre 2011, ni l’article 102 TFUE, ni la jurisprudence communautaire à propos de l’application des articles 101 et 102 TFUE, ni encore la pratique de la Commission ne permettant d’avaliser la thèse de la demanderesse.

D’autre part, le tribunal est amené à retenir que ni l’article 5 de la loi du 23 octobre 2011, ni l’article 102 TFUE, ni la jurisprudence communautaire à propos de l’application des articles 101 et 102 TFUE, ni encore la pratique de la Commission ne permettent de retenir qu’un abus de position dominante est vérifié ipso facto du seul fait qu’une entreprise en position dominante acquiert une entreprise non concurrente, à défaut de fait avéré susceptible d’être qualifié d’abus.

49 S’il est vrai que la jurisprudence communautaire admet que l’acquisition par une entreprise en position dominante d’un concurrent peut constituer un abus de position dominante36, et que le TUE a retenu dans l’affaire General Electric37 dans le contexte d’un contrôle ex ante sur le fondement du règlement modifié (CEE) nº 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, que même des concentrations conglomérales peuvent avoir un effet anticoncurrentiel38, la CJUE ayant pareillement rappelé dans l’affaire Tetra Pak du 14 novembre 1996 que la qualification de l’abus peut être retenue même si le comportement incriminé produit ses effets sur des marchés autres que les marchés dominés, il ne saurait en être déduit, tel que le soutient la demanderesse, que tel devrait nécessairement et automatiquement être le cas pour toute acquisition et plus particulièrement en cas d’acquisition d’une entreprise non concurrente, partant comme en l’espèce dans une situation de concentration non horizontale. Cette analyse de la demanderesse repose sur une présomption d’un abus de position en toute hypothèse de concentration, même entre non concurrents, conclusion que les jurisprudences invoquées par elle et plus particulièrement l’arrêt Continental Can ne permettent toutefois pas de tirer.

A cet égard, le tribunal relève de prime abord que dans l’affaire Continental Can, la CJUE était saisie d’une hypothèse de concentration horizontale, de sorte que nécessairement les conclusions tirées par elle dans cette affaire visent cette même hypothèse de l’acquisition par une entreprise en position dominante d’un concurrent et ne sauraient être transposées ipso facto à toute acquisition par une entreprise en position dominante, les termes dudit arrêt ne permettant en tout cas pas de tirer une telle conclusion, étant relevé que dans l’affaire EDP, invoquée par les parties à l’instance, le TUE a expressément, par référence à l’arrêt Continental Can, mentionné l’hypothèse de « l’acquisition d’un concurrent »39.

Pareillement, tel que relevé dans la Communication de 2009, il n’est pas illégal en soi pour une entreprise d’occuper une position dominante, encore qu’il est admis en jurisprudence qu’il lui incombe toutefois une responsabilité particulière de ne pas porter 36 Affaire Continental Can, considérant n° 26 : « […] est dès lors susceptible de constituer un abus le fait, par une entreprise en position dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante »; TUE du 21 septembre 2005 (affaire EDP c/ Commission), considérant n° 47 : « […] le fait, pour une entreprise en position dominante, de renforcer cette position par l’acquisition d’un concurrent, au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, est susceptible de constituer un abus de position dominante » ; affaire Tetra Laval.

37 Arrêt du 14 décembre 2005, n° 210/01.

38 Considérant n° 65 : « Les concentrations de type conglomérat sont celles qui n'entraînent pas de chevauchements horizontaux entre les activités des parties à la concentration ni de relations verticales entre ces parties au sens strict. Même si, d'une manière générale, de telles concentrations ne produisent pas des effets anticoncurrentiels, elles peuvent toutefois avoir de tels effets dans certains cas (arrêt Tetra Laval/ II- 5616 GENERAL ELECTRIC / COMMISSION Commission, point 58 supra, point 142). Dans le cadre d'une analyse prospective des effets d'une concentration de type conglomérat, si la Commission est en mesure de conclure, en raison des effets de conglomérat, qu'une position dominante serait, selon toute vraisemblance, créée ou renforcée dans un avenir relativement proche et aurait comme conséquence que la concurrence effective sur le marché concerné serait entravée de manière significative du fait de l'opération, elle se doit d'interdire cette concentration (arrêt Tetra Laval/Commission, point 58 supra, point 153, et la jurisprudence citée). ».

39 Considérant n° 47.

50 atteinte par son comportement à une concurrence effective40.

