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17/11/2020 | LUXEMBOURG | N°41655

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2020, 41655


Tribunal administratif N° 41655 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2018 4e chambre Audience publique du 17 novembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité intérieure en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41655 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2018 par Maître Philippe Penning, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …, ayant demeuré à L-…, de

meurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Sécurité...

Tribunal administratif N° 41655 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2018 4e chambre Audience publique du 17 novembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité intérieure en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41655 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2018 par Maître Philippe Penning, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …, ayant demeuré à L-…, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Sécurité intérieure du 25 juin 2018 prononçant la peine disciplinaire de l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée d’un an avec privation totale de la rémunération ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 novembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 décembre 2018 par Maître Philippe Penning pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 janvier 2019 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Philippe Penning et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 mars 2020 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 24 juillet 2020 prononçant la rupture du délibéré et accordant aux parties le droit de produire un mémoire supplémentaire afin de prendre position sur les questions y énumérées ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 août 2020 par Maître Philippe Penning pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 août 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 prise dans le cadre de la reprise de l’activité du tribunal administratif dans le contexte de dé-confinement ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été refixée pour la continuation des débats, les parties s’étant excusées.

En date du 19 décembre 2012, Monsieur … accusa réception d’une notification d’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre, référencée sous le n° 2012/39431/3304/BP.

Le même jour, le directeur général de la police grand-ducale, dénommé ci-après « le directeur général », décida de suspendre Monsieur … de l’exercice de son emploi avec effet le même jour. Cette suspension fut confirmée par le ministre de l’Intérieur et à la Grande Région par un arrêté du 27 décembre 2012, notifié à l’intéressé le 7 janvier 2013.

Par un arrêté du 15 mars 2013, notifié à l’intéressé le 18 mars 2013, du le ministre de l’Intérieur et à la Grande Région, leva, avec effet au 18 mars 2013, la suspension de l’exercice des fonctions prononcée à l’encontre de Monsieur ….

Par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, douzième chambre, siégeant en matière correctionnelle, du 15 juillet 2014, portant le numéro 2202/14, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois, assortie du sursis intégral, ainsi qu’à une peine d’amende de 1.500,- euros notamment du chef de proxénétisme, avec interdiction de remplir des fonctions, emplois et offices publics pour une durée de 5 ans. Cette condamnation entraîna à son encontre, de plein droit, une suspension de l’exercice de ses fonctions.

Par un arrêt de la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle, du 31 mars 2015, inscrit sous le n° 133/15 V du rôle, ces peines furent confirmées, sauf celle portant interdiction de remplir des fonctions, emplois et offices publics pour une durée de 5 ans, qui fut rapportée.

En conséquence, la suspension de l’exercice de ses fonctions fut à nouveau levée avec effet au 1er mai 2015.

En date du 21 juillet 2016, Monsieur … fut entendu dans le cadre de l’instruction disciplinaire diligentée à son encontre.

En date du 31 juillet 2017, le 1er commissaire divisionnaire de la direction générale de la police grand-ducale clôtura son rapport de synthèse de l’instruction disciplinaire diligentée dans le cadre du dossier pénal « … ». Ledit rapport fut notifié à Monsieur … en date du 5 octobre 2017, ensemble avec une nouvelle notification des faits lui reprochés.

Par un courrier de son litismandataire du 12 octobre 2017, Monsieur … prit position sur ce rapport, contestant seulement avoir contrevenu à l’article 3, paragraphe (5) de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, ci-après désignée par « la loi du 16 avril 1979 », et sollicita une des sanctions prévues à l’article 31.5 b) de la même loi.

Le 19 octobre 2017, le dossier disciplinaire fut transmis au directeur général pour attribution et décision.

Par un courrier du 21 novembre 2017, le directeur général transmit le dossier disciplinaire au Conseil de discipline de la Force publique, dénommé ci-après « le Conseil de discipline », qui prit en date du 8 février 2018 l’avis suivant :

« (…) Par notification du 5 octobre 2017, … s'est vu notifier les faits lui reprochés conformément à l'article 31 de la loi du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique. A la suite de cette notification des faits, … a présenté par l'intermédiaire de son avocat ses observations écrites.

Dans le cadre de l'instruction disciplinaire, …, a été entendu les 6 et 21 juillet 2016, quant aux faits. Au préalable il avait été entendu dans le cadre de la poursuite pénale en date du 19 décembre 2012, dépositions qu'il a maintenues lors de l'instruction disciplinaire.

Lors de ces auditions … a fini par avouer la matérialité des faits mis à sa charge.

L'inculpé … se voit reprocher la méconnaissance des devoirs suivants imposés par la loi du 16 avril 1979 :

- de ne pas avoir exécuté promptement et complètement les prescriptions et ordres de service (art. 2) - de ne pas avoir soumis son intérêt personnel à l'intérêt du service, la solidarité, le respect et la confiance mutuels (art. 2) - de ne pas s'être comporté d'une façon irréprochable tant dans le service qu'en dehors du service (art. 2) - de ne pas avoir donné l'exemple par la façon de se comporter et d'accomplir ses devoirs (art. 3§5) - de ne pas avoir tenu compte de l'intérêt du service et de ne pas s'être abstenu de tout ce qui pourrait nuire à la bonne renommée de la Force publique en général et du corps dont il fait partie (art. 9§1) - de ne pas s'être tenu à la sauvegarde du secret (art. 10§1) - de ne pas avoir évité tout ce qui pourrait compromettre le caractère officiel dont il est revêtu, avoir donné lieu à scandale, blessé les convenances et compromis les intérêts du service dans l'exercice de ses fonctions (art. 12§1) - d'avoir sollicité, accepté ou s'être fait promettre, pour lui ou pour autrui, en raison de sa situation officielle, des dons ou autres avantages (art 12§2).

Les faits reprochés à … sont les suivants :

« L'inspecteur … a visité régulièrement ensemble avec des collègues de travail au cours de son service de nuit le cabaret « … » en consommant gratuitement diverses boissons. Il s'est abstenu de tout contrôle de l'établissement et de dénoncer le non-respect des heures de fermeture et de la prostitution qui s'était établie au vu et au su de tout le monde.

L'inspecteur … a averti le 9 octobre 2012 le tenancier … du cabaret « … » d'un contrôle effectué par le Service de Recherche et d'Enquête Criminelle de Luxembourg.

Il a en outre prodigué des conseils à … quant aux déclarations qu'il devrait faire lors de son interrogatoire au Service de Police Judiciaire dans le cadre de transactions douteuses de cartes de crédit ».

… ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés, il se limite à attirer l'attention sur son jeune âge au moment des faits. Il fait par ailleurs valoir que certains de ces collègues n'ont pas été inquiétés dans le cadre de cette affaire Etant donné que … a fait l'objet d'une poursuite pénale à la suite de ces faits, le Conseil de discipline ne peut que retenir les faits qui sont à la base de la condamnation subie par … par arrêt du 31 mars 2015 pour autant qu'ils se recoupent avec ceux qui lui sont reprochés dans le cadre de l'affaire disciplinaire:

