Tribunal administratif Numéro 44642 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2020 1re chambre Audience publique extraordinaire du 13 novembre 2020 Recours formé par la société à responsabilité limitée X et consort, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 44642 du rôle et déposée le 10 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître André Lutgen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) la société à responsabilité limitée X, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, et 2) Monsieur …, demeurant professionnellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision d’injonction émise en date du 10 juin 2020 par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2020 ;
Vu l’ordonnance du vice-président, présidant la première chambre du tribunal administratif du 17 juillet 2020 ;
Vu le mémoire supplémentaire de Maître André Lutgen déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 20 octobre 2020 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique, ainsi que les remarques écrites produites par Maître André Lutgen et Monsieur le délégué du gouvernement les 19 et 20 octobre 2020, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience publique du 21 octobre 2020.
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Par un courrier du 10 juin 2020, adressé à « X, à l’attention de M. …, … », le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », émit une décision d’injonction en vertu de loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignement sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée « la loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir, pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, des renseignements et documents suite à une demande d’échange de renseignements du 3 avril 2020 de la part de l’autorité compétente française en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/UE, ci-après désignée par « la directive 2011/16 », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. La décision d’injonction est libellée comme suit :
« En date du 3 avril 2020, l'autorité compétente de l'administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.
La personne physique concernée par la demande est M. …, né le … et ayant une adresse au …, France.
Etant donné vous étiez administrateur de la société YY (nouvelle dénomination Y), radiée en date du 20 février 2020 pour motif de transfert du siège social à l'étranger, je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, les renseignements et documents suivants pour le 15 juillet 2020 au plus tard.
Veuillez indiquer pour la période visée si la société YY possédait un établissement stable au Luxembourg et dans l'affirmative veuillez préciser ses principales caractéristiques ;
Veuillez indiquer pour la période visée si l'adresse de la société YY correspondait à une adresse de domiciliation et dans l'affirmative veuillez indiquer si la société disposait à cette adresse de moyens humains et matériels (personnel et locaux) et si elle ne disposait pas de moyens humains et matériels à cette adresse, veuillez indiquer comment elle était gérée ;
Veuillez indiquer pour la période visée, au cas où l'adresse de la société YY ne correspondait pas à une adresse de domiciliation, si la société disposait de moyens humains et matériels à cette adresse et dans l'affirmative veuillez préciser lesquels. Dans la négative veuillez indiquer comment elle était gérée ;
Veuillez indiquer pour la période visée si la société pour la période visée si la société YY avait une réalité économique et dans l'affirmative veuillez préciser laquelle ;
Veuillez indiquer pour la période visée si la société YY avait pour activité unique la détention d'un portefeuille de valeurs mobilières de placement ;
Veuillez indiquer pour la période visée si les organes de direction de la société YY se réunissaient régulièrement au Luxembourg et si des décisions stratégiques ont été prises au Luxembourg ;
Veuillez fournir la copie de tous les documents relatifs à la création, à l'activité réelle exercée, à la direction et aux moyens humains et matériels utilisés pour réaliser celle-ci par la société YY ;
Veuillez fournir pour la période visée la copie des procès-verbaux d'assemblée générale de la société YY ;
Veuillez fournir tout élément concernant l'actionnariat de la société YY et tout élément concernant le bénéficiaire effectif de la société.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.
Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du système d'envoi de fichiers par OTX […].
Conformément à l'article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l'encontre de la présente décision d'injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés […] ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juillet 2020, la société à responsabilité limitée X, ci-après désignée par « la société X », et Monsieur … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de ladite décision d’injonction du 10 juin 2020, tout en demandant au tribunal de sursoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) ait répondu aux questions préjudicielles lui soumises à travers des arrêts de la Cour administrative du 14 mars 2019, inscrit sous le n° 41487C du rôle, et du 23 mai 2019, inscrit sous le n° 42143 du rôle.
