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03/12/2020 | LUXEMBOURG | N°43636

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 décembre 2020, 43636


Tribunal administratif N° 43636 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2019 2e chambre Audience publique du 3 décembre 2020 Recours formé par la société civile …, Luxembourg, contre des bulletins de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 43636 du rôle, déposée le 8 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif par la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners, établie et

ayant son siège social à L-…, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Lu...

Tribunal administratif N° 43636 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2019 2e chambre Audience publique du 3 décembre 2020 Recours formé par la société civile …, Luxembourg, contre des bulletins de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 43636 du rôle, déposée le 8 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif par la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, représentée par son gérant commandité actuellement en fonctions, la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par son gérant, Maître Alain Steichen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société civile …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des bulletins d’imposition suivants, tous émis le 24 mai 2018 :

- les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés des années d’imposition 2015 et 2016 - le bulletin de l’impôt commercial communal fixant la base d’assiette pour l’année 2015 - le bulletin de l’impôt commercial communal fixant la base d’assiette pour l’année 2016 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2020 par la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners, au nom de la société civile …, préqualifiée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gaëlle Felly, en remplacement de Maître Alain Steichen et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 octobre 2020.

Par un courrier du 27 mars 2018, le préposé du bureau d’imposition Sociétés 3, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa la société civile …, ci-après désignée par « la … », sur le fondement du paragraphe 205, alinéa 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée 1« Abgabenordnung », en abrégée « AO », qu’il envisageait de s’écarter sur différents points des déclarations fiscales pour les années 2014 à 2016. Ledit courrier a la teneur suivante :

« Conformément au §205(3) de la loi générale des impôts je vous informe, préalablement aux impositions des dossiers énumérés ci-haut, que le bureau d'imposition Sociétés III envisage de redresser vos déclarations des années 2014 – 2016 de la façon suivante : voir annexes avec calculs détaillés.

Remarques :

Ces sociétés exploitent chacune un immeuble, transformé en immeuble à haut nombre de studios. Ces studios sont de dimensions assez modestes et un bon nombre de nécessités (cuisine, espace living) semblent être disponibles à partir de chambres communes (voir site … »).

La mise en valeur de ces immeubles est dirigée à partir d’un site Internet : …, exploité par la société … (dont Mme … est l’associée unique). Ce site internet fournit un service de médiation de chambres pour locations à court ou à long terme (selon le site). Les locataires cibles sont (aussi d’après le site) les employés de grandes boîtes (…, …, …, …, …, …, …, Société …). Ils ont d’après leur site plus que 3000 locataires par an, plus de 100 résidences et les chambres sont entièrement meublés et entretenues et plus que 50 employés professionnels seraient à la disposition des clients.

Considérant les différentes caractéristiques de cette activité, le bureau S3 considère que l’exploitation de ces immeubles dépasse une simple gestion du patrimoine privé, surtout en considérant que les immeubles ont été aménagés spécialement pour satisfaire aux exigences du modèle commercial de … et que la mise à la location dépend de cette organisation commerciale (site internet …).

Finalement, il est à noter que les montants des loyers touchés par an dépassent généralement le cadre d’une simple location de biens. Le bureau d’imposition Sociétés 3 a constaté des marges de loyers annuels touchés par rapport aux prix d’acquisition initiales des immeubles en question variant entre 10 et 21 pourcent. Le bureau d’imposition considère que ces marges revêtent un charactère commercial et qu’ils dépassent les marges usuels de location.

En conséquence, le bureau d’imposition Sociétés 3 qualifie que les activités de location des immeubles détenus par les sociétés civiles immobilières de Mme … énumérés ci-haut tombent dans le champ d’application du bénéfice commercial au sens de l’art. 14. L.I.R. et que les immeubles sont à apporter au bilan fiscal de ces exploitations commerciales d’après les dispositions de l’art. 43 L.I.R. (…) ».

Par courrier du 14 mai 2018 adressé au bureau d’imposition, la … fit, par l’intermédiaire de sa fiduciaire, part de ses objections.

En date du 24 mai 2018, le bureau d’imposition émit à l’égard de la … les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés des années 2015 et 2016, en retenant pour l’année 2015 un bénéfice commercial de … euros et en fixant la quote-part dans ces revenus pour les deux indivisaires, à savoir pour Madame …, à …, soit à un montant de … euros et pour Madame … à …, soit à un montant de … euros, et, pour l’année 2016, un bénéfice 2commercial de … euros, en fixant la même quote-part entre les deux indivisaires avec un montant de … euros pour Madame … et … euros pour Madame ….

Le même jour, soit le 24 mai 2018, le bureau d’imposition émit encore à l’égard de la même … les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016 ayant repris les bénéfices commerciaux, tels que relevés ci-avant, en précisant que « L’imposition a été établie suivant le courrier du 27 mars 2018. Les objections à cette lettre, formulées par la Fiduciaire Continentale dans leur courrier daté du 14 mai 2018, n’ont pas été retenues par le bureau d’imposition Société 3 ».

Par courrier adressé au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », le 22 août 2018, la … fit introduire, par l’intermédiaire de sa fiduciaire, une réclamation contre les bulletins d’imposition précités.

A défaut de réponse de la part du directeur, la … a, par requête déposée le 8 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif, fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation des bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives des années 2015 et 2016 et des bulletins de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016, tous émis le 24 mai 2018.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 1. et 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours dirigé contre un bulletin d’impôt en cas de silence du directeur durant plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable.

Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’audience public du 5 octobre 2020, le litismandataire de la … a oralement sollicité la jonction du recours sous examen avec six autres recours déposés au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2019, inscrits sous les numéros respectifs 43632, 43633, 43634, 43635, 43637 et 43638 du rôle, introduit à l’encontre de plusieurs bulletins d’impôts émis en date du 24 mai 2018, respectivement du 18 juillet 2018, concernant des sociétés civiles immobilières différentes.

Une jonction entre différentes affaires est susceptible d’être prononcée, dans le souci d’une bonne administration de la justice, dans l’hypothèse où ces affaires concernent les mêmes parties et où elles ont trait au même objet.1 Etant donné que les recours inscrits respectivement sous les numéros 43632, 43633, 43634, 43635, 43636, 43637 et 43638 du rôle sont dirigés contre des actes juridiquement distincts, ils 1 V. en ce sens : trib. adm. 12 juin 2003, n° 15385 du rôle, et trib. adm. 15 mai 2003, n° 14299 du rôle, confirmé par Cour adm. 15 juillet 2003, n° 16468C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 909 et 915 et les autres références y citées.

3n’ont pas trait au même objet, d’autant plus qu’ils ont été introduits par des parties différentes, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction sous examen.

A l’appui de sa requête et en fait, la … explique que Madame … aurait constitué en date du 19 janvier 2007 la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société … », dont elle serait la gérante technique et qui aurait comme objet social la réalisation de toutes opérations immobilières, se rattachant soit directement à des biens immobiliers, bâtis ou non, l'achat, la vente, la location, l'échange ou toute autre opération se rattachant directement ou indirectement à l'exploitation et à l'activité d'une agence immobilière, ainsi que la gérance, la gestion et l’administration de biens immobiliers. La société … fournirait ainsi exclusivement des services d'accompagnement pour la vente de biens immobiliers et de gestionnaire de locations et/ou de location de biens immobiliers sis à …. Depuis sa constitution en 2007, l’activité de la société … aurait connu un important essor. Dans le cadre de son activité de gestion de biens immobiliers, la société … aurait mis en place en août 2014 un site internet …, sur lequel seraient proposés des biens en location détenus par différents propriétaires et qui servirait d'intermédiaire entre lesdits propriétaires et les locataires potentiels à la recherche de colocations. La … explique ensuite que Madame … aurait par la suite souhaité co-investir, à titre privé, les fruits de son travail dans des actifs immobiliers, en visant plus particulièrement l'immobilier locatif. L'aménagement du bien acquis en chambres meublées se serait imposé suite à la mise en place d'un précédent projet pour lequel la disposition de l'immeuble n’aurait pas permis de diviser l'immeuble en appartements, de sorte qu’il se serait avéré plus opportun de conserver la structure du bâtiment et de louer des chambres meublées. La … explique ensuite qu’elle ne serait pas intégralement détenue par Madame … et donne à considérer qu’afin d'exercer ses activités de location de manière prudente, elle aurait confié la gestion locative de son bien immobilier à la société … au cours de l'année 2010, suite à la réalisation de travaux de rénovation et de mises en conformité aux normes de la législation luxembourgeoise sur l'habitat décent régies par les dispositions de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d'habitation, ci-après désignée par « la loi du 21 septembre 2006 », et nécessaires au vu de la vétusté des lieux. Cet immeuble disposerait d'espaces communs et de chambres meublées. La société … promouvrait la location de ces chambres meublées en colocation via la plateforme …. Dans le cadre de son mandat de gestion, la société … serait en charge de la recherche de locataires, de l'édition des contrats de location, de la remise des clés et de la rédaction de l'état des lieux à la fin du bail. Elle coordonnerait avec les différents prestataires la fourniture d'internet, de télévision et d'électricité et effectuerait les décomptes recettes/frais d'exploitation sur base d'un contrat de gestion locative signé entre les parties. La … fait valoir que l'activité de la société … ne se résumerait pas à la gestion locative des biens immobiliers dont Madame … est copropriétaire via des sociétés civiles immobilières, mais comprendrait de façon substantielle la gestion de nombreux appartements sur le territoire luxembourgeois en précisant que parmi les biens mis en gestion auprès de la société …, les biens détenus via les … constituées par Madame … avec ses co-investisseurs représenteraient 37 % du portefeuille de gestion de la société … en 2014 et ne représenteraient plus à l'heure actuelle que 12 % des chambres meublées gérées par cette société, un chiffre qui serait en diminution constante. La … soutient encore qu’elle n’aurait à ce jour effectué aucune opération d'achat-

revente, aucune activité de lotissement, de revente à la découpe ou autre opération assimilable à celle d'un professionnel de l'immobilier.

En droit, la … fait valoir que ce serait à tort que le bureau d’imposition justifierait la requalification des revenus locatifs en bénéfice commercial, en invoquant le fait que son 4immeuble aurait été transformé en immeuble à haut nombre de studios dont la mise en valeur serait réalisée par un mandataire professionnel, à savoir la société …, via sa plateforme internet, une société commerciale dont Madame … est l'associée unique. Elle conteste que cette exploitation du bien immobilier sous forme de colocation dépasserait la simple gestion du patrimoine privé et précise que le bureau d’imposition resterait en défaut de justifier en quoi la marge annuelle des loyers perçus par rapport au prix d'acquisition initial des immeubles démontrerait un dépassement de la gestion du patrimoine privé.

