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07/12/2020 | LUXEMBOURG | N°45088

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 décembre 2020, 45088


Tribunal administratif N° 45088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 octobre 2020 2e chambre Audience publique du 7 décembre 2020 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45088 du rôle et déposée le 13 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être ...

Tribunal administratif N° 45088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 octobre 2020 2e chambre Audience publique du 7 décembre 2020 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45088 du rôle et déposée le 13 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Guinée) et être de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 septembre 2020 de la transférer vers l’Espagne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sabrina Hellinghausen, en remplacement de Maître Alain Gross, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 novembre 2020.

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Le 1er septembre 2020, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, unité criminalité organisée-police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, ainsi qu’au vu du résultat d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que Madame … avait franchi irrégulièrement les frontières espagnoles le 27 juillet 2020.

Toujours le même jour, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 7 septembre 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues espagnols en vue de la prise en charge de Madame … en exécution du règlement Dublin III, ce qu’ils acceptèrent par courrier du 24 septembre 2020.

Par décision du 29 septembre 2020, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne, en application des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 13 (1) du règlement Dublin III. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 1er septembre 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers l'Espagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 1er septembre 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 1er septembre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

Il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 27 juillet 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 1er septembre 2020.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 7 septembre 2020 une demande de prise en charge aux autorités espagnoles sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités espagnoles en date du 24 septembre 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu'État membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'État normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 1er septembre 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 27 juillet 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Guinée en date du 1er janvier 2018.

Vous auriez traversé le Mali et l’Algérie pour arriver au Maroc. Vous y seriez restée pendant deux ans et vous auriez travaillé dans un restaurant à …. Ensuite vous auriez traversé la mer en bateau et vous seriez arrivé à …/Espagne. Vous y auriez passé un ou deux mois avant de vous rendre au Luxembourg via la France.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 1er septembre 2020, vous avez fait mention d’avoir une bronchite chronique. Cependant vous n’avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Espagne, qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons encore que l'Espagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Espagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Espagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. De plus, il n'y a aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Espagne, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, l’Espagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Espagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, votre condition d'existence en Espagne revêtirait un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elle serait constitutive d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Espagne, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités espagnoles ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes espagnoles, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Espagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Espagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Espagne en informant les autorités espagnoles conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités espagnoles n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 octobre 2020, inscrite sous le numéro 45088 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 septembre 2020.

En vertu de l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, un recours en annulation peut être introduit contre une décision de transfert, de sorte que seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du 29 septembre 2020, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Madame … reprend les faits et rétroactes tels que repris ci-

avant. Elle ajoute avoir quitté son pays d’origine, la Guinée, du fait de sa situation personnelle :

elle aurait été sans-abri lorsque son oncle, chez lequel elle aurait été hébergée, l’aurait mise à la porte suite à son refus d’être mariée à l’âge de quinze ans à un homme qui aurait eu l’âge de son père. Elle aurait en outre fait l’objet d’une excision qui aurait entraîné de nombreuses complications. Elle aurait fui en direction de l’Algérie, où elle aurait demeuré un mois avant de rejoindre le territoire marocain, sur lequel elle serait restée pendant deux ans. Durant cette période, elle aurait essayé d’y construire une vie et aurait trouvé un emploi dans la restauration.

Mais, elle aurait, dans le cadre de cet emploi, subi des violences sexuelles de la part du chef cuisinier, violences contre lesquelles elle n’aurait pas pu requérir une protection des autorités marocaines, en raison de l’illégalité de son séjour au Maroc. En date du 17 juillet 2020, elle aurait quitté le prédit pays pour se rendre à …, en Espagne, où elle aurait été hébergée pendant quelques mois dans un foyer. Elle aurait enfin quitté l’Espagne le … pour se rendre au Luxembourg.