Dans sa réponse, le délégué du gouvernement déclare se rapporter à prudence de justice quant à la recevabilité du recours, tout en émettant des doutes quant à la qualité en laquelle Monsieur … a introduit le recours et quant à la recevabilité du recours introduit par celui-ci, tout en s’en référant aux conclusions de l’avocat général dans les affaires C-245/19 et C-246/19, portées devant la CJUE à la suite des questions préjudicielles posées à travers l’arrêt précité de la Cour administrative du 14 mars 2019 et en demandant au tribunal de réserver cette question compte tenu de ces questions préjudicielles.
Dans leur mémoire additionnel, la société X et Monsieur … réitèrent leur demande au tribunal de sursoir à statuer en attendant les décisions de la CJUE dans les affaires C-245/19 et C.246/19 et demandent encore d’attendre l’issue de l’affaire pendante devant la Cour constitutionnelle, inscrite sous le numéro 00146 du rôle.
Par un courrier du 19 octobre 2020, produit conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, les requérants ont réitéré leur demande de sursoir à statuer en attendant les réponses fournies par la CJUE à la question préjudicielle posée par l’arrêt précité de la Cour administrative dans l’affaire n° 42143C du rôle, et de la Cour constitutionnelle suite à l’arrêt de la CJUE prononcé suite à l’arrêt de la Cour administrative du 14 mars 2019, inscrit sous le n° 41487C du rôle, cette demande ayant trouvé l’accord de la partie étatique suivant courrier électronique du 20 octobre 2020, la question du sursis à statuer ayant, par ailleurs, été relevée par le tribunal dans son avis du même jour.
Dans son arrêt du 14 mars 2019, inscrit sous le numéro 41487C du rôle, la Cour administrative a posé à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :
« 1. Est-ce que les articles 7, 8 et 52, paragraphe 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus éventuellement ensemble avec l’article 47 de ladite Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale d’un Etat membre qui, dans le cadre du régime de procédure en matière d’échange de renseignements sur demande mis en place notamment en vue de la mise en œuvre de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, exclut tout recours, notamment judiciaire, de la part du contribuable visé par l’enquête dans l’Etat membre requérant et d’une tierce personne concernée, contre une décision à travers laquelle l’autorité compétente de cet Etat membre oblige un détenteur de renseignements à lui fournir des informations en vue de donner suite à une demande d’échange de renseignements émanant d’un autre Etat membre ? 2. En cas de réponse affirmative à la première question, est-ce que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la directive 2011/16 doivent être interprétés, le cas échéant en tenant compte du caractère évolutif de l’interprétation de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, en ce sens qu’une demande d’échange, ensemble une décision d’injonction de l’autorité compétente de l’Etat membre requis y donnant suite, satisfont au critère de l’absence d’un défaut manifeste de pertinence vraisemblable dès lors que l’Etat membre requérant indique l’identité du contribuable concerné, la période concernée par l’enquête dans l’Etat membre requérant et l’identité du détenteur des renseignements visés, tout en sollicitant des renseignements concernant des comptes bancaires et des actifs financiers non précisés mais qui sont délimités par les critères tenant, premièrement, au fait qu’ils seraient détenus par un détenteur de renseignements identifié, deuxièmement, aux années d’imposition concernées par l’enquête des autorités de l’Etat requérant et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable concerné identifié ? ».
La Cour constitutionnelle, saisie par le tribunal administratif à travers un jugement du 10 janvier 2019, inscrit sous le n° 37014a du rôle, de la question préjudicielle suivante : « Le principe de l’Etat de droit ainsi que le principe de la légalité se dégagent-ils des dispositions constitutionnelles et plus particulièrement l’article 95 de la Constitution consacre-t-il implicitement mais nécessairement les principes de l’Etat de droit et de la légalité. Dans l’affirmative, l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, en ce qu’il consacre une interdiction légale d’introduire un recours contentieux contre une demande d’échange de renseignements étrangère, respectivement contre la décision d’injonction corrélative émanant des autorités luxembourgeoises est-il conforme au principe de l’Etat de droit ainsi qu’au principe de la légalité ? », a décidé de sursoir à statuer à travers un arrêt du 28 mai 2019, inscrit sous le n° 00146 du rôle, jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle lui soumise par arrêt de la Cour administrative du 14 mars 2019, inscrit sous le n° 41487C du rôle.
