Tribunal administratif Numéro 43076 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2019 1re chambre Audience publique du 2 décembre 2020 Recours formé par Madame …, … (Belgique), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 43076 du rôle et déposée le 6 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Gérard Schank, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, au nom de Madame …, demeurant à B-…, tendant, d’une part, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du directeur du 13 mai 2019 portant rejet de la réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 26 octobre 2018 et, d’autre part, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 26 octobre 2018 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2019 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Gérard Schank déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2019 au nom et pour le compte de Madame …, préqualifiée;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision et le bulletin d’impôt déférés ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 septembre 2020, et vu les écrits de Maître Gérard Schank des 28 août et 16 septembre 2020 produits, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.
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En date du 26 octobre 2018, le bureau d’imposition RTS Ettelbruck de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Madame … un bulletin d’appel en garantie sur le fondement du paragraphe 118 de la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931 (« Abgabenordnung », en abrégé « AO »), en raison de sa qualité d’administrateur-délégué à la gestion technique de la société anonyme …, en abrégé …, ci-après désignée par « la société …».
Ledit bulletin est libellé comme suit :
1« […] Il est dû à l'État du Grand-Duché de Luxembourg par la société … en abrégé …, actuellement en état de faillite, ayant eu son siège à L-…, immatriculée sous le dossier fiscal …, à titre de la retenue d'impôts sur les traitements et salaires :
Année 2006 … euros principal Année 2006 … euros intérêts Année 2007 … euros principal Année 2007 … euros intérêts Total … euros Il résulte de la publication au Mémorial C n° … du … 2006 que lors de constitution de la société le 12 septembre 2005, le conseil d'administration a nommé vous et Monsieur … administrateurs-délégués à la gestion administrative et Monsieur … administrateur-délégué à gestion technique de la société. Il résulte de la publication au Mémorial C n° … du … 2006 que le conseil d'administration du … 2006 a révoqué Monsieur … du mandat d'administrateur et que vous êtes nommée Présidente du Conseil d'Administration et administrateur-délégué à la gestion technique avec effet immédiat jusqu'à l'assemblée générale de 2011 et a statué que vous n’êtes plus administrateur-délégué à la gestion administrative à dater du … 2006. ll résulte de la publication au Mémorial C n° .. du … 2007 que l’assemblée générale extraordinaire du 02 mai 2007 a accepté votre démission de votre poste d'administrateur.
L'article 12 des statuts stipule que vis-à-vis des tiers, la société sera-
engagée valablement soit par les signatures conjointes de deux administrateurs dont celle de l'administrateur-délégué à la gestion technique, soit par la signature individuelle de l'administrateur-délégué à la gestion journalière dans l[e] cadre de cette gestion technique.
En votre qualité d'administrateur-délégué à la gestion technique, vous avez été en charge de la gestion journalière de la société … à partir du … 2006 jusqu'à la date du jugement de votre démission, le 02 mai 2007.
Par conséquent, conformément aux termes du § 108 AO et du § 103 AO (*), vous avez été personnellement tenue à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société …., dont notamment le paiement des impôts dus par la société à l'aide des fonds administrés.
En vertu de l'article 136 alinéa 2 L.I.R. (**), l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.
En vertu de l'article 136 alinéa 6 L.I.R., l'employeur est tenu de déclarer et de verser l'impôt retenu à l'administration des contributions.
En vertu de l'article 136 alinéa 6 L.I.R. et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.
Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à la personne qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.
2En votre qualité de d'administrateur-délégué à la gestion technique de la société …, il vous a appartenu de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.
Or, les retenues d'impôt sur salaires de l'année 2006 n'ont été payées que partiellement et celles de l'année 2007 n'ont pas été payées.
L'omission de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt sur salaires est à qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … (***) Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d’impôt d'un montant de … euros.
Ce montant de … euros se compose comme suit :
Année 2006 … euros principal Année 2006 … euros intérêts Année 2007 … euros principal Année 2007 … euros intérêts Il y a lieu de relever qu'en vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis, pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.
Considérant qu'en vertu du § 103 AO vous avez été tenue de remplir les obligations fiscales incombant à la société … .
Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.
Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché le receveur de l'Administration des contributions directes de percevoir l'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … euros.
Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.
Considérant le fait qu'en votre qualité d'administrateur-délégué à la gestion technique, vous avez été chargée de la gestion journalière de la société …, j'engage votre responsabilité, et l'appel en garantie s'élève au montant de … euros.
Par conséquent, vous êtes invitée à payer le montant de … euros sans délai à Monsieur le receveur de l'Administration des contributions directes à Ettelbruck […] ».
Par un courrier de son litismandataire du 22 janvier 2019, réceptionné le 24 janvier 2019 par l’administration des Contributions directes, Madame … introduisit une réclamation à l’encontre dudit bulletin.
Par une décision du 13 mai 2019, référencée sous le numéro C 25872 du rôle, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », rejeta ladite réclamation dans les termes suivants :
3 « […] Vu la requête introduite le 24 janvier 2019 par Maître Vincent Isitmez, au nom de la dame …, demeurant à B-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS Ettelbrück en date du 26 octobre 2018 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;
Considérant que le bulletin attaqué a déclaré la réclamante codébitrice solidaire de l'impôt sur les traitements et salaires des années 2006 et 2007 au motif qu'elle aurait, en sa qualité de représentante légale de la société anonyme …, en faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d'impôt sur les salaires, et dont la société était et est toujours redevable ;
En ce qui concerne la prescription de l'impôt Considérant qu'en vertu de l'article 10 de la loi du 27 novembre 1933, tel que modifié par la suite, la créance du Trésor se prescrit par cinq ans ; que l'alinéa 1er de l'article 3 de la loi du 22 décembre 1951 dispose que « Les délais de prescription pour l'établissement et le recouvrement des sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales, dues au titre des impôts à l'alinéa 2 de l'article 1er de la présente loi ainsi que des impôts extraordinaires sur les bénéfices de guerre et sur le capital sont interrompus, soit de la manière et dans les conditions prévues par les articles 2244 et suivants du Code civil soit par renonciation du contribuable au temps déjà couru de la prescription » ; que l'alinéa 2 du même article dispose qu' « En cas d'interruption, une nouvelle prescription, susceptible d'être interrompue de la même manière, commence à courir et s'accomplit à la fin de la quatrième année suivant celle du dernier acte interruptif de la précédente prescription, sans que le délai global de prescription puisse être inférieur à dix ans en cas de non-déclaration ou en cas d'imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse » ; que le commandement (article 2244 code civil) est un moyen utilisé par le receveur pour interrompre la prescription et qu'il est fait en vertu d'un titre exécutoire appelé la « contrainte » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction du dossier de la société que depuis l'année d'imposition 2006, le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir n'aient été continués entièrement au receveur ; qu'en l'espèce, vu l'ensemble des constatations qui précèdent, la prescription des impôts sur les traitements et salaires des années 2006 et 2007 a été interrompue à chaque fois par l'émission d'une telle contrainte avec commandement, de sorte que le grief afférent à la prescription des impôts est à rejeter comme non fondé ;
En ce qui concerne le bulletin d'appel en garantie 4 Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d'une personne morale est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;
Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;
que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;
Considérant qu'il s'avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu'en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre, quod non en l'espèce, étant donné qu'un autre bulletin d'appel en garantie a été émis à l'encontre du sieur … ;
Considérant, matériellement, qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) l'employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l'administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu'il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;
Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK §44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBI. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.