Il se dégage encore de la jurisprudence Continental Can, suivie par la suite par le tribunal de l’Union européenne dans l’affaire EDP, que le renforcement de la position dominante en soi ne suffit pas pour retenir la qualification d’un abus, mais qu’il faut en plus que « le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante »41.

La CJUE a pareillement relevé dans l’affaire Tetra Pak42 que « seules des circonstances particulières peuvent justifier une application de l'article 86 à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché »43.

Il en découle, tel que cela a été retenu à juste titre par le Conseil de la concurrence, que c’est la qualification de l’abus qui est déterminante, qui elle, présuppose, au-delà du comportement avéré consistant en l’occurrence dans le fait par la société B d’avoir racheté la société D - seul fait avéré invoqué en l’espèce -, la preuve d’effets actuels ou potentiels d'éviction anticoncurrentielle, la CJUE ayant dans l’affaire Continental Can requis que le degré de domination atteint à la suite de la concentration (i) entrave substantiellement la concurrence, (ii) élimine pratiquement la concurrence effective ou potentielle, et (iii) empêche les compétiteurs résiduels de constituer un contrepoids suffisant.

Cette analyse rejoint la jurisprudence communautaire de même que la pratique administrative de la Commission, qui préconise une analyse par les effets, par opposition à une violation per se des règles en matière de concurrence.

Ainsi, il se dégage de la Communication de la Commission de 2009 que la Commission adopte clairement une approche économique, orientée vers l’analyse des effets des pratiques incriminées, la Commission soulignant qu’elle oriente son action en veillant à ce que les marchés fonctionnent convenablement et à ce que les consommateurs profitent de l’efficacité et de la productivité résultant d’une concurrence effective entre les entreprises44, et que l’important est de protéger l’exercice d’une concurrence effective et non de protéger simplement les concurrents45.

De manière générale, il se dégage de la Communication que la Commission préconise une analyse des effets des diverses pratiques et permet aussi à l’entreprise en position 40 Communication de 2009, n° 1 ; arrêt de la CJUE du 9 novembre 1983, affaire Michelin c/ Commission n° C-

322/81 ; Post Danmark, considérants n° 21 et 23.

41 Arrêt Continental Can, considérant n° 26.

42 Arrêt du 14 novembre 1996, affaire n° C-333/94.

43 Considérant n° 27 : « Il est exact que l'application de l'article 86 [du TUE] présuppose l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif, qui n'est normalement pas présent lorsqu'un comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même marché.

S'agissant de marchés distincts, mais connexes, comme dans le cas d'espèce, seules des circonstances particulières peuvent justifier une application de l'article 86 à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché. ».

44 Point 5 de la Communication de la Commission.

45 Ibidem, point 6.

51 dominante de fournir la preuve de gains d’efficacité et des effets bénéfiques pour les consommateurs.

Il se dégage ainsi clairement de la Communication de 2009 que les interdictions découlant de l’article 102 TFUE ne constituent pas une fin en soi et ne visent pas à protéger même les concurrents qui sont inefficaces contre la concurrence, mais qu’elles tendent essentiellement à assurer le fonctionnement convenable des marchés dans l’intérêt du consommateur, d’où l’importance d’un examen des effets concrets d’une pratique.

Ensuite, l’examen de la jurisprudence européenne récente amène au constat que la CJUE, respectivement le tribunal de l’Union européenne ont une certaine tendance à n’adopter une approche de l’abus per se que dans des rares hypothèses, mais ont davantage tendance à adopter une approche impliquant l’examen des effets de la pratique en question, partant également une approche plus économique, à l’instar de la Commission, tel que cela se dégage de l’arrêt Post Danmark I du 27 mars 201246 ou encore d’un arrêt dit Post Danmark II.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et cela même indépendamment de la question discutée entre parties si seule une concentration horizontale est susceptible d’être visée par les articles 5 de la loi du 23 octobre 2011 et 102 TFUE ou si tel peut aussi être le cas dans l’hypothèse d’une concentration conglomérale, qu’il est en toute hypothèse requis que soit caractérisé un abus ayant des effets anticoncurrentiels répondant aux critères sus énoncés de la jurisprudence communautaire et plus particulièrement de la jurisprudence Continental Can, qui requiert un degré de dominance tel qu’il ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes de l’entreprise dominante et éliminant ainsi pratiquement la concurrence effective ou potentielle. Or, une telle preuve n’étant pas rapportée en l’espèce, la demanderesse n’ayant pas fait état d’effets d’éviction anticoncurrentiels concrets que ce soit sur le ou les marché(s) sur le(s)quel(s) opère la société B, ou celui ou ceux sur le(s)quel(s) opère la société D. La demanderesse n’a en l’occurrence invoqué aucun fait concret permettant de retenir que l’acquisition litigieuse ait eu pour effet ou voire même risquerait de placer les entreprises concurrentes des sociétés B et D dans une situation de dépendance économique, tel que le Conseil de la concurrence l’a à juste titre retenu dans son considérant n° 27. En effet, la demanderesse se limite et persiste à faire état du seul risque éventuel de distorsions de concurrence qu’elle déduit exclusivement de comportements abusifs futurs supposés et purement théoriques, alors que le risque allégué ne peut, au regard des principes retenus ci-avant, pas être considéré comme sérieux s’il repose sur des simples suppositions de comportements futurs.

