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14/12/2020 | LUXEMBOURG | N°42731

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 décembre 2020, 42731


Tribunal administratif N° 42731 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 avril 2019 1re chambre Audience publique du 14 décembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42731 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 avril 2019 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation ...

Tribunal administratif N° 42731 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 avril 2019 1re chambre Audience publique du 14 décembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42731 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 avril 2019 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 mars 2019 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de port d’armes du 2 juillet 2018;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2019 par Maître Jean-Marie Bauler, au nom et pour compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Laurent Thyes en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 octobre 2020, et vu les remarques écrites de Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, du 13 octobre 2020, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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Par arrêté du 6 mai 2010, le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », révoqua l’autorisation de port d’armes de sport numéro … ayant été délivrée le 26 février 2010 à Monsieur …. Ledit arrêté, contre lequel aucun recours contentieux n’a été introduit, est fondé sur les motifs suivants :

« […] Vu l'autorisation no. … délivrée le 26 février 2010 au sieur …, né le … à …, domicilié à L-…, en vue de lui permettre le port, à des fins de tir sportif, d'un pistolet RUGER MKII cal. .22 lr no. 217-04682, arme qui se trouve actuellement consignée chez l'armurier …;

Vu qu'il résulte du dossier administratif que M. … a dû être hospitalisé en raison de troubles dépressifs, ce au moins du 1er au 15 avril 2010 ;

Vu que les épisodes dépressifs chez l'intéressé ne sont apparemment pas récents et qu'ils semblent perdurer alors qu'il continue à faire l'objet d'un traitement médical pour la même pathologie ;

Considérant sous ces conditions le risque réel que peut constituer la possession d'une arme à feu pour l'intéressé lui-même et son entourage ;

Vu en outre la condamnation du 17 juin 2009 prononcée par le Tribunal correctionnel de Luxembourg à l'encontre de M. … du chef notamment de banqueroute simple ;

Vu l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des Communes et considérant qu'il y a urgence ;

Vu la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, notamment ses articles 16, alinéa 2, et 18 […] ».

Par formulaire préétabli du 2 juillet 2018, réceptionné le 4 juillet 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice, service des armes, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’un permis de port d’armes de sport.

Par courrier du 24 octobre 2018, le ministre invita Monsieur … à lui fournir un certificat médical récent délivré par un médecin-psychiatre. Ce courrier est libellé comme suit : « […] Le Service des armes prohibées du Ministère de la Justice confirme la réception de votre demande du 04 juillet 2018 en obtention d'un permis de port d'armes de sport.

Toutefois, il résulte de votre dossier administratif que vous avez suivi un traitement psychiatrique par le passé. Par conséquent, et avant tout autre progrès dans cette affaire, je vous prie de bien vouloir me faire tenir un certificat médical récent délivré par un(e) médecin-psychiatre, duquel il ressortira expressément que votre état de santé actuel est compatible avec la possession d'armes à feu, dans le sens où celle-ci ne comporte pas de risques particuliers pour votre personne et/ou autrui. […] ».

Par courrier électronique du 17 décembre 2018, Monsieur … communiqua au ministère un certificat médical établi par le docteur …, médecin-psychiatre, le 14 décembre 2018, duquel il résulte que « le patient est stable sur le plan santé mentale ».

Par courrier du 28 janvier 2019, le litismandataire du demandeur s’adressa au ministère afin de se renseigner sur l’état d’instruction de la demande en obtention d’un permis de port d’armes de sport telle qu’introduite en date du 4 juillet 2018.

Par décision du 4 mars 2019, notifiée au litismandataire du demandeur le 7 mars 2019, le ministre refusa de faire droit à la demande d’autorisation de port d’armes introduite le 4 juillet 2018 par Monsieur …, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 28 janvier 2019 dans lequel vous sollicitez la délivrance d'un permis de port d'armes au nom et pour le compte de votre mandant, Monsieur ….

Il ressort du dossier administratif de Monsieur … que celui-ci s'est vu révoquer son permis de port d'armes de sport en date du 6 mai 2010 en raison de troubles dépressifs.

Lors de l'introduction en date du 4 juillet 2018 de la nouvelle demande en obtention d'un permis de port d'armes de sport, le Service des armes prohibées a demandé à votre mandant par courrier du 24 octobre 2018 de fournir un certificat médical récent délivré par un/une médecin-psychiatre, duquel il ressort expressément que son état de santé actuel est compatible avec la possession d'armes à feu.