La … affirme, en premier lieu, que l’activité de location d’immeubles et de chambres meublées constituerait une gestion du patrimoine privé en précisant que si l'activité de location est exercée via un organisme à caractère collectif résident, les revenus entreraient automatiquement dans la catégorie du bénéfice commercial et que la détermination de la catégorie de revenu se poserait pour les sociétés de personnes. Elle soutient ensuite que la commercialité d'une société civile ne se présumant pas, les revenus d'une telle entité ne sauraient être traités comme bénéfice commercial, sous réserve que les dispositions de l'article 14 (1) de la loi modifiée concernant l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, dénommée ci-après « LIR », trouvent à s'appliquer. Elle explique que la limite entre l'activité de gestion du patrimoine privé et l'activité commerciale reposerait sur le but poursuivi par le contribuable qui serait considéré comme agissant uniquement dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé s'il poursuit une activité principalement orientée vers la perception des fruits du patrimoine (« Fruchtziehung »), au contraire d'une activité commerciale qui passerait par l'altération de sa substance («Vermögensumschichtung »). En résumé, il y aurait dépassement de la gestion du patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d'éléments essentiels de sa fortune. La … estime que seuls certains cas impliquant un changement dans la substance du patrimoine pour des activités de lotissements répétées, des opérations d'achat-revente ou de vente à la découpe, pourraient constituer une activité commerciale (« Substanzumschichtung »). Elle soutient qu’en principe la location d’immeubles par un particulier rentrerait dans le cadre de la gestion du patrimoine privé, de sorte que les revenus en découlant seraient à classer dans la catégorie des revenus de location et que ce ne serait qu’en cas de circonstances particulières que l’on pourrait conclure à une activité de nature commerciale. Elle donne à considérer à cet égard que le principe selon lequel la location d’immeubles rentrerait a priori dans le cadre de la gestion du patrimoine privé ne saurait être énervé par le fait que la location s'entende de chambres meublées, dans la mesure où le législateur aurait précisé dans les commentaires de la LIR que le simple fait de proposer à la location des chambres meublées ne pourrait suffire à lui seul pour que l'activité dépasse le cadre de la gestion de patrimoine.

Elle soutient que la mise en valeur d'un bien n'emporterait pas en soi commercialité de l'activité, le contribuable restant libre, dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé, de valoriser au mieux les éléments de ce patrimoine. Ainsi, une valorisation du bien sous forme de colocation n'entraînerait pas ipso facto la commercialité de l'activité de location en ce qu'une telle valorisation permettrait d'optimiser les fruits du patrimoine privé. Elle insiste sur le fait que son activité se bornerait à une activité de location pure et simple de chambres meublées offertes à la location sous forme de colocation, entrant dans le cadre unique de la gestion du patrimoine privé de ses associés sans altération substantielle de ce patrimoine privé. Elle précise encore que le bien immobilier n’aurait pas fait l'objet d’une modification dans le cadastre pouvant laisser supposer des travaux allant au-delà d'un rafraîchissement et d'une mise en conformité aux normes des 5installations générales et techniques, d’autant plus que les aménagements n'auraient aucunement modifié la destination du bien en l'affectant à une activité commerciale. Elle reproche au bureau d’imposition de ne pas préciser de quelle manière son immeuble aurait été aménagé ni pour quelle raison cet aménagement revêtirait un caractère commercial ou à quel modèle économique l’immeuble aurait été adapté et en conclut que l’administration des Contributions directes n’aurait pas démontré de circonstances particulières prouvant que l'activité de location de chambres meublées revêtirait un caractère commercial et dépasserait la simple gestion de patrimoine privé, de sorte que l'activité exercée devrait être considérée comme restant dans le cadre de la gestion du patrimoine privé des associés.

En deuxième lieu, la … soutient que l'importance du patrimoine loué, le nombre de chambres louées ou la marge réalisée n'altèreraient pas la qualification de gestion du patrimoine privé. Quant à l'importance du patrimoine ou au nombre de chambres meublées, elle souligne qu'il serait communément admis que l'importance du patrimoine et la gestion y relative ne seraient pas déterminantes dans le cadre de la qualification du bénéfice réalisé et que le nombre d'immeubles ou de chambres mises en location n'aurait aucune incidence sur cette qualification, et n'emporterait pas commercialité de l'activité locative. Quant à l’argument tenant à l'importance du montant des loyers ou à une marge de loyers, la … fait valoir que le bureau d’imposition poserait un critère supplémentaire non retenu par la loi selon lequel le caractère commercial d'une activité s'analyserait en fonction d'indicateurs financiers. Elle soutient que si un tel critère devait être retenu, il serait à souligner que le chiffre d'affaires, dès lors qu'il ne prend en considération ni les charges, ni les amortissements, ni les frais financiers, ni les frais administratifs, ni les frais d'entretien, ne pourrait être considéré comme un indicateur de rentabilité. Ce terme de rentabilité se définirait comme étant le rapport entre les revenus d'une société et les sommes qu'elle a mobilisées pour les obtenir. Ainsi, que ce soit en retenant une rentabilité économique ou financière, la … retient une rentabilité de 4 %, qui serait bien loin des chiffres avancés par le bureau d'imposition. Elle en conclut que le bureau d'imposition considérerait à tort le nombre des chambres meublées ou la marge des loyers comme des éléments de nature à emporter la qualification commerciale de l'activité exercée par elle.

