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09/11/2020 | LUXEMBOURG | N°42321

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2020, 42321


Tribunal administratif N° 42321 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit 5 février 2019 2e chambre Audience publique du 9 novembre 2020 Recours formé par la société anonyme …, Luxembourg et consorts contre le règlement grand-ducal 27 octobre 2018 modifiant le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l'assurance maladie en matière d’actes réglementaires

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42321 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif 5 févr

ier 2019 par Maître Anne FERRY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des...

Tribunal administratif N° 42321 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit 5 février 2019 2e chambre Audience publique du 9 novembre 2020 Recours formé par la société anonyme …, Luxembourg et consorts contre le règlement grand-ducal 27 octobre 2018 modifiant le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l'assurance maladie en matière d’actes réglementaires

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42321 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif 5 février 2019 par Maître Anne FERRY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1) la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, 2) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à D-… ;

3) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à L-… ;

4) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à L-… ;

5) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à D-… ;

6) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à D-… ;

7) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à L-… ;

8) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à L-… ;

9) Docteur …, médecin spécialiste en pédiatrie, demeurant à D-… ;

10) Docteur …, médecin spécialiste en chirurgie pédiatrique, demeurant à L-… ;

11) Docteur …, médecin spécialiste en chirurgie pédiatrique, demeurant à … ;

tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 portant modification du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie.

Vu le mémoire en réponse de Maître Nicolas DECKER déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2019 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Anne FERRY le 29 mai 2019 au nom de ses mandants ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas DECKER le 25 juin 2019 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 s’inscrivant dans le cadre du respect des mesures sanitaires lors des audiences publiques, invitant les parties àinformer le greffe du tribunal administratif par courrier électronique et à l’avance si elles souhaitent se présenter ou non à l’audience publique des plaidoiries ;

Vu les courriers électroniques adressés le 16 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne FERRY ainsi que par Maître Nicolas DECKER pour informer le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de la présence physique des avocats ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le règlement grand-ducal attaqué ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 19 octobre 2020.

Au vu de l’article 64 du Code de la Sécurité sociale, de l’article 1er, paragraphe 1er de la loi du 16 juin 2017 sur l’organisation du Conseil d’Etat et considérant qu’il y a urgence, le Grand-Duc, sous le contreseing du ministre de la Santé ainsi que du ministre de la Sécurité sociale, arrêta en date du 27 octobre 2018 un règlement grand-ducal portant modification du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie, dénommé ci-après le « règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 ». Ledit règlement grand-ducal fut publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A, N° 1001 du 6 novembre 2018.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 février 2019, la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … », ainsi que le docteur …, le docteur …, le docteur …, le docteur …, le docteur …, le docteur …, le docteur …, le docteur …, le docteur …, ainsi que le docteur …, tous des médecins agréés au sein de la société … en leur qualité de médecins spécialistes dans le domaine de la pédiatrie, ci-après désignés par « les médecins agréés au sein de la société … », ont fait introduire un recours tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018.

Aux termes de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif connaît des recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, de sorte que les demandeurs ont valablement pu introduire un recours en annulation contre le règlement grand-ducal du 27 octobre 2018.

Le recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soulèvent deux moyens tiré de la légalité externe du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 ainsi que deux moyens relatifs à la légalité interne dudit règlement.

En ce qui concerne les moyens relatifs à la légalité externe, les demandeurs soutiennent que les visas du règlement grand-ducal en question ne feraient pas état de la recommandation circonstanciée de la Commission de nomenclature, alors même qu’une telle recommandation serait requise par l’article 65 du code de la sécurité sociale.

La partie étatique fait valoir qu’aucune disposition légale n’obligerait le pouvoir exécutif de faire état dans le préambule d’un règlement grand-ducal de l’avis de la Commission de nomenclature. En l’espèce, l’avis de ladite Commission aurait été recueilli ce qui serait établi par les documents versés par les demandeurs à l’appui de leurs recours, de sorte qu’aucune illégalité du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 ne saurait être retenue à cet égard.

Dans le cadre de leur mémoire en réplique, les demandeurs maintiennent leur argumentation.

Le tribunal précise de prime abord qu’en vertu du préambule du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 ce dernier a été adopté sur base de l’article 65 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel : « Les actes, services professionnels et prothèses dispensés par les prestataires de soins visés à l’article 61, alinéa 2, points 1) à 7), 12) et 13) et pris en charge par l’assurance maladie-maternité sont inscrits dans des nomenclatures différentes. (…) ». Le même article prévoit en son alinéa 7 que : « Les nomenclatures des actes, services professionnels et prothèses sont déterminées par des règlements grand-ducaux sur base d’une recommandation circonstanciée de la Commission de nomenclature. ». Il s’ensuit que l’avis préalable de la Commission de nomenclature est requis avant l’adoption d’un règlement grand-

ducal portant sur les actes, services professionnels et prothèses dispensés par les prestataires de soins et pris en charge par l’assurance maladie-maternité.