5 Abs. 3) ; que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;
Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;
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Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu'il n'accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d'avant son entrée en fonction, à l'aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l'emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu'elle s'est présentée durant les années antérieures ;
Considérant dans ce contexte, et notamment d'après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle;
Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;
Considérant encore qu'en ce qui concerne la notion de l'inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1' AO, que la Cour administrative a consigné que:
1)« Dans la mesure où il n'est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n'ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n'ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d'imposition à procéder par la voie de la taxation d'office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d'avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d'imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l'appelant, étant donné qu'en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu'il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d'impôt et que l'omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.
(…) Or, le fait pour l'appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d'impôt soient déposées en temps utile auprès de l'administration des Contributions directes, est à qualifier d'inexécution fautive des obligations du représentant d'une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l'égard des créances d'impôt visées dans le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l'argumentation de l'appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu'il est resté trop longtemps inactif et qu'il semblerait, d'après les éléments du dossier, qu'il n'est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :
2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d'une société à l'obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l'obligation des représentants d'une société de veiller au paiement des impôts dus (…).
La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.
6 En premier lieu, il est erroné de limiter l'analyse sur l'obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d'avoir égard à l'ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l'impôt dû.
Cette façon de procéder au cours de la procédure d'imposition est aux antipodes de l'attitude que l'on peut attendre d'une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d'administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.
(…) (…), il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d'imposition et qu'il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;
Considérant qu'il découle de ce qui précède que c'est à tort que la réclamante estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, la mise à charge des arriérés de la société au titre de la retenue d'impôt sur les traitements et salaires des années 2006 et 2007, ainsi que les intérêts de retard y afférents, étant dès lors parfaitement justifiée en ce qui la concerne ;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 juin 2019, inscrite sous le numéro 43076 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant, d’une part, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du directeur du 13 mai 2019 portant rejet de la réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 26 octobre 2018 et, d’autre part, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 26 octobre 2018.
A l’audience publique des plaidoiries, et tel qu’annoncé dans son avis du 16 septembre 2020 adressé au litismandataire de Madame … ainsi qu’au délégué du gouvernement avant l’audience, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre le bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 26 octobre 2018.
Le litismandataire de la demanderesse a conclu à la recevabilité du recours à travers son courrier électronique adressé au tribunal en date du 16 septembre 2020 à la suite de l’avis du tribunal, tandis que le délégué du gouvernement a conclu à l’audience des plaidoiries à l’irrecevabilité de celui-ci.
7En vertu des dispositions de l’article 8, paragraphe (3) point 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », un bulletin d’impôt peut uniquement être directement déféré au tribunal lorsqu’une réclamation au sens du paragraphe 228 AO a été introduite et qu’aucune décision directoriale définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande.
Par contre, lorsque le directeur a statué sur la réclamation par une décision définitive, le recours est irrecevable pour autant qu’introduit directement contre le bulletin1.
Dans la mesure où, en l’espèce, le directeur a statué sur la réclamation de la demanderesse par une décision du 13 mai 2019, il y a lieu de conclure à l’irrecevabilité des recours en réformation, sinon en annulation sous analyse pour autant qu’ils sont dirigés contre le bulletin d’appel en garantie du 26 octobre 2018.
S’agissant de la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre la décision directoriale du 13 mai 2019, il y a lieu de rappeler que conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Or, conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 13 mai 2019, précitée, ayant statué sur les mérites de la réclamation introduite contre le bulletin d’appel en garantie litigieux du 26 octobre 2018.
Ledit recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision directoriale, précitée.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit, elle invoque de prime abord la prescription de la créance étatique relative à la retenue d’impôts sur les traitements et salaires des années 2006 et 2007, dans la mesure où celle-ci aurait commencé à courir à partir du 1er janvier 2007, respectivement à partir du 1er janvier 2008, et que le bulletin d’appel en garantie, ayant retenu sa responsabilité en sa qualité d’administrateur-délégué à la gestion technique de la société …, aurait été émis après que le délai de prescription quinquennal tel que prévu à l’article 10 de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d'accises sur l'eau de vie et des cotisations d'assurance sociale, ci-après désignée par « la loi du 27 novembre 1933 », soit écoulé, à savoir le 26 octobre 2018.
Elle avance qu’elle ignorerait si l’administration des Contributions directes avait exercé des actes de poursuite interruptifs de la prescription au sens de l’article 3, alinéa 1er, de la loi 1 Trib. adm., 6 janvier 1999, n° 10357 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 1128 et les autres références y citées.
8modifiée du 22 décembre 1951 portant prorogation du délai de prescription de certains impôts directs et précision des conditions dans lesquelles les prescriptions peuvent être interrompues, ci-après désignée par « la loi du 22 décembre 1951 », tout en soulignant que l’affirmation du directeur dans sa décision du 13 mai 2019 suivant laquelle la prescription des impôts sur les traitements et salaires des années 2006 et 2007 aurait été interrompue à chaque fois par l'émission d’une contrainte avec commandement ne serait sous-tendue par aucune preuve tangible.
Elle soutient, ensuite, que l'appel en garantie émis à son encontre ne serait ni fondé, ni justifié.
A cet égard, elle donne tout d’abord à considérer qu’elle n’aurait pas été le seul administrateur de la société …, mais que les Messieurs … et … auraient également exercé cette même fonction au courant des années 2006 et 2007. Or, il ne ressortirait ni du bulletin d'appel en garantie litigieux, ni de la décision directoriale déférée que l’administration des Contributions directes ait également poursuivi les autres administrateurs en question, la demanderesse soulignant, en effet, que l’affirmation du directeur suivant laquelle un autre bulletin d’appel en garantie aurait été émis à l’encontre de Monsieur … ne serait sous-tendue par aucune preuve.
Elle met en exergue que d'après la jurisprudence des juridictions administratives, le simple constat d'un manquement à une obligation fiscale découlant des paragraphes 103 et 109 AO ne serait pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d'une société et émettre à leur encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant, en effet, posé à cet égard une exigence supplémentaire, à savoir celle d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung») des obligations du représentant de la société envers l'administration fiscale. Par ailleurs, le pouvoir du bureau d'imposition d'engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d'une société, ne relèverait pas d'une compétence liée, mais constituerait un pouvoir d'appréciation dans son chef et ce, à un double titre, d'abord en ce qui concerne l'appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l'émission d'un bulletin d'appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l'espèce.