En troisième lieu, la … conteste toute connexité avec la société … en soulignant que la société … et elle-même seraient deux entités séparées disposant chacune d'une personnalité juridique propre, la société … ayant été constituée sous la forme d'une société à responsabilité limitée, considérée comme commerciale de par sa forme et disposant d'un patrimoine propre qui ne se confondrait aucunement avec celui de Madame …. Par ailleurs, la société … se bornerait à gérer les biens dont la gérance lui aurait été confiée sans s'immiscer d'une quelconque manière dans la gestion de la …. En l'absence de structure de détention et d'activités identiques, la reconnaissance d'un quelconque lien de connexité serait inopportune et erronée. La … rappelle à cet égard que la société … exercerait des activités comparables à d'autres grands acteurs en la matière et disposerait par ailleurs d'un portefeuille de clients propre. La société demanderesse expose que le choix de la société … se serait imposé naturellement du fait de son expérience extensive dans le secteur de la location résidentielle sur le territoire luxembourgeois. Les liens existant entre la gestion de la société … et une des associées de la … ne sauraient à eux seuls suffire à caractériser une activité dépassant le cadre de la gestion du patrimoine privé, étant donné que la … ne se livrerait elle-même qu'à une activité de locations meublées. Elle soutient encore que la délégation de la gestion locative du bien à un tiers démontrerait le caractère purement passif des revenus dégagés. En confiant la gestion de l'immeuble à un professionnel, elle aurait mis en œuvre 6une gestion prudente et raisonnable de « bonus pater familias » cherchant à minimiser le risque de vacance locative et de non-perception de loyers.

Le délégué du gouvernement soutient que les revenus résultant de la gestion d'un patrimoine privé seraient constitués des fruits de ce patrimoine, de ce qu'il produirait par nature sans intervention majeure du propriétaire, celle-ci devant se limiter à la gestion des biens constitutifs du patrimoine, aussi bien par leur entretien et conservation que par la recherche de leur accroissement par accumulation. Constitueraient notamment des revenus en espèces, les rentes foncières tels fermages et loyers, et les rentes de capital tels les intérêts et dividendes. Les revenus d'une entreprise commerciale, au contraire, résulteraient d'une activité d'exploitation d'un patrimoine qui ne serait pas limitée à la seule jouissance des fruits, mais qui se caractériserait par des efforts continus à en tirer, moyennant une activité permanente, un revenu combiné représentant à côté du simple rendement du patrimoine, la rémunération de l'activité déployée. Quant à l’argument de la … ayant trait au fait qu’elle aurait par souci de prudence confié la gestion locative de ses biens immobiliers à la société …, le délégué du gouvernement rappelle, afin de vérifier si une mise en location des immeubles à court terme puisse remplir les 4 critères positifs institués par l'article 14 LIR, (i) le critère de l'indépendance exigeant une activité exercée pour le compte et aux risques et périls du contribuable, qu'elle le soit par le contribuable lui-même ou par un tiers, (ii) le critère du but de lucre requis de façon générale, sans qu'il devrait se présenter pour chaque opération prise isolément, (iii) le caractère de la permanence n'impliquant pas nécessairement que l'activité se répète mais dans le cadre duquel il suffirait que l'activité ait lieu avec l'intention de la répéter si l'occasion s'en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d'opérations répétées, et, finalement, (iv) le critère de la participation à la vie économique, selon lequel l'activité devrait se présenter comme une participation à la vie économique générale embrassant la production ou la distribution des biens économiques et les prestations de services de toutes espèces, mêmes celles du domaine intellectuel. En l'espèce, les critères permettant de qualifier une activité de commerciale seraient remplis en ce qui concerne l'indépendance, le but de lucre et la permanence. Il resterait à établir si la partie adverse aurait développé, par le biais des activités professionnelles de Madame …, une activité à proprement parler et si cette activité pourrait être considérée comme présentant une participation à la vie économique. Dans la mesure où les sociétés civiles ne disposeraient pas d'une personnalité juridique différente de celle de ses associés, la vérification des critères à la base de l'existence d'une entreprise commerciale ne pourrait se limiter aux seuls actes posés par la société civile, mais devrait également prendre en compte les activités des associés la constituant, en l'espèce les activités de Madame …. Le délégué du gouvernement se réfère à cet égard à la loi du 21 septembre 2006 imposant des limites supérieures au rendement locatif qu'est susceptible de dégager un immeuble, dont le bureau d’imposition se serait servi pour en conclure que les rendements se situeraient entre 10 % et 21 % du capital investi. Ce serait à tort que la … retiendrait que le rendement s'élèverait à environ 4 % et ne dépasserait donc pas le cadre de la gestion du patrimoine familial. Il conclut que l'ensemble des immeubles serait détenu par une professionnelle du domaine de l'immobilier, qui gèrerait à travers son agence immobilière et notamment à travers un site Internet spécialement destiné à la location de chambres meublées à court terme, non seulement ses propres sociétés civiles immobilières, mais encore d'autres biens immobiliers dont la gestion lui aurait été confiée par des clients tiers. Or, son patrimoine ne cesserait de croître à cause de l'action répétée d'acquisition d'immeubles qui seraient aménagés afin de les mettre le plus rapidement possible sur le marché de la location à court terme à travers la société …. Le délégué du gouvernement fait observer que la gestion de patrimoine privé serait dans la très grande majorité des cas synonyme de gestion de 7patrimoine familial qui serait souvent synonyme de biens recueillis par voie successorale. On entendrait donc par gestion de patrimoine privé la gestion des fruits que les biens (hérités), souvent immobiliers, génèrent de par leur nature, sans intervention majeure de la part de leur (nouveau) propriétaire. Or, en l'espèce, Madame … n’aurait pas acquis l'ensemble des biens immeubles par voie de disposition successorale ou à titre gratuit, mais les aurait successivement achetés avec la finalité d'élargir son patrimoine (d'exploitation) et d'augmenter ainsi son emprise sur le marché de la location à court terme. Il y aurait lieu d'admettre que ses activités, prises dans leur ensemble et non pas de manière isolée rempliraient le critère de la participation à la vie économique générale, de sorte que les revenus de location dégagés feraient partie, suivant l'article 14 LIR, de la catégorie du bénéfice commercial. Cette conclusion serait corroborée par le fait que les revenus immobiliers que Madame … percevrait à travers ses efforts professionnels, constitueraient pour elle sa seule source de revenus, tandis qu'une gestion classique de patrimoine privé ou familial constituerait un accessoire aux revenus professionnels qu'une personne percevrait. Il s’y ajouterait que Madame … se qualifierait elle-même à travers ses déclarations d'impôt d'« indépendante», et ce nonobstant le fait qu'elle percevrait également un salaire conséquent de la part de la société …. Il en conclut que les préoccupations dominantes et essentielles de Madame … viseraient l'exploitation de son « business » et que l'image qu'elle tenterait de donner d'elle-même serait celle d'une « femme d'affaires aguerrie » et non pas celle d'une simple salariée ne faisant qu'œuvrer au nom et pour le compte d'un employeur, tout en bénéficiant, accessoirement, des fruits que lui offrirait un patrimoine immobilier privé.

