La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2020 | LUXEMBOURG | N°41495

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2020, 41495


Tribunal administratif N° 41495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2018 4e chambre Audience publique du 15 décembre 2020 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41495 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née l...

Tribunal administratif N° 41495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2018 4e chambre Audience publique du 15 décembre 2020 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41495 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juillet 2018 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2018 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposé au greffe du tribunal administratif du 23 septembre 2019 par laquelle Maître Stéphanie Collmann, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare reprendre le mandat pour la défense des intérêts de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 prise dans le cadre de la reprise de l’activité du tribunal administratif dans le contexte du dé-confinement ;

Vu la communication de Maître Stéphanie Collmann du 10 novembre 2020 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim en sa plaidoirie à l’audience du 24 novembre 2020.

Le 7 avril 2017, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date des 5 juillet, 14 août, 17 août et 18 août 2017, Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 juillet 2018, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre prit la décision qui suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 7 avril 2017.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 avril 2017.

Madame, vous prétendez avoir quitté l'Irak en avion, en direction de la France, munie d'un visa Schengen de court séjour, obtenu en date du 10 mars 2017. Le jour suivant, le 11 mars 2017, vous auriez quitté Paris avec un ami, un dénommé …, qui vous aurait conduit jusqu'au Luxembourg.

Madame, vous déclarez que vous auriez quitté l'Irak en raison de la situation de guerre et afin de rejoindre votre mari, …, qui se trouve actuellement au Luxembourg.

Vous présentez un passeport irakien.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 20 avril 2017 ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 5 juillet 2017 et des 14, 17, et 18 août 2017 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Madame, il se dégage de votre entretien que vous auriez quitté l'Irak, étant donné que votre vie y serait en danger.

Suite au départ d'Irak de votre mari en 2015, vous auriez déménagé auprès de votre sœur dans le quartier … à Babel. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté la maison de vos beaux-parents, étant donné que votre beau-père aurait eu peur que « faute de mettre la main sur mon mari, ces groupes se retourneraient contre moi et m'enlèveraient » (p.5120 du rapport d'entretien). Toutefois, vous précisez qu'il ne se serait jamais rien passé.

Vous continuez vos dires en indiquant que durant à peu près un an et deux mois, vous n'auriez pas quitté votre chambre dans la maison de votre sœur, du fait que vous auriez été « fatiguée mentalement » (p.5/20 du rapport d'entretien). Vous déclarez qu'en décembre 2016 vous auriez finalement commencé un travail dans une garderie, suite au conseil d'un psychiatre.

Vous signalez qu'en date du 17 janvier 2017, il y aurait eu un incident à la garderie, lors duquel un petit garçon se serait blessé à la tête. Vous précisez que cet enfant serait tombé de la balançoire et se serait heurté la tête. Vous auriez apporté « les premiers soins » et la directrice aurait contacté la famille de l'enfant concerné. Suite à cet événement, le père de l'enfant, serait venu menacer le personnel de la garderie, « Il est venu, habillé en tenue militaire, il devait être officier parce qu'il avait des étoiles aux épaulettes et il portait une arme. Il a menacé de faire fermer la garderie. Et comme l'enfant était dans mon groupe, il m'a menacé personnellement en me disant que je subirais les mêmes blessures qu'a eues son fils. J'ai pris peur, et le lendemain, je ne suis pas retournée au travail » (p.5/20 du rapport d'entretien).

Vous poursuivez en déclarant que le lendemain, ledit officier serait revenu à la garderie et aurait de nouveau menacé de fermer les portes de la garderie. Selon vos dires, la directrice vous aurait alors accusée d'être la seule responsable et aurait dit à l'officier « qu'il fallait qu'il règle cette affaire avec moi-même » (p.5/20 du rapport d'entretien).

Madame, vous déclarez que vous supposez que la directrice vous aurait fait porter l'entière responsabilité de cet événement en raison de votre ethnie turkmène, « elle savait très bien que je suis orpheline de père, que je fais partie de la minorité Turkmène et par racisme, elle m'a accusée de tous les torts. Notre communauté souffre beaucoup de racisme des Arabes envers nous » (p.5/20 du rapport d'entretien). En général, vous mentionnez que « je suis de la minorité turkmène persécutée en Iraq » (p.6/20 du rapport d'entretien).

Vous indiquez encore que la directrice aurait donné l'adresse de vos beaux-parents à l'officier, qui se serait rendu le jour-même au domicile de ces derniers afin de les avertir qu'il se vengerait sur vous.

Vous ajoutez qu'après cette menace, votre beau-père vous aurait accompagné au poste de police afin de déposer une plainte. Toutefois, l'officier de police vous aurait tout de suite annoncé qu'il ferait le procès-verbal, mais qu'il ne pourrait rien faire contre le père de l'enfant blessé, homme puissant qui serait une personne qui « aurait une fonction qui lui donnait beaucoup de pouvoir et autorité » (p.10/20 du rapport d'entretien).

Finalement, vous complétez vos dires en indiquant que la situation sécuritaire en Irak serait un autre facteur qui aurait déclenché votre départ d'Irak. Vous énoncez qu'en Irak les enlèvements, les assassinats et le manque de liberté empêcheraient les gens de mener une vie digne et indépendante, « C'est courant de trouver chaque jour des enfants égorgés et jetés dans la déchetterie. On ne peut pas sortir et particulièrement en ce qui me concerne, une femme dont le mari est parti, c'est une proie recherchée par ces individus. Nous n'avons pas de liberté » (p.6120 du rapport d'entretien).

