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30/12/2020 | LUXEMBOURG | N°43162

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 décembre 2020, 43162


Tribunal administratif N° 43162 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2019 1re chambre Audience publique du 30 décembre 2020 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … (Allemagne), contre une « décision » du président de la Caisse Nationale de Santé, en présence de la société anonyme …, …, en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43162 du rôle et déposée le 21 juin 2019 au greffe du tribunal

administratif par Maître Anne Bauler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à ...

Tribunal administratif N° 43162 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2019 1re chambre Audience publique du 30 décembre 2020 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … (Allemagne), contre une « décision » du président de la Caisse Nationale de Santé, en présence de la société anonyme …, …, en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43162 du rôle et déposée le 21 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne Bauler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à D-…, inscrite au registre de commerce de Trèves sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision, ainsi qualifiée, du président de la Caisse Nationale de Santé (CNS) du 5 juin 2019 l’ « informant que [son] offre […] présentée au marché public [de la CNS] n’avait pu être prise en considération en raison d’un défaut de conformité aux performances et exigences fonctionnelle du cahier des charges » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine Lisé, demeurant à Luxembourg, du 25 juin 2019 portant signification de ce recours à l’établissement public Caisse Nationale de Santé, établi et ayant son siège social à L-1471 Luxembourg, 125, route d’Esch, représenté par le président de son comité de direction actuellement en fonctions et inscrit au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro J21 ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine Lisé, préqualifiée, du 28 juin 2019, portant signification de ce recours à la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions et inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Thibault Chevrier, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de avocats de Luxembourg, déposée le 27 juin 2019 au greffe du tribunal administratif pour compte de l’établissement public Caisse Nationale de Santé, préqualifié ;

Vu la constitution d’avocat de Maître François Cautearts, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, déposée le 3 juillet 2019 au greffe du tribunal administratif pour compte de la société anonyme …, préqualifiée ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 9 juillet 2019, inscrite sous le numéro 43163 du rôle ;

1Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 octobre 2019 par Maître Thibault Chevrier pour compte de l’établissement public Caisse nationale de Santé, préqualifié ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 novembre 2019 par Maître Anne Bauler pour compte de la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2019 par Maître Thibault Chevrier pour compte de l’établissement public Caisse Nationale de Santé, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le courrier du président de la CNS du 5 juin 2019 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l'audience publique du 21 octobre 2020, et vu les remarques écrites présentées, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, par Maître Anne Bauler, Maître Thibault Chevrier et Maître François Cautaerts le 19 octobre 2020 avant l’audience ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 23 octobre 2020 prononçant la rupture du délibéré ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Anne Bauler, et Maître Thibault Chevrier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 novembre 2020.

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L’établissement public Caisse Nationale de Santé, ci-après désigné par « la CNS », procéda à l’ouverture d’une procédure de soumission ouverte en vue de l’attribution du marché public relatif à l’« Aménagement de 5 nouvelles agences CNS à Differdange, Ettelbrück, Wiltz, Mondorf et Esch-sur-Alzette Cloisonnement et menuiserie sur mesure ».

La société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société … », ainsi que la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … », déposèrent des offres concurrentes.

Suite à l’ouverture des soumissions en date du 10 avril 2019, le président de la CNS adressa à la société … en date du 5 juin 2019 un courrier libellé comme suit :

« Conformément à l’article 28 (1) a) de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, je tiens à vous informer que lors de la séance du 5 juin 2019 du Conseil d’administration de la CNS votre offre n’a pas pu être prise en considération parce qu’elle n’est pas conforme aux performances et exigences fonctionnelles du cahier des charges en les points suivants :

En effet, le cahier des charges précise pour la Position 2.1.1 - Kitchenette 2 ETTELBRUCK : La finition du plan de travail est « FENIX ton noir », or vous offrez «ZEG Eiche Altholzoptik » WILTZ : La finition du plan de travail est « FENIX ton blanc », or vous offrez « ZEG Eiche Altholzoptik » MONDORF : La finition du plan de travail est « FENIX ton blanc », or vous offrez «ZEG Eiche Altholzoptik » Position 1.2.1 - Cloisons amovibles type A DIFFERDANGE, ETTELBRUCK, WILTZ, MONDORF et ESCH La cloison exigée dans le cahier des charges est une cloison à vitrage collé, jonction collée, jonction bord à bord et sans cadre périphérique.