« comme complice de …, exploitant l'établissement …, à …, ayant aidé à commettre les délits, depuis juillet 2010 jusqu'au 11 décembre 2012, au local… à …, 1.) en infraction aux articles 379bis alinéa 5° et 380 du Code pénal, d'être proxénète pour avoir, a.) d'une manière quelconque aidé, assisté et protégé sciemment la prostitution d'autrui et le racolage en vue de la prostitution, b.) sous une forme quelconque, partagé les produits de la prostitution d'autrui, en l'espèce, d'être proxénète, pour avoir d'une manière quelconque aidé, assisté et protégé sciemment la prostitution des différentes hôtesses du … par le fait de s'abstenir volontairement de tout contrôle de l'établissement visité régulièrement ensemble avec ses collègues de travail au cours de ses services de nuit, et lors de ses visites privées, pour se voir servir gratuitement des boissons, tout en ayant appris de … selon ses déclarations, que les hôtesses exerceraient des actes sexuels dans les séparés, et partant d'avoir agréé aux faveurs consenties par le proxénète et les différentes hôtesses, et s'être implicitement engagé à ne pas intervenir en violation à son devoir de sa charge de constater et de dénoncer aux autorités judiciaires les infractions, d'avoir fait profiter le proxénète … d'une « protection policière » spéciale et d'une garantie d'absence de poursuites judiciaires, en entravant sciemment l'action de la police, notamment du groupe 1 du centre d'intervention de la police d'…-, du SREC-…, ainsi que de la douane, en dénonçant au tenancier de l'établissement … à d'itératives reprises, notamment le 9.10.12 les contrôles opérés par ces organes dans le but de saboter l'action de la police et de la douane, avec la circonstance de l'article 380 du Code pénal, qu'il est fonctionnaire public, comme auteur ayant lui-même commis les infractions, 5.) en infraction à l'article 458 du code pénal, d'avoir révélé, en tant que personne dépositaire par profession, des secrets qu'on leur confie, qui hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, a. en tant que policier soumis au secret professionnel, d'avoir révélé à … le 9.10.12 entre 21.00 et 22.00 heures, un contrôle des locaux de la frontière à … opéré par le SREC …-, en se rendant personnellement avec le véhicule de police, au … … pour l'en avertir, c. en tant que policier soumis au secret professionnel d'avoir révélé à de nombreuses personnes notamment …., …., …., … et autres les contrôles d'alcoolémie ordonnés la nuit du 19 au 20 novembre 2011 (rapport 20502-189 du 10.01.13).

6.) en infraction à l'article 246 du Code pénal, comme agent de la force publique, d'avoir sollicité et reçu, sans droit, directement, pour elle-même, des présents ou des avantages quelconques, pour s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction, en l'espèce en sa qualité d'agent de la force publique du centre d'intervention de la police d'…-, groupe 4, d'avoir reçu sans droit des présents ou des avantages quelconques et d'en avoir accepté l'offre de consommations gratuites diverses, café, eaux minérales, bières et autres au cours de ses nombreuses visites pendant ses services de nuit, pour obtenir et pour maintenir d'une manière générale et permanente la bienveillance de l'agent afin que celui-ci s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction ou mission, d'agir conformément à l'article 9-2 du Code d'instruction criminelle, à savoir que celui-ci s'abstienne d'opérer des contrôles dans son local …, tant pour ce qui est des heures d'ouverture, que de la présence de personnel non-

déclaré, et des activités illégales de prostitution et de débauche exercées dans les séparés au sous-sol de ce local ».

… a été condamné à une peine de prison de 12 mois assortie du sursis, d'une amende de 1.500.- € et d'une interdiction de cabaretage pour une durée de 5 ans.

L'inculpé n'a jamais veillé au respect des heures de fermeture du cabaret « … » et …, avec lequel il entretenait des relations amicales n'a jamais été inquiété par lui pour ces activités de proxénète. … l'a par ailleurs activement conseillé quant aux déclarations qu'il avait à faire dans le cadre d'une affaire de cartes de crédit falsifiées utilisées dans son établissement.

A cela s'ajoute que …, qui avait été chargé par … de participer en date du 9 octobre 2012 à un contrôle par le SREC de différents établissements à …, parmi lequel se trouvait également celui de …, a averti … du contrôle à venir et lui a dit de fermer son local. Dans la suite, et après avoir averti …, … a participé au contrôle dans l'établissement de ce dernier, contrôle qui s'est révélé négatif, les hôtesses ayant, d'après les dires de … lui-même, été renvoyées dans leurs chambres avant le contrôle. … a déposé avoir informé notamment …, qu'il avait averti … du contrôle. … ne conteste pas non plus avoir été informé, après ce contrôle, par …, que les hôtesses employées dans son cabaret n'avaient pas de contrats.

Il ne peut pas être contesté que la lutte contre le proxénétisme, la traite d'êtres humains et le contrôle des heures de fermeture des heures des débits de boissons font partie des tâches du policier.

Par sa présence régulière dans le cabaret, sans verbaliser l'exploitant pour des faits qui sont indubitablement à qualifier de proxénétisme, l'inculpé a ostensiblement couvert les activités illégales de l'exploitant …. Tant les prostituées que leurs clients ont dès lors nécessairement dû avoir l'impression, et ce à juste titre, que les activités de … s'exécutaient sous la protection de la police.

… ne s'est cependant pas limité à ne pas contrôler les activités illicites de …, mais il a averti … du contrôle imminent par le SREC, contrôle auquel il a lui-même participé, après avoir permis au proxénète … de préparer le terrain. Il a en outre conseillé …, comme il a été exposé précédemment.

Le policier doit être d'un intégrité absolue et il doit être loyal à l'égard de sa hiérarchie.

On ne saurait transiger sur ces principes essentiels. … a non seulement omis de faire son travail en couvrant les activités d'un proxénète, mais il a également boycotté le travail de ceux qui voulaient faire ce travail, avec la circonstance particulière, qu'il a averti un proxénète du contrôle qu'il avait lui-même été chargé de faire en coopération avec le SREC. … a ainsi durablement affecté la crédibilité de la police.

Les faits ci-avant établis à charge de l'inculpé sont d'une gravité extrême. Ils sont parfaitement inadmissibles et ne peuvent être relativisés sous aucun prétexte.

Comme le résume parfaitement bien le directeur régional … dans son rapport de synthèse du 31 juillet 2017: « (…) , ces phénomènes s'inscrivent dans une lente et longue dérive de facteurs ayant hélas conjointement généré et contribué à ce fiasco ».

Ces faits constituent les manquements suivants :

- de ne pas avoir exécuté promptement et complètement les prescriptions et ordres de service (art. 2) - de ne pas avoir soumis son intérêt personnel à l'intérêt du service, la solidarité, le respect et la confiance mutuels (art. 2) - de ne pas s'être comporté d'une façon irréprochable tant dans le service qu'en dehors du service (art. 2) - de ne pas avoir donné l'exemple par la façon de se comporter et d'accomplir ses devoirs (art. 3§5) - de ne pas avoir tenu compte de l'intérêt du service et de ne pas s'être abstenu de tout ce qui pourrait nuire à la bonne renommée de la Force publique en général et du corps dont il fait partie (art. 9§1) - de ne pas s'être tenu à la sauvegarde du secret (art 10§1) - de ne pas avoir évité tout ce qui pourrait compromettre le caractère officiel dont il est revêtu, avoir donné lieu à scandale, blessé les convenances et compromis les intérêts du service dans l'exercice de ses fonctions (art. 12§1) - d'avoir sollicité, accepté ou s'être fait promettre, pour lui ou pour autrui, en raison de sa situation officielle, des dons ou autres avantages (art 12§2).

Conformément à l'article 22 de la loi du 16 avril 1979 sur la discipline dans la Force publique, l'application des sanctions disciplinaires se règle d'après la gravité de la faute commise, le grade, la nature de l'emploi et les antécédents de l'inculpé.

La défense a fait valoir que dans l'appréciation de la sanction disciplinaire il y aurait lieu de prendre en considération la condamnation pénale dont … a fait l'objet, le dépassement du délai raisonnable et finalement le fait que d'autres policiers n'ont pas été poursuivis.

Il y a lieu de rappeler en premier lieu le principe d'autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal. Il a ainsi été jugé que « l'appréciation souveraine du juge pénal en ce qui concerne la gravité des faits retenus ne lie pas l'autorité administrative, (…), si elle ne peut remettre en cause la matérialité des faits établis par une décision judiciaire, restant libre de décider si ceux-ci appelant une sanction et le taux de celle-ci, la sanction disciplinaire poursuivant un autre but que la sanction pénale. En effet, si la peine pénale tend, de manière générale, à la préservation de l'ordre public ou de l'ordre social, la répression disciplinaire tend à assurer la cohérence interne à l'administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité auprès de ses administrés. Aussi, si le juge pénal a retenu, dans sa sphère d'appréciation que le comportement d'un agent n'a finalement porté atteinte à l'ordre public que de manière limitée, cette considération ne s'impose pas à l'autorité administrative qui peut retenir que les manquements ont gravement porté atteinte à l'administration » (TA, 12 mars 2008 / 2201a).

