Tribunal administratif Numéro 44008 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2020 3e chambre Audience publique du 2 décembre 2020 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 44008 du rôle et déposée le 10 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, ayant élu domicile en l’étude de son mandataire sise à L-3441 Dudelange, 70, boulevard Grand-Duchesse Charlotte, tendant à l’annulation d’une décision du 11 octobre 2019 du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Awedeou PETCHEZI en remplacement de Maître Michel VALLET, et Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 octobre 2020.
Il résulte des pièces versées en cause que la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par la « société … », fut constituée en date du … 2013, avec siège social à L-…, et inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, ci-après le « RCS » sous le numéro ….
En date du 15 novembre 2013, Monsieur … signa avec la société … un contrat de travail à durée indéterminée qui a fait l’objet de deux avenants, le premier en date du 1er février 2019 et le deuxième en date du 15 mars 2019. Par le premier avenant au contrat de travail à durée indéterminée du 15 novembre 2013, les fonctions de Monsieur … au sein de la société furent changées de « Responsable import/export » à « Responsable Agence Luxembourg » et par le deuxième avenant, le temps de travail fut réduit de 40 heures à 16 heures et la rémunération brute de …,- euros à …,- euros.
En date du 27 janvier 2016, Madame … céda 40 parts sociales de la société … à la société à responsabilité limitée de droit français … SARL et Monsieur … céda 10 parts sociales de la société … à ladite société française, de sorte qu’après cette opération, la société française et Monsieur … détenaient chacun 50 parts sociales dans la société …, correspondant à une participation de chacun de 50% dans le capital social de ladite société.
Le 25 mars 2016, Madame … fut nommée gérante technique et Monsieur … gérant administratif de la société … pour une durée indéterminée.
En date du 27 février 2019, la société … déposa au RCS, les informations de la radiation de Madame … comme gérante technique et de Monsieur … comme gérant administratif de la société et de l’inscription de Monsieur … comme gérant unique de la société ….
La société … fut déclarée en état de faillite sur assignation par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du … 2019, inscrit sous le numéro ….
En date du 30 septembre 2019, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg une déclaration de créance dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de … euros du chef d’arriérés de salaire et de congés non pris.
Le 4 octobre 2019, la créance en question fut admise au passif privilégié de la faillite à hauteur du montant déclaré.
Par une décision du 11 octobre 2019, le directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :
« […] Faisant suite à votre déclaration de créance dans l'affaire émargée, je me permets de vous informer que les dispositions de l'article L.126-1. du Code du travail ne s'appliquent qu'aux seuls travailleurs salariés.
L'instruction de votre dossier a révélé que, selon les statuts de la société … S.à r.l., vous étiez associé avec 50% des parts sociales émises.
Dès lors, vous avez eu la possibilité de bloquer toute décision prise par les associés en assemblée générale.
Aucune décision n'a pu être prise sans votre consentement.
La participation d'une personne de 50 % ou plus dans le capital social d'une société exclut la possibilité d'être liée à cette même société par une relation salariale, vu son pouvoir de contrôle.
Dans ces conditions, une prise en charge de votre demande de remboursement par le Fonds pour l'emploi n'est pas possible. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2020, inscrite sous le numéro 44008 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du directeur du 11 octobre 2019.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision sous examen.
Le demandeur précise ensuite qu’en date du 18 novembre 2019, il aurait adressé un courrier à l’ADEM expliquant sa situation réelle au sein de la société …, à savoir qu’en date du 13 février 2019, il aurait cédé 25 de ses 50 parts sociales détenues dans ladite société à Monsieur … et 10 de ses 50 parts sociales à la société de droit français …, de sorte qu’ à partir du 13 février 2019, il n’aurait détenu que 15 parts sociales correspondant à 15% du capital social de cette même société alors que 60% des parts sociales auraient été détenues par Monsieur … et 25% par la société de droit français … gérée par Monsieur …. A l’appui de ses prétentions concernant lesdites cessions de parts sociales, le demandeur verse une attestation de la société à responsabilité ….
Le demandeur explique également, qu’il n’aurait plus été gérant de la société … depuis le 1er février 2019, mais uniquement simple salarié, et n’aurait plus eu accès aux comptes bancaires à partir de cette date, informations qui auraient été déposées auprès du RCS en date du 27 février 2019. De plus, Monsieur … aurait été nommé gérant unique de la société … en date du 27 février 2019.
