Tribunal administratif N° 43120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2019 4e chambre Audience publique du 17 novembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43120 du rôle et déposée le 14 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 mai 2019 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2019 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives.
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Le 24 septembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, service police des étrangers – criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Les 4 janvier et 12 mars 2019, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 mai 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informaMonsieur … qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 24 septembre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 septembre 2018, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 4 janvier et 12 mars 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez d'ethnie kurde et originaire de … dans la province de Ninawa.
Vous indiquez qu'à partir de juin 2014, l'organisation terroriste dénommée Etat islamique aurait occupé la ville de … jusqu'en août 2017.
Vous expliquez que pendant la période d'occupation en 2014, des membres de « Daesh » seraient venus à votre domicile à deux reprises, une première fois afin de vous mobiliser pour participer aux combats, une deuxième fois pour solliciter votre assistance dans le cadre de leur ravitaillement en nourriture. A chaque fois, vous auriez refusé en leur expliquant que votre épouse serait malade et que vous seriez le seul à pouvoir vous occuper de votre famille. Vous soulignez qu'ils n'auraient pas apprécié vos refus de collaborer, mais qu'ils seraient à chaque fois repartis sans provoquer d'incidents.
Vous précisez que votre épouse serait décédée d'une mort naturelle en 2014 et que vous auriez quitté la ville de … la même année sous prétexte d'aller faire soigner votre fils.
Vous vous seriez rendu dans la région autonome du Kurdistan irakien. Vous expliquez que vous auriez été admis par les autorités sur place et que vous seriez resté dans un camp de réfugié dénommé « … » [sic] avec vos enfants.
Suite à la défaite de l'Etat islamique en août 2017, vous seriez retourné à …. Vous précisez que votre maison aurait été détruite lors des bombardements et que vous auriez habité chez vos parents pendant plusieurs mois.
En mai ou juin 2018, voire presque un an après votre retour, vous auriez rencontré à … une personne dénommée « Ali », une connaissance de longue date. Cet individu en question aurait 2 rejoint les rangs de « Daesh » pendant l'occupation de …. Vous ajoutez qu'il aurait même été présent lors des deux visites des membres de l'Etat islamique dans votre domicile en 2014, et qu'il risquerait encore de vous poser des problèmes. En effet, vous racontez qu'il vous aurait reconnu et qu'il risquerait de contacter d'autres membres de ladite organisation terroriste encore présents dans la région dans le seul but de vous nuire. Par la suite, vous auriez appris que des personnes auraient demandé après vous.
Vous évoquez qu'il existerait également un risque de recrutement forcé par « Daesh ».
Vous expliquez aussi que vous n'auriez pas pu vous rendre au Kurdistan irakien à cause d'une querelle entre votre tribu et le clan ….
Au vu de cette situation, vous auriez pris la décision de quitter votre pays d'origine en juin 2018, précisant que vous auriez laissé vos enfants chez votre oncle en Grèce avant de vous rendre au Luxembourg.
Vous présentez votre carte d'identité irakienne, ainsi que celles de vos enfants et celle de votre défunte épouse, votre carte d'électeur, un ticket de ravitaillement, votre acte de mariage et un certificat de décès de votre épouse.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
A titre liminaire, notons que vous faites état d'une crainte par rapport à l'organisation terroriste dénommée État islamique (ci-après dénommée « EI ») dans votre pays d'origine. Vous 3 évoquez que … aurait longuement été occupée par l'EI et vous laissez entendre qu'une menace persisterait.
A cet égard, force est de constater que l'EI a été éradiqué dans son ensemble aussi bien en Irak qu'en Syrie. Même s'il est vrai que l'EI était bien présent entre 2014 et 2017 dans la province de Ninawa. La situation a toutefois changé depuis fin 2017. En effet, l'EI a perdu tous les territoires qu'il contrôlait depuis 2014 et n'exerce plus aucune autorité sur le sol irakien. Ce constat est soutenu par une déclaration du Représentant spécial du Secrétaire général pour l'Irak. Ainsi, même les prétendus recrutements forcés par l'EI ne représentent plus aucun risque.