Or, en l’espèce, ni le bureau d’imposition, ni le directeur n'auraient expliqué les raisons pour lesquelles l'appel en garantie n'aurait pas été dirigé contre les autres administrateurs, mais seulement contre elle, la mettant dans l’impossibilité de faire une appréciation effective et explicite des circonstances de l’espèce justifiant cette décision en raison et en équité.
La demanderesse conteste, ensuite, avoir commis une inexécution fautive de nature à engager sa responsabilité personnelle.
Elle soutient, à cet égard, que même si elle avait été nommée administrateur-délégué à la gestion technique de la société … durant une période de 9 mois comprise entre le 1er août 2006 et le 24 avril 2007, elle n'aurait pas réellement exercé la fonction de dirigeant au sein de cette société, ni assuré de manière effective la gestion journalière de celle-ci qui aurait, de facto, été exercée par Monsieur ….
Elle donne à considérer qu’elle aurait dénoncé cet état de choses à la police belge, tel que cela ressortirait du procès-verbal d'audition dressé en date du 27 novembre 2008 dans le 9cadre d'une enquête diligentée par le Substitut du Procureur du Roi de Marche-en-Famenne en matière d'infractions liées à l'état de faillite par les commerçants.
Elle souligne que, de surcroît, une délégation de pouvoirs pour les actes de gestion courante aurait été accordée par le conseil d’administration de la société … à Monsieur … en date du 2 novembre 2006, tout en insistant sur le fait qu’elle aurait ignoré que la société … n’avait pas continué les retenues d’impôt sur salaires au fisc, tout comme elle aurait ignoré que celle-ci ne disposait plus de liquidités suffisantes pour honorer ses dettes, état de choses dont elle se serait rendue compte seulement lorsqu’il aurait été trop tard pour y remédier.
Elle explique qu’elle aurait adressé un courrier à tous les fournisseurs de la société …, ainsi qu'à l’administration des Contributions directes pour solliciter des délais de paiement, mais qu’après avoir constaté que Monsieur … « continuait à n'en faire qu'à sa tête » et n'étant nullement d'accord avec la manière dont il a géré la société, elle aurait décidé de démissionner de son mandat d'administrateur-délégué à la gestion technique et aurait quitté la société … en date du 24 avril 2007.
Elle en conclut qu’aucune faute ne pourrait être retenue dans son chef, ce d’autant plus alors que le simple constat d'un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO, qui, de surcroît, devrait être imputé non pas à elle, mais à Monsieur … ayant eu la mainmise sur les comptes de la société et ayant assuré la gestion journalière de celle-ci, ne serait pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle au sens du paragraphe 109 AO.
Elle se réfère, dans ce contexte, encore aux dispositions du paragraphe 108 AO mettant une obligation personnelle en matière fiscale à charge des représentants légaux d’une société, y compris des dirigeants de fait ou des dirigeants apparents, c'est-à-dire de ceux qui se comportent, à l'égard des tiers, comme s'ils avaient le pouvoir de disposer.
Elle soutient, ensuite, que même s’il y avait faute en l’espèce et que cette faute lui était imputable, elle ne pourrait pas être tenue responsable du paiement de l’intégralité de la dette fiscale relative aux années 2006 et 2007, dans la mesure où elle n'aurait officiellement occupé le mandat d'administrateur-délégué à la gestion technique de la société … qu'entre le 1er août 2006 et le 24 avril 2007.
Il s’ensuivrait, dans ces conditions, que la créance alléguée par l'administration des Contributions directes serait contestable tant en son principe qu'en son quantum, point sur lequel le directeur n’aurait d’ailleurs, selon elle, apporté aucun élément de réponse.
Enfin, et dans l’hypothèse où sa responsabilité personnelle était engagée, la demanderesse sollicite une remise gracieuse au sens du paragraphe 131 AO, dans la mesure où l'appel en garantie litigieux serait de nature à entraîner dans son chef une rigueur incompatible avec l'équité.
Elle donne, à cet égard, à considérer qu’elle serait mère de quatre enfants et qu’elle devrait subvenir notamment à l'entretien et à l'éducation de ses enfants avec un salaire de seulement …- euros environ par mois, de sorte que le recouvrement de l'impôt dans de telles circonstances aurait pour conséquence de compromettre tant sa propre existence que celle de ses enfants en les privant notamment des moyens de subsistance indispensables.
10Comme le directeur n’aurait pas pris position sur sa demande de remise gracieuse telle que formulée par le biais de sa réclamation du 22 janvier 2019, la décision déférée encourrait la réformation.
La demanderesse sollicite, finalement, la condamnation de la partie étatique à lui payer une indemnité de procédure de 2.000.- euros conformément à l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », alors qu’il serait inéquitable de laisser à sa seule charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, ceci plus particulièrement dans la mesure où ce aurait été l’attitude de l’administration des Contributions directes qui l’aurait contrainte à intenter un recours contentieux et à recourir aux services rémunérés d’un avocat pour faire valoir ses droits légitimes.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour être non fondé.
S’agissant tout d’abord de la prescription de la créance étatique, il met en exergue que le bulletin d'appel en garantie litigieux concernerait les années d'imposition 2006 à 2007 et que la société … aurait été déclarée en état de faillite en date du 26 septembre 2007, mais que cette faillite n'aurait pas encore été clôturée.
En se référant à un arrêt de la Cour administrative du 6 janvier 2011, inscrit sous le numéro 27126C du rôle, ainsi qu’à un jugement du tribunal administratif du 16 mars 2016, inscrit sous le numéro 36056 du rôle, il avance qu’il serait de jurisprudence que la demande en admission au passif d'une faillite serait considérée, à l'instar d'une citation en justice, comme un acte de poursuite exercé par le créancier contre le débiteur interrompant la prescription et que l'effet interruptif du délai de prescription d'une déclaration de créance se prolongerait jusqu'au jour du jugement de la clôture de la faillite et vaudrait tant à l'égard de la société qu’à l'égard des représentants de celle-ci.
Il s’ensuivrait que comme la déclaration de créance relative aux impôts dus par la société … pour les années 2006 et 2007 aurait été déposée par la partie étatique le 15 octobre 2007, aucune prescription ne serait donnée en l’espèce.
S’agissant, ensuite, du choix de la personne appelée en garantie, il donne à considérer que l'acte constitutif de la société … du 12 septembre 2005 aurait désigné deux administrateurs-
délégués à la gestion technique, à savoir Madame … et Monsieur …, qui lui se serait également vu notifier un bulletin d'appel en garantie en date du 26 avril 2019.
Il soutient que le bureau d’imposition se serait donc livré à une appréciation effective et explicite des circonstances de l’espèce ayant justifié sa décision en raison et en équité, dans la mesure où tous les administrateurs-délégués en fonctions à la gestion administrative au courant des années d'imposition litigieuses auraient été appelés en garantie.
S’agissant, ensuite, de la faute retenue dans le chef de la demanderesse, il avance qu’en vertu du paragraphe 103 AO, le représentant légal serait tenu de remplir les obligations fiscales qui incomberaient à la société et notamment de payer, sur les fonds qu’il gère, les impôts dont la société serait redevable, cette obligation incombant, selon le délégué du gouvernement, à l’employeur conformément à l’article 136, alinéa 4 de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », et, dans le cas d’une société commerciale, 11au représentant légal qui aurait le pouvoir d’engager la société envers des tiers conformément aux paragraphes 103 et 109 AO.
