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17/12/2020 | LUXEMBOURG | N°45145

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2020, 45145


Tribunal administratif N° 45145 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2020 2e chambre Audience publique du 17 décembre 2020 Recours formé par Madame …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45145 du rôle et déposée le 29 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …,...

Tribunal administratif N° 45145 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2020 2e chambre Audience publique du 17 décembre 2020 Recours formé par Madame …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45145 du rôle et déposée le 29 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … au Kazakhstan, de nationalité russe, actuellement retenue au Centre de rétention de Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 octobre 2020 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de la transférer vers la France, Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 13 novembre 2020, inscrite sous le numéro 45223 du rôle, rejetant la demande de Madame … en institution d’une mesure provisoire tendant à la surséance de l’exécution de son transfert vers la France ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 novembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 décembre 2020.

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Le 29 septembre 2020, Madame … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Encore le même jour, elle passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismesde détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

Il s’avéra à cette occasion que Madame … avait précédemment déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 décembre 2019 et qu’elle a été transférée vers la France en date du 8 septembre 2020, en exécution d’une décision de transfert, suite à l’acceptation d’une demande de reprise en charge par la France en date du 11 mars 2020 sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III. Il s’avéra également qu’elle est revenue au Luxembourg en date du 26 septembre 2020, après avoir vécu deux semaines à ….

Le 30 septembre 2020, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Madame …, sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée sur base du même article par les autorités françaises par courrier daté du 4 octobre 2020.

Par décision du 14 octobre 2020, expédiée à l’intéressée par courrier recommandé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … qu’elle serait transférée en France, l’État membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 29 septembre 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Rappelons que vous avez déjà introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 décembre 2019. Suite à une demande de reprise en charge par les autorités luxembourgeoises, la France a accepté de vous reprendre en date du 11 mars 2020 sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII et une décision de transfert a été prise à votre égard en date du 8 juin 2020. Votre transfert vers la France a été exécuté en date du 8 septembre 2020.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 29 septembre 2020 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 29 septembre 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2 En date du 29 septembre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 29 septembre 2020.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 30 septembre 2020 une demande de reprise en charge aux autorités françaises sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 5 octobre 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, selon vos déclarations, après avoir été transférée par les autorités luxembourgeoises en date du 8 septembre 2020, vous auriez de nouveau quitté la France en date du 26 septembre 2020 en direction du Luxembourg après avoir vécu deux semaines à ….

Vous dites que les autorités françaises ne vous auraient donné ni d’argent, ni de logement.

Vous ajoutez que la prison vous attendrait en France et que vous seriez ensuite rapatrié en Russie où vous seriez persécutée en raison de votre religion.

3 Lors de votre entretien Dublin III en date du 29 septembre 2020, vous avez fait mention de souffrir de maux de tête et de fortes douleurs au cœur. Vous déclarez que vous souffririez psychologiquement et que vous vous suicideriez en cas de retour en Russie. Cependant, vous n’avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

À cet égard, il y a lieu de relever que la France dispose de structures médicales semblables à celles existant au Luxembourg. Par conséquent, il peut être admis que la France peut fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l’accès aux soins urgents et nécessaires.

Partant, il n’existe pas de raison d’admettre qu’en France, vous couriez un risque de traitement contraire à l’article 3 CEDH dû à votre état de santé.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 18 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après cc la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités françaises auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine qui est là Russie, mais dans l’État de destination, en l’occurrence la France. Vos allégations de persécution pour des motifs religieux ne font donc pas objet de la présente décision de transfert et ne sont pas pris en compte dans le cadre de la procédure « Dublin ». Quant à votre Etat de destination, vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions françaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Madame, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection Internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Au regard de votre état de santé, il n’existe aucune raison de croire que l’exécution du transfert-même vers la France rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d’une violation de l’article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n’est pas d’une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d’ores et déjà voué à échec.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. (…) ».

Le même jour, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, afin d’organiser le transfert de Madame … vers la France.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2020, inscrite sous le numéro 45145 du rôle, Madame … a introduit, aux termes de son dispositif, un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 14 octobre 2020.