Or, vous offrez une cloison du type STRAEHLE system 2300. Ce type de cloison comporte un montant vertical et ne respecte pas par la description.

Montant vertical non Position 1.2.2 - Cloisons amovibles type B DIFFERDANGE, ETTELBRUCK, WILTZ, MONDORF et ESCH La cloison exigée dans le cahier des charges est une cloison à vitrage bord à bord. Ce type de cloison est exigé sans montants verticaux.

Or, vous offrez une cloison du type STRAEHLE system 2300. Ce type de cloison comporte un montant vertical et ne respecte pas la description.

Montant vertical non 3La présente vous est adressée conformément à l’article 193 (2) du règlement grand-

ducal d’exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au pouvoir adjudicateur.

En application de l’article 14 du même règlement grand-ducal du 8 juin 1979, vous avez également la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication en question par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente.

Passé le délai de quinze jours à compter de la présente information il sera procédé à la conclusion du contrat avec l’adjudicataire sur base de l’article 98 du règlement grand-ducal précité.

La décision définitive du pouvoir adjudicataire sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations. A l’égard de ces soumissionnaires le délai de recours devant le tribunal administratif de trois mois ne commencera à courir qu’à partir de la communication de la décision définitive. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2019, inscrite sous le numéro 43162 du rôle, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une décision, ainsi qualifiée, du président de la CNS du 5 juin 2019 de ne pas retenir son offre.

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 43163 du rôle, elle a encore sollicité le sursis à exécution de ladite « décision » du 5 juin 2019, tout en sollicitant, au besoin, la nomination d’un expert, demande dont elle fut déboutée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 9 juillet 2019.

Il convient de relever que bien que la requête introductive ait été notifiée par acte d’huissier de justice en date du 28 juin 2019 à la société …, celle-ci n’a pas fourni de mémoire en réponse dans le délai légal. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire.

Suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, la société … demande au tribunal de « faire application, dans les plus brefs délais, de l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives […] ». Dans la mesure où la CNS a déposé une farde de 14 pièces, de même que, sur demande du tribunal, la décision de son conseil d’administration du 5 juin 2019, ces pièces correspondant suivant le mandataire de la CNS au dossier administratif, et à défaut d’éléments permettant de retenir que le dossier ainsi versé ne soit pas complet, la demande afférente, qui de l’entendement du tribunal tend à ordonner la communication du dossier administratif, est rejetée comme étant devenue sans objet.

La loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, ci-après désignée par « la loi du 8 avril 2018 », ne prévoyant pas de recours en réformation contre les décisions de rejet d’une 4offre pour non-conformité, le tribunal est en tout état de cause incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

S’agissant du recours subsidiaire en annulation, la CNS conclut, dans sa réponse, à son irrecevabilité, au motif qu’il est dirigé contre la seule « décision rendue le 5 juin 2019 par le Président de la Caisse Nationale de Santé, informant la requérante que l’offre qu’elle avait présentée au marché public de la défenderesse n’avait pas pu être prise en considération ». La CNS fait valoir qu’il s’agirait d’un simple acte préparatoire non susceptible de recours, alors que seule la décision d’adjudication pourrait être attaquée par voie d’un recours en annulation, la CNS s’emparant, à cet égard, d’une ordonnance de référé du 15 mai 2019, inscrite sur numéro 42705 du rôle.

Par rapport à ce moyen d’irrecevabilité, la société … fait valoir que conformément à l’alinéa 1er de l’article 5 de la loi modifiée du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, ci-après désignée par « la loi du 10 novembre 2010 », il aurait appartenu à la CNS de lui communiquer une copie de la décision d'attribution du marché, puisqu'elle serait à considérer comme un soumissionnaire concerné.

Par ailleurs, au vu de la communication simultanée de la décision d'adjudication à la société … et de la décision de refus de lui attribuer le marché en date du 5 juin 2019, il serait impossible de savoir laquelle des deux décisions avait été communiquée en premier lieu et, de ce fait, d’admettre qu'elle ne serait plus à considérer comme soumissionnaire réputé concerné.