Après avoir exposé les conditions de mise en œuvre de la responsabilité d’un représentant d’une société en vertu du paragraphe 109 AO, à savoir l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage, il donne à considérer que la faute consisterait, en matière de retenues d'impôts sur les salaires et traitements, dans la non-
continuation de celles-ci au fisc et qu’il serait de jurisprudence constante que le fait pour un représentant légal de ne pas verser les retenues sur salaire à la Caisse serait constitutif d’un comportement fautif per se dans le chef dudit représentant, et sans qu'il ne soit nécessaire de rapporter d'autres preuves à ce titre.
Il fait valoir que dans la mesure où Madame … prétend qu’elle n’aurait en réalité exercé aucune fonction au sein de la société …, elle ferait l'aveu de ne pas avoir exercé sa mission et a fortiori de son comportement fautif. Par ailleurs, quant à la contestation de la demanderesse qu’elle aurait joué un quelconque rôle dans la gestion journalière de la société, le délégué du gouvernement souligne qu’au-delà du fait que cet état de choses ne serait étayé par aucune pièce ou élément probant, les administrateurs seraient nommés parce que l'on attendrait d'eux la compétence nécessaire pour l'accomplissement de leurs fonctions, ce qui serait encore entériné par la doctrine en la matière retenant que ni une éventuelle incompétence technique, ni un motif philanthropique pour lequel il aurait accepté sa mission, ni d'éventuelles absences au sein du conseil d’administration ne pourraient limiter la responsabilité d'un administrateur.
De même, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société serait en soi une faute de gestion.
Il réitère que l'impôt sur les salaires et traitements serait un impôt dû par le salarié et que l'obligation de l'employeur consisterait à retenir et à continuer à l'administration fiscale cet impôt pour compte du salarié à partir du moment qu'un salaire passible dudit impôt est versé au salarié.
En n'exerçant pas la mission lui confiée par son mandat respectivement par la loi, la demanderesse aurait dès lors commis une faute engageant sa responsabilité, le délégué du gouvernement relevant, de surcroît, que les administrateurs seraient également responsables d'un défaut de surveillance à la gestion journalière et que même la nomination d'un administrateur-délégué n'enlèverait en rien la responsabilité des autres membres du conseil d'administration, ceci plus particulièrement dans la mesure où cet organe préserverait son caractère d'« autorité supérieure à laquelle sont dévolus la haute direction et le contrôle de la gestion sociale ».
Il en conclut que la demanderesse ne pourrait se décharger de sa responsabilité en affirmant que la charge de la gestion journalière appartenait à autrui, ceci plus particulièrement dans la mesure où seuls les actes qui en raison tant de leur peu d’importance que de la nécessité d'une prompte solution ne justifiant pas l'intervention du conseil d'administration lui-même, pourraient faire l'objet d'une délégation.
Il ajoute que la faute n'impliquerait pas de la part de l'administrateur un agissement actif, mais que sa responsabilité pourrait aussi être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie, tout en soulignant que le comportement d'un demandeur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable devrait être considérée comme faute grave, à 12savoir une faute qu'un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n'aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes.
Il cite, ensuite, les termes de l’article 12 des statuts de la société … prévoyant les conditions de signature des administrateurs pour engager la société vis-à-vis des tiers, en contestant que « ce fait » corresponde à la réalité et en soutenant que même si tel avait été le cas, il aurait appartenu à Madame … de démissionner.
Il se prévaut ensuite du principe suivant lequel « Nul ne peut être témoin dans sa propre cause » pour contester la valeur probante du procès-verbal rédigé par la police belge le 27 novembre 2008, tout en soulignant que celui-ci aurait été dressé dans le cadre de la faillite de la société « … » et pas dans celui de la société ….
Il ajoute que même à admettre que la demanderesse ignorait effectivement tout de la situation tant fiscale que financière de la société … comme elle le prétend, ce fait démontrerait à lui seul son désintérêt total envers la société qu'elle était censée diriger.
En ce qui concerne les contestations avancées par la demanderesse quant au quantum de la créance étatique, le délégué du gouvernement soutient qu’il serait de jurisprudence que les déclarations de retenues d'impôt sur le revenu, ainsi que sur les traitements et salaires à l'administration des Contributions directes devraient être considérées comme constitutive d'un bulletin d'impôt non écrit, de sorte que, lors de chaque déclaration des retenues sur traitements et salaires, qui dans l'espèce ne seraient, par ailleurs, pas contestées, le bureau compétent serait censé avoir émis un bulletin d'impôt non écrit ayant fixé le montant des retenues déclarées comme montant des retenues d'impôt que la société … serait tenue de prélever des rémunérations allouées. Or, le délai de recours contre ces bulletins fixé à trois mois, aurait commencé à courir à partir de la date supposée d'émission de ce bulletin, correspondant en principe à la date de réception de la déclaration des retenues opérées par le débiteur des revenus.
En précisant que d'après les termes de la même jurisprudence, la date d'émission d'un tel bulletin à défaut de paiement des retenues d’impôts correspondrait à la date de réception de la déclaration des retenues qui devrait être considérée comme ayant chiffré pour la première fois la créance d'impôt, il en conclut que la demanderesse, en sa qualité de représentant légal de la société … durant cette période d'imposition, aurait eu la possibilité d'introduire un recours endéans le délai de trois mois, mais qu’à défaut de l'avoir fait, elle serait actuellement forclose de contester tant le principe que le quantum de la créance et ce pour quelque motif que ce soit.
Il soutient, enfin, que la demande de remise gracieuse serait à rejeter.
Il en serait de même de la demande en indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse dans sa requête introductive d’instance, le délégué du gouvernement contestant, en effet, tant son principe que son quantum, alors que les conditions d’application légales ne seraient pas réunies en l’espèce.
Dans sa réplique, la demanderesse explique tout d’abord qu’elle aurait ignoré jusqu'au dépôt du mémoire en réponse de la partie étatique que celle-ci avait exercé « des actes de poursuite interruptifs de la prescription » et plus particulièrement déposé une déclaration de créance en date du 15 octobre 2007 dans le cadre de la faillite de la société … et demande acte qu’elle se rapporte à prudence de justice quant au moyen fondé sur la prescription.
13Il en serait de même en ce qui concerne le moyen relatif au choix par le bureau d’imposition de la personne appelée en garantie, dans la mesure où il ressortirait des pièces produites par la partie étatique à l’appui de son mémoire en réponse que le bureau d’imposition a en date du 26 avril 2019 également émis un bulletin d'appel en garantie à l’égard de Monsieur ….