Dans son mémoire en réplique, la … argumente que, contrairement à ce que prétendrait le délégué du gouvernement, il y aurait subsidiarité du bénéfice commercial sur les autres catégories de revenus, alors que le raisonnement du délégué du gouvernement, selon lequel il faudrait d’abord analyser si les critères de l’article 14 LIR sont remplis, aboutirait à considérer tout bailleur comme réalisant un bénéfice commercial. Elle se réfère dans ce contexte aux travaux parlementaires du projet de loi 571/4 ainsi qu’à la doctrine pour appuyer sa thèse. Ainsi, la doctrine récente serait unanime en ce qu’un bénéfice commercial ne pourrait être réalisé qu’en présence d’une entreprise.

La … affirme encore que selon la jurisprudence des juridictions administratives, les revenus de location de biens immobiliers détenus par une … seraient à imposer dans la catégorie des revenus provenant de la location de biens au sens de l'article 98 LIR. Elle conteste ensuite qu’il y aurait confusion du patrimoine privé de Madame … avec l'activité propre de la société …, alors qu’il s'agirait de deux patrimoines distincts. Contrairement aux allégations du délégué du gouvernement, la société … serait une agence immobilière mettant en relation des parties dans le cadre de la réalisation d'une transaction immobilière et l'essentiel de ses revenus proviendrait de commissions perçues dans le cadre de ses activités et mandat de gestion. La société … n’aurait pas vocation à détenir de biens immobiliers, bien que cette activité serait autorisée de par ses statuts et même si elle détiendrait des biens immobiliers, son patrimoine resterait juridiquement distinct de celui de ses actionnaires, de sorte que Madame … ne saurait être considérée comme propriétaire de tout actif renseigné au bilan de la société …. Elle conteste à cet égard que toutes les résidences et unités sous gestion appartiendraient à Madame …. Elle donne à considérer que si Madame … cherchait à disjoindre de façon fictive les revenus dégagés par la société dont elle est actionnaire et gérante salariée et les revenus locatifs, dans un but d'efficience fiscale, il aurait été préférable de détenir ces biens immobiliers via une forme sociétale constituant un organisme à caractère collectif listé à l'article 159 LIR, tra itée comme fiscalement opaque, ce qui aurait permis une imposition des revenus courants nets à un taux inférieur au taux marginal applicable dans le cadre de la fiscalité des ménages , 8respectivement, l'imposition des éventuelles plus-values aurait pu bénéficier du mécanisme de transfert des plus-values en cas de réemploi. La … affirme que l'actualité récente aurait permis de confirmer dans le cadre d'une question parlementaire qu'un contribuable ayant une participation dans une société commerciale serait en droit de continuer à percevoir des revenus qualifiés de revenus de location dans le cadre de son patrimoine privé, quand bien même il s'agirait de locations meublées de courte durée. Madame … se trouverait dans une situation comparable puisqu'elle détiendrait dans son patrimoine privé des quotes-parts d'immeubles au travers de sociétés civiles immobilières ainsi qu'une participation dans une société commerciale.

La … conteste finalement tout dépassement de la gestion du patrimoine privé et la conception restrictive retenue par le délégué du gouvernement qui serait contraire à la position de la doctrine ou de la jurisprudence. En outre, elle conteste que le dépassement de la gestion du patrimoine privé serait fonction d'un ratio de rentabilité instauré par la loi du 21 septembre 2006 et se réfère à la définition de la gestion du patrimoine privé ret enue au § 7 (4) de l'ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l’exécution des paragraphes 17 à 19 StAnpG, ci-

après désignée par « l’ordonnance du 16 décembre 1941 », selon laquelle un contribuable réaliserait une activité de gestion de patrimoine privé dès lors que cette activité se limite à percevoir les fruits de son patrimoine. Or, en l'absence de dispositions légales ou d'interprétation jurisprudentielle contraires, la gestion de patrimoine privé ne se limiterait pas aux revenus passifs d'un rentier, mais inclurait les revenus de location de biens immobiliers acquis ou non, qu'ils soient ou non mis en gestion auprès d'un tiers. L'importance du patrimoine privé n'aurait en outre aucune incidence sur la qualification du revenu provenant de la location au sens de l'article 98 LIR comme confirmé par la doctrine et la jurisprudence. S’agissant de la référence faite par le délégué du gouvernement à la loi du 21 septembre 2 006, la … soutient que s'il est vrai que cette loi a été instaurée pour juguler la progression des loyers et protéger le locataire dans son rapport avec le bailleur, elle ne bénéficierait d'aucune portée fiscale et n'introduirait aucunement un lien de cause à effet quant à la qualification des revenus, d’autant plus que selon les rapports de l'Observatoire de l'habitat élaboré par le LISER, aucun logement à Luxembourg-