Dès lors la procédure disciplinaire n'a pas pour but d'ajouter une sanction à la sanction pénale, mais elle a pour but d'élucider, si, et, le cas échéant sous quelles conditions, les manquements établis à charge du fonctionnaire, sont compatibles avec le statut des agents de la Force publique.

Il a par ailleurs été jugé que la sanction de la révocation infligée à un policier condamné au pénal à 12 mois de prison avec sursis pour infractions à la loi sur les stupéfiants, avait un caractère proportionné et juste (TA 8 novembre 2012 (29712, c. 13 mars 2014 31821aC).

Le Conseil n'est pas en mesure d'apprécier pour quels faits et pour quelle raison, certains policiers ont été poursuivis dans le cadre du présent scandale, et d'autres non.

Toujours est-il que plusieurs policiers ont déjà été sanctionnés dans le cadre de cette affaire par le Conseil. Par ailleurs, le fait pour certains policiers d'avoir échappé à une poursuite, pour un raison ou une autre, ne saurait disculper ceux dont les manquements sont établis.

Finalement, à propos du dépassement du délai raisonnable, il convient de relever que l'instruction disciplinaire dans la présente affaire n'a pu suivre son cours qu'à l'expiration des délais de recours dans l'affaire pénale, de sorte qu'en l'occurrence aucun dépassement du délai raisonnable n'est établi.

… est entré au service de la police le 20 septembre 2007. Il a le rang de premier inspecteur depuis le 4 septembre 2016. Il n'a pas d'antécédents disciplinaires.

Il serait inconcevable et il paraîtrait incompréhensible aux yeux du public, qu'un policier convaincu de manquements aussi flagrants et répétés à ses devoirs les plus élémentaires, condamné notamment pour avoir été complice d'un proxénète et pour corruption passive de la part de ce même proxénète, puisse continuer à faire partie de la police et exercer une quelconque autorité publique, même s'il n'a pas été condamné à l'interdiction des droits énumérés par l'article 11 du code pénal.

Le Conseil de discipline propose dès lors d'appliquer à …, au vu de l'extrême gravité des faits établis à sa charge, la sanction disciplinaire prévue à l'article 19§11, à savoir la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale.

PAR CES MOTIFS le Conseil de discipline, après avoir délibéré conformément à la loi, propose d'appliquer à … la sanction disciplinaire prévue à l'article 19§11, à savoir la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale ;

(…) ».

En date du 25 juin 2018, le ministre de la Sécurité intérieure, dénommé ci-après « le ministre », prononça à l’encontre de Monsieur … l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée d’un an avec privation totale de la rémunération. Cette décision est motivée comme suit :

« (…) Vu l'avis du Conseil de discipline de la Force publique du 8 février 2018 dont copie ci-jointe ;

Vu les faits retenus à charge du premier inspecteur … , à savoir :

L'inculpé a visité régulièrement avec des collègues de travail, pendant ses heures de service, le cabaret « … » en consommant gratuitement diverses boissons.

Il s'est abstenu volontairement de tout contrôle de l'établissement et a omis de dénoncer le non-respect par l'exploitant … des heures de fermeture. L'inculpé, qui entretenait des relations amicales avec ce dernier, ne l'a en outre jamais inquiété pour ses activités de proxénète, alors qu'il était au courant que les hôtesses y travaillant exerceraient des actes sexuels dans les séparés.

L'inculpé a par ce comportement ostensiblement couvert les activités illégales de l'exploitant …, donnant ainsi aux prostituées et à leurs clients l'impression que les activités de ce dernier s'exécutaient sous la protection de la police.

L'inculpé a fait profiter … d'une garantie d'absence de poursuites judiciaires en sabotant sciemment l'action de la police d'…-. Il a dénoncé en date du 9 octobre 2012 à l'exploitant … un contrôle systématique par le SREC de différents établissements à …-, dont notamment le cabaret « … » et lui a conseillé de fermer l'établissement en conséquence. Après avoir averti …, l'inculpé a participé au contrôle effectué dans l'établissement de ce dernier, contrôle qui s'est avéré négatif étant donné que l'exploitant a pu préparer le terrain préalablement. L'inculpé ne nie en outre pas qu'il était au courant que les hôtesses employées dans le cabaret n'avaient pas de contrats.

S'y ajoute que l'inculpé a activement conseillé l'exploitant … quant aux déclarations qu'il avait à faire lors de son interrogatoire au Service de Police judiciaire dans le cadre d'une affaire de cartes de crédit falsifiées utilisées dans son établissement.

Le policier doit être d'une intégrité absolue et il doit être loyal à l'égard de sa hiérarchie. On ne saurait transiger sur ces points essentiels. Les faits relatés ci-avant et établis à charge de l'inculpé sont d'une gravité extrême et ne peuvent être relativisés sous aucun prétexte. L'inculpé a, par ces agissements, adopté un comportement déloyal à l'égard de sa hiérarchie et durablement affecté la crédibilité de la Police. Non seulement a-t-il omis de faire son travail en couvrant les activités d'un proxénète, mais il a également boycotté le travail de ceux qui voulaient faire ce travail, avec la circonstance particulière, qu'il a averti un proxénète du contrôle qu'il avait lui-même chargé de faire en coopération avec le SREC.

Considérant qu'en agissant ainsi, le premier inspecteur … a violé la discipline militaire et les devoirs qui en découlent, et plus particulièrement ceux énoncés aux articles 2, 3 alinéa 5, 9 alinéa 1er, 10 alinéa 1er et 12 alinéas 1er et 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, à savoir :

- ne pas avoir exécuté promptement et complètement les prescriptions et ordres de service ;

- ne pas avoir soumis son intérêt personnel à l'intérêt du service, la solidarité, le respect et la confiance mutuels ;

- ne pas s'être comporté d'une façon irréprochable tant dans le service qu'en dehors du service ;

- ne pas avoir donné l'exemple par la façon de se comporter et d'accomplir ses devoirs ;

- ne pas avoir tenu compte de l'intérêt du service et de ne pas s'être abstenu de tout ce qui pourrait nuire à la bonne renommée de la Force publique en général et du corps dont il fait partie ;

- ne pas s'être tenu à la sauvegarde du secret ;

- ne pas avoir évité tout ce qui pourrait compromettre le caractère officiel dont il est revêtu, avoir donné lieu à scandale, blessé les convenances et compromis les intérêts du service dans l'exercice de ses fonctions ;

- avoir sollicité, accepté ou s'être fait promettre, pour lui ou pour autrui, en raison de sa situation officielle, des dons ou autres avantages.

Considérant que le Conseil de discipline a retenu dans son avis du 8 février 2018 comme sanction à prononcer à l'égard de l'inculpé, la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale prévue à l'article 19A numéro 11 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique ;

Mais considérant les arrêts de la Cour administrative du 22 février 2018 (n° 39932C et n°40093C du rôle) qui a retenu que le jeune âge de l'inculpé, son manque corrélatif d'expérience ainsi que le fait qu'il n'a pas d'antécédents disciplinaires constituent des circonstances à prendre en compte pour l'application de la peine.

Vu l'article 22 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique;

Vu l'article 19A, numéro 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 septembre 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 25 juin 2018.

Tel que soulevé d’office à l’audience publique des plaidoiries, il convient tout d’abord de relever que la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, dénommée ci-après « la loi du 16 avril 1979 », sur base de laquelle la décision litigieuse a été prise, n’est actuellement plus applicable au personnel du cadre policier de la police grand-ducale, suivant l’article 41 de la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police Grand-Ducale, dénommée ci-après la « loi du 18 juillet 2018 », publiée au Mémorial A le 28 juillet 2018 et entrée en vigueur 3 jours après sa publication à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire. Le tribunal constate encore que par l’article 41 de la loi du 18 juillet 2018, le législateur s’est limité à préciser que la loi du 16 avril 1979 n’est plus applicable au personnel du cadre policier de la police grand-ducale, sans prévoir de dispositions transitoires.