En droit, et en ce qui concerne la légalité externe de la décision directoriale sous analyse, le demandeur, conclut en premier lieu à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en faisant valoir que la décision en question ne serait pas motivée à suffisance de droit. Ainsi, le directeur aurait simplement retenu qu’il ne pourrait pas être considéré comme un salarié ordinaire et ce sans donner de base juridique.
Dans un deuxième temps, le demandeur reproche au directeur une violation de la loi, respectivement une erreur manifeste d’appréciation de sa situation individuelle et réelle, sinon une application erronée de l’article L.126-1 du Code de travail et de l’article 1er paragraphe 4 du Code de la sécurité sociale dans la mesure où d’une part, le directeur n’aurait pas tenu compte du fait qu’à partir du 13 février 2019, il n’aurait détenu plus que 15% des parts sociales de la société …, de sorte qu’il n’y avait plus de lien de subordination entre le lui-
même et la société …, et d’autre part, qu’ il devrait être considéré comme salarié au sens de l’article 1er paragraphe 4 du Code de la sécurité sociale pour détenir une participation inférieure à 25% dans le capital de la société ….
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, à savoir le défaut de motivation invoqué à l’appui du recours, il y a lieu de retenir qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé; […] ».
Cette disposition consacre dès lors le principe que, d’une manière générale, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions, dont notamment celles refusant de faire droit à une demande de l’intéressé, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. S’agissant en l’espèce d’une décision refusant de faire droit au demandeur de libérer des fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale, elle doit énoncer la motivation la sous-tendant au sens de l’article 6 précité.
Il convient cependant d’ajouter, en ce qui concerne les conclusions du demandeur tendant à l’annulation pure et simple de la décision déférée du fait du défaut de motivation allégué, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse.1 Il convient également de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, étant donné que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée.
Par ailleurs, le défaut d’indiquer dans une décision administrative la disposition légale qui constitue son fondement n’encourt pas de sanction, dès lors que les raisons fournies sont suffisamment explicites pour permettre au destinataire de la décision de les rattacher à la disposition légale visée par l’administration.2 En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision du 11 octobre 2019 est suffisamment motivée en droit et en fait en ce qu’elle renvoie à la base légale pertinente, notamment l’article L.126-1 du Code du travail, et qu’elle retient que le demandeur ne peut être considéré comme salarié ordinaire à défaut de lien de subordination alors qu’il était qu’associé détenant une participation de 50% dans le capital social de la société …, ayant ainsi la possibilité de bloquer toute décision des associés en assemblée générale, et ayant ainsi un pouvoir de contrôle au sein de ladite société, de sorte que le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la motivation à la base de la décision déférée, et que ses droits de la défense n’ont ainsi pas été violés, étant relevé, par ailleurs, que l’indication de la motivation n’est pas à confondre avec le bien-fondé de celle-ci, laquelle fera l’objet d’une analyse au fond.
Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision sous analyse, l’article L.126-1 du Code du travail dispose :
1 Cour adm., 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 90.
2 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 25414C du rôle, Pas. adm, 2020, V° Procédure administrative non contentieuse, n°87 et autres références y citées.
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
[…] (2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.
(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.
(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2) […] ».
Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2), du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée3, de sorte que l’acceptation d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.
En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.
Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli4.
En effet, la garantie prévue à l’article L.126-1 précité du Code de Travail s’appliquant, en vertu du paragraphe (1) dudit article aux « créances résultat du contrat de travail », son application est plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par un lien de subordination.
S’agissant de la légalité du motif de refus, contestée par le demandeur, le tribunal constate que le refus du directeur est fondé sur la qualité d’associé égalitaire du demandeur, le directeur ayant ainsi exclu tout lien de subordination dans le chef de Monsieur ….
Il échet de rappeler que le contrat de travail s’analyse en une convention par laquelle une personne s’engage mettre, moyennant rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats5.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier qu’en date du 15 novembre 2013, le demandeur a signé avec la société … un contrat de travail à durée indéterminée qui a fait l’objet d’un avenant en date du 15 mars 2019 par lequel, les fonctions de Monsieur … au sein de la société … ont été changées en « salarié […] occupé en qualité de Responsable Agence Luxembourg sans préjudice d’une nouvelle affectation tenant compte des aptitudes professionnelles et personnelles du salarié ou des besoins de l’employeur, […] ».