Ceci dit, la reconstruction de … a commencé et continue à se poursuivre depuis l'expulsion de l'EI. Même s'il est vrai que la ville a subi de grands dégâts lors des affrontements et que la réédification rencontre des difficultés, force est néanmoins de constater que les travaux avancent et que les écoles ainsi que les hôpitaux entrent de nouveau en service grâce, entre autre, au soutien financier de l'Union européenne. De plus, soulignons que le gouvernement irakien est très investi dans la reconstruction de la ville avec le soutien de la Fondation des Nations Unies pour l'habitat et les établissements humains (UNHHSF).
Ainsi, il y a lieu de conclure qu'au vu de la situation actuelle concernant l'EI en Irak aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.
Pour ce qui est de votre crainte concernant le dénommé Ali qui serait encore affilié à l'EI, il importe de préciser que ce fait n'est pas motivé par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. Votre prétendue crainte de persécution ne repose manifestement pas sur votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.
Monsieur, vous admettez qu'il vous aurait connu depuis votre enfance et qu'il entretiendrait une certaine animosité envers vous depuis de très nombreuses années. Il ressort donc avec évidence que votre souci avec cet individu est uniquement basé sur un conflit d'ordre purement privé ne répondant à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et par la Loi de 2015.
A cela s'ajoute que vous n'auriez personnellement perçu aucune menace de la part de cet individu en question et qu'aucun incident ne se serait produit depuis votre retour à …. Vous mentionnez uniquement qu'un ami de votre père l'aurait averti que des personnes seraient à votre recherche. Il échet dès lors de conclure que ce fait ne présenterait, même s'il rentrait dans le champ d'application de la Convention, pas un degré de gravité suffisant permettant de le qualifier d'acte de persécution au sens des prédits textes.
Quand bien même les faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d'une gravité suffisante, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.
4 Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne. Ainsi, aucun reproche ne saurait donc être formulé à l'égard des autorités irakiennes qui n'auraient jamais été mises en mesure d'exécuter leur mission.
De plus, contrairement à vos allégations, force est de constater que les autorités irakiennes emploient les grands moyens afin de traquer et arrêter les militants de l'EI en fuite. Ces anciens combattants, voire collaborateurs, sont inculpés et jugés devant les tribunaux irakiens pour des infractions liées au terrorisme.
Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.
Monsieur, vous déclarez que vous auriez quitté votre pays d'origine car vous craindriez une vieille connaissance qui serait affiliée à « Daesh » et qui vous aurait reconnu à votre retour à …. Vous mentionnez ensuite qu'un ami de votre père l'aurait averti que des personnes seraient après vous. Or, il ressort clairement de votre récit que vous n'auriez personnellement subi aucune menace quelconque depuis votre retour à … alors que vous seriez resté sur place pendant presqu'un an et qu'aucun incident ne serait survenu durant toute cette période.
Il appert donc que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une 5 crainte de subir des actes qualifiés d'atteintes graves. Cependant, des craintes hypothétiques et un sentiment général d'insécurité ne rentrent pas dans le champ d'application du statut conféré par la protection subsidiaire.
De plus, rappelons que vous n'auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d'origine, ainsi aucun reproche ne peut être fait aux forces de l'ordre irakiennes.
Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
3. Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de I'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif que « In Bagdad ist es unmöglich, da das Leben als Sunnit in Bagdad wegen der schiitischen Miliz in Gefahr ist. In Kurdistan, wie ich bereits erwähnt habe, kann … uns nicht leiden, da es eine Rache zwischen unserem Klan und der … Partei herrscht. Dazu braucht man eine Bürgschaft um ins kurdische Gebiet einzureisen. Wo sollte ich hin? Das sunnitische Gebiet ist verwüstet. In Kurdistan muss man einen Aufenthaltstitel durch eine Bürgschaft verlangen. » (p.14/17 du rapport d'entretien) Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine.