En ce qui concerne les voies de recours à exercer contre une décision prise sur le fondement de la loi du 16 avril 1979, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires1. Il s’ensuit que la recevabilité d’un recours contre une décision prise sur le fondement de la loi du 16 avril 1979 devra être analysée conformément aux dispositions de cette même loi.

Conformément à l’article 30 de la loi du 16 avril 1979, un recours en réformation, à exercer dans un délai d’un mois de la notification de la décision, est prévu en matière de discipline concernant notamment les membres de la force publique dans les cas où la peine prononcée dépasse la compétence du chef de corps, tel que c’est le cas en l’espèce, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce.

Quant à la recevabilité du recours en réformation ratione temporis, le tribunal avait prononcé la rupture du délibéré pour soulever d’office ce moyen d’ordre public et pour permettre aux parties de prendre position par écrit à ce sujet, étant donné que la décision déférée renseigne comme date d’expédition le 25 juin 2018 et que le recours n’a été introduit que le 4 septembre 2018, soit a priori bien après le délai d’un mois prévu par l’article 30 de la loi du 16 avril 1979.

Dans son mémoire supplémentaire le demandeur donne à considérer que si la décision déférée est effectivement datée au 25 juin 2018, le courrier de la direction générale de la police grand-ducale, direction des ressources humaines, lui notifiant ladite décision serait daté au 25 juillet 2018 et aurait été déposé au bureau des postes le 27 juillet 2018.

Il fait encore relever qu’il aurait été absent lors du passage par le facteur à son domicile, de sorte qu’il n’aurait pu récupérer ledit courrier qu'en date du 21 août 2018.

Se basant sur une jurisprudence du tribunal administratif, le demandeur estime que le délai d’un mois légalement prévu n’aurait pu courir qu’à partir du jour de la remise effective de la décision déférée, soit à partir du 21 août 2018. Le délai ayant ainsi seulement expiré le 21 septembre 2018, sa requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 septembre 2018 l’aurait été dans les délais.

A titre subsidiaire, au cas où le tribunal estimerait que le délai commencerait à courir à partir du dépôt à la poste, le demandeur fait plaider qu’il conviendrait néanmoins de déclarer 1 trib. adm., 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 332 et les autres références y citées ; Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

le recours recevable, étant donné que suivant l’article 32 de la loi du 16 avril 1979 prévoyant que la notification de la décision sortirait ses effets huit jours après le dépôt de la lettre recommandée à la poste, la notification aurait été censée avoir été faite au plus tôt le 4 août 2018, faisant courir un délai jusqu’au 4 septembre 2018, le demandeur relevant cependant que le courrier recommandé lui adressé et déposé au bureau des postes par la direction générale de la police grand-ducale en date du 27 juillet 2018 porterait un autre numéro ( RR 0757 7320 2 LU ) que celui duquel il aurait été avisé en date du 30 juillet 2018 ( RR 0757 7321 6 LU), de sorte qu’en l'absence d'une date de dépôt du recommandé effectivement réceptionné par lui, il serait impossible de se prononcer quant à la date du dépôt au bureau des postes de la décision attaquée, sauf à admettre une erreur de la part du bureau de postes en ce qui concerne le numéro du recommandé.

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire supplémentaire, soutient que ce serait à tort que le demandeur estimerait que le délai n’aurait pu courir qu’à partir du 21 août 2018, date de la prise de connaissance effective de la décision déférée, alors que l'arrêté déféré serait entré au réseau postal le 27 juillet 2018 et qu’en date du 30 juillet 2018, le demandeur aurait été avisé dudit envoi.

Etant donné qu’en application de l’article 32, sub 2, de la loi du 16 avril 1979, la lettre recommandée avec accusé de réception déposée à la poste en date du 27 juillet 2018, vers 19:41 heures, le délai de 8 jours aurait, en application de la Convention européenne sur la computation des délais, signée à Bâle, le 16 mai 1972, ratifiée par la loi du 30 mai 1984 portant 1) approbation de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972; 2) modification de la législation sur la computation, ci-après désignée « la Convention de Bâle », couru à partir du 28 juillet 2018, à 00 :00 :01 heures, de sorte que la notification de la décision aurait sorti ses effets le 4 août 2018, date à laquelle le délai d’un mois aurait commencé à courir.

Aux termes de l’article 32 de la loi du 16 avril 1979, applicable à la décision prise sur base de la même loi, « 1. La décision qui inflige une peine disciplinaire renvoie le militaire des fins de la poursuite ou classe l'affaire, est motivée et arrêtée par écrit.

2. Le militaire en est informé valablement:

a) soit par la remise en mains propres de la décision contre accusé de réception.

Si le militaire refuse d'accepter ce document ou d'en accuser la réception, il en est dressé procès-verbal;

b) soit par envoi de la décision par lettre recommandée à l'adresse que le militaire a déclarée à l'administration comme sa résidence; dans ce cas la notification de la décision sort ses effets huit jours après le dépôt de la lettre recommandée à la poste. ».

Les parties étant d’accord que la décision déférée n’a pas été expédiée à Monsieur … en date du 25 juin 2018, telle que cette date figure sur la minute de l’arrêté ministériel en question, mais que la notification de ce dernier s’est seulement faite par un courrier de la direction générale de la police grand-ducale du 25 juillet 2018, posté, suivant récépissé de dépôt d’un envoi recommandé tamponné en date du 27 juillet 2018.

Il s’ensuit qu’en application de l’article 32, paragraphe (2) précité de la loi du 16 avril 1979, la notification est censée sortir ses effets, c’est à dire faire courir le délai de recours, huit jours après le dépôt de la lettre recommandée à la poste, soit, en l’occurrence, le 4 août 2018, et ce, quelle que soit la date de la réception effective de ce courrier et nonobstant la question de savoir si la lettre dont Monsieur … a signé le récépissé en date du 21 août 2018 est bien la même que celle expédiée le 27 juillet 2018.

En conséquence et en application de l’article 4 de la Convention de Bâle, prévoyant que lorsqu'un délai est exprimé en mois, le dies ad quem est le jour du dernier mois dont la date correspond à celle du dies a quo, force est de retenir que le délai d’un mois s’est écoulé le 4 septembre 2018 à minuit.

La requête introductive d’instance ayant été déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 septembre 2018, le recours dirigé contre la décision déférée du 25 juin 2018 est partant à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur se réfère aux considérations de la décision déférée.

En droit et quant à la légalité externe de l'acte déféré, le demandeur déclare se rapporter à prudence de justice quant aux causes d'illégalité externe dont pourrait le cas échéant être affecté l'acte déféré et se réserve le droit de pouvoir se prévaloir d'une telle cause d'annulation en cours d'instance.

Quant à la légalité interne de l'acte, le demandeur fait plaider que le ministre, en prononçant à son égard l'exclusion temporaire des fonctions pour une durée d'un an avec privation totale de la rémunération, soit la peine de discipline la plus sévère, outre la mise à la retraite d'office ou encore la révocation, aurait commis une violation du principe de proportionnalité sinon une erreur manifeste d'appréciation.

A ce titre, le demandeur donne d’abord à considérer que si, au niveau de la condamnation pénale, il aurait été traité sur un pied d'égalité avec son ancienne collègue de travail, Madame …, à savoir la condamnation à une peine d'emprisonnement de 12 mois avec sursis intégral et à une amende de 1.500,- euros, sans interdiction des droits mentionnés à l'article 11 du Code pénal, le ministre l’aurait cependant traité différemment sur le plan disciplinaire, alors même que sa procédure disciplinaire aurait été basée sur les mêmes faits et reproches que ceux à la base de la procédure disciplinaire diligentée à l’égard de Madame …, qui se serait dès lors trouvée dans une situation tout à fait comparable. Or, le ministre n’aurait retenu qu’une simple rétrogradation à l’égard de Madame …, ce qui serait d'autant plus surprenant alors que le ministre aurait, à son bénéfice, fait valoir à titre de « circonstance atténuante » son « jeune âge » ainsi que « son manque corrélatif d'expérience » en application des critères formulés par la Cour administrative dans ses arrêts du 22 février 2018, inscrits sous les numéros 39932C, respectivement 40093C.