Il n’est pas non plus contesté, et cela résulte d’ailleurs tant des pièces soumises au tribunal par le demandeur, que du dossier administratif, que la déclaration de créance du demandeur dans le cadre de la faillite de la société … a été acceptée par le juge-commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.
3 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 21 et les autres références y citées.
4 Cour adm., 5 juin 2003, n°15903C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 11, et les autres références y citées.
5 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 9, et les autres références y citées.
Dans ces circonstances, en cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant cette décision incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement.6 Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance, pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, la partie étatique faisant état d’une situation excluant un lien de subordination tiré des qualités d’associé du demandeur détenant une participation de 50% dans le capital social de la société …, ayant ainsi la possibilité de bloquer toute décision prise par les associés en assemblée générale, et ayant ainsi un pouvoir de contrôle au sein de ladite société, il lui appartient partant d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure qu’au regard des circonstances de l’espèce, le demandeur aurait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination serait inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un lien de subordination, il se serait en réalité trouvé lié à la société par un contrat de travail caractérisé par un tel lien de subordination.
Concernant tout d’abord la réalité de la situation de fait alléguée par le directeur, force est de souligner que si le cumul dans une même personne d’associé d’une société à responsabilité limitée et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, il n’en reste pas moins que le contrat de travail doit rester une convention réelle et sérieuse. Au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant de sa qualité d’associé, la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction du salarié.7 Il convient encore de relever qu’un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats. L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination ou de la qualification qu’elles ont données à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activé de la personne concernée. Ainsi, la preuve du contrat de travail peut résulter d’un ensemble d’éléments qui constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination. 8 Le critère essentiel du contrat de travail est dès lors le lien de subordination - élément litigieux en l’espèce -, qui est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements d’un subordonné. Le lien de subordination n’exige cependant pas que l’employeur exerce sur le salarié une direction étroite et permanente, mais il suffit que le premier ait le droit de donner au second des instructions pour l’organisation et 6 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.
7 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2020, v° Travail, n° 9 et les autres références y citées.
8 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 10, et les autres références y citées.
l’exécution du travail convenu. La qualification donnée par les parties à leur convention ou l’affiliation à la Sécurité Sociale peuvent constituer des présomptions en faveur de l’existence d’un contrat de travail, à moins d’être contredites par les autres éléments du dossier. 9 En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause, de l’extrait du RCS (détail d’une personne) du 20 janvier 2020 de la société … que Monsieur … détenait 50 parts sociales de la société …, correspondant à 50% du capital social de ladite société.
Le demandeur fait toutefois valoir qu’à partir du 1er février 2019, il n’aurait non seulement plus été gérant administratif de la société …, mais qu’il n’aurait, par ailleurs, à partir du 13 février 2019, suite à ses cessions de parts sociales d’une part à Monsieur …, et d’autre part à la société de droit français …, détenu plus qu’une participation minoritaire de 15% dans le capital social de la société ….
En ce qui concerne la participation de Monsieur … dans le capital social de la société … et les cessions alléguées d’une partie de ses parts à Monsieur …, et à la société de droit français …, il convient de relever que l’article 710-8 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1915 », dispose que :
« Toute société à responsabilité limitée doit tenir un registre contenant copies intégrales et conformes :
1° de l’acte constitutif de la société ;
2° des actes apportant des modifications audit acte.
A la suite de ceux-ci seront relatés les noms professions et demeures des associés, la mention des cessions de parts sociales et la date de la signification ou acceptation. […] ».
L’article 710-13 de la même loi prévoit quant à lui que :
« Les cessions de parts sociales doivent être constatées par un acte notarié ou sous seings privés. ».
Elles ne sont opposables à la société et aux tiers qu’après qu’elle ont été notifiées à la société ou acceptées par elle en conformité avec les dispositions de l’article 1690 du Code civil ».