La demanderesse soutient ensuite que la partie étatique resterait en défaut de rapporter la preuve qu’elle aurait commis une inexécution fautive de nature à engager sa responsabilité personnelle, en soulignant que les doctrine et jurisprudence citées par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse ne seraient pas de nature à palier sa carence dans l'administration de la preuve, alors qu'il s'agirait, pour l'essentiel, de l'énonciation de généralités qui ne pourraient s'appliquer en tant que telles en l'espèce.
Elle avance qu’elle aurait été nommée administrateur-délégué à la gestion technique de la société … en date du 1er août 2006 en raison du fait qu'elle aurait été la seule à disposer, après la révocation de Monsieur … de son mandat d’administrateur, des qualifications nécessaires pour régulariser la situation administrative de la société au regard notamment de l'autorisation d'établissement, et que ce n’aurait donc pas été pour ses compétences en matière de gestion journalière administrative qu'elle aurait été mandatée à ce poste duquel elle aurait démissionné en date du 24 avril 2007, donc seulement 9 mois après sa nomination.
Elle réitère qu’elle n'aurait pas été en mesure d'assurer de manière effective la gestion journalière, administrative ou technique, de la société …, qui aurait été exercée, de facto, par Monsieur … qui se serait comporté de tous temps en « maître absolu ».
Or, au risque de se voir reprocher d'avoir quitté ses fonctions de manière intempestive ou abusive, elle aurait pris la décision de démissionner de son mandat d'administrateur-
délégué à la gestion technique, état de chose qu’elle aurait encore dénoncé in tempore non suspecto à la police belge, tel que cela ressortirait du procès-verbal d'audition dressé par la police belge en date du 27 novembre 2008.
Cet état de chose se dégagerait également de la délégation de pouvoirs pour les actes de gestion courante consentie par le conseil d’administration de la société … à Monsieur … en date du 2 novembre 2006, qui aurait, en sa qualité d’administrateur-délégué et de bénéficiaire effectif de la société …, contrôlé tant la société que ses organes, dont le conseil d'administration, l’ayant, par conséquent, implicitement mais nécessairement déchargé de sa responsabilité personnelle à partir du 2 novembre 2006, date à partir de laquelle Monsieur … aurait accepté d'assumer seul la responsabilité des actes posés dans le cadre de la gestion courante.
La demanderesse réitère que non seulement la gestion courante aurait été assurée par Monsieur … seul, mais que celui-ci aurait encore caché tout ce qu'il faisait, de sorte qu’elle aurait ignoré que la société … n'avait pas continué les retenues d'impôt qui avaient été opérées sur les salaires du personnel, tout comme elle aurait ignoré que la société n'avait pas ou plus les moyens d'honorer ses dettes.
Quant à sa demande de remise gracieuse, elle reproche au délégué du gouvernement de rester muet quant à la motivation conduisant au rejet de celle-ci.
Finalement, s’agissant de l’indemnité de procédure, elle réitère que ce serait dû à l’attitude de la partie étatique qu’elle aurait été contrainte d’introduire un recours contentieux 14et de recourir aux services d’un avocat, de sorte que sa demande en ce sens serait parfaitement justifiée.
Dans sa duplique, le délégué du gouvernement soutient que la demanderesse n’aurait pas été nommée, comme elle le prétend, administrateur-délégué à la gestion technique en date du 1er août 2006, mais qu’elle aurait été nommée administrateur et administrateur-délégué à la gestion administrative depuis la constitution de la société …, soit depuis le 12 septembre 2005. Par ailleurs, en date du 1er août 2006, elle aurait encore été nommée président du conseil d’administration et administrateur-délégué à la gestion technique. Il souligne que si elle avait certes démissionné de son poste d’administrateur suivant publication du 8 juin 2007, elle serait toujours administrateur-délégué à la gestion administrative et à la gestion technique de la société … et donc responsable de la continuation des retenues d’impôt sur les salaires.
Il en conclut que les développements de la demanderesse relatifs à la durée de ses mandats d’administrateur et d’administrateur-délégué seraient irrelevants et contredits par les pièces versées en cause.
En ce qui concerne l’affirmation de la demanderesse que son mandat d’administrateur à la gestion technique aurait eu pour but la régularisation au niveau de l’autorisation d’exploitation de la société, il donne à considérer qu’une telle autorisation ne serait accordée qu’à la condition que la personne en question s’occupe effectivement de la gestion de la société.
Il conteste ensuite le fait que Monsieur … aurait « tiré les reines » de la société …, tout en soulignant qu’il aurait suffi de lui retirer la délégation de pouvoir en cas d’abus. Il ajoute que même à supposer que cette délégation de pouvoir vaille décharge de la responsabilité de la demanderesse, celle-ci serait inopposable aux tiers dont l’administration des Contributions directes. Il met, par ailleurs, en avant que Madame … aurait continué à assumer les fonctions d’administrateur et d’administrateur-délégué à la gestion journalière, administrative et technique, même après que ces pouvoirs aient été délégués à Monsieur ….
Il soutient, enfin, que ce serait à tort que la demanderesse prétend de ne pas avoir été au courant des arriérés de salaires dus en renvoyant à un courrier de celle-ci du 19 mars 2007 par le biais duquel elle aurait demandé des délais de paiement à l’administration des Contributions directes.
Il échet tout d’abord au tribunal de relever que les impôts litigieux pour lesquels la responsabilité de Madame … est recherchée concernent les retenues d’impôt sur traitements et salaires que la société … aurait dû opérer et continuer, les retenues visant l’année 2006 n’ayant été payées que partiellement et celles de l’année 2007 ayant été impayées dans leur intégralité, étant relevé que le défaut de paiement des retenues n’est pas contesté.
En ce qui concerne le premier moyen tiré de la prescription de la créance à la base du bulletin d’appel en garantie, il convient de souligner que l’article 10 de la loi, précitée, du 27 novembre 1933, dispose que « la créance du Trésor se prescrit par cinq ans. Toutefois, en cas de non déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de 10 ans. Ces prescriptions s’appliquent à tous impôts […] dont est chargée l’administration des contributions […]. La prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née ».
A défaut de contestations de la part du délégué du gouvernement relativement à la matérialité des déclarations des retenues sur salaires opérées pour les années litigeuses, il y a 15lieu de retenir que la prescription quinquennale s’applique en cause, de sorte que le délai de prescription de la dette fiscale à la base du bulletin d’appel en garantie litigieux, selon lequel la demanderesse reste redevable des impôts sur les salaires de la société … relatifs aux années 2006 et 2007, a commencé à courir, en application de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, précité, et du paragraphe 3 de la loi modifiée d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après désignée par « StAnpG », suivant lequel «[…] (5) Die Steuerschuld entsteht: 1. Bei der Einkommensteuer und bei der Körperschaftsteuer: a) für Steuerabzugsbeträge: im Zeitpunkt des Zufliessens der steuerabzugspflichtigen Einkünfte […] » aux dates respectives d’allocation des rémunérations soumises aux retenues2 au cours des années 2006 à 2007.