Par requête déposée en date du 13 novembre 2020, inscrite sous le numéro 45223 du rôle, elle a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la France et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, requête qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 13 novembre 2020.

Etant donné que l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée.

A ce propos, en ce qui concerne la question préjudicielle soulevée par le litismandataire de Madame … à l’audience des plaidoiries du 7 décembre 2020, à savoir que le tribunal administratif devrait être investi à la lecture de l’article 27 du règlement Dublin III d’un pouvoir de réformation au lieu d’annulation, qui serait à poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le tribunal est tout d’abord amené à constater que la demanderesse s’est limitée à requérir, dans le dispositif de son recours, du tribunal de « Constater dans la présente affaire, que conformément aux dispositions communautaires, le Tribunal Administratif est investi d’un pouvoir de pleine juridiction sur le fondement de l’article 27 et suivants du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 et non d’un pouvoir en annulation ». Elle s’est également appuyée sur un arrêt de la Cour du Travail de Liège du 10 février 2020, dans lequel il est renvoyé à une question préjudicielle qui aurait été posée par le Conseil d’Etat belge en date du 12 février 2019 à la CJUE et concernant l’interprétation dudit article 27 du règlement Dublin III, celui-ci consacrant plus particulièrement l’effectivité du recours introduit dans le cadre du prédit règlement.

Il échet, dans ce contexte, de constater que l’article 27 du règlement Dublin III, qui consacre le droit à un recours effectif, ne règlemente pas la nature du recours qui pourrait être introduit.

En outre, force est de constater que la demanderesse n’avance aucun élément permettant de penser que la réponse à la question préjudicielle qu’elle entend voir poser à la CJUE serait pertinente dans la présente affaire. En effet, elle reste plus particulièrement en défaut d’expliquer, en l’espèce, les raisons pour lesquelles le recours en annulation prévu en la matière ne serait pas un recours effectif au sens de l’article 27 du règlement Dublin III.

Partant, la demande de question préjudicielle à la CJUE est à rejeter.

Dès lors, dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28 (1) de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre ladite décision du ministre du 29 octobre 2020, de sorte que le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre la décision de transfert litigieuse.

Le recours subsidiaire en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Tout d’abord, concernant la demande de suspension du transfert « pour raison de santé publique, respectivement en raison des mesures nationales prises pour endiguer le Covid-19 », il échet de relever que la suspension du transfert ou toute autre mesure de sauvegarde relève, en vertu de l’article 11 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », exclusivement de la compétence du président du tribunal administratif statuant comme juge des référés, de sorte que le tribunal est dès lors incompétent pour connaître de la demande, telle que formulée dans le dispositif de la requête introductive d’instance, de suspendre le transfert de la demanderesse vers la France. Force est en outre de constater que Madame … a saisi le président du tribunal administratif d’une telle demande, qui a été rejetée par ordonnance du 13 novembre 2020.

Par ailleurs, en ce qui concerne les mesures de confinement prises en France pour endiguer la COVID-19, et qui devraient entraîner, selon la demanderesse, la suspension de son transfert vers le prédit pays, il y a lieu de préciser que les éventuels problèmes liés au transfert en lui-même ne sauraient mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, puisqu’ils sont relatifs à l’exécution de la décision de transfert du 14 octobre 2020.