Suite à l'incident à la garderie, vous vous seriez alors installée auprès de votre tante paternelle à Bagdad, où vous seriez restée durant deux mois, en attendant votre visa pour la France. Une fois le visa obtenu, vous auriez quitté l'Irak en date du 10 mars 2017.

Pour étayer vos dires, vous avez déposé les documents suivants :

-

Une clé USB contenant une vidéo concernant votre travail à la garderie ;

-

une copie de l'acte de décès de votre père ;

-

des copies de trois documents concernant le changement de région ;

-

une copie d'une attestation de réussite (baccalauréat) de l'année scolaire 2011/2012 ;

-

une copie d'un certificat délivré par l'université de Bagdad à l'attention de la direction de l'enseignement de ….

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 5 juillet 2017 et des 14, 17, et 18 août 2017 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 18 décembre 2015, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 (f) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Madame, vous prétendez que vous auriez introduit une demande de protection internationale pour quatre raisons bien précises, à savoir :

- votre prétendue appartenance à la minorité turkmène ;

- le prétendu incident dans la garderie et les prétendues menaces du père de l'enfant ;

- le départ de votre mari et la situation des femmes seules en Irak ;

- la situation sécuritaire en Irak.

- Quant à votre prétendue appartenance à la minorité turkmène Madame, vous indiquez que la raison principale pour laquelle vous auriez quitté l'Irak serait que vous seriez d'origine turkmène et que la minorité turkmène serait persécutée en Irak.

Il convient tout d'abord de noter qu'il n'est pas établi que vous fassiez effectivement partie de la communauté turkmène. Ainsi, vous indiquez vous-même, lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 5 juillet 2017 et des 14, 17, et 18 août 2017, qu'à l'époque de Saddam Hussein, votre clan « … » aurait été obligé de déclarer être d'origine arabe. De ce fait, vous affirmez que « sur papier je suis arabe » (p.2/20 du rapport d'entretien), et que votre langue maternelle serait « officiellement, c'est l'arabe » (p.3/20 du rapport d'entretien). Vous ajoutez également qu'« on ne parle même pas l'accent sinon les arabes pourraient savoir qu'on n'est pas des leurs. Les gens qu'on côtoient, on ne les laisse pas savoir qu'on a cette origine » (p.18/20 du rapport d'entretien).

De plus, il est étonnant de constater d'une part que vous insistez être d'origine turkmène, mais que d'autre part sur la question concernant les partis politiques turkmènes, vous répondez qu'« on n'en a pas » (p.18/20 du rapport d'entretien), alors que le « Front turkmène de l'Irak » est un parti turkmène centrale, composé de plusieurs autres partis politiques turkmènes. Il convient également de noter que « The Turkmen Front occupies two out of 328 seats in the Iraqi parliament and nine out of 41 seats in the Kirkuk provincial council », et s'engage activement pour le respect des droits de la population turkmène en Irak.

Ceci étant dit, concernant vos déclarations selon lesquelles vous auriez quitté l'Irak à cause de vos origines turkmènes, il convient tout d'abord de noter que le simple fait d'appartenir à une minorité ethnique n'est pas suffisant pour prétendre au statut de réfugié.

Selon la jurisprudence de la Cour administrative une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, force est de constater qu'il ne vous serait jamais rien arrivé en Irak à cause de votre appartenance ethnique et que les gens ne seraient pas au courant des origines turkmènes de votre famille. En effet, vous n'êtes pas en mesure de faire état d'un quelconque problème ou incident concret dans lequel vous auriez été impliquée parce que vous seriez d'ethnie turkmène.

Quant à vos seules explications que vous donnez au sujet du traitement prétendument discriminatoire ou injuste auquel seraient exposés les membres de la communauté turkmène en Irak, notons que celles-ci sont dénuées de toute forme de gravité telle à pouvoir constituer des actes de persécution au sens desdits textes. Rappelons que vous seriez uniquement d'avis « qu'ils » empêcheraient les membres de la communauté turkmène d'arborer leur drapeau alors que « Nous somme Irakiens », tandis qu' « ils » croiraient que les Turkmènes seraient « racistes. On a peur de ça » (p. 18/20 du rapport d'entretien). Toutefois, selon un article de « Niqash », While most of the Turkmen parties are keen to put their own ethnic flag - a white crescent moon — over their buildings, they do so on a flagpole shorter than that holding the Iraqi flag as a symbol of their respect for the central government. ». Ceci démontre alors, qu'il n'est aucunement interdit d'arborer le drapeau turkmène.

Vous ne faites donc clairement pas état d'un quelconque événement précis qui serait à mettre en relation avec votre appartenance ethnique. Rappelons dans ce contexte que vous signalez aussi que le reste de votre famille, dont votre mère, vos deux sœurs et trois frères seraient tous restés habiter à Babel ou à … et qu'hormis le fait que ces derniers y étudieraient, vous ne faites pas état d'un quelconque problème qu'ils auraient vécu à cause de leur prétendue appartenance ethnique.

Il convient également de noter que, selon vos dires, votre clan serait officiellement un clan arabe depuis l'époque de Saddam Hussein, président de l'Irak de 1979 à 2003. Sachant que vous êtes née en 1989, il s'ensuit que vous êtes née arabe, et sur vos papiers, vous êtes également arabe. De plus, combiné au fait que vous n'êtes pas en mesure de fournir des informations concernant la population turkmène, mène à la conclusion que personnellement vous n'avez aucun lien avec cette communauté, et que vous n'êtes pas persécutée en tant que telle.