D’après le demandeur, il serait alors difficilement compréhensible comment une collègue plus ancienne en rang, ayant pour le surplus eu la qualité d'officier de police judiciaire, contrairement à lui qui n'aurait été que simple agent de police judiciaire à l'époque des faits, ait pu bénéficier d'une sanction nettement plus clémente que lui.

Il souligne qu’il aurait, à l'époque des faits litigieux, été l'un des agents les plus jeunes, les plus inexpérimentés, mais en même temps l'un des plus estimés par sa hiérarchie pour sa qualité de travail et le nombre de procès-verbaux dressés, se référant à cet égard aux nombreuses félicitations de la part de sa hiérarchie.

Il en irait de même de son ancien collègue de travail, l'inspecteur-chef …, qui, visé par la même enquête disciplinaire, aurait également écopé d’une simple rétrogradation, alors même que ce dernier aurait rejoint la police grand-ducale en 2007, soit deux ans plus tôt que lui, le demandeur relevant néanmoins que, pour des raisons qui lui échapperaient, le dénommé … n’aurait pas été visé par l'enquête judiciaire et n'aurait partant pas été condamné pénalement dans le cadre de l'affaire dite « … ».

Le demandeur en conclut que le ministre aurait fait de son jeune âge et de son manque d'expérience une circonstance aggravante et non pas atténuante en lui infligeant une sanction disciplinaire plus sévère comparée à celle retenue dans le chef de ses anciens collègues de travail.

En deuxième lieu, le demandeur se targue de plusieurs arrêts de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, ci-après dénommée « la CourEDH », dont notamment l'arrêt Sergeï Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009 ou encore l'arrêt de la Grande Chambre dans une affaire A et B. c. Norvège du 15 novembre 2016, no 24130/11 et 29578/11/11, ayant reconnu le principe du non bis in idem, pour conclure qu'en l'espèce, le ministre aurait dû tenir compte de la condamnation pénale résultant de l'arrêt du 31 mars 2015 pour en faire une circonstance atténuante dans le cadre de la fixation de la sanction disciplinaire à prononcer.

En troisième lieu, le demandeur estime que le ministre, en faisant valoir, à titre de circonstances atténuantes à son profit, son jeune âge, son manque corrélatif d'expérience et l’absence d'antécédents disciplinaires, aurait cependant fait l'impasse sur un certain nombre d'autres circonstances atténuantes, également retenues par la Cour administrative dans les arrêts précités, à savoir la prise en considération des dysfonctionnements ayant existé à l'époque des faits au sein du Centre d'intervention principal d'…-, le manque d'officiers de police expérimentés susceptibles d'encadrer les jeunes recrues ainsi que l'appréciation positive de son travail.

Quatrièmement, le ministre aurait encore passé sous silence le dépassement du délai raisonnable, critère qui aurait également été pris en considération par la Cour administrative dans un des arrêts cités, à savoir celui inscrit sous le numéro 40093C du rôle.

Dans ce contexte, le demandeur fait rappeler que toute autorité disciplinaire aurait, dès qu'elle aurait connaissance de faits susceptibles de donner lieu à sanction, l'obligation d'entamer et de poursuivre la procédure disciplinaire avec célérité, afin que sa décision intervienne dans un délai raisonnable et ce, dans le souci d’assurer la sécurité juridique et d’éviter une trop longue incertitude sur l'issue de la procédure disciplinaire.

L’appréciation du délai raisonnable devrait se faire in concreto en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l'affaire, du comportement de l'agent et de celui de l'autorité et en fonction du temps écoulé entre la date de notification des reproches qui a déclenché la procédure disciplinaire et la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire prononcée.

Le demandeur en conclut que dans le cadre de ses pouvoirs de réformation, le tribunal devrait retenir un dépassement du délai raisonnable pour aboutir à un allègement de la sanction à prononcer, alors qu’en l’espèce, l’affaire n’ayant pas été autrement complexe, une décision juridictionnelle définitive statuant sur son recours ne serait intervenue que plus de 6 ans après l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre en date du 19 décembre 2012, délai pendant lequel il serait resté dans l'incertitude quant à son sort au niveau disciplinaire, de sorte qu’il lui aurait été impossible de faire ses projets d'avenir, au niveau tant professionnel que privé, d’autant plus qu’il aurait continué à travailler à l'entière satisfaction de son hiérarchie, passant avec succès tant l'examen de promotion de l’officier de police judiciaire que son examen de fin d'études secondaires en vue de pouvoir intégrer la nouvelle carrière B1 au sein de la police grand-ducale.

En dernier lieu, le demandeur relève, toujours dans le cadre de la proportionnalité de la décision déférée, qu’il aurait été fait complètement abstraction de sa situation personnelle et familiale ainsi que des conséquences que la sanction disciplinaire pourrait avoir sur son entourage. Dans ce contexte, le demandeur donne à considérer qu’il serait devenu père en date du 29 juillet 2018, affirmant que la sanction de l'exclusion temporaire des fonctions pour une durée d'une année avec privation totale de la rémunération entraînerait des conséquences plus que néfastes sur son entourage familial, alors qu’il se verrait dans l'obligation notamment de vendre son logement familial afin de pouvoir subvenir aux besoins les plus élémentaires de sa famille.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur fait encore préciser que le fait pour le ministre de prononcer une peine plus légère que celle proposée par le Conseil de discipline ne saurait être considéré comme une faveur à son profit, étant donné que, d'une part, il ne saurait être considéré que le ministre aurait ainsi allégé la peine retenue par le Conseil de discipline qui lui n’aurait pas de compétence pour prononcer une peine, et, d'autre part, cela n'empêcherait pas le tribunal de retenir une peine encore moindre.

Au regard du principe de l’autonomie régissant le droit disciplinaire invoqué par le délégué du gouvernement, le demandeur fait répliquer que cela ne pourrait pas l’empêcher de relever des similitudes avec les poursuites semblables diligentées à l'égard de personnes s’étant trouvées dans des situations comparables.

Il estime que ce serait d’ailleurs pour cette raison que le ministre aurait attendu, tant pour … que pour lui, d'une part, la fin des poursuites pénales engagées contre eux et, d'autre part, la fin des poursuites disciplinaires dans les affaires ayant fait l’objet des arrêts précités du 22 février 2018 prononcés par la Cour administrative.

En ce qui concerne plus particulièrement l’argumentation gouvernementale selon laquelle l'agent … n'aurait eu qu'un « rôle passif », le demandeur rétorque que serait ainsi passé sous silence la circonstance suivant laquelle elle aurait été non seulement supérieur hiérarchique, mais également officier de police judiciaire et qu’elle aurait été poursuivie disciplinairement pour la violation des mêmes articles. La même remarque vaudrait pour le dénommé … qui, de plus, n’aurait même pas dû faire face à des poursuites pénales.

Dans ce contexte, le demandeur rappelle que par rapport à ces derniers agents, y compris celui qui aurait fait l’objet de l’arrêt de la Cour administrative du 22 février 2018, il serait arrivé à … en dernier, à savoir en avril 2010, les autres y ayant travaillé depuis au moins respectivement 2007, 2008 et 2009, avec des « pratiques » qui auraient déjà existé depuis des années.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur souligne qu’au regard de la jurisprudence de la CourEDH, et contrairement à ce qui serait soutenu par le délégué du gouvernement, l'administration ne serait plus tout à fait « libre de prononcer une sanction indépendamment de la sanction pénale », relevant, dans ce contexte, que la Cour d’appel l’aurait, tout en confirmant le jugement de première instance quant aux peines d’emprisonnement et d’amende, justement relevé, de manière motivée, de l'interdiction des droits figurant à l'article 11 du code pénal, dont celui de revêtir un emploi public.

