Tribunal administratif N° 45342 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2020 1ère chambre Audience publique du 16 décembre 2020 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45342 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 décembre 2020 par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro), de nationalité monténégrine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 novembre 2020 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 22 novembre 2020 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 16 décembre 2020 et vu les remarques écrites de Maître Eric Says du 14 décembre 2020 et du délégué du gouvernement du15 décembre 2020, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.
Il ressort des éléments du dossier administratif que le 22 octobre 2020, Monsieur …, en possession d'un document de voyage monténégrin valable jusqu'au 19 décembre 2027 et d'une carte d'identité monténégrine valable jusqu'au 15 avril 2025, fut interrogé par la Police Grand-
Ducale à la suite d'un contrôle mené par l'Inspection du Travail et des Mines (ci-après « l'ITM ») sur un chantier à ….
Par arrêté du 22 octobre 2020, notifié à l'intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et lui interdit l'entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Le même jour, le ministre prit encore un arrêté ordonnant son placement en rétention pour une durée d'un mois, à partir de la notification intervenue le 22 octobre 2020, ledit arrêté étant placé sur les motifs et considérations suivants :
2 1« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no … du 22 octobre 2020 établi par la Police grand-ducale ;
Vu ma décision de retour du 22 octobre 2020 assortie d'une interdiction de territoire de 3 ans ;
Attendu que l'intéressé s'est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; » Par arrêté du 18 novembre 2020, notifié à l’intéressé le 20 novembre 2020, le ministre prorogea la mesure de placement pour une durée d'un mois avec effet au 22 novembre 2020, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivantes :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 22 octobre 2020, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 22 octobre 2020 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 décembre 2020, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 18 novembre 2020.
2Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, Monsieur … réitère tout d’abord, en substance, les faits et rétroactes à la base de son placement au Centre de rétention.
En droit, il souligne que les démarches que le ministre serait obligé d’engager pour organiser son éloignement devraient être documentées.
Il affirme que depuis son placement au Centre de rétention le 22 octobre 2020, aucun rapatriement par un quelconque moyen de transport ne lui aurait été proposé, le demandeur contestant en tout cas que les démarches nécessaires auraient été entamées.
Le demandeur souligne qu’il désirerait retourner volontairement au Monténégro, en affirmant que le courrier en ce sens qu’il aurait adressé au ministère des Affaires Etrangères et Européennes serait resté sans réponse.
Il affirme qu’il n’y aurait aucun risque de fuite dans son chef et qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite, ni aucune date de son « extradition » lui aurait été proposée depuis le 22 octobre 2020, de sorte qu’il attendrait depuis presque 3 mois son « extradition ».
Or, ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l'absence de vols ne pourraient, d’après lui, justifier une prorogation de son placement en rétention.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Force est de constater que les contestations du demandeur tournent essentiellement autour des diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement endéans les meilleurs délais, le demandeur contestant par ailleurs de manière accessoire le risque de fuite.
Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».
3 L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité valables, et la mise à disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
Le tribunal constate qu’en l’espèce, le demandeur ne conteste pas en tant que tel son séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé que celui-ci a en date du 22 octobre 2020 fait l’objet d’une décision de retour, ainsi que d’une interdiction du territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse et qui bénéficient de la présomption de régularité des décisions administratives.
Il s’ensuit qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et maintenir son placement. Si le demandeur conteste le risque de fuite présumé dans son chef, force est de constater qu’il n’a pas soumis au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption de risque de fuite, étant relevé que le seul fait qu’il déclare désirer retourner volontairement au Monténégro ne peut renverser ladite présomption.
4Pour le surplus, les contestations du demandeur se résument à critiquer les diligences entreprises par le ministre afin d’écourter son placement en rétention, le demandeur reprochant plus particulièrement au ministre de ne pas avoir tenu compte de son désir de retourner volontairement au Monténégro.
Le tribunal retient toutefois que les mesures entreprises par le ministre et décrites par le délégué du gouvernement dans sa réponse, confirmées par les pièces du dossier administratif, répondent à suffisance aux exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, ces mesures ayant d’ailleurs abouti à un résultat concret dans la mesure où un vol vers le Monténégro, via Vienne, est prévu pour le 21 décembre 2020.
En effet, le 26 octobre 2020, après avoir lancé une recherche auprès Centre de coopération policière et douanière, l'agent en charge du dossier a prié la Police Judiciaire, Section Criminalité organisée-Police des Etrangers, d’organiser le départ du demandeur.
Le 20 novembre 2020, la Police Judiciaire a fait parvenir aux services du ministre un plan de vol prévu pour le 28 décembre 2020 vers le Monténégro, ce vol ayant toutefois dû être annulé à la suite d'une modification des horaires de vol par la compagnie aérienne.
Par courriel du 9 décembre 2020, l'agent en charge du dossier a informé la Police Judiciaire qu'une alternative au plan de vol initial avait été trouvée, à savoir un vol pour le 21 décembre 2020 en direction du Monténégro via Vienne et a prié la Police Judiciaire d’informer les autorités autrichiennes du transit par l'aéroport de Vienne.
Par courriel du 10 décembre 2020, les autorités autrichiennes ont été contactées, celles-
ci ayant donné leur accord pour le transit en date du 11 décembre 2020.
Au vu de l’ensemble de ces démarches et au vu du résultat concret, un vol vers le Monténégro étant prévu pour le 21 décembre 2020, après qu’un premier vol avait été annulé pour des raisons indépendantes de la volonté du ministre, aucun reproche ne saurait être fait au ministre en ce qui concerne les démarches entreprises, étant encore relevé que même si le demandeur a déclaré vouloir retourner volontairement dans son pays d’origine et s’il est muni d’un document de voyage en cours de validité, des démarches ont dû être entreprises en vue de l’organisation d’un vol, pour lequel une date est actuellement prévue.
Au vu des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause, ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
5 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 décembre 2020 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 6