Ceci dit, l’article 3, alinéa 1er de la loi, précitée, du 22 décembre 1951 dispose que «[l]es délais de prescription pour l’établissement et le recouvrement des sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales, dues au titre des impôts visés à l’article 2 de l’article 1er de la présente loi ainsi que des impôts extraordinaires sur les bénéfices de guerre et sur le capital sont interrompus, soit de la manière et dans les conditions prévues par les articles 2244 et suivants du Code civil, soit par une renonciation du contribuable au temps déjà couru de la prescription. Il en est de même des délais de prescription pour le recouvrement de toutes autres sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales dont la perception est confiée à l’administration des contributions. […] ».
Aux termes de l’article 2244 du Code civil : « Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, forment l’interruption civile ».
Il est admis qu’une demande en admission au passif d’une faillite est à considérer, à l’instar d’une citation en justice, comme un acte de poursuite exercé par le créancier contre le débiteur interrompant la prescription3.
Il est, par ailleurs, de jurisprudence que l’effet interruptif du délai de prescription d’une déclaration de créance se prolonge jusqu’au jour du jugement de la clôture de la faillite4.
En l’espèce, le cours des différents délais de prescription pour le recouvrement des dettes d’impôts sur les traitements et salaires des années 2006 et 2007 restées impayées par la société … a partant été valablement interrompu à l’égard dudit débiteur principal, - étant, à cet égard, relevé que cette interruption joue aussi à l’égard de la personne appelée en garantie5 au vu du lien de solidarité et d’indivisibilité existant entre une société commerciale, le débiteur principal, en l’occurrence la société …, en faillite, et son représentant, en l’occurrence Madame …, appelée en garantie en raison de sa responsabilité personnelle sur base du § 109 AO -, par l’effet d’une déclaration de créance déposée le 15 octobre 2007 par le bureau de recette Ettelbruck de l’administration des Contributions directes dans le cadre de la faillite de la société …, dont il n’est pas contesté que la faillite n’a pas encore été clôturée, de sorte que les délais de prescription n’ont pas continué à courir.
2 Cour adm., 27 novembre 2018, n° 41582C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
3 Cour adm., 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n°721 et les autres références y citées.
4 Voir Trib. Lux., 23 avril 2014, n°11077.
5 Cour adm. 27 mars 2018, n° 40362C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
16Par conséquent, le moyen fondé sur l’extinction de la dette par voie de prescription au jour de l’émission du bulletin d’appel en garantie litigieux du 26 octobre 2018 est à rejeter.
En ce qui concerne ensuite les obligations à charge d’un employeur en relation avec l’impôt dû par les salariés, il convient de relever qu’en vertu des dispositions de l’article 136, paragraphe (4) LIR, l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant à l’employeur est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen », de sorte que le représentant légal d’une société commerciale est tenu de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.
Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fait du non-paiement d’impôts, il y a lieu de relever que le dirigeant d’une société ne peut être tenu personnellement responsable du non-paiement de ces impôts que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO, aux termes duquel « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu Unrecht gewährt worden sind. ».
Cette disposition soumet la mise en œuvre de l’appel en garantie à la triple condition de l'existence d'une faute (« schuldhafte Verletzung ») commise dans une qualité visée aux paragraphes 103 à 108 AO, d'un dommage subi par l’Etat et d'un lien de causalité entre le dommage et la faute.
Il se dégage de ces dispositions légales précitées que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO, précité, n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant, en effet, posé, à cet égard, l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers le fisc.
Le paragraphe 7, alinéa (3) StAnpG, disposant, par ailleurs, que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldetet Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.
Enfin, conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben 17(Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision.
S’agissant, de prime abord, des contestations de la demanderesse quant à la justification du choix de diriger le bulletin d’appel en garantie à son encontre malgré la présence d’autres administrateurs de la société … et à supposer que cette contestation vise un défaut d’indication formelle des motifs à la base de la décision litigieuse, force est de constater qu’une décision directoriale statuant sur une réclamation n’est pas soumise à une exigence formelle de motivation complète dont le non-respect serait sanctionné par l’annulation de la décision et que l’obligation de motivation ne se conçoit à l’égard d’une décision directoriale qu’à travers le principe général du droit au respect des droits de la défense, en ce sens qu’il faut et il suffit que les motifs à la base de la décision aient existé à la date où elle a été prise et que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense6, ce qui a été le cas en l’espèce.
Au-delà de ce constat, le tribunal relève qu’il se dégage du dossier administratif sous analyse qu’un appel de garantie pour les retenues d’impôt sur salaires des années 2006 et 2007 litigieuses a également été émis le 26 avril 2019 en vertu du paragraphe 118 AO à l’encontre de Monsieur …, administrateur-délégué à la gestion administrative suivant acte constitutif de la société … du 12 septembre 2005.
Le reproche afférent est partant rejeté.
Pour le surplus, il échet de relever que les contestations soulevées par la demanderesse visent en réalité le bien-fondé et l’existence des motifs à la base de l’appel en garantie en ce qu’elle conclut à l’absence de toute faute intentionnelle dans son chef, en excipant le fait qu’elle n’aurait de facto pas été en charge de la gestion journalière de la société …, alors qu’en réalité, celle-ci aurait été dirigée par Monsieur …, tel que cela résulterait notamment du rapport d’audition dressé par la police belge le 27 novembre 2008, celui-ci s’étant vu déléguer le 2 novembre 2006 les pouvoirs pour les actes de gestion courante et auquel il aurait, par conséquent, appartenu de veiller au respect des obligations dont la violation lui est actuellement personnellement reprochée, et qui, de plus, aurait caché tout ce qu’il faisait.
En l’espèce, il se dégage du bulletin d’appel en garantie émis le 26 octobre 2018 que le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle de la demanderesse en sa qualité d’administrateur-délégué à la gestion technique de la société … ayant disposé, depuis le 1er août 2006 et jusqu’à sa démission le 2 mai 2007, du pouvoir d’engager la société pour conclure qu’en cette qualité, il lui aurait incombé de procéder aux retenues d’impôt sur les salaires pour les années 2006 et 2007 et de verser ces retenues au Trésor public.
6 Cour adm. 5 juillet 2016, n° 36888C du rôle ; 27 juillet 2016, nos 36842C et 36845C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
18Force est de constater que la demanderesse a été nommée administrateur et administrateur-délégué à la gestion administrative de la société … dès la constitution de la société, tel que cela ressort des statuts de la société publiés lors de sa constitution en date du 12 septembre 2005. Suivant le procès-verbal du conseil d’administration du 1er août 2006, elle a encore été nommée présidente du conseil d’administration et administrateur-délégué à la gestion technique à partir du 1er août 2006. En date du 24 avril 2007, le conseil d’administration de la société … a accepté la démission de Madame … de ses fonctions d’administrateur, tel que cela ressort de l’extrait du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire du 2 mai 2007 publié au registre de commerce et de sociétés le 8 juin 2007.