Ce constat vaut d'autant plus que vous avez vous-même noté sur votre fiche de données personnelles au moment de l'introduction de votre demande de protection internationale être d'ethnie « arabe » et uniquement parler l'« arabe », contrairement donc aux Turkmènes parlant le turkmène.

- Quant au prétendu incident dans la crèche et les prétendues menaces du père de l'enfant Madame, vous mentionnez également comme motif à la base de votre demande de protection internationale l'incident qui se serait produit sur votre lieu de travail. En effet, un enfant serait tombé de la balançoire et se serait heurté la tête. Vous expliquez que cet accident se serait produit sous votre supervision, et que vous auriez apporté les premiers soins à l'enfant. Vous indiquez que la directrice vous aurait pointé du doigt, en vous faisant endosser l'entière responsabilité, lorsque suite à l'accident le père de l'enfant aurait menacé de faire fermer les portes de la garderie. Vous déclarez que ce dernier aurait alors focalisé ses menaces principalement contre votre personne et « maintenant toute la responsabilité sur mon dos, je n'avais personne pour me défendre » (p.5/20 du rapport d'entretien). Le père de l'enfant se serait même rendu au domicile de vos beaux-parents afin de vous menacer. Il aurait averti votre beau-père « qu'il se vengera par tous les moyens sur moi » (p.5-6/20 du rapport d'entretien).

Il appert que le père de l'enfant vous aurait menacé étant donné que vous auriez eu la surveillance des enfants au moment de l'accident. Il convient donc de déduire qu'il ne vous aurait pas menacé du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques, mais du seul fait qu'il vous aurait tenu responsable de l'accident.

Il s'ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié fait défaut en l'espèce.

Il convient également de soulever que les faits relatés constitueraient en effet des infractions de droit commun, commises par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la loi irakienne.

- Quant aux prétendus problèmes de votre mari et la situation des femmes seules en Irak De plus, Madame, vous indiquez qu'en Irak vous auriez dû quitter le foyer de vos beaux-parents et vous installer auprès de votre sœur, étant donné que des groupes de personnes non autrement identifiées, auraient été à la recherche de votre mari. Votre beau-

père « a eu peur que faute de mettre la main sur mon mari, ces groupes se retourneraient contre moi et m'enlèveraient » (p.5/20 du rapport d'entretien). En effet, votre mari a quitté l'Irak en 2015, suite à une altercation avec des personnes privées, altercation qui n'aurait toutefois jamais été signalée à la police. Vous avouez qu'après le départ de votre mari, vous n'auriez jamais été menacée personnellement et qu'il n'y aurait pas eu de répercussions pour vous. Toutefois, vous déplorez qu'en tant que femme seule, vous seriez exposée aux dangers, « une femme dont le mari est parti, c'est une proie recherchée par ces individus » (p.6/20 du rapport d'entretien), sans que personne ne puisse vous protéger.

Il y a lieu de remarquer que votre mari s'est vu, en date du 16 janvier 2017, refuser la protection internationale. Cette décision du Ministre a été confirmée par un jugement du Tribunal administratif en date du 10 janvier 2018, de sorte que votre 3ième motif de fuite, basé sur les mêmes prétendus problèmes que ceux mentionnés par votre époux, ne saurait évidemment pas non plus être perçu comme un acte de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s'ajoute que depuis le départ de votre époux, vous auriez vécu et même travaillé en Irak, en tant que femme « seule » et ceci sur une période de 1 an et six mois sans pour autant faire état d'un quelconque problème lié à votre statut de femme prétendument « seule ».

De plus, Madame, un risque futur pour femmes seules n'existe pas dans votre cas bien précis, du fait qu'en cas d'un retour de vous et de votre mari en Irak, vous ne pourriez plus être considérée comme femme seule, notant que vous avez remis une copie de votre acte de mariage.

Il s'agit dans votre cas bien précis de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable et ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

-

Quant à la situation sécuritaire en Irak Madame, lors de votre entretien vous avez également cité la situation générale d'insécurité en Irak comme facteur qui vous aurait fait quitter l'Irak. En effet, vous avez indiqué qu'en règle générale « quelqu'un peut venir frapper à la porte et tuer la personne en silencieux de façon tout à fait normale » (p.6/20 du rapport d'entretien) et que « c'est courant de trouver chaque jour des enfants égorgés et jetés dans la déchetterie. On ne peut pas sortir » (p.6/20), ou encore « la situation dans le pays, l'insécurité. Les enlèvements, les assassinats. Les femmes dont le mari n'est pas là sont ciblées. Et l'injustice. Ils ont tué une directrice de crèche et personne ne sait qui a fait cela » (p.16/20 du rapport d'entretien).

Il convient cependant de noter qu'indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations concernant ce point, les craintes que vous exprimez ne se basent nullement sur des faits concrets et individuels. Il s'agit donc de faits non personnels. Toutefois, des faits non personnels ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d'asile établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, vous restez en défaut d'étayer un lien entre ces éléments et ceux liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. Il n'est par ailleurs pas établi que ces événements seraient liés à la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un certain groupe social ou les convictions politiques des victimes, ainsi que le prévoit l'article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève.

* Au vu de tout ce qui précède, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutée dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Selon l'article 2 sous g) de la Loi de 2015 peut bénéficier de la protection subsidiaire « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes (1) et (2), n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L'article 48 de cette même loi définit en tant qu'atteintes graves :

« a) la peine de mort ou l'exécution; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

-

Quant à l'article 48 sous a) de la Loi de 2015 L'article 48 sous a) de la Loi de 2015 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution ». Madame, il ressort clairement de vos déclarations que vous ne risquez pas une condamnation à la peine de mort, respectivement l'exécution découlant d'une telle condamnation par les autorités de votre pays d'origine.