D'autre part, la société … conteste que la « décision de refus du 5 juin 2019 » serait un acte préparatoire sans caractère décisionnel propre. Bien au contraire, il s'agirait d'une décision unilatérale lui causant torts et griefs puisque son offre n'a pas été retenue, tout en soulignant que la décision renseignerait, par ailleurs, les voies de recours. A cet égard, la société … renvoie encore à un jugement du tribunal administratif du 28 mai 1998, n° 10160 du rôle, ainsi qu'à une ordonnance de référé du 7 décembre 2016, inscrite sous le rôle numéro 38722, qui auraient qualifié une décision d’écarter une offre de décision susceptible de recours.

Enfin, dans la mesure où la décision définitive d'adjudication aurait été prise le même jour que celle de refus de lui attribuer le marché, à savoir le 5 juin 2019, la CNS aurait déjà décidé auquel des deux soumissionnaires elle allait attribuer le marché, de sorte que la décision de refus ne pourrait être considérée comme un acte préparatoire.

La société … donne ensuite à considérer que la CNS aurait précisé que « la décision définitive du pouvoir adjudicataire sera porté[e] à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté leurs observations ». Bien qu’elle ait soumis ses observations lors d'une réunion au sein de la CNS le 17 juin 2019, la décision définitive ne lui aurait pas été communiquée à la suite de cette entrevue. Finalement, au vu des termes employés par le président de la CNS dans le courrier du 5 juin 2019, elle aurait été en droit de croire que la décision définitive n'avait pas encore été prise et qu’au vu des observations formulées par elle, elle serait en droit d'attendre que la décision définitive lui soit communiquée par la CNS.

Dans sa duplique, la CNS conclut au rejet de l’argumentation fondée sur la loi du 10 novembre 2010, qui, d’après elle, serait inopérante puisqu’elle ne pourrait s'appliquer qu'aux livres II et III de la loi du 8 avril 2018, alors qu’en l’espèce, il s'agirait, suivant l’article 1.9.1 du cahier des charges, d'un marché du livre 1er de cette même loi, - la CNS affirmant dans ce contexte que la référence par la loi du 10 novembre 2010 aux marchés visés par les livres II et 5III de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics était à entendre comme visant désormais les livres II et III de la loi du 8 avril 2018.

Elle fait valoir que dans le cadre d'un marché du livre 1er de la loi du 8 avril 2018 et du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de cette loi, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 avril 2018 », se seraient uniquement les dispositions de l'article 97, paragraphes (1) et (2) qui s'appliqueraient. Elle aurait bien informé la société … qu'elle était adjudicataire du marché conformément à l'article 97, paragraphe (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 et elle aurait informé la société … qu’il ne serait pas fait usage de son offre conformément au paragraphe (2) du même article. Aucun défaut de communication de la décision d'adjudication ne pourrait dès lors être invoqué puisqu’une telle obligation ne s'appliquerait pas pour les marchés nationaux du livre I.

En second lieu, en ce qui concerne le caractère de décision de rejet faisant grief, la CNS reproche à la société … de ne pas prendre position par rapport à la jurisprudence citée dans son mémoire en réponse traitant spécifiquement du même cas de figure.

Elle poursuit que même si la société … allait obtenir gain de cause et que la seule décision de rejet de son offre était annulée, l'attribution du marché à la société … n’en serait pas affectée, de sorte que l'annulation sollicitée n'améliorerait pas sa situation juridique, ce qui la disqualifierait du point de vue de l'intérêt à agir.

S'agissant des jurisprudences citées par la société …, la CNS fait valoir que celles-ci ne seraient pas pertinentes. Dans le premier cas invoqué, la décision d'adjudication n'aurait pas été matérialisée par un courrier au profit de l’adjudicataire, mais par un arrêté non communiqué au soumissionnaire écarté. Dans l'ordonnance de référé citée, il s'agirait d'un cas où la lettre de mise à l'écart aurait repris l'intention d'adjuger le marché à une entreprise tierce et où le recours aurait visé cette décision d'adjudication. Dans ces conditions, ces jurisprudences ne seraient pas transposables en l’espèce.

Quant au fait que les voies de recours avaient été mentionnées, la CNS souligne que l'indication des voies de recours contiendrait la mention qu'un recours est ouvert contre la décision d'adjudication et non pas contre la décision de rejet de sa propre offre.

Enfin, s'agissant, en troisième lieu, du reproche d’un défaut de communication de la décision définitive à la suite de sa réclamation, la CNS fait valoir que le recours sous analyse aurait été déposé quatre jours après la réunion du 17 juin 2019, en mentionnant que la société … serait le soumissionnaire retenu. En ce faisant, la société … aurait reconnu explicitement avoir été informée de la décision définitive de la CNS d’attribuer le marché à la société ….