Au vu de ce qui précède, la demanderesse était partant pendant la durée de son mandat d’administrateur, respectivement d’administrateur-délégué d’abord à la gestion administrative depuis le 12 septembre 2005, puis à la gestion technique à partir du 1er août 2006 jusqu’à sa démission intervenue le 24 avril 2007 et devenue opposable aux tiers à travers la publication au registre de commerce et des sociétés le 8 juin 2007, de jure en charge de l’administration de la société …, et était partant personnellement tenue, en vertu des dispositions légales précitées, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, et plus particulièrement de celle de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le verser au Trésor public.
Il convient de rappeler, à cet égard, que l’impôt sur les salaires, en relation avec lequel l’appel en garantie a été émis en l’espèce, est un impôt dû par le salarié qu’il incombe à l’employeur de retenir et de continuer pour compte du salarié à partir du moment qu’un salaire passible dudit impôt lui est versé.
Il s’ensuit que le fait par l’employeur de verser un salaire sans pour autant effectuer, voire continuer les retenues qui s’imposent, s’analyse en un détournement des sommes en question au profit de la société, alors que cette partie du salaire est due à l’Etat non pas par l’employeur, mais par le salarié.
Dès lors, le fait, non contesté, que les impôts litigieux n’ont pas été payés, est susceptible d’engager la responsabilité de la demanderesse.
Madame … n’est, à cet égard, pas fondée à s’exonérer de sa responsabilité en excipant du fait qu’elle n’aurait, à aucun moment, été en mesure d’assurer de manière effective la gestion journalière de la société …, au motif que la société aurait de fait été exclusivement gérée par Monsieur … qui, de plus, se serait vu accorder une délégation de pouvoir pour les actes de gestion courante depuis le 2 novembre 2006.
En effet, s’il résulte certes d’un procès-verbal du conseil d’administration du 2 novembre 2006 qu’une délégation de pouvoir a été accordée à Monsieur … « pour les actes de gestion courante » avec la précision que celui-ci « assumera la responsabilité des actes posés seul dans le cadre de cette délégation de pouvoir », et que suivant les termes de l’article 12 des statuts de la société … : « Vis-à-vis des tiers, la société sera engagée valablement soit par les signatures conjointes de deux administrateurs dont celle de l’administrateur-délégué à la gestion journalière technique, soit par la signature individuelle de l’administrateur-délégué à la gestion journalière dans le cadre de cette gestion technique. », et à supposer pour les besoins de la discussion que l’ensemble de la gestion journalière ait, en l’espèce, été déléguée à Monsieur …, force est de constater que la demanderesse était, en sa qualité de membre du 19conseil d’administration, en vertu du paragraphe 103 AO, en toute hypothèse tenue de veiller à ce que la société s’acquitte de ses obligations fiscales.
En effet, les membres du conseil d’administration n’échappent pas à leurs responsabilités parce qu’ils délèguent en tout ou en partie celles-ci à d’autres, mais ils doivent au contraire assumer une surveillance constante de ceux à qui ils donnent pareille délégation7, puisque nonobstant l’existence dans une société d’un délégué à la gestion journalière, « les administrateurs devraient aussi répondre d’un défaut de surveillance du délégué à la gestion journalière »89. Les administrateurs sont, en effet, nommés parce que l’on attend d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-
actifs, ils répondent de leurs actes de la même façon. Ni une éventuelle incompétence technique, ni le motif philanthropique pour lequel il aurait accepté sa mission, ni d’éventuelles absences au sein du conseil ne pourraient limiter la responsabilité d’un administrateur10, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant en soi une faute de gestion11. Par ailleurs, la faute n’implique pas de la part de l’administrateur un agissement actif et la responsabilité de l’administrateur peut être engagée par son attitude passive, sa négligence ou son incurie12.
Aussi, le comportement d’un administrateur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable doit être considéré comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes13.
En l’espèce, même à admettre que Monsieur … ait été dirigeant de fait de la société …, le comportement de la demanderesse est fautif, dans la mesure où, bien qu’étant administrateur et ayant en tant que tel une obligation de surveillance de ceux auxquels des pouvoirs ont été délégués, elle est en aveu de ne pas s’être occupée de la société.
En effet, si l’appréciation de la faute d’un administrateur en rapport avec un défaut de surveillance est à nuancer en fonction de ce que l’administrateur concerné a ou n’a pas concrètement entrepris ou tenté d’entreprendre des diligences auprès de ses collègues en charge de la gestion journalière14, en l’espèce, les pièces versées en cause sont loin de documenter que la demanderesse est intervenue concrètement auprès de Monsieur … en vue de s’assurer du respect par la société de ses obligations fiscales, la demanderesse affirmant, au contraire, qu’elle n’aurait à aucun moment eu connaissance ni du fait que les sommes dues à titre de retenues sur salaires et traitements n’avaient pas été continuées au fisc ni que la société n’avait pas ou plus les moyens d’honorer ses dettes, tout en soulignant qu’elle ne serait d’ailleurs jamais intervenue dans la gestion de la société, ce qui dénote, en tout état de cause, d’un défaut de surveillance au niveau de la gestion de la société, étant, à cet égard, encore 7 Mons, 20 mai 1985, R.P.S., 1985, p.290.
8 J. Van Ryn et P. Van Ommeslaghe, Examen de la jurisprudence - les sociétés commerciales, R.C.J.B., 1973, p.532.
9 Cour adm., 12 jullet 2018, n°39985C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
10 D. Matray, Observations sur la responsabilité dans la constitution et la gestion des sociétés, notes n° 211, 212 et 213, dans : Chroniques de droit à l’usage du Palais, Tome VII, Le droit des sociétés, 1989.
11 Ibidem, note n° 214.
12 P.Thielen et J. Delvaux, La responsabilité civile des administrateurs de sociétés anonymes en droit luxembourgeois - situation actuelle et tendance future, Bulletin Droit et banque, 4/1948, p.6, et N. Schaeffer, Réflexions sur la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés commerciales de capitaux, Bulletin de la Conférence St Yves, n° 77, novembre 1990, p.18.
13 D. Matray, op.cit, notes n° 67, 68, 69 et 70.
14 Cour adm. 4 janvier 2018, n° 40079C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 514 et les autres références y citées.
20relevé qu’une surveillance normale de l’accomplissement des démarches d’ordre fiscal par rapport à une obligation légale de prélever une retenue sur les rémunérations du personnel qui se répète mensuellement aurait permis de déceler les manquements à l’obligation de verser les retenues au Trésor ou, en cas de problèmes pour obtenir les informations afférentes, d’entreprendre des démarches nécessaires afin de voir rétablir la situation15.
Au regard de ces considérations, le tribunal est amené à retenir, de concert avec la partie étatique, qu’en omettant en sa qualité de représentant légal de la société … de verser au Trésor public l’impôt qui était dû sur les traitements et salaires du personnel de celle-ci pendant la durée de son mandat ou du moins de veiller à ce que les paiements soient effectués, la demanderesse s’est rendue coupable d’une inexécution fautive de ses obligations au sens du paragraphe 109 AO.