En l’espèce, la partie étatique a soumis au tribunal un document du 28 septembre 2018 émis par la Commission de nomenclature et intitulé : « Recommandation circonstanciée concernant la demande d’introduction et de modification d’actes dans le cadre du service national d’urgence pédiatrique dans la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie », par lequel ladite commission a fait ses remarques par rapport au projet de règlement grand-ducal portant modification du règlement grand-ducal du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie et visant plus particulièrement les dispositions relatives aux consultations dans le cadre du service d’urgence pédiatrique. Au vu de ce document et dans la mesure où la partie étatique affirme à juste titre qu’aucune disposition légale ne lui impose d’inscrire la consultation de ladite commission dans le préambule du règlement grand-ducal concerné, force est au tribunal de constater que l’article 65, alinéa 7 du Code de la Sécurité sociale a été respecté et que la Commission des nomenclatures a bien émis une recommandation circonstanciée préalablement à l’adoption du règlement grand-ducal déféré. Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Dans le contexte de l’illégalité externe du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018, les demandeurs soulèvent ensuite une violation de l’article 2 de la loi modifiée du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat. Ainsi, ledit règlement grand-ducal aurait été adopté sans l’avis préalable du Conseil d’Etat, « sous prétexte d’une urgence qui n’existe pas » et alors même que l’avis du Conseil d’Etat « aurait été négatif ». Les demandeurs concluent partant à l’annulation du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 pour non-respect de la disposition légale précitée.

La partie étatique répond que l’invocation de l’urgence par le gouvernement pour se dispenser de l’avis préalable du Conseil d’Etat n’aurait en aucun cas été abusive dans le contexte de l’adoption du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018. Elle explique que la loi du 8 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière, ci-après désignée par « la loi du 8 mars 2018 », aurait institué différents services nationaux etnotamment un service national de pédiatrie spécialisée et un service national d’urgence pédiatrique. D’après ladite loi, un service national ne pourrait être autorisé que dans un seul hôpital. Le Centre hospitalier de Luxembourg, désigné ci-après par « le CHL », aurait été désigné pour exploiter notamment les services nationaux de pédiatrie spécialisée et d’urgence pédiatrique. Suite à l’entrée en vigueur de la loi du 8 mars 2018, il aurait appartenu à la Commission de nomenclature de négocier les tarifs à appliquer. Le 28 septembre 2018, ladite commission aurait pris sa recommandation qui aurait été adressée le jour même au ministre de la Sécurité sociale. En octobre 2018, le règlement grand-ducal aurait être présenté au Grand-

Duc pour signature. L’urgence aurait été invoquée puisque l’entrée en vigueur de la tarification prévue par le règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 aurait dû aller de pair avec l’autorisation ministérielle à délivrer aux services nationaux de pédiatrie spécialisée et d’urgence pédiatrique afin d’assurer au plus vite le bon fonctionnement de ces services de santé publique. La mise en vigueur de la nouvelle tarification garantirait une meilleure prise en charge des enfants dans les urgences des hôpitaux. Enfin, l’urgence serait motivée de manière explicite dans l’acte de présentation du projet de règlement au Grand-Duc, soumis au tribunal.

Les demandeurs contestent l’existence de toute urgence dans le contexte de l’adoption du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018. Ils soutiennent que les règlements grand-ducaux portant modification de la nomenclature seraient par habitude chaque fois pris sous le bénéficie d'une prétendue « urgence auto-cuisinée ». Ils se réfèrent à la jurisprudence des juridictions administratives pour affirmer que l'urgence permettant un raccourci dans le dispositif législatif devrait être appréciée avec sévérité.