Monsieur, pour ce qui est de vos allégations qu'il y aurait un conflit entre le clan … et la tribu …, force est de constater qu'il existait en effet une querelle entre les deux camps vers la moitié du 20ème siècle, plus précisément dans les années 1960 et 1970. Or, tel n'est plus le cas actuellement. En effet, ce conflit en question a pris fin avec l'intervention des forces de coalition en Irak pendant des années 1990.
Quoi qu'il en soit, il ressort des recherches en nos mains qu'une réinstallation dans les régions du Kurdistan, est actuellement tout à fait envisageable : « Relocation to the Kurdistan Region of Iraq (KRI) 6 2.5.10 In general, Kurds who do not originate from the KRI can relocate to the region.
Information suggests that ethnic Kurds are free to enter the KRI, although some sources say this may depend on certain circumstances. » Ainsi, vous auriez pu vous installer dans une région du Kurdistan, notamment à Erbil ou à Sulaymâniyah. En effet, vous auriez par exemple pu vous rendre à Erbil en avion ou avec d'autres moyens de transport public.
Pour ce qui est des possibilités d'embauche, vous avez déclaré que vous auriez travaillé dans le secteur de la construction. Force est de constater que vous pourriez facilement retrouver un travail dans ce domaine dans n'importe quelle ville.
Il échet également de mentionner que vous êtes bien encadré en Irak, alors que vous avez une famille nombreuse et que vos parents, ainsi que vos frères et sœurs se trouvent tous à … qui est une ville à proximité du Kurdistan irakien (p.3-5/17 du rapport d'entretien).
A titre subsidiaire, il y a lieu de souligner que des vols réguliers sont proposés par « Turkish Airlines » à partir de l'Aéroport du Luxembourg en direction d'Erbil avec une escale à Istanbul. Ainsi, vous n'avez même pas besoin de transiter par Bagdad dans le cas d'un éventuel retour.
Il appert donc que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.
Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2019, inscrite sous le numéro 43120 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 17 mai 2019 portant rejet de sa demande de protection internationale ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 17 mai 2019 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 17 mai 2019, telle que déférée.
Ledit recours en réformation est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur précise être de nationalité irakienne et de confession religieuse musulmane sunnite et avoir vécu à … avec ses 3 enfants ainsi que sa femme jusqu'au décès de cette dernière en 2014.
Le demandeur explique qu’il aurait été, en tant que sunnite, sollicité à plusieurs reprises par des membres de Daesh afin d'intégrer leurs rangs en vue de combattre à leurs côtés, ce qu’il aurait toujours refusé au motif qu'il serait le seul à pouvoir s'occuper de ses enfants mineurs.
Déplacé ensuite en tant que réfugié interne en Irak, il serait retourné au domicile paternel avec ses enfants dès que Daesh aurait été chassé de la ville, mais aurait alors rencontré une très vieille connaissance, dénommée Ali, qui serait toujours membre de Daesh et qui, dans cette fonction et à l’époque de l'occupation de la ville, aurait été parmi ceux l’ayant sollicité pour rejoindre les rangs armés de Daesh.
Persuadé que ni Ali ni les membres de Daesh ne le laisseraient plus tranquille et qu'ils chercheraient à lui nuire par vengeance, il aurait à nouveau quitté le domicile paternel.
Informé par des amis que des hommes l’auraient recherché à son domicile conjugal et suite à une énième visite de ces hommes au domicile paternel, le demandeur affirme avoir décidé de quitter l’Irak dans la crainte de se faire tuer et afin de protéger ses enfants.
En droit, le demandeur conclut à une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, dénommée ci-après « la Convention de Genève », décrivant le contenu de la notion de réfugié, de sorte que la décision ministérielle déférée devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d'appréciation des faits.