- Quant à l'article 48 sous b) de la Loi de 2015 L'article 48 sous b) de de la Loi de 2015 définit en tant qu'atteintes graves « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine ».

En l'espèce vous indiquez que vous auriez peur parce que vous auriez été menacée par le père de l'enfant qui serait tombé sous votre surveillance à la garderie. Vous précisez que vous n'auriez pas pu obtenir une protection des autorités irakiennes, en l'occurrence des policiers du poste de police « … », étant donné que le père de l'enfant serait un officier militaire, « il est venu, habillé en tenue militaire, il devait être officier parce qu'il avait des étoiles aux épaulettes » (p.5/20 du rapport d'entretien), homme puissant, contre lequel la police ne pourrait rien faire. Vous indiquez même que « quand je suis allée à la police, on m'a dit que je devrais plutôt quitter la région parce que cette personne aurait une fonction qui lui donnait beaucoup de pouvoir et d'autorité » (p10/20 du rapport d'entretien).

Toutefois, vous annoncez également que l'officier de police qui aurait enregistré votre déclaration aurait connu le père de l'enfant, ce qui mène à la conclusion qu'il s'agit, en l'espèce d'un problème qui est lié exclusivement à la région d'affectation dudit officier.

Au vu de tout ce qui précède, il convient de noter que vous auriez pu vous installer dans une autre ville de votre pays d'origine, en raison de la nature régionale de votre problème. En effet, suivant la proposition précitée de l'agent de police de « quitter la région », votre problème se serait limité à une zone géographique bien définie. En quittant ladite région vous auriez remédié à ce problème et vous ne vous seriez plus trouvé dans la ligne de mire du père de l'enfant.

De plus Madame, en tant que musulmane chiite, vous auriez eu la possibilité de vous installer, dans le futur, à Bagdad ou une des autres 8 provinces du sud de l'Irak, avec votre mari.

- Quant à l'article 48 sous c) de la Loi de 2015 L'article 48 sous c) définit en tant qu'atteintes graves, « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

A titre préliminaire, il convient de signaler que le seul fait d'être originaire d'Irak ne justifie pas automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. En effet, la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire sur base de l'article 48 sous c) n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d'origine.

En l'espèce, vous déclarez, Madame, être de confession musulmane chiite et avoir vécu à Babel, dans le quartier ….

Ainsi, il y a lieu de noter que les conditions de sécurité dans la province de Babil au sud de l'Irak sont, selon nos collègues français du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), meilleures qu'à Bagdad. En effet, selon le CGRA, à Bagdad « les violences atteignent un niveau plus élevé qu'à Babil ». De plus, le site internet Iraq Body Count, « a recensé 481 morts civils dans la province de Babil en 2016. A titre de comparaison, le bilan était de 3.714 morts à Bagdad, 1.742 à Anbar, 7.431 à Ninawa et 839 à … ».

Renvoyons dans ce contexte à l'arrêt 41087C de la Cour administrative du 21 juin 2018, duquel il ressort que « Au regard de l'ensemble des éléments d'appréciation lui soumis, la Cour est amenée à reconnaître que la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, et en particulier la ville de Bagdad, étant donné que les incidents violents continuent d'être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de Bagdad, à savoir 28 civils tués dans des attentats au mois de juillet 2017, 45 au courant du mois d'août 2017 et 37 au courant du mois de de septembre 2017, il n'en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à Bagdad, à savoir environ 8 millions d'habitants. Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d'incidents violents avec la population totale, il n'appert pas que la simple présence d'un individu en Irak, l'expose ipso facto, avec un degré de probabilité certain, à des menaces individuelles graves ».

Ainsi, si d'après l'arrêt susmentionné, le seul fait d'être originaire d'Irak n'est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, par déduction, le fait d'être originaire de la province de Babil, où la situation serait nettement plus stable, ne l'est pas non plus.

Il convient également de remarquer que depuis le printemps 2017, la situation sécuritaire en Irak ne s'est pas dégradée, ainsi, les structures étatiques avec ses institutions, les établissements d'enseignement scolaire et universitaire, les transports, les restaurants et les médias continuent à fonctionner.

Eu égard à ce qui précède, il s'avère que votre région d'origine ne se trouve pas dans une situation de conflit armé interne d'une intensité telle qu'il s'agirait de violences aveugles, de sorte que vous ne risquez pas de subir de menaces graves et individuelles contre votre vie en cas de retour dans votre pays d'origine.

Il résulte de ce qui précède que les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

De tout ce qui précède, une protection internationale ne peut vous être octroyée.

* Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2018, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 12 juillet 2018 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 juillet 2018, telle que déférée.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse affirme être de nationalité irakienne, d'origine ethnique turkmène, et être de confession religieuse musulmane chiite pour des raisons de convenance personnelle depuis son union avec son époux, Monsieur ….

Elle explique qu’à peine mariée en date du 21 août 2015 et installée auprès de sa belle-famille, son époux aurait dû quitter son pays d'origine en date du 7 septembre 2015 suite aux menaces qu'il aurait personnellement reçues de la part d’un dénommé ….