En date du 14 décembre 2018, votre mandant a envoyé un certificat du Dr … selon lequel son état de santé mentale est actuellement stable. Ce certificat ne fait toutefois aucun lien avec la possession d'armes à feu tel que demandé explicitement par le Service des armes prohibées.

En conséquence de tout ce qui précède, l'autorisation sollicitée est refusée en application de l'article 16 alinéa 2 de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, alors qu'il est actuellement à craindre que la possession d'armes à feu par votre mandant ne comporte des risques pour lui-même et/ou pour autrui. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 4 mars 2019.

Etant donné que ni la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, ci-

après désignée par « la loi du 15 mars 1983 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de port d’armes, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le tribunal est, par contre, compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend les faits et rétroactes ayant abouti à la décision ministérielle litigieuse, tels que repris ci-avant.

En droit, il invoque, tout d’abord, une violation de l’article 16, paragraphe (2) de la loi du 15 mars 1983, en faisant valoir que le ministre lui aurait refusé l’autorisation de port d’armes au motif qu’en 2010, son permis de port d’armes de sport numéro … lui avait été retiré en raison de troubles dépressifs, alors qu’il serait actuellement en bonne santé, tel que cela résulterait d’un certificat médical établi par le docteur … le 14 décembre 2018, renseignant qu’il serait stable sur le plan mental.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir, de manière « simpliste », déduit de son épisode dépressif en 2010 une crainte qu’il représente un danger pour soi-même sinon pour autrui, tout en insistant sur le fait que l’état de santé d’une personne ne serait pas figé dans le temps, mais se trouverait en évolution constante.

Il estime en outre qu’exiger de sa part de verser un certificat médical qui confirme expressément « que son état de santé actuel est compatible avec la possession d’armes à feu », reviendrait à violer la loi, alors que la loi du 15 mars 1983 ne prévoirait pas une telle condition afin de bénéficier d’une autorisation de port d’armes.

Le demandeur reproche encore au ministre d’avoir outrepassé ses pouvoirs pour avoir rejeté son certificat médical, sans s’être basé sur des considérations d’ordre médical contredisant expressément l’avis émis par le docteur ….

Il s’ensuivrait que le ministre aurait commis un excès de pouvoir.

Le demandeur donne, à cet égard, à considérer que si le ministre avait des doutes quant à la comptabilité de son état de santé avec le port d’armes à feu, il aurait dû le « transférer » vers un médecin de son choix, au lieu de refuser l’autorisation sur base de faits médicaux datant de plus de huit ans.

Finalement, le demander fait valoir que le refus de faire droit à sa demande d’autorisation de port d’armes constituerait une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-

après désignée par « la CEDH », dans la mesure où il serait privé de pratiquer le sport de son choix.

Dans ce contexte, il fait plus particulièrement état d’une violation de l’article 8, paragraphe (2) de la CEDH, au motif que les exigences posées par le ministre concernant la teneur du certificat médical constitueraient une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée, ingérence qui ne serait, selon le demandeur, pas prévue par la loi et qui constituerait dès lors une mesure qui, dans une société démocratique, ne serait pas nécessaire à la sécurité nationale, à la sureté publique, au bien-

être économique, à la défense de l’ordre ni encore à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Enfin, suivant le dispositif, le demandeur sollicite la communication du dossier administratif.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement, après avoir repris les faits et rétroactes de l’affaire, relève à titre liminaire que la demande en obtention d’une autorisation de port d’armes telle que sollicitée le 2 juillet 2018 par Monsieur … n’aurait pas été refusée par le courrier du ministre du 24 octobre 2018, qui aurait eu comme seule finalité de solliciter de la part du demander un certificat médical approprié.

Le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que la demande en obtention d’une autorisation de port d’armes litigieuse n’aurait pas été refusée au motif que le demandeur aurait eu des troubles dépressifs en 2010.

Il explique, à cet égard, que le demandeur aurait lui-même attiré l’attention du ministre sur ses antécédents mentaux de 2010, puisqu’il résulterait du rapport de police du 2 août 2018 que, sur la question de savoir si le demandeur avait déjà eu des traitements psychologiques, celui-ci aurait répondu par la négative.

Il s’ensuivrait que la demande en obtention d’une autorisation de port d’armes litigieuse aurait également été examinée à la lumière de la révocation dans le chef du demandeur du permis de port d’armes de sport le 6 mai 2010, et ce même si les faits de 2010 ne faisaient pas partie de la motivation de la décision ministérielle du 4 mars 2019.

En s’appuyant sur l’article 16, paragraphe (2) de la loi du 15 mars 1983, le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que le ministre devrait s’assurer que l’état mental d’un demandeur en obtention d’un permis de port d’armes ne présente pas de danger pour lui-

même ou pour autrui. Ainsi, la loi ferait un lien entre l’état de santé mentale et la possession d’armes à feu.