Ainsi, le demandeur critique l'autorité ministérielle d’avoir considéré que sa demande ne reposerait pas sur un des motifs mentionnés à l'article 1, A, 2 de la Convention de Genève, alors que sa crainte raisonnable, basée sur une évaluation objective de la situation de son pays d'origine, découlerait du manquement de ce dernier à remplir ses obligations de protection vis-à-vis de ses citoyens, telles que ces obligations résulteraient de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adoptée par l'assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, à laquelle le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, aurait donné force obligatoire.
Il estime que, « [d]ans la hiérarchie des normes internationales des droits de l'homme », la mise en cause de ces droits civils et politiques auxquels les Etats ne pourraient en aucun cas déroger, même en cas de trouble à la sécurité publique, constituerait une persécution.
Ainsi, ce serait à tort que la décision déférée serait arrivée à la conclusion que les faits invoqués ne justifieraient pas dans son chef une crainte justifiée de persécution en raison de sonappartenance religieuse et/ou à un groupe social vulnérable, voire en raison de ses opinions politiques.
Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir tiré les conséquences qui s'imposeraient du fait de la persécution dont il risquerait d'être victime en cas de retour dans son pays d'origine et tenant notamment au fait qu’il éprouverait une menace réelle de la part d’individus appartenant à Daesh qui auraient manifestement les moyens d'agir impunément sans qu’il ne puisse espérer pouvoir demander une quelconque protection de la part des autorités de son pays d'origine.
En ce qui concerne l'affirmation ministérielle relative à l'éradication de Daesh de …, le demandeur relève qu’il ressortirait de deux articles de presse récents que ladite organisation aurait de nouveau plongé dans la clandestinité et renoué avec les modes d'action qui auraient été les siens avant la proclamation de son califat, alors que plusieurs attaques terroristes auraient été enregistrées près de … ainsi que dans le Nord de l’Irak. Dès lors, malgré la proclamation de la victoire sur Daesh, l’armée irakienne devrait toujours mener des opérations contre ce groupement terroriste qui resterait actif dans certaines parties de l’Irak.
Le demandeur renvoie encore à un rapport des Nations unies qui aurait estimé à environ 3.000 le nombre de combattants de Daesh encore actifs en Irak. Ainsi, la menace qui persisterait en Irak proviendrait à la fois des éléments résiduels locaux de Daesh ainsi que de combattants traversant la frontière depuis Syrie pour chercher refuge dans les zones désertiques d'Anbar et de Ninive et résulterait en des enlèvements contre rançon, des assassinats ciblés de dirigeants locaux et d’attaques visant des services publics, visant à fragiliser l'autorité du gouvernement, à créer un climat d'anarchie, à saboter la réconciliation sociale et à augmenter le coût de la reconstruction et de la lutte contre le terrorisme.
Le demandeur estime qu’il ne saurait pas non plus être retenu que son conflit avec le dénommé Ali serait à considérer comme un conflit d'ordre purement privé ne répondant à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, alors que le simple fait qu’il le connaîtrait depuis son enfance et que ce dernier aurait une certaine animosité à son égard, n’enlèverait en rien au fait que ce dernier serait actuellement toujours un membre de Daesh qui aurait, déjà pendant l'occupation de …, essayé de le forcer à devenir également membre.
A sa résistance audit recrutement et au régime que Daesh voudrait mettre en place, s’ajouterait le fait qu’il serait un musulman sunnite refusant de se conformer aux préceptes islamiques, à savoir par exemple faire la prière ou le jeun.
Le demandeur donne également à considérer qu’il serait victime de discrimination, étant donné que les autorités irakiennes seraient composées de chiites, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir demandé la protection des autorités irakiennes, dans lesquelles il ne pourrait partant avoir aucune confiance.