Ce constat d’un comportement fautif de la demanderesse durant son mandat ne saurait être ébranlé ni par les explications avancées par la demanderesse concernant ses qualifications pour régulariser la situation administrative de la société … ni par sa démission de ses fonctions d’administrateur le 24 avril 2007, étant à cet égard encore relevé qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à l’analyse du tribunal qu’elle aurait démissionné de ses fonctions au motif qu’elle n’aurait plus toléré la gestion de la société « sous la maîtrise » de Monsieur …. Enfin, si elle a dénoncé les « agissements » de Monsieur … à la police belge lors de son audition du 1er décembre 2008, cette circonstance n’est pas de nature à la décharger de la faute retenue à sa charge, alors que cette dénonciation n’est non seulement pas intervenue à sa seule initiative, mais a été faite dans le cadre d’une enquête de police par rapport à la faillite de la société « … », mais elle est, de surcroît, intervenue postérieurement aux années fiscales litigieuses et après sa démission.
C’est dès lors à bon droit que le directeur a confirmé le bureau d’imposition pour avoir recherché la responsabilité personnelle de la demanderesse pour le non-paiement des retenues sur traitements et salaires, sous réserve de l’examen de la période exacte durant laquelle Madame … était à considérer comme responsable d’opérer lesdits paiements, respectivement de veiller à ce que ces retenues soient opérées et continués au Trésor public.
A cet égard, force est de constater que le bulletin d’imposition a mis à charge de la demanderesse l’obligation de payer à l’administration des Contributions directes un montant de …- euros se composant des retenues d’impôt sur salaires, principal et intérêts, dues par la société … pour l’année 2006 à partir du mois d’avril de l’année 2006, tel que cela ressort de la liste des mouvements établie par le bureau de recette Ettelbruck de l’administration des Contributions directes du 18 juin 2019, et celles de l’année 2007 dans leur intégralité.
Si la demanderesse affirme qu’elle n’aurait été administrateur à la gestion technique qu’à partir du 1er août 2006, le tribunal retient qu’elle était néanmoins responsable des paiements visant toute l’année de 2006 dans la mesure où, d’une part, elle était administrateur et administrateur-délégué à la gestion administrative depuis la constitution de la société … le 12 septembre 2005 et, d’autre part, de toute façon, le représentant légal d’une société, voire le délégué à la gestion de celle-ci, doit à son entrée en fonction veiller à ce que la société a effectué 15 Cour adm. 28 juin 2018, n° 40895C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 516.
21tous les paiements des impôts dus à ce moment, y compris ceux qui étaient dus avant son entrée en fonction16.
S’agissant ensuite de l’incidence de la démission de la demanderesse de ses fonctions d’administrateur à partir du 24 avril 2007, il convient de relever que si un ancien représentant peut se voir opposer, après la cessation de ses fonctions, des manquements aux obligations fiscales du représenté survenus au cours de la période pendant laquelle il assumait les fonctions de représentant, tel n’est pas le cas des manquements aux obligations fiscales du représenté survenus seulement après la fin de sa mission.17 Partant, la demanderesse ne saurait être tenue responsable des manquements aux obligations fiscales de la société … survenus après la cessation de son mandat.
S’agissant toutefois de la date à partir de laquelle aucune responsabilité ne peut plus être retenue, le tribunal relève qu’il résulte de l’extrait du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 2 mai 2007 que la démission de Madame … a été acceptée par le conseil d’administration le 24 avril 2007.
Force est toutefois encore de constater que la démission de la demanderesse n’a été publiée au registre de commerce et des sociétés que le 8 juin 2007.
Il s’ensuit que la demanderesse est à décharger de sa responsabilité relativement aux défauts de perception de l’impôt légalement dû par la société … à partir de la publication de sa démission au registre de commerce et des sociétés le 8 juin 2007 la rendant opposable aux tiers18.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du délégué du gouvernement suivant laquelle Madame … aurait démissionné de son poste d’administrateur, mais pas de ses fonctions d’administrateur-délégué à la gestion administrative et à la gestion technique, de sorte qu’elle aurait toujours occupé ces postes et qu’elle serait dès lors actuellement toujours responsable de la non-continuation des retenues d’impôt sur les salaires survenue après la fin de son mandat d’administrateur. En effet, dans la mesure où Madame … a démissionné de son mandat d’administrateur, elle a implicitement mais nécessairement également mis fin à ses fonctions d’administrateur-délégué à la gestion journalière, administrative et technique, de la société ….
Il s’ensuit qu’elle ne peut se voir opposer les manquements aux obligations fiscales relatives à l’année 2007 survenus après la période pendant laquelle elle assumait les fonctions de représentant, à savoir ceux survenus à partir du 8 juin 2007, de sorte que le recours est partiellement fondé et qu’il y a lieu de réformer la décision directoriale entreprise en ce sens.
S’agissant, enfin, de la demande d’une remise gracieuse au sens du paragraphe 131 AO, dont fait état la demanderesse dans sa requête introductive d’instance, le moyen ainsi soulevé par la demanderesse est inopérant dans le cadre d’un recours contre une décision du directeur 16 En ce sens : Trib. adm., 17 novembre 2016, n° 36685 du rôle, confirmé par Cour adm., 30 mars 2017, n° 38880C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 517 ; Trib. adm., 21 décembre 2016, n° 37104 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 518 et l’autre référence y citée.
17 Cour adm. 29 juin 2017, n° 39336C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 520 et l’autre référence y citée.
18 Voir en sens : Trib. adm., 26 juin 2019, n° 41518 du rôle.
22ayant statué sur réclamation contre un bulletin d’appel en garantie19 dans le mesure où une demande de remise gracieuse présuppose que le contribuable ne conteste pas le bien-fondé de l’impôt, de sorte que le moyen est à rejeter.
La demanderesse demande encore la condamnation de la partie étatique au paiement d’une indemnité de procédure, conformément aux articles 32 et 33 de la loi du 21 juin 1999, demande qu’il y a lieu de rejeter dans la mesure où elle reste en défaut de prouver qu’il serait inéquitable de laisser à sa seule charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.
Eu égard à l’issue du litige, le tribunal fait masse des frais et dépens et les impose pour 1/3 à l’Etat et 2/3 à la partie demanderesse.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le bulletin d’appel en garantie du 26 octobre 2018 ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 mai 2019 ;
au fond le déclare partiellement justifié ;
partant, par réformation de la décision directoriale du 13 mai 2019, dit que les retenues sur salaires et traitements venues à échéance après la publication de la cessation du mandat d’administrateur de Madame … le 8 juin 2007 ne sont pas à mettre à charge de la demanderesse et renvoie le dossier au directeur pour procéder au recalcul des sommes redues ;
déclare le recours non fondé pour le surplus et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
fait masse des frais et dépens et les impose à l’Etat à hauteur de 1/3 et à la demanderesse à hauteur de 2/3.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, et prononcé à l’audience publique du 2 décembre 2020, par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.
19 Trib. adm. 23 décembre 2016, n° 37189 du rôle, conf. Par Cour adm. du 23 mai 2017, n° 39050C du rôle, Pas.
adm. 2020, V° Impôts, n° 529 et l’autre référence y citée.
23 s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 décembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 24