Ville ne saurait être soumis à la limitation prévue à l’article 6 de la loi du 21 septembre 2006 en raison des prix de l'immobilier et du foncier. Se basant sur plusieurs questions parlementaires posées concernant les revenus de location de chambres meublées de courte durée, la … fait valoir que le gouvernement aurait répondu qu’il n’y aurait pas de présomption de commercialité, mais que la simple mise à disposition de locaux (meublés ou non) ne p ourrait être assimilée à un revenu dégagé par une entreprise commerciale sauf en cas de services annexes notamment de demi-pensions. Dans une telle hypothèse, l'activité serait à considérer comme une activité commerciale.

Conformément au paragraphe 11bis de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG »2, qui dispose que « les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les groupements d’intérêt économique, les groupements européens d’intérêt économique et les sociétés civiles sont considérés comme n’ayant pas de personnalité juridique distincte de celle des associés », les sociétés de personnes, dont les sociétés civiles immobilières, sont considérées comme fiscalement transparentes en matière d’imposition sur le revenu, c’est-à-dire - encore qu’en droit des sociétés elles soient considérées comme ayant une personnalité juridique distincte - elles ne constituent pas des sujets fiscaux autonomes, de sorte à ne pas être imposées dans leur propre chef, mais dans le chef de leurs 2 Tel qu’insérée dans la loi d’adaptation fiscale par l’article 175 LIR.

9associés qui sont soumis personnellement à l’impôt sur le revenu pour leur part dans le revenu de la société3.

Selon l’article 10 LIR « [e]ntrent seuls en ligne de compte pour la détermination du total des revenus nets au sens du second alinéa de l’article 7 :

1. le bénéfice commercial 2. le bénéfice agricole et forestier, 3. le bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale, 4. le revenu net provenant d’une occupation salariée, 5. le revenu net résultant de pensions ou de rentes, 6. le revenu net provenant de capitaux mobiliers, 7. le revenu net provenant de la location de biens, 8. les revenus nets divers spécifiés à l’article 99 ci-après. » S’agissant de l’argument de la … selon lequel il y aurait subsidiarité du bénéfice commercial sur les autres catégories de revenus, dont le revenu net provenant de la location de biens, il échet de constater que selon les travaux parlementaires relatifs à la LIR4 « Les revenus provenant de la location de biens sont limitativement énumérés à l’article [98]. Il résulte du contenu de cet article que la notion de location du droit civil et la forme de contrat choisie ne sont pas toujours déterminantes. La disposition fiscale rattache en effet l’imposabilité dans la catégorie des revenus provenant de la location de biens à toutes les situations où le fait de la location se trouve réalisé du point de vue économique. (…) [L]e fait qu’une communauté immobilière a revêtu la forme d’une société civile ou même d’une société commerciale de personnes ne suffit pas pour faire perdre aux revenus de la société le caractère de revenus provenant de la location de biens.

Ces revenus sont en effet à considérer comme revenus non commerciaux aussi longtemps que l’activité de la société ne rentre d’aucune façon parmi celles visées sub 1 de l’article [14] ».

Il s’ensuit qu’afin de déterminer si des revenus sont à classer parmi les revenus provenant de la location de biens ou parmi le bénéfice commercial, il échet de vérifier si l’activité exercée par la … rentre parmi les activités citées à l’article 14, alinéa 1er LIR ou non. Dans l’affirmative, l’activité est considérée comme bénéfice commercial.

Aux termes de l’article 14, alinéa 1er LIR est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale, l’entreprise commerciale étant définie par le même texte comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l’exercice d’une profession libérale. (…) ».

Il y a encore lieu de préciser que le revenu fiscal d’une société de personnes, qu’elle soit commerciale ou civile, n’est jamais qualifié en fonction de sa forme, étant donné que l’article 14 (2) LIR précise à cet égard que les revenus réalisés par une société de personnes ne sont considérés comme bénéfice commercial au sens de l’article 14, alinéa 1er, LIR que si lesdits revenus peuvent être considérés comme bénéfice commercial dans les mains d’un entrepreneur individuel. En 3 Trib. adm., 2 mars 2009, n° 24389 du rôle, confirmé par Cour adm., 6 octobre 2009, n° 25601C du rôle, Pas. adm.

2020, V° Impôts, n° 65.

4 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, commentaire des articles, doc. parl. 5714, art. 115, p. 303.

10d’autres termes, pour que l'activité d'une société de personnes puisse être considérée comme commerciale au regard de la loi fiscale, il faut qu'elle rentre pour partie au moins dans le cadre de l'entreprise commerciale au sens de la définition donnée par l’alinéa 1er de l'article 14 LIR. Si tel est le cas, toutes ses activités sont réputées faire partie d'une seule et même entreprise commerciale collective. Par contre, si la société de personnes n'exerce aucune activité commerciale au sens de l’alinéa 1er de l'article 14, les associés ne réalisent pas de bénéfice commercial5.