Elle donne à considérer que suite au départ de son mari, elle aurait connu de graves problèmes de santé d'ordre psychologique, alors qu’elle aurait dû rester enfermée à la maison en raison du fait que les groupes à la recherche de son mari seraient régulièrement venus chez son beau-père. Ainsi, son beau-père, par peur que ces groupes se retourneraient contre elle, et tout en lui organisant un suivi psychiatrique ainsi qu’un travail dans une crèche, lui aurait conseillé de s’installer chez sa sœur dans le quartier … à Babel jusqu'au 19 octobre 2017, date à laquelle elle aurait déménagé chez sa tante paternelle à Bagdad, dans l'attente qu'un visa lui soit délivré par les autorités françaises pour quitter son pays d’origine.

La demanderesse relate ensuite qu’un jour à la crèche, un enfant se serait blessé à la tête en tombant dans la cour de jeux. Après lui avoir administré les premiers soins et prévenu la famille, le père de l’enfant, un haut gradé militaire, serait arrivé sur les lieux en leur faisant des reproches et en menaçant de faire fermer la crèche. Etant donné que ce dernier l’aurait également menacée de lui faire subir les mêmes blessures qu’aurait subies son fils, elle ne serait plus retournée à la crèche le lendemain. La demanderesse relève que sous de nouvelles menaces de faire fermer la crèche par le père de l’enfant, la directrice l’aurait désignée comme seule responsable, de sorte que le militaire se serait présenté auprès de ses beaux-

parents pour les insulter et pour les mettre en garde qu'il se vengerait par tous les moyens sur elle.

Elle estime que la directrice aurait mis toute la responsabilité sur son dos du fait qu’elle serait orpheline de père et qu’elle ferait partie de la minorité turkmène.

Elle relate que le même jour, son beau-père l’aurait accompagnée au poste de police pour porter plainte contre ce militaire, mais que l’officier de police ayant dressé le procès-

verbal leur aurait dit qu’il ne pourrait rien faire contre l'officier militaire … du fait des connaissances et de l’autorité de ce dernier. Ainsi, son beau-père aurait pris la décision qu’elle devrait quitter Babel pour s’installer chez sa tante paternelle à Bagdad.

Elle précise qu’entretemps, un mandat d'arrêt aurait été émis à son encontre, pièce qu’elle aurait déposée au ministère en date du 4 avril 2018.

Elle retient finalement que, face aux menaces de mort qui auraient pesé sur sa vie, elle n'aurait pas eu d'autre choix que de quitter son pays d’origine et de rechercher une protection à l’étranger.

En droit, la demanderesse conclut à la réformation de la décision ministérielle du 12 juillet 2018 soutenant en premier lieu une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, sinon une erreur manifeste d'appréciation des faits.

Ainsi, ce serait à tort que l'autorité ministérielle aurait refusé de lui accorder le statut de réfugié, alors qu’elle ferait état d’une crainte découlant du manquement de son Etat d'origine de remplir ses obligations de protection de ses citoyens, obligations résultant de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) adoptée par l'assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 à laquelle le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PICP) entré en vigueur le 23 mars 1976, aurait donné force obligatoire.

La demanderesse estime éprouver une menace réelle de mort, respectivement de persécution de la part de l’officier militaire … qui aurait déposé une plainte à son encontre auprès du Bureau d’instruction de Babel, de sorte qu’un mandat d’arrêt aurait été émis à son encontre en date du 23 mai 2017.

Elle affirme également être persécutée en raison de ses origines turkmènes qu’elle aurait dû cacher depuis sa naissance.

Dans ce contexte et quant aux doutes émis à cet égard par le ministre dans le cadre de la décision déférée, la demanderesse relève qu’elle aurait dû mener son entretien au ministère en langue arabe, alors que ce dernier n’aurait pas été en mesure de lui fournir un interprète en langue turkmène qu’elle aurait pourtant expressément réclamé.

Si elle a effectivement déclaré être d’origine arabe à son arrivée au Luxembourg, la demanderesse explique que cela serait la conséquence du fait qu’elle aurait toujours dû cacher son appartenance ethnique en raison de la répression omniprésente des turkmènes sous le régime de Saddam Hussein.

Elle donne à considérer que même en absence de pièces relatives à son origine ethnique, une entrevue avec son ancien litismandataire aurait permis de confirmer son origine turkmène, de sorte qu’une simple confrontation avec un interprète turkmène aurait permis au ministère de faire le même constat.

En ce qui concerne l’affirmation du ministre selon laquelle il ne lui serait jamais rien arrivé en raison de ses origines turkmènes, la demanderesse explique qu’elle et sa famille auraient été contraintes et forcées de déménager pour leur survie en quittant la juridiction de … dans la province de … pour la juridiction de … dans la même province, tel que cela ressortirait du justificatif de domicile délivré à son père en date du 29 août 2006.

Elle explique que le fait qu’elle et sa famille auraient toujours dû cacher leur origine ethnique pour ne pas être victimes de persécutions serait le résultat de la politique dictatoriale de Saddam Hussein qui aurait voulu arabiser toute la population iraquienne. Ainsi, sa famille aurait appris à occulter son origine ethnique à l'extérieur de la maison, de sorte que, la langue turkmène aurait seulement été utilisée dans leur sphère privée.

Pour autant que nécessaire, elle renvoie à la carte d'appartenance turkmène de son père qu’elle verse à l’appui de son recours.

Elle invoque encore, à ce sujet, le rapport « The Security Situation in Iraq: July 2016-

November 2017 » selon lequel les turkmènes se sentiraient marginalisés depuis longtemps en Irak et selon lequel la communauté turkmène serait très hétéroclite sur le plan politique.