Cependant, en l'espèce, le règlement grand-ducal déféré ne contiendrait pas en lui-même d'indications qui seraient de nature à asseoir l'urgence. Ainsi, si la partie étatique tente d’asseoir l'urgence sur le fait que l'entrée en vigueur du règlement grand-ducal déféré devrait aller de pair avec l'autorisation ministérielle à délivrer aux services nationaux de pédiatrie spécialisée et d'urgence pédiatrique, afin d'assurer au plus vite le bon fonctionnement de ces services de santé publique, il résulterait toutefois, des propres pièces de la partie étatique que les services nationaux dont question n’auraient été attribués que fin février 2019. Par ailleurs, le bon fonctionnement de ces services n’aurait nullement dépendu de la mise en place de tarifs préférentiels. Ceci serait d'autant plus vrai que la partie étatique aurait elle-même précisé que sous l'ancien plan hospitalier, soit dès avant l’adoption du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018, voire même de la loi du 8 mars 2018, le CHL aurait déjà exploité les services nationaux de néonatologie intensive, de soins intensifs pédiatriques, de chirurgie infantile et de psychiatrie infantile. Ce serait d'ailleurs dans ce sens que l'Etat aurait justifié les tarifs préférentiels mis en place à l'époque par un règlement grand-ducal du 27 novembre 2015 au profit des pédiatres agréés au sein du CHL.

Selon les demandeurs, il résulterait ensuite de la note à l'attention de son Altesse Royale le Grand-Duc, versée en cause par la partie étatique, que l'urgence serait motivée « par le fait que les dispositions garantissent une meilleure prise en charge des patients dans les urgences des hôpitaux ». Cette motivation qui ne serait pas de nature à asseoir une quelconque urgence, serait encore contraire à la réalité. Les demandeurs soulèvent la question de savoir dans quelle mesure l'instauration d'une tarification préférentielle en faveur des pédiatres travaillant au sein du CHL, garantirait une meilleure prise en charge des enfants. Les demandeurs signalent encore que la note adressée au Grand-Duc viserait les urgences des hôpitaux, alors même que les urgences d'un seul hôpital seraient les bénéficiaires de ces nouvelles tarifications.

Les demandeurs concluent au défaut de toute urgence en l'espèce et donc à l’annulation du règlement entrepris.

Dans le cadre de son mémoire en duplique, la partie étatique conteste que l'urgence aurait été « auto-cuisinée » par le pouvoir exécutif. Elle affirme à cet égard que la loi du 8 mars 2018 serait entrée en vigueur le 1er mai 2018. Le 30 juillet 2018, le CHL aurait introduit une demande d'exploitation de différents services nationaux. Le 10 octobre 2018, le Collège médical aurait rendu son avis et la Commission permanente pour le secteur hospitalier aurait donné le sien le 15 février 2019. Le 28 février 2019, le ministre de la Santé aurait autorisé le CHL à héberger notamment le service national de pédiatrie spécialisée et le service national d'urgence spécialisée. Entretemps, la Commission de nomenclature se serait réunie à plusieurs reprises pour discuter de la prise en charge des actes et services réalisés par le service national de pédiatrie et elle aurait émis une recommandation circonstanciée quant aux actes à inscrire dans la nomenclature, ainsi qu’aux coefficients correspondants à ces actes en date du 28 septembre 2018. La partie étatique se réfère à l’article 65, alinéa 13 du code de la sécurité sociale selon lequel la modification du coefficient d'un acte ou service figurant dans la nomenclature devrait intervenir avant le 1er décembre et ne prendrait effet que le 1er janvier de l'exercice suivant. Tel serait le cas des actes 0590 et suivants. Or, la volonté exprimée dans la recommandation circonstanciée de la Commission de nomenclature aurait été que la mise en vigueur du règlement grand-ducal coïncide avec l'autorisation ministérielle délivrée au service national en vertu de la loi hospitalière. Enfin, le délégué du gouvernement souligne que les nomenclatures en la matière seraient déterminées par règlement grand-ducal sur base d'une recommandation circonstanciée de la Commission de nomenclature.

A titre liminaire, le tribunal précise que la loi modifiée du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat sur laquelle les demandeurs fondent leur argumentation a été abrogée par la loi du 16 juin 2017 sur l’organisation du Conseil d’Etat, désignée ci-après par « la loi du 16 juin 2017 ». Cette dernière loi prévoit en son article 1er, paragraphe 1er une disposition dont la teneur est similaire à celle de l’ancien article 2, paragraphe 1 de la loi modifiée du 12 juillet 1996 invoquée par les demandeurs, de sorte que le tribunal est amené à admettre que le moyen afférent des demandeurs vise une violation de l’article 1er, paragraphe 1er de la loi du 16 juin 2017.

Aux termes dudit article 1er (1) de la loi du 16 juin 2017 : « Le Conseil d’État donne son avis sur tout projet ou proposition de loi ainsi que sur tout amendement afférent et sur tout projet de règlement grand-ducal pris pour l’exécution des lois et des traités.