Il s’ensuit que le Conseil de la concurrence pouvait valablement rejeter la plainte comme étant manifestement non fondée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le reproche tiré d’une violation de la loi est rejeté, ce reproche reposant, en effet, sur la prémisse erronée que l’acquisition de la société D constituerait per se un abus de position dominante indépendamment de tout fait concret et indépendamment de tout effet d’éviction ou de toute capacité d’éviction, la demanderesse se basant uniquement sur des faits, respectivement effets 46 Affaire Post Danmark, points n° 21, 22 et 23.

52 d’éviction hypothétiques et demandant en substance au Conseil de la concurrence d’opérer un contrôle ex post des concentrations purement et exclusivement préventif, pourtant non prévu en tant que tel en droit national luxembourgeois.

2.3. Quant au moyen fondé sur une erreur manifeste d’appréciation En rappelant que les juridictions administratives contrôleraient la proportionnalité de l’acte administratif et l’appréciation des faits par l’autorité administrative, la demanderesse estime que le Conseil de la concurrence n’aurait pu rejeter sa plainte, alors qu’elle aurait établi un risque sérieux de distorsions de concurrence.

A cet égard, la demanderesse réitère que le contrôle des concentrations qu’il soit ex ante ou ex post aurait un rôle préventif, ce qui signifierait que l’abus de position dominante ne devrait pas encore être réalisé pour que l’autorité de concurrence puisse agir, mais qu’il suffirait qu’il existe un risque sérieux d’un abus de position dominante. En effet, d’après la demanderesse, attendre la réalisation d’un abus de position dominante priverait le contrôle des concentrations de son objectif et le rendrait inutile. Dès lors, l’acquisition d’une entreprise par une autre pourrait constituer per se un abus de position dominante susceptible d’écarter des concurrents.

La demanderesse poursuit que pour déclarer une concentration incompatible, la preuve devrait être rapportée que la réalisation de la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché, notamment du fait de la création ou du renforcement d'une position dominante, une décision d'incompatibilité d'une concentration envisagée devant, d’après la demanderesse, reposer sur le résultat d'une analyse prospective menée par le Conseil de la concurrence, une telle analyse consistant à examiner dans quelle mesure la concentration pourrait modifier les facteurs déterminant l'état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s'il en résultait une entrave significative à une concurrence effective, ce qui requérait d'imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte.

Les faits exposés par elle démontreraient la réalité du risque de distorsions de concurrence, de sorte qu’en rejetant la plainte, le Conseil de la concurrence aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

Tant l’Etat, que les parties tierces intéressées concluent au rejet de ce moyen, en renvoyant en substance à leur argumentation présentée par rapport au moyen fondé sur une violation de la loi.

Au regard des conclusions retenues ci-avant par le tribunal par rapport au moyen fondé sur une violation de la loi et pour les mêmes considérations, le reproche au Conseil de la concurrence d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation est encore rejeté, ce reproche reposant, en effet, sur la même argumentation que celle à la base du moyen tiré d’une violation de la loi que le tribunal vient de rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens que le recours sous examen n’est fondé en aucun de ses moyens et que la décision du Conseil de la concurrence entreprise est à confirmer.

53 Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est rejetée.

S’agissant de la demande en octroi d’une indemnité de procédure de 10.000.- euros formulée par les parties tierces intéressées sur le même fondement, celle-ci est également rejetée en ce qu’il n’est pas justifié en quoi il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non fondé, partant le rejette ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette les demandes en paiement d’une indemnité de procédure formulées par la demanderesse respectivement par les parties tierces intéressées ;

condamne la demanderesse aux paiement des frais et dépens ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 janvier 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 54


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43114
Date de la décision : 25/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-25;43114 ?

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