Ensuite, quant au fond, à l’appui de son recours et en fait, Madame … explique avoir déposé une demande de protection internationale au Luxembourg le 23 décembre 2019, suite à laquelle elle aurait été transférée vers la France en date du 8 septembre 2020 en application du règlement Dublin III. Lorsqu’elle serait arrivée sur le territoire français, elle aurait fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire sans délai à destination de son pays d’origine et d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée d’un an. Elle aurait été également maintenue dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénale pendant quarante-huit heures dans l’attente de l’exécution d’office de l’ordre de quitter le territoire. Les prédites décisions d’ordre de quitter le territoire et d’interdiction auraient été annulées par la suite par le tribunal administratif de Toulouse en date du 15 septembre 2020. Elle aurait été libérée le lendemain mais se serait retrouvée sans logement et privée des « droits attachés à sa qualité de demanderesse de protection internationale », ainsi que de soutien médical alors qu’elle aurait souffert d’une dépression sévère. Ayant été dans une précarité extrême et en détresse psychologique en France, elle aurait décidé de revenir au Luxembourg. Elle ajoute qu’elle serait particulièrement vulnérable en raison des évènements traumatisants vécus avant son départ de son pays d’origine. Elle affirme de ce fait ne pas pouvoir supporter un nouveau transfert vers la France, où elle n’aurait pas pu bénéficier d’un accès aux soins de santé. La demanderesse donne également à considérer que la situation sanitaire en France rendrait impossible tout déplacement vers ce pays en raison des mesures de confinement qui auraient pris effet à partir du 30 octobre 2020.

En droit, Madame … soulève en substance la violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-

après dénommée « la CEDH », au vu des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, respectivement des conditions d’accès aux soins de santé en France, en soutenant plus spécifiquement que faute de moyens financiers, elle n’aurait pas été en mesure de consulter un médecin. Elle n’aurait pas été non plus admise à bénéficier des conditions matérielles d’accueil accordées aux demandeurs de protection internationale et elle renvoie à cet effet à un article de Médecins du Monde du 28 novembre 2020, intitulé « Accès aux droits et aux soins des migrants et exilés », et sur une décision du Défenseur des droits français du 10 juillet 2020 dans lequel il reproche aux autorités françaises les modalités de perception de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) et l’absence de mise en adéquation des capacités d’accueil du dispositif national d’accueil (DNA) avec la demande d’hébergement.

La demanderesse soutient ensuite que le ministre aurait dû appliquer l’article 17 (1) du règlement Dublin III pour des motifs humanitaires, et plus particulièrement, au vu de son statut de personne vulnérable et malade. Elle fait encore valoir que cet article aurait également dû être appliqué en raison des mesures de confinement prises par l’Etat français pour endiguer la pandémie de la COVID-19.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer la demanderesse vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est la France, où elle a pu se rendre à l’aide d’un visa émis par les autorités françaises et où sa demande de protection internationale a été rejetée, et que les autorités françaises ont accepté sa reprise en charge le 4 octobre 2020 sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priorià bon droit que le ministre a décidé de la transférer vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il échet également de relever que la demanderesse ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient que la décision déférée serait contraire à l’article 3 de la CEDH et affirme que celle-ci contreviendrait à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

Il y a tout d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2) du règlement Dublin III, - non invoqué par la demanderesse - lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen ayant trait au risque de subir des traitements inhumains et dégradants interdits par l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, en cas de transfert vers la France, il est de jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

A cet effet, Madame … soutient risquer de subir de tels traitements inhumains et dégradants, en raison des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, et notamment du fait qu’elle n’aurait pas eu, après avoir été transférée vers la France en septembre 2020, accès à un logement et aux soins.

Il échet, à cet égard, de préciser que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient à la demanderesse de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées. Dans son arrêt du 16 février 20171, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte, et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE, a, dans un arrêt du 19 mars 20192, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale que chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève, ainsi que de la CEDH.

Compte tenu de l’importance que la CourEDH attache à l’article 3 de la CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, c’est-à-dire un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH3, la préoccupation essentielle de la CourEDH étant de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine4, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux5.

Il résulte dès lors de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit, qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable de l’examen de sa demande d’asile, - dernier point non invoqué par la demanderesse en l’espèce.

1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A. S. contre Republika Slovenija, affaire C-578/16 PPU 2 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, point 80.