En ce qui concerne le délai raisonnable, le demandeur fait finalement préciser, dans son mémoire en réplique, que pendant toute la période où les instances pénales auraient été saisies, la police n'aurait effectué aucune démarche pour poursuivre l'instance disciplinaire et ce pendant au moins près de 4 ans, de décembre 2012, date de l'ouverture des poursuites disciplinaires, à juillet 2016, date de sa première audition.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en soulignant que le ministre, en prononçant la sanction de l'exclusion temporaire des fonctions pour une durée d'un an avec privation totale de la rémunération, n'aurait pas suivi l'avis du Conseil de discipline qui aurait proposé une sanction plus sévère, à savoir celle de la mise à la retraite d'office pour inaptitude professionnelle et disqualification morale, au motif qu'« il serait inconcevable et paraîtrait incompréhensible aux yeux du public qu'un policier convaincu de manquements aussi flagrants et répétés à ses devoirs les plus élémentaires, condamné notamment pour avoir été complice d'un proxénète et pour corruption passive de la part de ce même proxénète, puisse continuer à faire partie de la police et exercer une quelconque autorité publique, même s'il n'a pas été condamné à l'interdiction des droits énumérés par l'article 11 du code pénal. ». Ainsi, le ministre, en se basant sur un arrêt de la Cour administrative du 22 février 2018, aurait procédé à un allègement de la peine au vu de diverses circonstances atténuantes et n’aurait retenu que la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire des fonctions, peine qui serait à considérer comme étant plus que proportionnée par rapport à la situation du demandeur qui, par ses comportements, aurait gravement discrédité la police grand-ducale, non seulement en omettant de faire son travail par la couverture des activités d'un proxénète, mais également en boycottant le travail de ceux qui auraient voulu faire leur travail, avec la circonstance particulière, qu'il aurait averti ledit proxénète du contrôle qu'il était lui-même chargé de faire en coopération avec le SREC.

En ce qui concerne le reproche du demandeur de ne pas avoir été mis sur un pied d'égalité avec d'autres collègues impliqués dans le scandale « … », notamment Madame … et Monsieur …, le délégué du gouvernement relève que même si Madame … a été condamnée à la même peine correctionnelle que le demandeur, il ne saurait en être conclu ipso facto que les peines disciplinaires auraient dû être le mêmes. Il invoque, à cet égard en premier lieu, le principe de l’autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal qui impliquerait, selon la jurisprudence, que l’appréciation souveraine du juge pénal en ce qui concerne la gravité des faits retenus ne lierait pas l'autorité administrative, ni a fortiori le juge administratif, l'autorité administrative ne pouvant seulement plus remettre en cause la matérialité des faits établis par une décision judiciaire.

Ce principe serait justifié par le fait que le but poursuivi par une sanction disciplinaire serait différent de celui de la sanction pénale qui, elle, tendrait, de manière générale, à la préservation de l'ordre public et de l'ordre social, alors que la répression disciplinaire tendrait à assurer la cohérence interne à l'administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité auprès des administrés.

Il s'ensuivrait que l'administration serait libre de prononcer une sanction disciplinaire indépendamment de la sanction pénale.

Le délégué du gouvernement estime en deuxième lieu que la sanction disciplinaire prononcée à l'égard de Madame … n'aurait en principe aucune incidence dans la présente affaire, alors que les juridictions administratives seraient appelées à juger la proportionnalité de la sanction in concreto, d’autant plus qu’en l’espèce, il serait contesté que les deux collègues désignés par le demandeur se trouveraient dans une situation comparable à la sienne.

Ainsi, si Madame … se serait fait reprocher les mêmes faits, le délégué du gouvernement cite le Conseil de discipline qui aurait, dans son avis du 8 février 2018, retenu que le rôle de cette dernière n'aurait été que passif et qu'elle n'aurait certainement pas les moyens de s'opposer à des usages fermement implantés, contrairement au demandeur qui aurait activement fait profiter le proxénète d’une garantie d'absence de poursuites judiciaires en sabotant sciemment l'action de la police. Le même raisonnement vaudrait en ce qui concerne Monsieur ….

Ensuite, le délégué du gouvernement relève que le demandeur ne pourrait pas affirmer que son jeune âge et son manque d'expérience auraient été considérés comme circonstances aggravantes par le ministre, alors que le ministre se serait justement emparé de ces circonstances pour prononcer une peine plus légère que celle suggérée par le Conseil de discipline.

En s’emparant du principe de l’autonomie du droit disciplinaire, le délégué du gouvernement estime que le ministre n’aurait pas dû prendre en compte la condamnation pénale pour en faire une circonstance atténuante.

En ce qui concerne les circonstances atténuantes sur lesquelles le ministre aurait fait l'impasse, le délégué du gouvernement donne à considérer que les circonstances atténuantes formeraient un tout et ne pourraient pas être pris en compte séparément pour conclure à un allègement de plus en plus important de la sanction disciplinaire en fonction du nombre de circonstances atténuantes.

Quant au délai raisonnable, la partie gouvernementale fait relever que compte tenu de la complexité et du volume du dossier, ainsi que du fait que le demandeur aurait fait l’objet de poursuites pénales pour les mêmes faits, le délai assez long entre la notification des faits fautifs et la sanction disciplinaire prononcée serait amplement justifié, sans qu’il ne saurait y être décelé une violation du délai raisonnable, rappelant qu’en tout état de cause, l’accumulation de circonstances atténuantes ne saurait finalement aboutir à prononcer une sanction qui serait encore moins sévère que l'exclusion temporaire constituant déjà une sanction allégée.

Le délégué du gouvernement estime finalement que le demandeur ne saurait pas non plus faire état de sa situation personnelle et familiale, pour conclure à un allègement de la sanction disciplinaire, alors que cette situation personnelle serait sans aucune relation avec le présent litige, le demandeur ayant dû être conscient, au moment de la commission des faits à la base de la sanction disciplinaire, des éventuelles conséquences que son comportement pourrait avoir sur sa vie personnelle.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement précise qu’il ne saurait être soutenu, tel que le ferait le demandeur, que le ministre, en prononçant la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire des fonctions, ne lui aurait aucunement fait une faveur, alors que les décisions ministérielles suivraient en principe l'avis du Conseil de discipline concernant la sanction disciplinaire à appliquer. En ne prononçant pas la mise à la retraite d'office, pourtant suggérée par le Conseil de discipline, le ministre aurait permis au demandeur de reprendre ses fonctions en tant que policier, soit une voie beaucoup moins lourde de conséquences.

Ainsi, la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire des fonctions serait parfaitement proportionnée aux comportements adoptés par le demandeur et toute sanction moins sévère serait disproportionnée et tout simplement inconcevable et incompréhensible aux yeux du public.

Quant à l'argument du demandeur selon lequel le ministre aurait dû tenir compte des peines pénales prononcées pour fixer la sanction disciplinaire et notamment la circonstance que la Cour d’appel aurait relevé le demandeur de l’interdiction des droits figurant à l'article 11 du Code pénal, dont notamment celle de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, le délégué du gouvernement souligne que le ministre, en prononçant seulement la sanction de l'exclusion temporaire des fonctions pour une durée d'un an, aurait ainsi partagé le raisonnement de la Cour d'appel sur ce point, relevant que la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire des fonctions ne serait pas à mettre sur un pied d'égalité avec la sanction pénale de « l'interdiction à vie du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics », alors que le demandeur serait réintégré dans ses fonctions au moment où l'exclusion temporaire des fonctions prend fin.

En ce qui concerne d’abord la légalité externe de la décision déférée, force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que le demandeur est resté en défaut de préciser quelle cause d’illégalité externe affecterait la décision déférée, le moyen afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’illégalité externe d’ordre public qui serait à soulever d’office.

En ce qui concerne l’illégalité interne de la décision déférée, il échet d’abord de constater que le demandeur ne conteste ni les faits gisant à la base de la procédure disciplinaire ni la qualification de ces faits par rapport aux devoirs et obligations lui incombant, mais se limite à remettre en question la proportionnalité de la sanction par rapport aux circonstances de l’affaire, respectivement à reprocher, de ce fait, au ministre une erreur manifeste d’appréciation des faits de l’espèce.

Dans ce contexte, force est d’abord de relever que si, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise2, dans le cadre d’un recours en réformation, le 2 trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 21 et les autres références y citées.

tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse3.