S’il est vrai que l’arrêt de la CJUE dans les affaires jointes C-245/19 et C-246/10 a été rendu le 6 octobre 2020 à la suite de la question préjudicielle soumise par la Cour administrative à travers l’arrêt précité du 14 mars 2019, n° 41487C du rôle, la Cour constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée.
Pareillement, la question préjudicielle dont a été saisie la CJUE par arrêt de la Cour administrative du 23 mai 2019, n° 42143 du rôle est toujours pendante, la Cour ayant, en effet, saisi la CJUE des questions suivantes :
« 1. Est-ce que l’article 20, paragraphe 2, point a), de la directive 2011/16 doit être interprété en ce sens qu’une demande d’échange de renseignements formulée par une autorité d’un Etat membre requérant qui définit les contribuables visés par la demande d’échange à partir de leur simple qualité d’actionnaire et de bénéficiaire économique d’une personne morale, sans que ces contribuables n’aient préalablement fait l’objet d’une identification nominative et individuelle de la part de l’autorité requérante, est conforme aux exigences d’identification posées par cette disposition ? 2. En cas de réponse affirmative à la première question, est-ce que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la même directive doivent être interprétés en ce sens que le respect de la norme de la pertinence vraisemblable implique que l’autorité de l’Etat membre requérant, afin d’établir l’absence d’une pêche aux renseignements malgré le défaut d’une identification individuelle des contribuables visés, puisse étayer sur base d’explications claires et suffisantes qu’elle mène une enquête ciblée concernant un groupe limité de personnes et non pas une simple enquête de surveillance fiscale générale et que cette enquête est justifiée par des soupçons fondés d’un non-respect d’une obligation légale précise ? 3. Est-ce que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens que, lorsque - un administré qui s’est vu infliger par l’autorité compétente de l’Etat membre requis une sanction administrative pécuniaire pour non-respect d’une décision administrative lui enjoignant de fournir des informations dans le cadre d’un échange entre administrations fiscales nationales au titre de la directive 2011/16, elle-même non susceptible d’un recours contentieux d’après le droit interne de l’Etat membre requis, a contesté la légalité de cette décision par la voie incidente dans le cadre d’un recours contentieux dirigé contre la sanction pécuniaire et - qu’il a obtenu connaissance des informations minimales énoncées par l’article 20, paragraphe 2, de la directive 2011/16 seulement au cours de la procédure judiciaire engagée suite à son recours contentieux contre ladite sanction, il doit se voir accorder, suite à la reconnaissance définitive, par la voie incidente, de la validité de la décision d’injonction et de celle de fixation d’une amende émises à son égard, un délai suspensif pour le paiement de l’amende en vue de pouvoir donner suite, après avoir ainsi obtenu connaissance des éléments relatifs à la pertinence vraisemblable définitivement confirmée par le juge compétent, à la décision d’injonction ? ».
Au regard des affaires ainsi pendantes et compte tenu de l’accord des parties d’attendre la solution dégagée par la CJUE, respectivement la Cour constitutionnelle dans les affaires précitées, le tribunal est amené à retenir qu’avant tout progrès en cause, il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de surseoir à statuer jusqu’à ce que la CJUE et la Cour constitutionnelle se soient prononcées dans les affaires auxquelles les parties à la présente instance se sont référées.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
avant tout progrès en cause, sursoit à statuer en attendant l’arrêt de la CJUE à intervenir à la suite des questions préjudicielles dont elle a été saisie par la Cour administrative à travers son arrêt du 23 mai 2019, inscrit sous le n° 42143C du rôle, et les suites l’arrêt de la Cour constitutionnelle à intervenir à la suite de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 dans les affaires jointes C-245/19 et 246/19 ;
fixe l’affaire au rôle général, à charge de la partie la plus diligente d’informer le tribunal dès que l’affaire pourra être réappelée ;
réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 novembre 2020 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 6