En droit, Madame … reproche tout d’abord au ministre d’avoir commis deux erreurs matérielles dans la décision litigieuse et demande, à cet effet, au tribunal de les redresser. Elle donne ensuite à considérer qu’il y aurait lieu de vérifier s’il existe, en Espagne, des défaillances systémiques dans le cadre de la procédure d’asile et des conditions d’accueil au sens de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, qui auraient pour conséquence d’infliger des traitements inhumains et dégradants aux demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après dénommée « la Charte » et de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH ». Dans ce cadre, elle fait valoir que la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prévoirait que « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale » et précise, à cet égard, qu’elle souffrirait d’une bronchite chronique et de problèmes de peau. Elle serait tombée malade dans le foyer à … en raison du manque d’hygiène, qui serait dû à la surpopulation dans le prédit foyer. Madame … fait encore valoir que l’accès aux soins lui aurait été à plusieurs reprises refusé sous prétexte qu’elle n’y aurait pas droit. Toute aide psychologique ou psychiatrique lui aurait été également refusée, bien qu’elle aurait été traumatisée par le viol vécu au Maroc. Dans ce contexte, elle renvoie à un article de Human Rights Watch du 31 juillet 2017, intitulé « Spain : Migrants held in poor conditions » et une lettre du Commissaire aux droits de l’Homme près le Conseil de l’Europe du 27 août 2020. Elle ajoute, en s’appuyant sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 16 février 2017, « C.K., H.F., A.S. c. Slovénie », numéro C-578/16, et en renvoyant à des attestations médicales ainsi qu’à une photo de ses problèmes dermatologiques, qu’un transfert vers l’Espagne entraînerait dans son chef le risque réel d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé.

Dans le cadre de son moyen tendant à la violation de l’article 4 de la Charte, Madame … affirme avoir vécu dans des conditions déplorables en Espagne : de la nourriture périmée aurait été servie aux migrants, le foyer aurait été surpeuplé et il n’y aurait eu qu’une seule toilette pour toutes les femmes du foyer, et de ce fait, elle aurait été infestée de parasites qui auraient provoqué des éruptions cutanées. Une telle situation aurait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans ses arrêts du 27 janvier 2015, « Neshkov et autres c. Bulgarie », numéro …, et du 10 janvier 2012, « Ananyev et autres c. Russie », numéros … et …. Elle réitère le fait que l’accès aux soins lui aurait été refusé et que les « autorités de surveillance » auraient demandé aux migrants de son foyer de le quitter. Elle insiste sur le fait que sa condition médicale et psychologique s’opposerait à son transfert vers l’Espagne.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, en ce qui concerne les deux erreurs matérielles dont la décision ministérielle serait entachée, à savoir sur l’année de naissance de Madame … et la date d’arrivée au Luxembourg, et pour lesquelles celle-ci requiert du tribunal une rectification, au-delà du fait que la demanderesse n’invoque aucune base légale à cet effet, le tribunal est amené à constater qu’il ne lui appartient pas de rectifier les erreurs matérielles dans une décision ministérielle, cette compétence relevant de l’autorité ministérielle elle-même.

Or, dans la mesure où la demanderesse n’a pas démontré avoir réclamé cette rectification auprès du ministre et qu’une erreur matérielle ne constitue a priori pas un motif d’annulation, le tribunal est amené à rejeter cette demande.

Ensuite, l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte, même tacitement, la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13 (1) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise dispose, quant à lui, que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ».

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13 (1) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Madame …, mais l’Espagne, qui a accepté de la prendre en charge le 24 septembre 2020, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de la transférer vers l’Espagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Le tribunal constate ensuite que la demanderesse ne conteste ni cette compétence de principe des autorités espagnoles, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais qu’elle soutient, en substance, que son transfert serait contraire aux articles 3 (2) du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il y a tout d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2) du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement - non invoqué par la demanderesse -, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En premier lieu, l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, invoqué par la demanderesse dans le cadre de son moyen ayant trait à la violation de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH, dispose que « (…) Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (…) ».

A cet égard, il convient de relever que l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

Or, dans la mesure où Madame … n’a pas eu la qualité de demanderesse de protection internationale lors de son séjour en Espagne, les autorités espagnoles ayant d’ailleurs expressément accepté de la prendre en charge sur base de l’article 13 (1) du règlement Dublin III, elle n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans le système d’accueil et d’accès aux soins des demandeurs de protection internationale en Espagne au sens de l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, qu’elle aurait personnellement pu rencontrer en Espagne.

Néanmoins, force est au tribunal de constater que la demanderesse, ayant depuis lors introduit une demande de protection internationale au Luxembourg, doit, en cas de transfert vers l’Espagne, y être dorénavant considérée comme demanderesse de protection internationale, et ce conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), de sorte que l’analyse du tribunal doit se limiter à l’accès aux conditions d’accueil minimales des personnes transférées sous le règlement Dublin III en Espagne.

S’agissant de prime abord des obligations découlant pour le ministre de l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2,3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE6 a, dans un arrêt du 19 mars 2019, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de cet arrêt du 19 mars 2019 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III renvoie, les défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine.7 Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79.