Finalement, il convient encore de relever qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 19 décembre 2012 concernant le registre de commerce « Toute société commerciale dotée de la personnalité morale est tenue de requérir son immatriculation. Celle-ci indique: […] 6° dans le cas des sociétés à responsabilité limitée, l’identité des associés, leur adresse privée ou professionnelle précise et le nombre de parts sociales détenues par chacun; s’il s’agit de personnes physiques, leurs nom, prénoms, date et lieu de naissance […] ».
Il résulte des dispositions légales qui précèdent, que toute société à responsabilité limitée, telle que la société …, doit non seulement tenir un registre renseignant notamment sur 9 Cour d’appel, 20 mars 2014, Pas. 37, p. 246.
l’acte constitutif de la société et les modifications y apportées, notamment en ce qui concerne les cessions des parts sociales, mais que toute cession de parts sociales doit impérativement être constatée par acte notarié ou sous seing privé. Or, en l’espèce, il ne résulte d’aucune pièce versée en cause que la société … ait effectivement tenue un tel registre susceptible de témoigner de la réalité des cessions de parts sociales alléguées. Les deux contrats de cessions datés du 13 février 2019 versées en cause par le demandeur ne sont, en tout état de cause, pas suffisants pour prouver la réalité juridique des cessions de parts sociales alléguées faute de verser la publication des cessions de parts sociales et de respect par les associés concernés des formalités figurant aux dispositions des articles 710-8 et 710-13 précités de la loi du 10 août 1915. Cette analyse n’est pas non plus énervée par l’attestation de la société …, qui d’ailleurs ne respecte pas les formes d’une attestation testimoniale telles que prévues par l’article 402 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ailleurs, et conformément à l’article 710-13 précité de la loi du 10 août 1915, une cession de parts, même si elle devait avoir eu lieu, serait en tout état de cause inopposable à la partie étatique dans la mesure où il ne ressort d’aucune pièce versée en cause qu’il y a eu notification d’une telle cession de parts à la société …, ni, a fortiori, acceptation de cette dernière en conformité avec les dispositions de l’article 1690 du Code civil aux termes duquel « […] La notification et l’acceptation du transport s’effectuent soit par un acte authentique, soit par un acte sous seing privé. Dans ce dernier cas, si un tiers conteste la date de la notification ou de l’acceptation du transport, la preuve de cette date peut être rapportée par tous les moyens ». Il ne ressort par ailleurs d’aucune pièce versée en cause que le changement au niveau du capital de la société et plus particulièrement du détenteur des parts sociales de celle-ci ait été publiée au RCS tel qu’exigé par l’article 6 de la loi du 19 décembre 2012 concernant le registre de commerce.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir d’une part, que la réalité juridique des cessions de parts sociales alléguées n’est pas établie en l’espèce, et, d’autre part, que ces cessions de parts seraient en tout état de cause inopposable au directeur faute de respect des formalités inscrites à l’article 710-13 précité de la loi du 10 août 1915 et faute de publication en bonne et due forme au RCS, ce dernier a valablement pu considérer Monsieur … comme étant propriétaire de 50% des parts sociales de la société ….
La réalité de la situation juridique alléguée par la partie étatique étant vérifiée, il se pose dès lors la question si cette situation est de nature à conclure que le demandeur a exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination est inconcevable.
A cet égard, il échet de retenir que si une personne détient 50% des parts sociales dans le capital d’une société, elle a la possibilité de bloquer toute décision prise par les associés en assemblée générale; en d’autres mots, aucune décision ne pourra être prise sans son consentement. Comme plus particulièrement une des décisions à prendre par les associés lors des assemblées générales est celle de se prononcer par un vote spécial sur la décharge de la gérance et comme cette décharge de la gérance ne peut être votée sans le consentement de l’associé détenant 50% des parts sociales d’une société, ce qui confère à celui-ci un contrôle déterminant sur les activités de la société, on ne saurait conclure qu’un associé égalitaire puisse être considéré comme simple salarié de la société.10 10 Voir en ce sens Cour adm., 28 novembre 2017, n° 39860C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 20.
Force est dès lors de retenir que la détention de 50% des parts dans le capital social d’une société à responsabilité limitée exclut d’office tout lien de subordination.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, que c’est à bon droit que l’ADEM a refusé la liquidation de la créance salariale du demandeur telle que retenue par le curateur et le juge commissaire de la société en faillite …, de sorte que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non fondé et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 décembre 2020 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 10