Ce serait pour cette raison qu’un certificat médical circonstancié aurait été demandé au demandeur pour établir la compatibilité de son état de santé mentale avec la possession d’armes à feu.

S’agissant du reproche du demandeur selon lequel le ministre aurait « rajouté une condition non prévue par la loi », le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait uniquement précisé que la teneur du certificat médical devrait être suffisamment claire et ce afin lui de permettre de s’assurer que la condition posée par l’article 16, paragraphe (2) de la loi du 15 mars 1983 est remplie.

Il s’ensuivrait que le ministre ne se serait pas basé sur des antécédents psychiatriques datant de 2010, mais au contraire, aurait essayé d’avoir une image claire et actuelle de l’état de santé mentale du demandeur.

Or, le certificat médical produit par le demandeur se bornerait à mentionner qu’ « actuellement, le patient est stable sur le plan santé mentale ».

Finalement, le délégué du gouvernement réfute l’argumentation du demandeur selon laquelle la décision litigieuse violerait l’article 8 de la CEDH, en donnant à considérer, d’une part, que le droit de pratiquer le tir sportif en tant que passe-temps ne saurait être considéré comme faisant partie des droits de l’homme, et, d’autre part, que l’article 16 de la loi du 15 mars 1983 imposerait au ministre de s’assurer que seules les personnes dont notamment l’état de santé mentale est compatible avec la possession d’armes à feu se verraient délivrer un permis de port d’armes.

Il insiste encore sur le fait que si le tribunal venait à retenir une ingérence dans la vie privée du demandeur, celle-ci aurait lieu à la demande de Monsieur … qui a sollicité un permis de port d’armes et se limiterait, par ailleurs, au strict nécessaire afin de satisfaire aux exigences de la loi du 15 mars 1983.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur donne à considérer que tous les documents relatifs au retrait de son permis de port d’armes en 2010 feraient partie du dossier administratif communiqué par la partie étatique, de sorte qu’ils auraient nécessairement influé sur la décision ministérielle de refus litigeuse.

Le demandeur estime avoir été sanctionné pour le fait d’avoir omis d’indiquer dans le questionnaire relatif à l’octroi d’une autorisation de port/détention d’armes qu’il avait déjà suivi un traitement psychiatrique par le passé.

Il reproche, à cet égard, au ministre d’avoir inversé les conditions de refus d’autorisation en admettant qu’un suivi psychiatrique par le passé entraînerait qu’il présenterait ipso facto un danger pour soi-même ou pour autrui à l’heure actuelle.

A titre subsidiaire, il réitère son argumentation selon laquelle le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, alors qu’il résulterait clairement et de manière non équivoque du certificat médical établi par le docteur … du 14 décembre 2018 qu’il serait stable sur le plan de santé mentale, c’est-à-dire qu’il ne présenterait de danger ni pour soi-

même, ni pour autrui.

Il donne finalement à considérer que même si le port d’armes ne constituait pas, en tant que tel, un droit de l’homme, le droit de pouvoir s’adonner à des activités de loisirs, tel que le sport, ferait toutefois partie du droit à la vie privée de tout un chacun, droit qui serait violé par le fait que le ministre ne prouverait pas en quoi l’autorisation de port d’armes constituerait un danger pour la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d’autrui.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement précise qu’il n’aurait pas entendu faire croire que le passé médical du demandeur n’aurait joué aucun rôle dans la prise de la décision litigieuse.

Il explique, à cet égard, que l’état de santé mentale d’une personne serait en règle générale évolutif, de sorte que le ministre aurait pu, voire dû prendre en considération les antécédents psychiques du demandeur dans le contexte de la prise de décision, raison pour laquelle il aurait demandé un certificat médical.

Tout en affirmant que le demandeur n’aurait pas été « sanctionné » pour le fait d’avoir omis d’informer la police, dans le cadre des réponses à fournir au questionnaire du ministère, qu’il avait déjà suivi un traitement psychiatrique dans le passé, le délégué du gouvernement expose que le refus ou la révocation d’un permis de port d’armes ne serait pas une sanction, mais l’application du principe de précaution sur lequel reposerait la loi du 15 mars 1983, en s’appuyant, à cet égard, sur un jugement du tribunal administratif du 20 janvier 2014, inscrit sous le numéro 31726 du rôle.

