Tribunal administratif N° 43939 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2019 2e chambre Audience publique du 16 novembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43939 du rôle et déposée le 23 décembre 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 novembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2020 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 septembre 2020.
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Le 22 octobre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
En date des 18 février et 7 mars 2019, Monsieur … fut auditionné par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 26 novembre 2019, notifiée à l’intéressé par un courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant 1non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 22 octobre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 22 octobre 2018 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 18 février et du 7 mars 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez né le … à … en Guinée où vous auriez vécu jusqu’à votre départ. Vous ne seriez pas allé à l’école par manque de moyens financiers suffisants.
Vous auriez appris le métier d’électricien en travaillant dans un garage pendant 13 ans.
Quant aux raisons qui vous ont conduit à quitter la Guinée, vous déclarez que vous auriez eu des problèmes avec votre oncle concernant la vente de la maison de votre père après son décès.
Vous auriez approché votre oncle à plusieurs reprises afin qu’il vous réponde à vos questions, mais ce dernier aurait refusé de vous parler de l’héritage de votre père. Vous évoquez que votre oncle aurait voulu vous tuer, une affirmation que vous justifiez avec vos deux accidents de voiture qui auraient été causés, vous supposez, par votre oncle.
Vous ajoutez que vous auriez quitté votre pays d’origine à cause de maux de tête.
En ce qui concerne votre départ de la Guinée en 2017, vous indiquez que vous seriez allé en Algérie via le Mali. Après un séjour de quatre mois à … en Algérie, vous seriez parti au Maroc où vous seriez resté pendant deux mois avant d’aller en Espagne. Après un séjour de trois mois à Ceuta et Cadiz, vous seriez venu au Luxembourg via la France et la Belgique.
Vous ne présentez aucun document d'identité.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
2Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Concernant vos problèmes avec votre oncle, notons qu’un tel motif ne saurait pas justifier l’octroi d’une protection internationale alors qu’il n’est aucunement lié à l’un des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015 qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou qui risque d’être persécutée dans son pays d’origine à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. En effet, vous auriez eu des problèmes avec votre oncle à cause de l’héritage après le décès de votre père.
Quand bien même les faits seraient liés à l'un des motifs de la Convention de Genève, notons qu’ils ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être considérés comme un acte de persécution au sens desdits textes. En effet, vous avouez vous-même avoir rendu visite à votre oncle à plusieurs reprises.
En effet, vous vous bornez à émettre des suppositions, respectivement vous vous bornez à émettre vos craintes hypothétiques d’être tué en cas de retour en Guinée. Or, de simples suppositions et craintes hypothétiques ne présentent pas un caractère de gravité suffisante pour pouvoir retenir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, Quand bien même ces faits seraient liés à l’un des critères énumérés par la Convention de Genève et qu’ils seraient suffisamment graves pour constituer un acte de persécution, il convient de soulever que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
En effet, vous déclarez que vous ne vous seriez à aucun moment adressé aux autorités guinéennes. Par conséquent, il n’est pas démontré que les autorités guinéennes auraient été dans l’incapacité de remplir leurs missions.
Par ailleurs, il est primordial de retenir qu’un risque futur de persécution est inexistant alors que vous avez plus de 29 ans et êtes ainsi parfaitement à même de vivre indépendamment de votre famille.
3 A cela s’ajoute que le fait que vous seriez venu au Luxembourg après avoir séjourné en Espagne pour plus de trois mois démontre que vous êtes nullement persécuté dans votre pays d’origine et est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée qu’elle introduise une telle demande dès qu’elle a l’occasion de le faire, c’est-à-dire dans le premier pays sûr rencontré et dans les délais les plus brefs, ce qui n’a manifestement pas été votre cas.
Monsieur, vous évoquez avoir quitté votre pays d’origine à cause de maux de tête causés par la situation avec votre famille. Or, notons que ces motifs médicaux ne sauraient pas être pris en compte dans le cadre de l’analyse de votre demande de protection internationale, alors qu’ils ne sont nullement liés aux critères définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.
Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
3. Quant à la fuite interne 4En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.
En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif que « je ne me sentais pas bien […] et j’avais toujours peur que si je reste dans le pays, mon oncle me retrouve » (p.21/23 du rapport d'entretien). Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d’origine.
Ainsi, vous auriez pu vous installer à Kankan, situé à 631 kilomètres de votre ville d’origine, deuxième plus importante ville en Guinée avec un port fluvial et un petit aéroport. Ce déménagement vous aurait permis de vous éloigner de votre oncle. Tenant compte de votre âge et de votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous n’établissez pas de raisons suffisantes pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de vous y installer.
Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Guinée, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Le 23 décembre 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et de la décision du même jour portant à son égard ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et de celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 26 novembre 2019, prise en son double volet.
Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection 5internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique avoir quitté la Guinée en raison des sérieux problèmes qu’il aurait rencontrés avec son oncle à propos de l’héritage de son propre père. Son oncle aurait tenté de porter atteinte à sa vie en provoquant notamment deux accidents de voiture : à une reprise, il aurait été percuté par un pick-up lorsqu’il se serait trouvé à bord d’un taxi et aurait été blessé au visage à cause des bris de glace, puis, à l’autre reprise, il aurait été victime d’un accident lors duquel un pick-up l’aurait percuté à l’arrière de son véhicule et il aurait des maux de tête depuis lors. Son oncle l’aurait, en outre, menacé de mort à plusieurs reprises. Ces circonstances l’auraient poussé à quitter son pays d’origine.
En droit, il invoque l’illégalité de la décision déférée, dans la mesure où les conditions d’obtention du statut de réfugié seraient réunies dans son chef.
En se basant sur une jurisprudence du tribunal administratif, il fait valoir que la juridiction administrative devrait procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limiterait pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agirait également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations, tel que prévu par l’article 37 (3) et (5) de la loi du 18 décembre 2015.
Or, en l’espèce, le ministre aurait basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits. Le demandeur lui reproche, dans ce contexte, de ne pas avoir pris en compte ses craintes de persécution, qui seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015. Il aurait ainsi fait état de sérieuses craintes d’être persécuté par son oncle à cause de son héritage. Si les faits relatés émanaient de personnes privées, il aurait cependant établi l’incapacité des autorités guinéennes à lui offrir une protection appropriée, dans la mesure où celles-ci refuseraient de s’immiscer dans les affaires familiales.
Le demandeur se réfère, à cet égard, à la position adoptée par l’UNHCR suivant lequel il ne serait pas nécessaire qu’il ait effectivement subi des persécutions dans le passé pour que sa crainte d’en subir à l’avenir soit fondée.
Il soutient, enfin, que l’analyse du contexte général dans son pays d’origine constituerait un élément fondamental de l’examen de sa crainte, dans la mesure où celle-ci découlerait plus particulièrement du manquement de son pays d’origine à remplir ses obligations en matière de protection à l’égard de ses citoyens, obligations qui découleraient, par ailleurs, des engagements des Etats au titre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 auxquels le Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PICP), entré en vigueur le 23 mars 1976, aurait donné force obligatoire. Ce serait dans cette optique et au vu de la hiérarchie des normes internationales des droits de l’Homme, que la mise en cause de ses droits civils et politiques, auxquels aucune dérogation ne serait permise, constituerait une persécution.
En ce qui concerne le refus d’une protection subsidiaire, Monsieur … fait valoir qu’il risquerait de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
6Par ailleurs, il relève que l’alternative d’une fuite interne dans un autre endroit de la Guinée n’aurait pas été envisageable, étant donné que son oncle aurait pu le retrouver.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours dans son intégralité.
Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
7 b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Il s’ensuit également que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
8 Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2 g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions et les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.
En l’espèce, indépendamment de la qualification des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale et qui se résument aux accidents de la circulation que le demandeur attribue à son oncle et aux menaces de ce dernier à son égard, le tribunal constate que Monsieur … a actuellement 30 ans et, de ce fait, n’a l’obligation ni de vivre avec son oncle ni d’avoir un quelconque contact avec ce dernier. Il constate en outre que le demandeur n’a jamais tenté de requérir une protection auprès des autorités guinéennes contre ce dernier.
Dans la mesure où l’auteur des violences, à savoir l’oncle du demandeur, est sans lien avec l’Etat guinéen, ladite personne n’est susceptible d’être qualifiée d’auteur de persécution ou d’atteintes graves que si les autorités guinéennes ne sont pas capables, respectivement disposées à le protéger, étant rappelé, dans ce cadre, qu’une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection. La disponibilité d’une protection nationale exige par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves. Cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
9Il faut relever, à cet égard, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider. En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte.
Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de violences et de menaces, communément la forme d’une plainte.
Ainsi, il aurait appartenu au demandeur de déposer officiellement plainte contre son oncle, qu’il accuse d’avoir commandité les deux accidents de la circulation dont il a été victime et qui l’a menacé de mort, ce qu’il n’a pourtant pas fait, sans fournir d’éléments concrets permettant de justifier son inaction, son affirmation non autrement étayée selon laquelle les autorités guinéennes refuseraient de s’immiscer dans des affaires familiales étant insuffisante à cet égard. En outre, si Monsieur … s’estimait spolié de son héritage, il lui aurait appartenu d’entreprendre les démarches pour introduire une procédure judiciaire contre son oncle auprès des tribunaux de son pays d’origine.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas fait état de raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, compte tenu du fait qu’il reste en défaut d’établir qu’il ne pourrait pas compter sur une protection adéquate de la part des autorités guinéennes.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est partant à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2. Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en invoquant le fait qu’un retour en Guinée aurait des conséquences graves pour lui.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire.
10 Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Or, le tribunal vient de retenir ci-avant que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre à la protection internationale et qu’il ne risque, ainsi, pas de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour en Guinée, de sorte que le ministre pouvait valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
A défaut d’un quelconque autre moyen, ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire n’ont été utilement contestés, de sorte que le recours en réformation dirigé à l’encontre de cette décision est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 novembre 2019 portant refus d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 novembre 2019 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, 11 et lu à l’audience publique du 16 novembre 2020 par le vice-président, Françoise Eberhard, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 12