La demanderesse fait plaider que « le fait de cacher sa véritable origine ethnique constitue[rait] à lui seul un acte de persécution de la part de la population environnante, alors qu'il [serait] emprisonnant de cacher une partie de son identité, pour éviter tout acte de persécutions. ».

Pour autant que de besoin, la demanderesse souligne finalement qu'avant d'être chiite, en raison de son mariage et pour la bonne entente avec sa belle-famille, elle aurait été sunnite, ce qui prouverait qu’elle serait même prête à changer de religion en raison du fait qu’elle serait habituée à cacher sa véritable identité.

En ce qui concerne l’incident à la crèche et la mise en doute du ministère d’un lien avec ses origines turkmènes, la demanderesse souligne que la directrice de la garderie ne l’aurait pas soutenue face aux menaces du père de l’enfant, étant donné qu’il aurait été plus facile pour cette dernière de rendre responsable une employée qui n’est pas de la région et qui n'appartient pas à l'ethnie majoritaire des employés de la crèche.

Elle relève que le père de l'enfant, en tant que militaire, souhaiterait une vengeance au lieu d'une réparation du préjudice subi par son enfant, de sorte qu’elle n’aurait pas droit à un procès équitable.

Elle rappelle, dans ce contexte, qu’elle aurait clairement précisé que ce serait son appartenance ethnique qui serait à l’origine de l'acharnement du père de l'enfant blessé à son encontre.

En ce qui concerne la situation des femmes vivant seules en Irak, la demanderesse relève qu’elle aurait pourtant bien expliqué lors de son audition qu'elle se serait trouvée chez ses beaux-parents quand l'homme à la recherche de son époux se serait présenté au domicile de ses beaux-parents, ce qui aurait incité son beau-père à la déplacer chez sa sœur par peur que ledit homme ne s'en prenne à elle.

A toutes fins utiles, elle donne à considérer que non seulement son mari serait actuellement recherché au moyen d’un mandat d’arrêt du 11 octobre 2015, mais qu’un tel mandat aurait également été émis à son encontre sans que l'autorité ministérielle ne l'ait pris en considération, au mépris de l'article 10, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que la décision déférée serait à réformer pour manque d'instruction suffisante, pour mauvaise appréciation des faits d'espèce, violation des principes de diligence et de loyauté, ainsi que pour violation de la loi.

Quant à la situation sécuritaire dans son pays d'origine, la demanderesse cite des extraits d’un rapport d'Amnesty International du 24 février 2016, qui aurait mis en exergue que la situation des droits de l’Homme continuerait à se détériorer en Irak, du fait que les forces de sécurité gouvernementales ainsi que le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique » auraient commis des crimes de guerre. De même, l’indépendance du système judiciaire ne serait pas toujours garantie, notamment dans le cadre de procès en matière de terrorisme.

Elle donne à considérer que la réalité du système de police irakien, respectivement du système judiciaire, à l'heure actuelle, ne permettrait pas de penser que les autorités irakiennes feraient leur travail, alors qu’elle rappelle que, malgré sa plainte, elle n’aurait reçu aucune protection en ce qui concerne les menaces du dénommé ….

Selon le rapport du Service d'Immigration finlandais « Security Situation in Baghdad -

The Shias Militias » du 29 avril 2015, il serait compréhensible que les personnes d’origine sunnite auraient spécialement peur de déposer plainte pour des méfaits des militaires et des milices. D’ailleurs, la police affirmerait être généralement incapable d’aider faute de moyens et parfois faute de volonté, de même qu’une plainte pourrait provoquer des représailles supplémentaires de la part des milices shiites qui seraient également présentes dans les bureaux de police, ce qui rendrait difficile, voire impossible des plaintes de la part de sunnites contre ces mêmes milices.

La demanderesse en conclut que la justice iraquienne serait partant loin d'être efficace et ne servirait qu'à protéger les intérêts des milices chiites.

Elle se réfère encore à un projet de rapport contenant une proposition de résolution non législative du 23 mars 2018 sur le projet de décision du Conseil européen relative à la conclusion d'un accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses Etats membres d'une part, et la république d'Irak, d'autre part, qui aurait exprimé sa préoccupation quant à l'importante fragmentation de la société irakienne, invitant l'Union européenne à soutenir pleinement une stratégie de réconciliation nationale et appelant à renforcer son dialogue politique avec les autorités irakiennes afin de promouvoir le respect des droits de l'homme, le renforcement des institutions démocratiques, les principes de l'Etat de droit et la bonne gouvernance, tout en faisant de l'abolition sinon d’un moratoire de la peine de mort une priorité. Il y aurait également souligné la nécessité de soutenir le développement de la société civile irakienne et sa participation pleine et entière aux différents processus de réformes avec une attention particulière à porter à la représentation des femmes, des jeunes, ainsi que des personnes issues des minorités ethniques et religieuses, notamment les chrétiens. Il y serait également demandé à la Commission de soutenir une réforme du système judiciaire, notamment en ce qui concerne la justice transitionnelle, afin de garantir le respect des normes internationales en matière de procès équitables et d'indépendance de la justice.

Au vu de ces explications, la demanderesse estime qu’elle serait bien victime directe d'actes de persécution d'une gravité particulière et suffisante et non pas seulement d'un sentiment latent de tensions et de malaise.

La demanderesse considère qu’elle remplirait les conditions de l'article 42, paragraphe (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné qu’en sa qualité de ressortissante irakienne, d’appartenance turkmène, elle ferait l'objet de menaces, respectivement d'un mandat d'arrêt en raison de la blessure d'un enfant au sein de la garderie dans laquelle elle aurait travaillé, et ce, du fait que le père dudit enfant serait un militaire, dépositaire de l'autorité publique.