Le tribunal a encore, par avis du 23 octobre 2020, soulevé d’office la question du caractère décisionnel de l’acte attaqué, à savoir « la décision rendue le 5 juin 2019 par le Président de la Caisse nationale de Santé, informant la requérante que l’offre qu’elle avait présentée au marché public […] n’avait pu être prise en considération », dans la mesure où ledit courrier fait référence à une décision du conseil d’administration de la CNS en sa séance du 5 juin 2019.

A l’audience des plaidoiries du 11 novembre 2018, le tribunal a réitéré en substance cette question, en invitant le mandataire de la société … à préciser contre quelle décision le recours est dirigé, et en demandant aux parties de prendre position sur la question de savoir si 6c’est le président de la CNS qui a pris la décision de rejet de l’offre et, dans l’affirmative, sur la question de la compétence du président de la CNS pour prendre une telle décision.

Le mandataire de la société requérante a fait valoir que la seule décision matérielle que sa partie aurait reçue serait la « décision » du président de la CNS du 5 juin 2019, alors que la décision du conseil d’administration ne lui aurait jamais été communiquée, tout en reprochant à la CNS de ne pas avoir communiqué l’intégralité du dossier administratif.

Le mandataire de la CNS, de son côté, a exposé que le courrier du président de la CNS du 5 juin 2019 n’aurait fait que transmettre la décision du conseil d’administration de ne pas retenir l’offre de la société …, qui découlerait de celle du conseil d’administration du 5 juin 2019 d’attribuer le marché à la société …. Le mandataire de la CNS a encore versé aux débats, sur invitation du tribunal, le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration en question. La CNS estime que le recours serait irrecevable, alors qu’il aurait fallu le diriger contre la décision de son conseil d’administration d’attribuer le marché à un concurrent et de rejeter l’offre de la société …, matérialisée à l’égard de cette dernière à travers le courrier de son président du 5 juin 2020.

Il appartient au tribunal d’examiner de prime abord, si le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été dirigé contre une décision administrative susceptible de recours, le tribunal étant ainsi amené à examiner le caractère décisionnel de l’acte attaqué.

A cet égard, il convient de prime abord d’identifier l’acte que la partie requérante a entendu attaquer.

Le tribunal constate que suivant la requête introductive d’instance, le recours est dirigé contre « la décision rendue le 5 juin 2019 par le Président de la Caisse nationale de Santé, informant la requérante que l’offre qu’elle avait présentée au marché public […] n’avait pu être prise en considération », ladite requête renvoyant, pour ce qui est de l’identification de la décision attaquée, à la pièce n° 1 de la requérante, à savoir le courrier du 5 juin 2019 adressé à la société … et signé par le président de la CNS. Suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, la requérante demande la réformation, sinon l’annulation de « la décision de la CNS du 5 juin 2019 plus amplement spécifiée à la première page du présent recours », la première page de la requête se référant à une décision du président de la CNS.

Sur question afférente du tribunal à l’audience des plaidoiries, la société requérante a, par ailleurs, insisté sur la considération que la seule décision matérielle et pertinente qu’elle aurait reçue serait celle du président de la CNS du 5 juin 2019, la décision du conseil d’administration ne lui ayant pas été communiquée.

Force est de constater que les termes choisis dans la requête introductive d’instance sont quelque peu ambigus, la requérante se référant tantôt à une « décision » du président de la CNS « l’informant » que son offre n’était pas retenue, tantôt à une « décision de la CNS ». Le tribunal constate encore que la partie requérante n’a pas autrement clarifié l’objet du recours à l’audience des plaidoiries du 11 novembre 2020 sur question afférente du tribunal, mais a persisté à voir une décision du président de la CNS dans le courrier du 5 juin 2020 signé par celui-ci, que la requérante a joint à sa requête introductive d’instance et qu’elle a identifié comme étant la décision visée par le recours à travers le renvoi à sa pièce n° 1. Il y a dès lors lieu d’admettre que le recours est dirigé contre une décision du président de la CNS de ne pas 7attribuer le marché à la société … qui résiderait dans le courrier du président du 5 juin 2019, précité.