Outre les deux critères négatifs relatifs à l’existence d’une exploitation agricole ou forestière et à l’exercice d’une profession libérale, la définition prévue à l’article 14, alinéa 1er LIR énonce quatre critères, à savoir 1) l’indépendance, 2) le but de lucre, 3) le caractère de permanence et 4) la participation à la vie économique générale, qui doivent être cumulativement réunis pour qu’une activité soit constitutive d’une entreprise commerciale au sens du droit fiscal6.

L’activité en cause doit en outre dépasser les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé pour pouvoir être qualifiée de commerciale. En effet, il se dégage des distinctions inhérentes aux différentes catégories de revenus que quelle que soit l’importance d’un patrimoine privé, les opérations de gestion y relatives ne constituent pas une activité commerciale, si les actes posés ne sortent pas du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé7.

La notion de la gestion d’un patrimoine privé (« Vermögensverwaltung ») ne faisant pas l’objet d’une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais des deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l’ordonnance du 16 décembre 1941 qui prévoit que :

« Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird ». Le concept de la gestion d’un patrimoine privé ne se limite cependant pas aux exemples de jouissance sus-énoncés8. D’une manière générale, il y a administration d’un patrimoine privé aussi longtemps que les activités d’achat et de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion d’un patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.

La délimitation entre l’activité commerciale et la simple gestion du patrimoine privé implique une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, le mobile ayant animé le contribuable n’est pas déterminant pour la qualification d’une activité9.

Si la location d’immeubles rentre normalement dans le cadre de la gestion du patrimoine privé et que les revenus en découlant sont en principe à classer dans la catégorie des revenus de location, cette activité devient une activité commerciale du moment qu’elle est entourée de circonstances particulières de nature à conclure que l’activité dépasse la simple gestion d’un 5 … et …, Le bénéfice commercial, Etudes fiscales, décembre 1997, n° 109, p.30, n° 14.27.

6 Trib. adm., 21 juin 2000, n°11582 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 115, et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 10 septembre 2008, n° 23434 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 115, et les autres références y citées.

8 …, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14 à 18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, n° 109-111, p. 15, n° 14.14.

9 Cour adm., 25 mars 1999, n° 10863C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 116.

11patrimoine privé. Aussi faut-il prendre en considération les circonstances ayant conduit à la situation existante ainsi que le contexte économique dans laquelle elle s’inscrit. Les travaux parlementaire n° 571 à la base de la LIR donnent comme exemple le cas où des « aménagements de grande envergure sont effectués en vue de la location ou que des locations répétées et multiples ou l’entretien et le nettoyage des locaux assumés par le propriétaire exigent par le propriétaire une activité qui sort du cadre ordinaire de l’administration d’immeubles loués à long terme ».

Ainsi, il a été retenu que la location d’un immeuble devient une activité commerciale dès lors que la location s’accompagne d’autres prestations ou aménagements et si l’activité globale dépasse les limites de la gestion d’un patrimoine privé pour se présenter globalement comme celle d’un commerçant parce que la location devient l’accessoire et que le propriétaire déploie une activité apparente.10 En l’espèce, s’il est vrai que les revenus litigieux sont exclusivement constitués de revenus provenant de la location d’un immeuble divisé en 12 chambres meublées et qu’en l’état actuel, aucune vente de l’immeuble litigieux n’a eu lieu, l’argumentation de la partie étatique repose essentiellement sur l’appréciation des circonstances ayant entouré l’opération de location actuellement existante, et plus particulièrement sur la considération que la gestion locative se fait à travers le site … exploité par la société … dont Madame …, disposant de 2499 parts sur 2.500 de la …, est associée, gérante et salariée.

Il s’agit d’analyser si les circonstances de l’espèce remplissent les critères d’une activité commerciale retenus par l’article 14 LIR.

Parmi les quatre critères d’une activité commerciale tels qu’ils se dégagent de l’article 14 LIR précité, il convient de prime abord de relever que ceux du but de lucre et de l’indépendance ne posent pas problème en l’espèce, la … ayant réalisé des bénéfices à partir de 2011, son intention de ce faire n’étant d’ailleurs pas contestée, et l’activité étant encore exercée pour son compte et à ses risques et périls.

S’agissant ensuite de la permanence de l’activité litigieuse, la délimitation entre l’activité commerciale et la simple gestion du patrimoine privé implique, tel que cela a été retenu ci-avant, une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause.

Il résulte des travaux préparatoires concernant l’article 14 LIR que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète. Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétée. » 11 Or, il n’est pas contesté en l’espèce que l’activité de location a été lancée dès l’acquisition de l’immeuble et que la … a l’intention de la répéter dès que l’occasion se présente, de sorte que le critère de permanence est rempli.

En ce qui concerne ensuite le critère de la participation à la vie économique, il y a lieu de 10 Trib. adm., 9 juin 2005, n° 18675 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 121.

11 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. n° 5714, commentaire des articles, p. 18 12souligner que ce critère implique que le contribuable prenne part, d’une façon perceptible par le public intéressé, à l’échange général des biens et prestations et qu’il soit prêt à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes, compte tenu naturellement de l’étendue et du genre de son entreprise et de sa propre capacité de prestation. Ainsi, le commerçant prend part au trafic économique général en approvisionnant le marché en biens pour lesquels il existe un besoin et en les échangeant contre des équivalents en nature ou en argent. Cet élément de la participation est à apprécier dans chaque cas d’espèce en considération du but recherché ainsi que de la nature des opérations exécutées.12 Selon les statuts de la …, cette dernière a été constituée en date du 3 avril 2009 et a comme objet « [l]’achat et la vente, respectivement la mise en valeur et la gestion de tous immeubles ou parts d’immeubles à Luxembourg et à l’étranger, qu’elle pourra acquérir pour son propre compte.