Elle affirme encore avoir été contrainte de quitter le domicile de sa belle-famille en raison des menaces exercées à l'encontre de son époux considéré comme un traître pour avoir travaillé pour une organisation financée par l'Ambassade américaine. Le dénommé …, à la recherche de son époux, aurait également déposé une plainte contre ce dernier aux termes de laquelle un mandat d'arrêt aurait été émis.

Finalement, la demanderesse donne encore une fois à considérer que, depuis sa naissance, elle aurait toujours dû occulter son appartenance ethnique turkmène, alors que le régime de Saddam Hussein aurait voulu arabiser le peuple irakien, situation qui aurait gravement porté préjudice à son état de santé psychique pour lequel elle serait actuellement suivie par des professionnels de santé.

Par ailleurs, le fait d'avoir été persécutée et, en l'occurrence, menacée dans son pays d'origine, par un militaire, lequel serait considéré comme étant dépositaire de l'autorité publique, constituerait « une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) », n'ayant pas cessé à ce jour.

Elle remplirait également les conditions de l'article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné qu’il ne ferait aucun doute qu’elle aurait été victime de violences mentales, et cela, en raison de son appartenance ethnique turkmène tout d'abord, ainsi qu’en raison des menaces émises par le militaire …, respectivement par le dénommé … à la recherche de son époux, menaces, d’ailleurs corroborées par deux mandats d'arrêt à son encontre respectivement à celui de son époux, qui n'auraient fait que détériorer son état de santé, de sorte qu’elle n'aurait pas eu d'autre choix que de quitter son pays d'origine pour se soustraire à des persécutions à caractère politique de la part de ses agresseurs travaillant pour la puissance publique et contre lesquelles aucune protection de la part des autorités de police et judiciaires en place ne serait partant possible.

A titre subsidiaire, la demanderesse estime remplir les conditions d’octroi de la protection subsidiaire au sens de l'article 48, b) de la loi du 18 décembre 2015, par le fait qu'elle aurait d'ores et déjà dû souffrir des atteintes graves, et qu’elle devrait vivre dans la crainte constante que les menaces à son égard ne se réalisent. Elle relève que les traitements inhumains, sinon les traitements dégradants violeraient l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », proscrivant, de manière absolue, la commission de tels traitements à l'encontre d'une personne, sans qu’il ne puisse y être dérogé en temps de guerre ou autre danger national.

Elle donne à considérer que l’environnement dans son pays d’origine serait devenu invivable, de sorte qu’elle n’aurait eu d'autre possibilité que de le fuir pour rester en vie, relevant qu’il n’y aurait aucune raison de penser que ces atteintes graves ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine.

Finalement, elle relève qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir profité d’une fuite interne au sens de l'article 41 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’elle ferait l’objet d’un mandat d’arrêt.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours en reprenant en substance l’argumentation de la décision déférée.

I) Quant au recours dirigé contre le refus d’une protection internationale :

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que c’est à bon droit que la décision déférée a retenu que les faits relatés par la demanderesse ne relèvent pas de l’un des critères de la Convention de Genève, respectivement de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, bien que cette dernière soutienne être persécutée notamment en raison de son origine ethnique.

En effet, au-delà de la question de savoir s’il est établi que la demanderesse est d’origine turkmène ou non, force est au tribunal de retenir, à l’instar de la partie gouvernementale, que la demanderesse reste en défaut d’établir le moindre évènement concret suffisamment objectif pouvant laisser penser à une persécution en raison de son origine ethnique.

Ainsi, c’est à bon droit que la décision déférée a constaté que la demanderesse, en ce qui concerne les discriminations vécues par les personnes d’origine turkmène, se limite à se référer au projet d’arabisation du peuple irakien par l’ancien dictateur Saddam Hussein, sans pour autant affirmer que cette politique serait toujours d’actualité sous le nouveau régime.

Mis à part son allégation, d’ailleurs contredite par les sources internationales citées par la partie gouvernementale, selon laquelle il ne serait pas admis de hisser un drapeau turkmène en Irak, la demanderesse s’abstient de relater le moindre incident vécu personnellement dans le cadre duquel elle aurait été discriminée en raison de ses origines turkmènes, origines qu’elle affirme cacher et qui seraient d’ailleurs officiellement ignorées depuis que sa famille se serait revendiquée arabe.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argument de la demanderesse selon laquelle le fait, pour elle, de cacher sa véritable origine ethnique constituerait à lui seul un acte de persécution de la part de la population environnante, alors qu'elle reste en défaut d’expliquer quelles persécutions ou discriminations elle aurait risqué si elle avait publiquement affiché son origine turkmène.

En ce qui concerne les problèmes qu’elle a eus suite à l’accident à la crèche, force est également de constater que le lien de ces derniers avec ses origines turkmènes reste purement spéculatif du fait de résulter de la seule opinion personnelle de la demanderesse, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément objectif de son récit que les actes commis par le militaire, respectivement par la directrice, auraient été motivés par son origine turkmène. Il découle, au contraire, de son récit que ces derniers ont agi en raison du fait avoué que la demanderesse était en charge de la surveillance de l’enfant blessé au moment de l’accident, le père de l’enfant cherchant à engager la responsabilité pénale et civile de la demanderesse, tandis que la directrice cherchant à assurer la pérennité de sa crèche, sans qu’il ne ressorte de manière objective des éléments soumis à l’analyse du tribunal que ces faits auraient été fondés sur un des critères de fond de la Convention de Genève et plus particulièrement l’origine ethnique, respectivement les croyances religieuses de la demanderesse.