Il convient ensuite d’examiner le caractère décisionnel de ce courrier.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Il résulte, d’une part, de cette disposition que le tribunal administratif est par essence saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé et non sur une situation de fait et de droit donnée, de sorte que l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer l’acte déféré, son rôle ne consistant pas à procéder indépendamment des moyens du demandeur à un réexamen général et global de l’affaire. Il se dégage plus particulièrement de ce dernier constat, conjugué aux dispositions de l’article 1er de la loi du 21 juin 1999, qui imposent l’indication dans la requête de l’acte déféré, que le tribunal ne peut pas étendre son contrôle à d’autres actes que ceux qui lui ont été déférés par le demandeur, sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra petita.

L’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 limite, d’autre part, l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.

Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision3 qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci4.

En l’espèce, force est de constater que le courrier du 5 juin 2019 est signé par le président de la CNS. A travers ce courrier, le président de la CNS a indiqué qu’il tient à « informer5 [la société …] que lors de la séance du 5 juin 2019 du Conseil d’administration de 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 40, et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.

2018, V° Actes administratifs, n° 63, et les autres références y citées.

4 Voir Cour adm., 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2020, v° Actes administratifs, n° 62 et les autres références y citées.

5 Souligné par le tribunal.

8la CNS6 [son] offre n’a pas pu être prise en considération ». Le constat s’impose qu’en employant cette formulation et en renvoyant à une délibération du conseil d’administration de la CNS, le président n’a pas lui-même pris la décision de ne pas prendre en considération l’offre de la société …, mais a uniquement informé cette dernière de la décision prise par le conseil d’administration, qui d’ailleurs est, conformément à l’article 45, point 9) du Code des assurances sociales, l’organe compétent pour prendre des décisions concernant la gestion du patrimoine de la CNS. Ledit courrier ne contient, par ailleurs, aucune autre mention qui permettrait d’en déduire que le président de la CNS ait pris la décision de ne pas retenir l’offre de la société requérante. L’indication de voies de recours dans ledit courrier ne permet en tout cas pas de retenir une telle conclusion. En effet, indépendamment du constat que de toute façon, une indication éventuellement erronée des voies de recours ne porte pas à conséquence quant à la détermination du caractère décisionnel d’un courrier, le tribunal relève que le courrier litigieux indique précisément les voies de recours contre la décision d’adjudication, non visée par le recours, le mandataire de la société … ayant d’ailleurs justement insisté à l’audience des plaidoiries du 11 novembre 2020 que le recours n’est pas dirigé contre la décision d’adjudication, sa partie n’entendant pas solliciter l’annulation de cette décision, mais contre « la décision définitive du pouvoir adjudicataire » prise après que des observations éventuelles auront été présentées, aucune telle décision n’étant non plus visée par le recours. En revanche, le courrier n’indique pas qu’un recours pourrait être dirigé contre une décision qui aurait été prise par le président de la CNS de ne pas retenir l’offre de la société ….

Par ailleurs, le tribunal constate qu’il se dégage du point 7 du relevé des décisions prises par le conseil d’administration de la CNS dans sa réunion du 5 juin 2019, - ledit relevé ayant été versé par la CNS à l’audience des plaidoiries à la demande du tribunal -, que lors de cette réunion, le conseil d’administration a pris la décision d’attribuer le marché litigieux à la société …. Encore que ledit procès-verbal ne mentionne pas expressément la décision de ne pas retenir l’offre de la société …, la prise d’une telle décision par le conseil d’administration découle implicitement mais nécessairement de celle d’attribuer le marché à la société …, étant relevé que le projet du courrier adressé le 5 juin 2019 par le président de la CNS avait été soumis au conseil d’administration à travers une note jointe au procès-verbal du 5 juin 2019.

L’ensemble des considérations qui précèdent amènent le tribunal à retenir que le courrier du 5 juin 2019 signé par le président de la CNS ne contient en lui-même aucune décision propre ni du conseil d’administration de la CNS, ni du président lui-même, mais n’a fait que transmettre à la société … l’information sur la décision du conseil d’administration de la CNS prise en sa réunion du même jour de ne pas retenir son offre et les motifs à la base de cette décision, étant relevé que plus particulièrement les articles 97 et 193 du règlement grand-

ducal du 8 avril 2018 consacrent expressément le caractère simplement informatif d’une lettre portant à la connaissance des concurrents évincés le fait qu’il n’a pas été fait usage de leur offre avec l’indication des motifs à la base de la non prise en considération de celle-ci.