3 Ibidem, point 293.

4 Ibidem, point 298.

5 CEDH, grande chambre, 23 mars 2016, F.G. c. Suède, n° 43611/11, point 118.

Or, la demanderesse reste en défaut de démontrer que les autorités françaises compétentes auraient violé son droit à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, Madame … n’ayant en effet avancé aucun élément concret qui permettrait de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

De ce fait, après avoir essuyé un refus par les autorités françaises de se voir accorder une protection internationale, Madame … ne pouvait plus être considérée comme demanderesse de protection internationale lors de son retour en septembre 2020 et ne pouvait en conséquence plus avoir accès aux garanties accordées aux demandeurs de protection internationale. Dès lors, en cas de nouveau transfert en France, la demanderesse y sera considérée comme migrante en situation irrégulière, de sorte à ne pas pouvoir prétendre aux aides prévues pour les demandeurs de protection internationale, dont traitent les deux documents invoqués par elle.

Il appartient néanmoins au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement en France qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé6, la demanderesse ayant en effet mis en avant le fait qu’elle serait une personne vulnérable et malade.

En ce qui concerne précisément son état de santé, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément lui soumis, et notamment d’un certificat médical, que celui-ci serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert vers la France. En effet, le fait d’affirmer avoir des maux de tête, des douleurs au cœur - étant précisé qu’elle n’a fourni aucune pièce renseignant ces pathologies -, et une dépression sévère, pour laquelle elle a versé une pièce prouvant qu’elle a eu accès à un traitement antidépresseur en France en septembre 2018 et une attestation de la Croix-Rouge luxembourgeoise du 16 juin 2020 qu’elle aurait bénéficié d’un suivi psychologique, est en tout état de cause insuffisant et ne permet pas de retenir qu’un transfert vers la France entraînerait dans son chef le risque réel d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, au sens de la jurisprudence de la CJUE du 16 février 2017, « C.K., H.F., A.S. c. Slovénie », numéro C-578/16.

En outre, la demanderesse est restée en défaut de démontrer qu’elle ne pourrait pas avoir accès en France à des soins médicaux appropriés, à tout le moins aux soins urgents.

Par ailleurs, si Madame … était d’avis que le système d’aide français est à tel point déficient, dans la mesure où il serait inaccessible aux migrants et demandeurs de protection internationale qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates, tel qu’elle a pu avoir d’ores et déjà 6 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.l’occasion de faire, notamment en saisissant la Cour Nationale du Droit d’Asile suite au rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que le tribunal administratif de Toulouse suite à l’ordre de quitter le territoire et l’interdiction de retour lui opposés par les autorités françaises, décisions qui ont, de surcroît, été annulées en date du 15 septembre 2020.

Partant, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse tente dans les faits de faire réexaminer sa demande par les autorités luxembourgeoises, en invoquant l’absence d’accès aux garanties minimales accordées aux demandeurs de protection internationale en France. Or, un tel comportement contrevient au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre consacré par le règlement Dublin III, qui cherche en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

Dans ces circonstances et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que Madame … n’a pas démontré que le transfert vers la France l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour être non fondé.

S’agissant ensuite du moyen consistant à revendiquer la compétence des autorités luxembourgeoises sur base de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement », le tribunal est amené à relever que s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres7. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge8, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée9, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Or, en l’espèce, étant donné que le tribunal a été amené à rejeter le moyen ayant trait à la violation de l’article 3 de la CEDH, que la demanderesse s’appuie sur le même argumentaire dans le cadre du moyen ayant trait à la violation de l’article 17 du règlement Dublin III et qu’elle n’a pas soumis au tribunal des éléments, plus particulièrement humanitaires ou 7 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

8 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

9 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.exceptionnels, qui auraient dû amener le ministre à se déclarer responsable du traitement de sa demande de protection internationale sur base dudit article 17 du règlement Dublin III, ce moyen est à rejeter pour être non fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter dans tous ses moyens.

Enfin, pour autant que la demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du transfert est basée sur l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, disposant que le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, cette demande est rejetée au vu de l’issue du litige et au vu du fait que le tribunal statue en dernier ressort en application de l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande de suspension du transfert de la demanderesse vers la France basée sur l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision de transfert du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 octobre 2020 ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du transfert pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 17 décembre 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45145
Date de la décision : 17/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-12-17;45145 ?

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