Quant à la situation générale dans son pays d'origine, le demandeur cite des extraits d’un rapport d'Amnesty International du 24 février 2016, lequel mettrait en exergue que la situation des droits de l'Homme aurait continué de se détériorer, alors que tant les forces de sécuritégouvernementales et les milices gouvernementales que le groupe armé Etat islamique auraient commis des crimes de guerre et des violations des droits de l'Homme. De même, le système de justice pénale resterait gravement défectueux et le pouvoir judiciaire manquerait d'indépendance, de sorte que des procès équitables ne seraient pas garantis, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme de Daesh.
De plus, les Unités de mobilisation populaire créées en juin 2014 et composées essentiellement de milices chiites auraient été désignées comme « formation militaire faisant partie des forces armées irakiennes » et auraient commis des crimes de guerre ainsi que d'autres violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, dont les victimes auraient été essentiellement des membres de la communauté arabe sunnite.
De même, les autorités irakiennes n'auraient pris aucune mesure pour faire la lumière sur le sort de plusieurs milliers d'hommes et de garçons arabes sunnites victimes de disparition forcée après avoir été capturés les années précédentes par des membres des milices et des forces gouvernementales à leur domicile, à des postes de contrôle ou dans des camps de personnes déplacées.
En effet, il serait particulièrement difficile, voire impossible pour un sunnite kurde de pouvoir réclamer une protection de la part des autorités contre une quelconque menace de Daesh, alors que les sunnites seraient considérés comme des « membres de Daesh en puissance ».
Au vu de ces explications, le demandeur estime qu’il serait bien victime directe d'actes de persécution par les membres de Daesh, d'une gravité particulière et suffisante, ne pouvant pas se prévaloir d’une protection par les autorités de son pays d’origine de crainte d'être lui-même considéré comme un terroriste de Daesh.
Le demandeur fait encore état du fait que des articles récents, dont il cite des extraits, auraient relevé que la situation de conflit armé serait omniprésente, attestant que Bagdad et divers endroits du pays feraient l'objet d'attentats à la bombe à un rythme hebdomadaire, de sorte qu’un retour en Irak mettrait sa vie, et même celle de toute personne qui voudrait l'aider, en danger, sans que sa crainte puisse être qualifiée d'un simple sentiment de malaise.
Il souligne, quant aux conditions de l'article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, que le fait d'avoir été persécuté, en l'occurrence menacé de mort par les membres encore actifs de Daesh, sans pouvoir réclamer de protection auprès des autorités irakiennes, constituerait « une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».
En ce qui concerne les critères de l'article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait plaider qu’il ne ferait aucun doute qu’il aurait été victime de violences et de menaces de mort, relevant que les « mesures de police » auraient été mises en œuvre de manière discriminatoire.
Le demandeur souligne encore à « cet endroit », qu’il serait de jurisprudence que pourétablir si la persécution est « inspirée » par les opinions politiques d’un demandeur d'asile, il faudrait examiner, si le comportement de celui-ci est perçu par les autorités comme un acte d'opposition contre le pouvoir et donc comme une expression politique, de sorte qu’une simple abstention et non l'action positive dans le champ politique pourrait également être retenue pour accepter qu'un requérant pourrait craindre une persécution pour ses opinions politiques neutres.
Ainsi, en l'espèce, le demandeur estime qu’en tant que sunnite, il ne serait pas un citoyen irakien comme un autre, alors que, d’une part, sa confession serait perçue par les autorités irakiennes comme un acte d'opposition contre le pouvoir et donc comme l'expression d'une conviction politique et religieuse, et, d'autre part, son refus d'intégrer les rangs de Daesh serait perçu par ces derniers comme l'expression de son opposition politique et religieuse contre ces derniers.