3 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur : www.jurad.etat.lu 4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

6 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, précité.

7 Idem, pt. 92.

lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

La demanderesse remettant en question la présomption du respect par les autorités espagnoles des droits fondamentaux, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en Espagne, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, les documents versés par la demanderesse et listés ci-avant ne démontrent pas qu’il existerait en Espagne une situation telle qu’elle risquerait, en cas de retour en Espagne, de se trouver dans un dénuement matériel extrême, qui la placerait dans une situation d’une gravité telle qu’elle pourrait être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

En effet, Madame … se limite à citer les documents précités, étant rappelé, à cet égard, que la demanderesse, si elle se plaint des conditions d’hygiène de son lieu de résidence, a affirmé lors de son entretien Dublin avoir été logée dans un foyer par les autorités espagnoles, alors même qu’elle se trouvait en situation irrégulière sur leur territoire.

Par ailleurs, en ce qui concerne le rapport, précité, du 31 juillet 2017 de Human Rights Watch, force est de constater que celui-ci ne permet pas de retenir des défaillances systémiques, alors que, datant de 2017, il ne reflète pas nécessairement la situation telle qu’elle se présente actuellement en Espagne concernant les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

S’agissant du courrier du Commissaire aux droits de l’Homme du 27 août 2020, celui-ci concerne exclusivement la situation spécifique des migrants et demandeurs d’asile logés au « bullring » (« plaza de toros ») de … en raison de la fermeture prolongée du centre d’hébergement pour refugiés à … due à la pandémie du Covid-19, mais ne saurait en tout état de cause être considéré comme représentatif des conditions d’accueil pour demandeurs d’asile dans toute l’Espagne.

Or, mis à part ces documents, la demanderesse ne fournit aucun autre élément permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Espagne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Espagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités espagnoles, étant rappelé que l’Espagne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et de la Convention de Genève.

De plus, en l’absence d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou d’un rapport actuel d’une institution supranationale et notamment de l’UNHCR demandant une suspension générale des transferts vers l’Espagne ou déconseillant des transferts vers ce pays dans le cadre du règlement Dublin III, le tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir des déficiences systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil en Espagne.

Le moyen basé sur l’existence de défaillances systémiques en Espagne est dès lors à rejeter pour être non fondé.

Toutefois, dans ce cadre, il échet encore de relever que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant, en effet, pas irréfragable8, tel que relevé ci-

avant. Dans ces conditions, l’article 3 de la CEDH implique l’obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays9.

Il échet dès lors d’analyser le moyen de la demanderesse tiré de la violation, par la décision ministérielle de la transférer en Espagne, de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte10, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant11.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé12.

8 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

9 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n°20113/07, point 75.

10 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

A cet égard, le tribunal est tout d’abord amené à relever que si la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, tel que c’est le cas en l’espèce, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours, sauf dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question, puisqu’elle peut affecter la légalité de la décision litigieuse, qui a alors, le cas échéant, été prise sur base d’une situation de fait erronée13.

En ce qui concerne précisément l’état de santé de la demanderesse, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément lui soumis, et notamment d’un certificat médical, que celui-ci serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert en Espagne. En effet, le fait d’avoir une bronchite chronique – étant précisé qu’elle a affirmé avoir toujours eu cette affection –, une éruption cutanée et des problèmes psychologiques est en tout état de cause insuffisant à cet égard, et ne permet pas de retenir qu’un transfert vers l’Espagne entraînerait dans son chef le risque réel d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, au sens de la jurisprudence de la CJUE du 16 février 2017, « C.K., H.F., A.S. c. Slovénie », invoquée par Madame ….

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage d’aucun élément tangible soumis à son appréciation que les demandeurs de protection internationale en Espagne n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin, ni d’une manière générale.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’aide espagnol serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités espagnoles en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si elle devait estimer que le système espagnol ne serait pas conforme aux normes européennes. Dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure »), ainsi que de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil »), directement auprès des autorités espagnoles en usant des voies de droit adéquates.

Partant, le tribunal est amené à constater que la demanderesse est restée en défaut de prouver que son transfert vers l’Espagne entraînerait un risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ou qu’il constituerait dans son chef un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le moyen afférent de la demanderesse est partant à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

13 Trib. adm., 8 juin 2015, n° 35102 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 27 et les autres références y citées.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 7 décembre 2020, par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45088
Date de la décision : 07/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-12-07;45088 ?

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