Et généralement tous actes et toutes opérations quelconques en tous lieux pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet ci-dessus défini ou en faciliter la réalisation et notamment toute constitution d’hypothèque ou autre sûreté réelle sur les biens sociaux ». Il ressort encore du dossier administratif qu’elle a procédé à l’achat d’un immeuble en date du 3 avril 2009 qui a été donné en location à partir de l’année 2009. Il ressort des décomptes établis par … (by …) ainsi que des développements de la … que l’immeuble est divisé en 12 chambres à coucher meublées dont les locataires, occupant les lieux a priori pendant une courte durée, se partagent les parties communes. Il est également constant en cause que le loyer relatif aux chambres meublées inclut les frais relatifs à la connexion Internet, les frais d’électricité et de gaz ainsi que les frais de ménage et de diverses fournitures. Ainsi, s’il est en principe vrai que même en cas d’un patrimoine immobilier important, la location de biens immobiliers est considérée comme gestion du patrimoine privé, il n’en reste pas moins qu’au vu des circonstances particulières de l’espèce, l’administration du patrimoine nécessite en raison du changement constant et rapide des locataires – les contrats ayant une durée de minimum 2 semaines et de maximum 1 année - des prestations supplémentaires par rapport à ce qui est habituellement le cas pour les locations à long terme et la fourniture de prestations dépassant une simple activité de location, telles que les frais de ménage, les frais d’Internet et d’électricité, de sorte à devenir des indicateurs pour conclure que la gestion du patrimoine privé a été dépassée en faveur du caractère commercial de l’activité de la …13. Le fait qu’aucun état des lieux n’est fait ni lors de l’entrée ni lors de la sortie d’un locataire et que l’activité cible des personnes d’un certain groupe d’âge sont d’autres indices d’une activité commerciale.

S’il est encore vrai que les revenus litigieux proviennent d’un seul objet immobilier, il n’en reste pas moins qu’il est constant en cause que Madame … est associée d’au moins 6 autres sociétés civiles immobilières louant également des chambres meublées à travers le site … et que même à admettre que les biens détenus à travers les sociétés civiles immobilières, tel qu’affirmé par la …, ne représentent actuellement plus que 12 % des chambres meublées gérées par la société …, il n’en reste pas moins qu’ils correspondent toujours à une quote-part non négligeable de l’activité de cette société. Le fait d’avoir loué les chambres à travers le site … a augmenté la visibilité des objets et la fourniture des prestations supplémentaires a développé l’attractivité des chambres qui auraient 12 Trib. adm. 21 juin 2000, n° 11582 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 115 et les autres références y citées.

13 BFH-Urteil vom 25. Oktober 1988 VIII R 262/80, BFHE 154, 536, BStBl II 1989, 290; vom 27. Februar 1987 III R 217/82, BFH/NV 1987, 441; Aktuelles Steuerrecht, 1/2017, „Abgrenzung VuV – Gewerbebetrieb“, S. 77ff/ AktStR – Themen.

13été moindres en cas de location de chambres, meublées ou non, à long terme. Il échet encore de retenir que s’il est vrai que l’activité de Madame … en tant qu’associée de la société … ne serait à elle seule pas suffisante pour qualifier les activités de location de commerciales14, elle est cependant susceptible d’être un indice supplémentaire pour la commercialité des activités, ensemble avec les autres éléments de l’espèce.

Le tribunal ne saurait cependant partager ni l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle le montant du loyer demandé serait un autre indicateur de la commercialité de l’activité, dans la mesure où l’article 6 de la loi du 21 septembre 2006 introduit une limitation qui a comme seule vocation de protéger le locataire par rapport à son bailleur sans que cette limitation aurait une incidence d’un point de vue fiscal, ni celle selon laquelle la gestion de patrimoine privé se limiterait à des biens recueillis par voie successorale, alors que des contribuables peuvent également investir des fonds propres dans l’immobilier sans que les fruits tirés seraient ipso facto à qualifier de bénéfice commercial.

Au vu de l’ensemble des éléments retenus ci-avant, il échet de conclure qu’il y a eu en l’espèce participation à la vie économique générale et que les limites de la gestion du patrimoine privé ont été dépassées.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a fait application de l’article 14 LIR en l’espèce et qu’il a retenu un bénéfice commercial au lieu d’un revenu provenant de la location d’immeubles.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant de la demande de suspension de l’exécution des bulletins d’imposition sur le fondement de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. (…) », celle-ci est rejetée, la société demanderesse restant en défaut d’établir l’existence d’un préjudice grave et définitif.

Compte tenu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de … euros, telle que formulée par la …, est à rejeter comme étant non fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

rejette la demande tendant à la jonction du présent recours avec les recours inscrits sous les numéros 43632, 43633, 43634, 43635, 43637 et 43638 du rôle ;

se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;

14 Trib. adm., 10 juillet 2018, n°s 39731, 39733, 39734 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

14 reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de … euros telle que formulée par la … ;

rejette la demande formulée sur le fondement de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 ;

condamne la partie demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 3 décembre 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43636
Date de la décision : 03/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-12-03;43636 ?

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