Finalement, le demandeur conteste toute possibilité de fuite interne, telle que visée par l'article 41 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’il serait établi à suffisance de droit qu'au vu des faits invoqués, notamment en termes de sécurité, il ne pourrait plus bénéficier d'une fuite interne dans son pays d'origine.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en ce qui concerne la demande d’octroi d’un statut de réfugié.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
11 b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être 12 persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, à l’appui de sa requête introductive d’instance, le demandeur fait valoir qu’il craint d’être persécuté en cas de retour en Irak, en raison du fait qu’il craint en substance des représailles du groupement terroriste Daesh pour ne pas s’être engagé à leurs côtés au moment où ce dernier aurait occupé …, du fait qu’il aurait revu un de leurs membres qu’il connaîtrait depuis l’enfance et qui aurait toujours affiché une certaine animosité à son égard.
Or, force est de relever que les faits mis en avant par le demandeur en relation avec l’organisation terroriste Daesh, dans le cas où ces derniers seraient susceptibles de rentrer dans un des critères de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, se résument en substance à un sentiment général d’insécurité insuffisant en lui-même pour justifier l’octroi d’un statut de réfugié.
En effet, si, au regard des éléments du dossier, le groupement Daesh a certes encore perpétré quelques attaques terroristes dans le Nord de l’Irak, il est cependant constant qu’il n’a plus aucune influence politique dans cette région depuis qu’il a été vaincu par l’armée irakienne qui, de son côté, n’a cependant pas arrêté son combat contre les membres résistants de Daesh, tel que cela ressort également des sources invoquées par le demandeur.
Au regard de ce constat, c’est à bon droit que le ministre a retenu qu’il n’est pas établi que le demandeur aurait à craindre des représailles de la part de Daesh pour son défaut de collaboration à l’époque du califat instauré par ce dernier, étant relevé qu’il ressort des explications du demandeur, lors de son audition auprès des services du ministre, que le fait que le dénommé Ali serait toujours un membre de Daesh et qu’il serait, dans cette fonction, à la tête d’un groupe à sa recherche en vue de le tuer ne se base que sur de simples hypothèses du demandeur, alors qu’il n’a jamais personnellement reçu de menace de la part de ce dernier, ni de la part d’autres membres de Daesh depuis la fin de la guerre contre ce groupement.
Si le demandeur se sent actuellement menacé par le dénommé Ali qui, lors de leur première rencontre, après la guerre contre Daesh, l’aurait regardé de travers et qui se serait présenté par après comme étant à sa recherche auprès de son père, c’est néanmoins à bon droit que le ministre a relevé que cette menace doit être située dans un cadre strictement privé, ne rentrant dans aucun des critères de l’article 2, point f) précités de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur expliquant qu’il a déjà eu des problèmes avec le dénommé Ali, même avant l’apparition du phénomène Daesh, alors que ce dernier aurait toujours été un malfrat terrorisant les alentours avec sa bande. De plus, alors même que le demandeur affirme que toute sa famille voudrait également partir de …, il ne fait cependant pas état d’un quelconque incident dû au dénommé Ali qui les aurait personnellement visés.
Pour autant que de besoin, force est encore au tribunal de constater que, malgré l’argumentation y relative présentée dans sa requête introductive d’instance, le demandeur n’a, au cours de son entretien, pas fait état d’une persécution de la part de l’Etat irakien en raison de son appartenance à la communauté sunnite.
C’est partant à juste titre que le ministre a retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies en l’espèce. Ainsi, le recours en réformation, pour autant qu’il est dirigé contre le refus d’octroi du statut de réfugié, est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au volet du recours ayant trait à la protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux invoqués dans son recours relatif à l’obtention du statut de réfugié, estimant que les faits de l’espèce rentreraient dans la définition des atteintes graves au sens des articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Il relève que dans le cadre de l'interprétation et de l'application de l'article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, il conviendrait, faute de définition légale précise des notions de torture, traitements inhumains et dégradants, de se référer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », rendue sur le fondement de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », article qui ne ménagerait aucune exception ni dérogation même en temps de guerre ou autre danger national.