En revanche, le ministre aurait pu, voire dû se poser des questions lorsque, en juillet 2018, le demandeur a affirmé ne jamais avoir fait l’objet d’un traitement psychiatrique, tandis que son permis de port d’armes aurait été révoqué en mai 2010 pour des troubles dépressifs ayant exigé une hospitalisation d’environ deux semaines, de sorte que, face à un tel comportement du demandeur, il aurait été, selon le délégué du gouvernement, légitime de solliciter un certificat médical afin de « déterminer son état de santé mentale actuel ».

Ainsi, il serait faux d’affirmer que le ministre aurait déduit des antécédents psychiatriques une inaptitude du demandeur à porter une arme à feu.

Selon le délégué du gouvernement, il ne saurait pour le surplus être question d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre, alors qu’il résulterait clairement du dossier administratif que, pour satisfaire à la loi, celui-ci aurait sollicité un certificat médical devant relater très précisément une compatibilité entre l’état de santé mentale du demandeur et la possession d’armes à feu, tandis que le certificat médical litigieux du 14 décembre 2018 se bornerait à affirmer qu’ « actuellement, le patient est stable sur le plan santé mentale », de sorte qu’il serait imprécis et équivoque.

Il fait valoir que, dans ce contexte, il ne saurait pas non plus être reproché au ministre de ne pas avoir sollicité un deuxième avis médical dans la mesure où le docteur …, qui a également suivi le demandeur dans le passé, n’aurait pas été à même de certifier une compatibilité entre l’état de santé mentale de celui-ci et la possession d’armes à feu, de sorte qu’un autre psychiatre n’aurait, selon le délégué du gouvernement, pas pu certifier cette compatibilité sur base de quelques simples consultations.

Le délégué du gouvernement estime, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 16, paragraphe (2) de la loi du 15 mars 1983, que le ministre n’aurait, par ailleurs, pas l’obligation de prouver avec une certitude scientifique totale que le demandeur ferait, dans le futur, un mauvais usage d’une arme.

Il s’ensuivrait que le ministre aurait uniquement fait application des critères restrictifs prévus par la loi tels que prévus par la jurisprudence des juridictions administratives.

Tout en réfutant l’argument du demandeur tiré d’une violation de l’article 8 de la CEDH, le délégué du gouvernement donne finalement à considérer que si le ministre délivrait à tort un permis de port d’armes à une personne dont la santé mentale est incompatible avec la possession d’armes à feu et que cette personne tue ou blesse ensuite une autre personne avec l’arme autorisée, ceci constituerait une violation de la protection de la santé et des droits de la victime en cause au sens de l’article 8 de la CEDH.

S’agissant, tout d’abord, de la demande en communication du dossier administratif formulée par le demandeur exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier mis à sa disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

Aux termes de l’article 16 de la loi du 15 mars 1983 sur le fondement duquel le ministre a basé son refus : « L’autorisation d’acquérir, d’acheter, d’importer, de transporter, de détenir, de porter, de vendre, de céder des armes et munitions est délivrée par le Ministre de la Justice ou son délégué, si les motifs invoqués à l’appui de la demande sont reconnus valables. L’autorisation peut être refusée lorsqu’il est à craindre que le requérant, compte tenu de son comportement, de son état mental et de ses antécédents, ne représente un danger pour soi-même, autrui, ou pour l’ordre et la sécurité publics. » Il résulte de la disposition légale précitée que le ministre peut refuser une autorisation de porter ou de détenir des armes et munitions, d’une part, lorsqu’il est établi que l’intéressé n’a pas ou plus de motifs valables pour requérir l’autorisation de port ou de détenir d’armes, et, d’autre part, même au cas où des motifs valables persisteraient, sur base de considérations fondées sur le comportement, l’état mental ou les antécédents de l’intéressé portant à craindre que le titulaire représente un danger pour soi-même, autrui, ou pour l’ordre et la sécurité publics, étant relevé que le législateur a clairement visé trois situations distinctes et indépendantes l’une de l’autre permettant au ministre de refuser une autorisation de port ou de détention d’armes1.

Il s’ensuit que le ministre est juge de l’opportunité d’octroyer ou de refuser l’autorisation de port d’armes, à condition que son appréciation repose sur des critères objectifs et s’opère d’une manière non arbitraire2.

Quant au contrôle à exercer par le tribunal à cet égard, il convient de relever que si les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent certes au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci garde néanmoins un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence du motif de refus concrètement invoqué3. Il appartient, en effet, au juge administratif de vérifier si les faits à la base du motif de refus retenu par le ministre sont établis, ce contrôle faisant partie, avec la recherche de l’erreur de droit, de l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir, du contrôle minimum pesant sur les actes, même sur ceux pris en vertu d’un pouvoir discrétionnaire. Ce contrôle ne saurait toutefois avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu’il appartient au seul ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l’égard des intéressés qu’à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence4.