Quant à l’argumentation de la demanderesse selon laquelle elle serait persécutée en relation avec les problèmes de son époux, force est également de relever que la demanderesse reste en défaut de fournir le moindre élément objectif permettant de retenir qu’elle risquerait d’être personnellement importunée à cet égard, étant relevé qu’il ressort de son récit que si les hommes à la recherche de son mari sont certes passés à la maison de ses beaux-parents où elle avait également habité avec son mari, ces personnes n’ont cependant jamais demandé de parler à elle. La demanderesse explique également que ce n’est que par esprit de précaution que son beau-père a décidé qu’elle devrait s’installer ailleurs, sans que le dossier ne comporte le moindre indice d’un risque concret y relatif pour elle.

Finalement, en ce qui concerne les persécutions qu’elle craint subir du fait de sa position de femme vivant seule en Irak, force est de relever que le récit de la demanderesse ne fournit pas non plus la moindre doléance à cet égard, la demanderesse semblant au contraire avoir pu vivre de manière indépendante en travaillant dans une crèche.

Au regard des considérations qui précèdent, force est de retenir que la demanderesse reste en défaut d’invoquer un quelconque fait basé sur un des critères de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies en l’espèce.

Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne ce volet du dossier.

b) Quant au recours contre la décision de refus d’un statut de protection subsidiaire Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef de la demanderesse d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi, énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles atteintes graves se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où elle soutient qu’elle ne risquerait que de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour dans son pays d’origine, le tribunal se limitera dès lors à examiner uniquement le point b) dudit article.

Au vu des considérations dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que la demanderesse n’a pas fait état d’un fait concret en relation avec son origine turkmène, avec sa situation de femme vivant seule en Irak et avec les problèmes de son époux, le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion dans le cadre de l’analyse visant à déterminer si les faits invoqués pourraient éventuellement être qualifiés d’atteintes graves, en l’occurrence de traitements inhumains et dégradants.

Ainsi, le seul incident susceptible d’être analysé sous ce volet du recours est celui des suites de l’accident à la crèche.

Or, la demanderesse est en aveu de ce qu’elle était chargée de la surveillance des enfants au moment de l’accident et que sa responsabilité tant civile que pénale risque d’être engagée.

Si le père de l’enfant a certes eu une réaction déplacée suite aux blessures subies par son enfant en ce qu’il a non seulement menacé de faire fermer la crèche, mais a également directement menacé la demanderesse de lui faire subir les mêmes blessures, et s’il s’est effectivement présenté au domicile de la demanderesse, qui vivait à ce moment chez ses beaux-parents, il ne ressort cependant pas des éléments du dossier que la demanderesse risque des traitements inhumains et dégradants contre lesquelles aucune autorité de son pays d’origine ne pourrait la protéger. Si la police, saisie des menaces ainsi proférées, a estimé ne rien pouvoir entreprendre contre le père de l’enfant blessé en raison de la qualité de militaire haut placé de ce dernier, il n’en ressort cependant pas qu’en cas de tentative de passage à l’acte, ledit militaire resterait nécessairement inviolable.

Cette conclusion n’est pas énervée par la fourniture au dossier, par la demanderesse, d’un mandat d’arrêt la concernant émanant d’un juge suite à une plainte déposée par ledit militaire, alors qu’une demande de protection internationale ne saurait avoir comme seul but de se dérober à la justice de son pays d’origine, étant d’ailleurs rappelé que la demanderesse concède avoir été officiellement en charge de la surveillance des enfants au moment de l’accident, de sorte qu’elle peut a priori être légitimement attraite devant les juridictions civiles, voire répressives pour y voir engager sa responsabilité. Ainsi, la seule crainte, sans autres circonstances, résultant du fait d’être poursuivie y relativement ne peut être constitutive d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, à moins que les mesures de représailles ne soient disproportionnées, ce qui n’est pas établi en l’espèce. La simple allégation non autrement étayée qu’un procès y relatif serait biaisé dès le départ n’est pas suffisant à cet égard.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

II) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A cet égard, la demanderesse expose que l’ordre de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation de la loi, alors qu’elle risquerait de subir des atteintes graves telles que définies aux articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.

Elle estime encore que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après dénommée « la loi du 29 août 2008 », qui dispose que « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », dans la mesure où un retour en Irak serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte à constituer également une violation de l’article 3 de la CEDH. Afin d’appuyer ses déclarations, elle se réfère à la jurisprudence de la CourEDH1 ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’homme2 selon lesquelles l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour un non-éloignement.

1 CEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, requête n° 30240/96 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, requête n° 14038/88 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah c. Royaume-Uni, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

2 Commission, 15 décembre 1977, X. c. RFA, requête n° 6699/74, DR 11, p.16.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à la demanderesse l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient a priori être valablement remis en cause.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008, tel qu’invoqué par la demanderesse, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3 de celle-

ci, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3 de la CEDH, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 de la CEDH garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 de la CEDH qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Irak, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef de la demanderesse, de tout risque réel et actuel de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son pays d’origine, qui est l’Irak, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH3, le tribunal estime qu’il n’existe pas un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, ainsi que d’une violation « autonome » de l’article 3 de la CEDH encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2018 rejetant la demande de protection internationale de Madame … ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2018 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 décembre 2020 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 3 CEDH, 4 février 2004, Lorsé et autres c. Pays-Bas, § 59.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 41495
Date de la décision : 15/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-12-15;41495 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award