Le caractère réel de sa crainte y relative serait établi au regard du constat qu'il aurait d'ores et déjà dû souffrir des atteintes graves qui l'auraient obligé à quitter définitivement son pays d'origine.
Le fait de devoir vivre dans la crainte constante que les menaces contre lui et ses enfants ne se réalisent, constituerait un véritable traitement inhumain, sinon un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la CEDH, notamment au regard du manque de sécurité en Irak et du fait qu'il n'y bénéficierait d'aucune protection.
Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet de la demande de protection internationale pour ne pas être fondé.
Concernant le statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi dispose que les atteintes graves doivent être définies comme suit : « a) la peine de mort ou l’exécution ;
14 b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ;
c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.
Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que la crainte de représailles de la part du groupement terroriste Daesh est à considérer comme un sentiment général d’insécurité, lesdits faits ne sont pas non plus suffisamment précis et individuels pour pouvoir retenir un risque personnel suffisamment sérieux, dans le chef du demandeur, de faire l’objet d’atteintes graves à cet égard.
En ce qui concerne la menace émanent du dénommé Ali, force est de relever que le demandeur reste en défaut d’établir que cette dernière soit suffisamment grave pour pouvoir être qualifiée de torture ou de traitements inhumains et dégradants, seul cas d’atteintes graves invoqué.
En effet, tel qu’il a été relevé ci-avant, dans le cadre du premier volet du recours, le demandeur n’a jamais personnellement été menacé par le dénommé Ali depuis leur dernière rencontre, de même qu’il ne fait pas état d’un quelconque incident concret de nature à présager un risque suffisamment sérieux d’un traitement inhumain et dégradant en cas de retour en Irak. Etant donné que le dénommé Ali appartient également à la communauté sunnite, ayant de surcroit étémembre actif de Daesh, le demandeur reste encore en défaut d’établir que les autorités irakiennes refuseraient de lui accorder une protection contre des éventuelles exactions de la part de ce dernier, les explications fournies à ce sujet dans la requête introductive d’instance n’étant pas concluantes à cet égard, au vu de l’engagement continu de ces dernières dans la lutte contre les résistants de Daesh.
Ainsi, le demandeur reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la torture ou des traitements respectivement des sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que c’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
2) Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Force est au tribunal de constater que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire. Le tribunal est donc compétent pour connaître du recours en réformation introduit dans ce contexte, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer un statut de protection internationale.
Il estime encore que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, qui dispose que « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », dans la mesure où un retour en Irak serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte à constituer également une violation autonome de l’article 3 de la CEDH.
Le demandeur cite la jurisprudence de la CourEDH en matière d'éloignement des étrangers qui aurait retenu qu’il ne serait pas interdit d'examiner le grief d'un requérant au titre de l'article 3 de la CEDH lorsque le risque que celui-ci subisse des traitements interdits dans le pays de destination provient de facteurs qui ne peuvent engager, directement ou non, la responsabilité des autorités publiques de ce pays.
La CourEDH aurait également décidé qu’en cas de risque de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH, basé sur un « doute raisonnable », un pays aurait une « obligation implicite » de ne pas éloigner un étranger.
Le demandeur estime qu’à la lumière de sa situation personnelle, il aurait établi la réalité du risque qui pèserait sur lui et qui interdirait son éloignement à destination de l'Irak.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit contre l’ordre de quitterle territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire sans violer l’article 129 de la loi du 29 août 2008, tel qu’invoqué par le demandeur, qui reprend la même qualification des traitements inhumains et dégradants que l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 que le tribunal vient d’analyser ci-avant, étant relevé que le demandeur ne fait pas état d’autres faits établissant un risque de traitement inhumains et dégradants dans son chef.
En l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours contre ce volet de la décision ministérielle est également à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 mai 2019 rejetant la demande de protection internationale de Monsieur … ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 mai 2019 ordonnant à Monsieur … de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, 17 et lu à l’audience publique du 17 novembre 2020 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 18