Il convient encore de relever qu’en matière d’autorisation de port d’armes, la gravité de la décision d’accorder une autorisation de porter une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables y relatifs5.

En l’espèce, le ministre s’est basé sur des considérations fondées sur l’état de santé mentale du demandeur dont il déduit qu’il y aurait à craindre que celui-ci représente un danger pour soi-même, autrui, ou pour l’ordre et la sécurité publics. Plus particulièrement, le ministre s’est fondé sur les antécédents médicaux du demandeur, en affirmant qu’il ne ressortirait pas expressément du certificat médical établi par le docteur …, médecin spécialiste en psychiatre, du 14 décembre 2018 que l’« état de santé actuel [du demandeur] est compatible avec la possession d’armes à feu ».

Force est au tribunal de constater que certes l’article 16 de la loi du 15 mars 1983 permet au ministre de tenir compte des antécédents plus particulièrement médicaux de l’intéressé et de l’état mental du demandeur pour apprécier le danger pour celui-ci, pour autrui ou pour l’ordre et la sécurité publics tel que visé par ledit article 16. Certes encore, il ressort du dossier administratif que le demandeur s’est vu révoquer son permis de port d’armes de sport en date du 6 mai 2010 en raison de troubles dépressifs. Pareillement, il est vrai que la prise en considération de cet antécédent psychique justifie une vigilance accrue du ministre. Néanmoins, force est de constater qu’en l’espèce, le ministre avait à sa disposition un certificat médical du 14 décembre 2018, établi par le docteur …, qui était aussi le médecin 1 Trib. adm. 19 janvier 2015, n°33748 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

2 Trib. adm. 29 juin 2015, n° 34774 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Armes prohibées, n° 2, et les autres références y citées.

3 Cour adm.12 juin 2007, n° 22626C, disponible sous www.jurad.etat.lu.

4 Trib. adm. 22 février 2008, n° 24108 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

5 Trib. adm. 11 novembre 2002, n° 14888, confirmé par arrêt du 4 février 2003, n° 15655C, Pas. adm. 2020, V° Armes prohibées, n° 4.

traitant de l’époque du demandeur, qui indique qu’« [a]ctuellement, [Monsieur …] est stable sur le plan santé mentale ».

Si la partie étatique entend justifier le refus du ministre nonobstant ledit certificat médical par la considération que celui-ci ne fait pas mention de la question de la compatibilité de l’état de santé du demandeur avec un port d’armes, le tribunal est amené à retenir que ce constat à lui seul est insuffisant pour permettre au ministre de déduire que le demandeur présente ipso facto un danger potentiel pour soi-même, pour autrui ou pour l’ordre et la sécurité publics. En effet, le certificat médical, émanant du médecin traitant de l’époque du demandeur, confirme que l’état de santé actuel du demandeur est stable, et que partant la pathologie antérieure n’est plus d’actualité. Or, le ministre ne saurait présumer du seul fait que le demandeur était par le passé sous traitement psychologique en raison d’un épisode dépressif qu’il présentait encore 8 ans plus tard et malgré un certificat de son médecin traitant de l’époque confirmant la stabilité de son état de santé, un danger potentiel pour soi-même, pour autrui ou pour l’ordre et la sécurité publics, mais il aurait appartenu au ministre de justifier d’avantage le danger qu’il estime toujours exister actuellement.

Ainsi, en refusant purement et simplement au demandeur le port d’armes au seul motif qu’il ne ressortait pas expressément du certificat médical versé par celui-ci à l’appui de sa demande que celui-ci ne fait pas de lien avec la possession d’une arme à feu et à défaut d’autres éléments fournis par la partie étatique de nature à justifier le refus nonobstant le certificat médical qui est a priori de nature à dissiper les doutes soulevés par le ministre au regard de la pathologie antérieure du demandeur, le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation.

Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu d’annuler la décision sous examen et de renvoyer le dossier devant le ministre, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens présentés.

Le demandeur n’ayant pas établi dans quelle mesure il serait inéquitable qu’il supporte seul les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens, il est à débouter de sa demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, d’un montant de 1.500.- euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de la Justice du 4 mars 2019 et renvoie le dossier au ministre compétent;

rejette la demande en communication du dossier administratif comme étant devenue sans objet ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure présentée par le demandeur ;

met les frais et dépens à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 décembre 2020 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 42731
Date de la décision : 14/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-12-14;42731 ?

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