A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a dès lors soulevé d’office la question de l’incidence de la loi du 18 juillet 2018 sur les sanctions disciplinaires prévues en la matière.

Les parties se sont, à cet égard, rapportées à la sagesse du tribunal.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal, saisi d’un recours en réformation, est amené à examiner le bien-fondé de la décision déférée au regard de la loi du 18 juillet 2018, en vigueur au moment où il statue4.

Ces considérations amènent le tribunal au constat que les sanctions disciplinaires énumérées au chapitre 4 de la loi du 18 juillet 2018 ne correspondent plus exactement à celles initialement prévues par l’article 19A de la loi du 16 avril 1979, en ce que certaines sanctions ont été supprimées, d’autres ont été rajoutées, de sorte que la numérotation a changé, et que le libellé de certaines sanctions a été modifié en ce sens que, d’une part, des restrictions inhérentes à une sanction ont disparu et, d’autre part, des possibilités supplémentaires se sont rajoutées.

Aussi, la sanction prononcée à l’égard du demandeur, à savoir celle de l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée d’un an avec privation totale de la rémunération n’existe plus en cette envergure, le nouveau texte prévoyant un maximum de 6 mois d’exclusion avec privation totale de rémunération.

En ce qui concerne la proportionnalité de la peine disciplinaire prononcée à l’égard du demandeur, il convient de préciser que l’article 13 de la loi du 18 juillet 2018 énumère, en les hiérarchisant, les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre des policiers. Cet article est à mettre en relation avec l’article 53, alinéa 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, également applicable aux policiers, qui dispose que l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé5, impliquant, d’après la jurisprudence en la matière, que les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus légalement sont énoncés de manière non limitative, de sorte que le tribunal est susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire.6 Il a également été jugé que, dans le cadre du recours en réformation exercé contre une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le fonctionnaire en vue de déterminer si la sanction prononcée par l'autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du fonctionnaire.7 3 trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en reformation, n° 18 et les autres références y citées.

4 cf. Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

5 Projet de loi N° 7040 relatif au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, commentaire des articles, ad. Article 13.

6 trib. adm. 12 juillet 2019, nos 40837 et 41256 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Fonction Publique, n° 332.

7 trib. adm. 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Fonction Publique, n° 368 et les autres références y citées.

Il s’ensuit que le choix de la peine disciplinaire à prononcer dépend tant de la gravité de la faute commise que des critères personnels à l’agent. Ce principe de l’individualisation de la sanction disciplinaire implique que, contrairement à ce que le sous-entend le demandeur, l’autorité disciplinaire ne saurait se trouver liée par des décisions disciplinaires prises dans d’autres cas, même similaires dans les faits.

Force est d’abord de relever que la gravité des faits gisant à la base de la décision disciplinaire déférée est indéniable, et d’ailleurs pas spécialement mise en cause par le demandeur, étant rappelé que le demandeur a été condamné pénalement notamment pour des faits de proxénétisme, de corruption passive et de violation du secret professionnel dans le cadre de l’affaire dite « … », ayant ainsi notamment, avec d’autres collègues de la police grand-

ducale d’…-, en violation de ses obligations et devoirs statutaires, permis au gérant dudit cabaret de continuer ses activités de proxénétisme en toute impunité.

Dans ce contexte, il est encore relevé, d’après les enseignements de l’arrêt de la Cour d’appel du 31 mars 2015, inscrit sous le n° 133/15 V du rôle, que, contrairement à Madame … qui a « seulement » assisté passivement à l’avertissement téléphonique qu’un de leurs collègues de travail avait donné au gérant du bar … relatif à un contrôle imminent de son établissement, le demandeur a été reconnu coupable d’avoir « participé à l’infraction par un acte positif » en se déplaçant personnellement dans l’établissement … pour avertir le gérant dudit local d’un contrôle prévu pour le 9 octobre 2012.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que la partie gouvernementale estime que les faits reprochés au demandeur ne sont pas identiques à ceux dont s’est rendue coupable Madame ….

Cette même conclusion vaut pour le cas de Monsieur …, faute d’éléments suffisants à cet égard.

Ainsi, le simple constat que Madame … ait écopé d’une sanction disciplinaire moindre ne saurait aboutir à devoir traiter le demandeur de façon identique, quand bien même cette dernière ait été condamnée aux mêmes peines pénales que le demandeur.

En ce qui concerne ensuite l’incidence de la condamnation pénale subie par le demandeur sur la sanction disciplinaire à prononcer à son égard, force est d’abord de relever que d’après l’article 12 de la loi du 18 juillet 2018 « tout manquement aux principes de la discipline policière (…) expose les policiers à des sanctions disciplinaires, sans préjudice de l’application éventuelle d’une sanction pénale (…) ».

Il a également été rappelé récemment par la Cour administrative que si le principe non bis in idem fait obstacle à ce qu’un fonctionnaire soit sanctionné deux fois sur le plan disciplinaire pour une même faute, ce même principe « ne s’oppose toutefois pas à ce qu’il soit infligé, à raison des mêmes faits, une sanction pénale et une sanction administrative, dès lors que ces deux types de sanctions sont de nature différente et poursuivent des objectifs différents. ».8 Cette conclusion n’est pas énervée par les enseignements de l’arrêt précité de la CourEDH Zolotoukhine c. Russie, alors que, contrairement à ce qui était le cas dans ladite affaire, la mise en place de chacun de ces types de sanctions, disciplinaire et pénale, repose sur un objet différent, de nature à assurer la sauvegarde de valeurs ou d’intérêts qui ne se 8 Cour adm. 22 octobre 2020, n° 44207 C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu confondent pas9. Ainsi, en matière disciplinaire, il a été estimé nécessaire par le pouvoir législatif d’assurer un certain comportement de la part des fonctionnaires de l’Etat, afin d’assurer non seulement une bonne image de la fonction publique, mais également l’efficacité du travail de celle-ci, en incriminant certains comportements qui, même s’ils ne sont pas de nature à être contraires à une loi pénale, sont néanmoins susceptibles de nuire aux objectifs fixés par le législateur dans le cadre d’une bonne gestion du personnel de la fonction publique.

Le droit pénal, quant à lui, a pour objectif d’incriminer des comportements susceptibles d’être commis par l’ensemble de la population résidant sur un territoire déterminé pour considérer ceux-ci comme étant contraires aux intérêts de la société, quelle que soit la qualité de la personne ayant été à l’initiative du comportement incriminé.

Il y a partant lieu de conclure que le droit disciplinaire et le droit pénal poursuivent des objectifs différents, de sorte à ne pas s’opposer à ce qu’un même comportement puisse, sans violer le principe non bis in idem, faire l’objet tant d’une sanction administrative que d’une sanction pénale10, de sorte que rien ne s’oppose partant à ce qu’en principe, au vu de l’autonomie du droit disciplinaire et des caractéristiques propres à la faute disciplinaire, un même comportement adopté par un fonctionnaire de l’Etat puisse être puni tant au niveau disciplinaire qu’au niveau pénal, ce qui n’enlève pas à l’administration le pouvoir de tenir compte de sanctions pénales prononcées antérieurement contre le même fonctionnaire pour les mêmes faits litigieux, et ceci dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de la sanction administrative.

Or, le fait que le demandeur a fait l’objet d’une condamnation pénale pour les faits qui lui sont reprochés et ensuite d’une sanction disciplinaire ne saurait cependant nécessairement impliquer que la gravité de la sanction disciplinaire devrait se trouver amoindrie. Au contraire, le fait qu’un membre de la police grand-ducale a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois, certes assortie du sursis intégral, pour des faits de proxénétisme et de corruption passive, alors qu’il est justement, dans le cadre de son travail, obligé de faire en sorte que de telles infractions soient poursuivies, constitue plutôt une circonstance aggravante dans son chef sur un plan disciplinaire, la procédure disciplinaire étant censée garantir une bonne image de la fonction publique et une bonne gestion du personnel.

En tout cas, le fait qu’a priori et en raison du sursis à exécution de la peine d’emprisonnement, la peine pénale, sauf récidive, se résume actuellement à la condamnation à une peine d’amende de 1.500,- euros ne saurait en tout cas pas impliquer que la gravité de la sanction disciplinaire à prononcer devrait nécessairement être revue à la baisse de ce fait.