Ce courrier ne saurait, en effet, pas être confondu avec la décision d’adjudication du conseil d’administration, respectivement avec la décision corrélative du conseil d’administration de ne pas retenir l’offre de la requérante, décisions que la requérante n’a toutefois pas visées à travers son recours en identifiant expressément l’objet de son recours comme étant le courrier du 5 juin 2019 signé par le président et en persistant à l’audience des plaidoiries du 11 novembre 2020, sur question afférente du tribunal, que le recours aurait valablement pu être dirigé contre une décision du directeur contenue dans le courrier du 5 juin 6 Souligné par le tribunal.

92019, tout en motivant ce choix par le fait qu’elle n’aurait jamais disposé d’une copie de la décision d’adjudication.

Dans la mesure où la partie requérante a dirigé son recours contre une décision du président de la CNS qui serait contenue dans le courrier du 5 juin 2019, alors que le président n’a pris aucune décision propre, le recours est à déclarer irrecevable à défaut d’être dirigé contre une décision administrative susceptible de recours.

Cette conclusion n’est pas infirmée par le reproche de la partie requérante quant à un défaut de communication du procès-verbal du 5 juin 2019 conformément à l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 dans le cadre de la présente procédure, respectivement celui qu’elle n’aurait reçu aucune autre communication de la décision du conseil d’administration du 5 juin 2019 d’attribuer le marché à un concurrent respectivement celle corrélative de rejet de sa propre offre. Si certes, le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration n’a été communiqué que sur invitation du tribunal à l’audience du 11 novembre 2019, et si certes la décision du conseil d’administration du 5 juin 2019 prise en son double volet s’est matérialisée à l’égard de la requérante par le seul courrier du président du 5 juin 2019, il n’en reste pas moins que, d’une part, la décision du président de la CNS que la requérante entend attaquer n’existe pas, et, d’autre part, le courrier du 5 juin 2019 mentionne justement une décision du conseil d’administration du même jour de ne pas retenir son offre découlant implicitement mais nécessairement de la décision du même conseil d’administration d’attribuer le marché à une société concurrente, de sorte que la requérante a été informée, à travers ce courrier, de la prise d’une décision du conseil d’administration de ne pas retenir son offre et d’attribuer le marché à un concurrent. Or, indépendamment de la question, discutée entre les parties, s’il avait fallu diriger le recours également contre la décision d’attribution du marché à la société …, la requérante aurait en tout état de cause pu demander la communication de la décision du conseil d’administration auquel le courrier du 5 juin 2019 se réfère avant d’introduire son recours, et aurait, et cela même à défaut d’en avoir reçu communication, dû diriger son recours contre le seul acte revêtant un caractère décisionnel, à savoir la décision du conseil d’administration de la CNS telle qu’elle s’est matérialisée à son égard par le courrier du président de la CNS du 5 juin 2019, au lieu de diriger son recours contre un courrier dépourvu de tout caractère décisionnel propre.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable pour être dirigé contre un acte ne revêtant pas de caractère décisionnel propre.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure de 1.500 euros réclamée par la demanderesse sur le fondement de la loi du 21 juin 1999 est rejetée.

La demande en paiement d’une indemnité de procédure de 3.000 euros formulée par la CNS est également à rejeter en ce qu’il n’est pas justifié en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

Enfin, s’agissant de la demande à voir ordonner l’effet suspensif du recours sur le fondement de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. […] », cette demande est rejetée.

En effet, cette disposition doit être lue ensemble avec l’article 45 de la même loi en vertu duquel 10« Sans préjudice de la disposition de l’article 35, pendant le délai et l’instance d’appel, il est sursis à l’exécution des jugements ayant annulé ou réformé des décisions attaquées. » Il s’ensuit que l’effet suspensif du recours ne peut être ordonné que dans l’hypothèse d’un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ayant annulé ou réformé la décision.

Or, dans la mesure où le tribunal a déclaré le recours irrecevable, l’article 35 précité ne trouve pas application.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

rejette la demande en communication du dossier administratif ;

rejette les demandes en paiement d’une indemnité de procédures telles que formulées de part et d’autre ;

rejette la demande tendant à prononcer l’effet suspensif sur le fondement de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 ;

condamne la société demanderesse au paiement des frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique 30 octobre 2020 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43162
Date de la décision : 30/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-12-30;43162 ?

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