Il a également été jugé, dans ce contexte, que le fait que le juge pénal n’a pas prononcé d’interdiction professionnelle ne lie pas l’autorité administrative, ni a fortiori le juge administratif. L’autorité administrative, si elle ne peut remettre en cause la matérialité des faits établis par une décision judiciaire, reste libre de décider si ceux-ci appellent une sanction et le taux de celle-ci, la sanction disciplinaire poursuivant un autre but que la sanction pénale.11 Si, en l’espèce, la décision déférée a certes pour effet d’empêcher le demandeur à exercer ses fonctions sur une certaine durée, cette sanction disciplinaire n’est cependant pas de nature à contredire les conclusions des juges répressifs, alors que l’interdiction de remplir des 9 Conseil d’Etat français, avis, section de l’intérieur, 29 avril 2004, n° 370.136.

10 trib. adm., 11 juin 2001, n° 12473 du rôle, conf. Cour adm., 11 décembre 2001, n° 13705C du rôle, Pas. adm.

2020, V° Fonction publique, n° 234 et les autres références y citées.

11 ibidem fonctions, emplois ou offices publics pour une période donnée a un champ beaucoup plus large que celui de l’exclusion temporaire des fonctions spécifiquement exercées par le demandeur.

En ce qui concerne la prétendue violation du délai raisonnable, que le demandeur entend faire valoir comme circonstance atténuante, force est au tribunal de rappeler que le respect du délai raisonnable s’impose notamment pour assurer la sécurité juridique et pour éviter une trop longue incertitude sur l’issue de la procédure disciplinaire. Le dépassement du délai raisonnable doit être apprécié in concreto et aux divers stades de la procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l’affaire, du comportement de l’agent et de celui de l’autorité.12 Pour l’appréciation du caractère raisonnable du délai est pris en compte la durée séparant la date de la notification des faits reprochés ayant déclenché la procédure disciplinaire de la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire.

Or, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a soutenu qu’en l’espèce, il ne saurait être question d’un dépassement du délai raisonnable, alors que, si le demandeur s’est certes fait notifier, une première fois, des reproches dans le cadre d’une procédure disciplinaire en date du 19 décembre 2012, il ne faut pas négliger le fait qu’au même moment a commencé une instruction pénale pour les mêmes faits, ayant abouti à un dossier relativement complexe au vu des infractions constatées et du nombre élevé de personnes impliquées qui s’est soldée, pour le demandeur, par un arrêt de la Cour d’appel du 31 mars 2015. Il ressort ensuite du dossier administratif qu’en novembre 2015, après cet arrêt ayant permis de clarifier la matérialité des faits reprochés, a été reprise l’instruction disciplinaire à l’encontre, non seulement du demandeur, mais encore de cinq autres agents, instruction, dans le cadre de laquelle, non seulement tout le dossier pénal a dû être analysé, mais également tous les intervenants de cette affaire ont dû être réentendus. Cette instruction disciplinaire a été clôturée par un rapport de synthèse en date du 31 juillet 2017, rapport qui lui a fait l’objet d’une nouvelle notification des faits définitive au demandeur en date du 19 septembre 2017.

Le dossier disciplinaire ayant été continué au directeur général pour attribution et décision en date du 19 octobre 2017, ce dernier a saisi le Conseil de discipline par un transmis du 21 novembre 2017, Conseil de discipline qui, suite à une audience fixée au 18 janvier 2018, a rendu son avis le 8 février 2018.

Etant donné la complexité certaine de cette affaire et au vu des diligences effectivement accomplies dans le cadre de ce dossier, force est au tribunal de retenir qu’en arrêtant une sanction disciplinaire en date du 25 juin 2018, le ministre n’a pas statué en dehors d’un délai raisonnable, étant relevé qu’il a été jugé, dans une autre affaire, dont la complexité des faits était beaucoup moindre, s’agissant d’un fait unique d’escroquerie d’assurance, qu’un délai d’un peu plus de deux ans entre la notification des faits reprochés et le prononcé du jugement ne constitue pas un délai déraisonnable, même si l’existence matérielle des faits et leur imputabilité retenue par le juge pénal a facilité la tâche de l’autorité disciplinaire sur ces points, la procédure disciplinaire devant suivre son cours selon ses propres règles.13 12 ibidem 13 ibidem En l’espèce, si entre la dernière notification des faits et le présent jugement se sont, de manière certes non imputable au demandeur, écoulés un peu plus de trois ans, force est cependant de relever qu’au vu des circonstances précités tenant à la complexité du dossier, il ne saurait être conclu à un dépassement du délai raisonnable de nature à influer sur la gravité de la sanction en faveur du demandeur, d’autant plus qu’il y a lieu de relever que la sanction disciplinaire lui infligée n’a pas impliqué la perte définitive de son emploi et que le demandeur ne risque, en l’occurrence, pas de réformation in pejus de la décision litigieuse, de sorte que l’insécurité juridique pour le demandeur et l’incertitude sur son sort restent tout de même encore contenues.

Au regard de toutes ces considérations et également au vu de la jurisprudence de la Cour administrative du 22 février 2018 ayant, dans des cas comparables concernant la même affaire dite « … », retenu des circonstances atténuantes du fait du jeune âge et de l’inexpérience des policiers concernés, force est au tribunal de retenir que l’exclusion temporaire de ses fonctions avec privation totale de la rémunération, constitue pour le demandeur une sanction proportionnée aux faits de l’espèce, étant rappelé que, pour le Conseil de discipline dans son avis du 8 février 2018 cité in extenso ci-avant, ces faits ont même été jugés d’une gravité suffisante pour mettre définitivement un terme aux fonctions du demandeur à la police grand-

ducale.

En effet, au regard des considérations prises plus en amont, le fait pour le ministre d’avoir fait valoir, à l’égard du demandeur, des circonstances atténuantes au regard de son jeune âge et de son inexpérience, ainsi que de l’absence d’antécédents disciplinaires dans son chef, ce qui a pour conséquence que le demandeur peut continuer à servir dans la police grand-

ducale, malgré les faits gravissimes lui reprochés, de surcroit en relation avec l’exécution de ses fonctions, et la condamnation à une peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis, constitue déjà une faveur non négligeable, certes inspirée par deux arrêts de la Cour administrative, mais qu’il est difficilement concevable de revoir dans un sens encore plus favorable au demandeur.

Cette conclusion n’est énervée ni par la considération du demandeur selon laquelle il y aurait eu des dysfonctionnements systémiques au Centre d’intervention à …-, ayant lui-même été activement impliqué dans cette affaire, ni par sa situation personnelle et familiale, cette dernière n’étant en l’occurrence pas à ce point exceptionnelle que la sanction envisagée serait de nature à rompre l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Or, étant donné que la sanction de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération d’une durée maximale de 12 mois, telle qu’elle a été retenue à l’encontre du demandeur, n’existe plus, en tant que telle, à l’heure actuelle, le nouveau catalogue des sanctions disciplinaires applicable aux membres de la police grand-ducale, tel que prévu à l’article 13 de la loi du 18 juillet 2018, fixant le maximum de l’exclusion temporaire des fonctions sans traitement à 6 mois, il y a néanmoins lieu de réformer la décision déférée dans le sens d’une diminution de la période de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération de 12 à 6 mois.

Il s’ensuit que le recours en réformation est à accueillir partiellement.

Au vu de l’issue du litige, il y a encore lieu de faire masse des frais et dépens et de les imposer pour moitié à chacune des parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

le déclare partiellement justifié, partant, par réformation de la décision du ministre de la Sécurité intérieure du 25 juin 2018, prononce la sanction disciplinaire de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération pour une période de six mois à l’égard de Monsieur … ;

fait masse des frais et dépens et les met pour moitié à charge du demandeur et pour moitié à charge de l’Etat.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, et lu à l’audience publique du 17 novembre 2020, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 23


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 41655
Date de la décision : 17/11/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-11-17;41655 ?

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