(…) Sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand-Duc si la loi n’en dispose pas autrement, aucun règlement pour l’exécution des lois et des traités ne peut être pris par le Grand-Duc qu’après que le Conseil d’État a été entendu en son avis. (…) ».

Il se dégage de cette disposition légale qu’un règlement grand-ducal ne peut être pris qu’après que le Conseil d’Etat a été entendu en son avis, sauf le cas d’urgence ou encore si la loi en dispose autrement.

Le juge administratif, saisi d’un recours tendant à l’annulation d’un acte administratif à caractère réglementaire, fondé sur l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, est appelé à vérifier notamment si, dans le cadre de la procédure d’élaboration du règlement grand-ducal, le casd’urgence inscrit à l’article 1er, paragraphe 1er, de la loi du 16 juin 2017 a pu être invoqué. Il appartient dans ce contexte à la partie publique de soumettre à la juridiction administrative les éléments de motivation soumis au Grand-Duc à l’appui de l’urgence invoquée aux fins de vérification par la juridiction1.

En l’espèce, il est constant que le règlement grand-ducal déféré du 27 octobre 2018 n’a pas été soumis à l’avis du Conseil d’Etat, alors même qu’aucune loi ne prévoyait une telle dispense, de sorte qu’il appartient au tribunal de vérifier si l’urgence a pu être invoquée en application de l’article 1er, paragraphe 1er de la loi du 16 juin 2017.

Quant à l’explication de cette absence de consultation du Conseil d’Etat, il ressort d’un document intitulé « Note à l’attention de Son Altesse Royale Le Grand-Duc » du 18 octobre 2018, versé en cause par la partie étatique que : « L’urgence invoquée en faveur de ce projet de règlement grand-ducal est motivée par le fait que les dispositions garantissent une meilleure prise en charge des patients dans les urgences des hôpitaux. ». Dans le cadre de son mémoire en duplique, la partie étatique a encore renvoyé à la recommandation de la Commission de nomenclature du 28 septembre 2018 selon laquelle « la mise en vigueur du présent règlement grand-ducal devrait être en phase avec l’autorisation ministérielle à délivrer au service national d’urgence pédiatrique prévu au niveau de la Loi du 08 mars 2018 relative aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière ».

Face à ces explications, le tribunal constate de prime abord que la note soumise au Grand-Duc datée au 18 octobre 2018 allègue de manière purement affirmative que le règlement grand-ducal projeté permettrait de garantir une meilleure prise en charge des patients dans les urgences des hôpitaux, de sorte qu’il y aurait urgence, sans avancer une quelconque explication relative aux raisons pour lesquelles ledit règlement grand-ducal participerait à une meilleure prise en charge des patients et surtout sans expliquer les causes de l’urgence invoquée pour se soustraire à l’avis du Conseil d’Etat.

Le tribunal constate encore que si la partie étatique affirme à juste titre que (i) la loi du 8 mars 2018 a introduit les services hospitaliers nationaux dont notamment le service national d’urgence pédiatrique dans le souci d’assurer une meilleure prise en charge des patients dans les urgences des hôpitaux2, (ii) la Commission de nomenclature a préconisé une entrée en vigueur du règlement grand-ducal déféré en phase avec l’autorisation ministérielle à délivrer au service national d’urgence pédiatrique et, enfin (iii) l’article 65, alinéa 13 du Code de la Sécurité sociale prévoit que : « La modification du coefficient d’un acte ou service figurant dans la nomenclature doit intervenir avent le 1er décembre et ne prend effet que le 1er janvier de l’exercice suivant. », les développements de la partie étatique ne permettent, toutefois, pas d’expliquer pour quelle raison le défaut d’entrée en vigueur avant le 1er décembre 2018 d’une modification du règlement grand-ducal sur la nomenclature et la tarification des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie aurait empêché le fonctionnement du service national d’urgence pédiatrique, ni d’ailleurs, les conséquences, le cas échéant négatives, impliquées par une entrée en vigueur postérieure au 1er décembre 2018 dudit règlement grand-ducal. D’ailleurs, il ressort des documents soumis au tribunal que 1 Cour adm. 12 octobre 2006, n° 20513C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Lois et règlements, n° 122 et autres références y citées.

2 voir doc. parl. n°7056, concernant le projet de loi relatif aux établissements hospitaliers et à la planification hospitalière, exposé des motifs, p.45 : « L’objectif de la planification hospitalière est de concentrer certaines compétences et services avec comme but d’améliorer la qualité des soins de santé, mais aussi d’utiliser les ressources hospitalières de manière optimale ».l’autorisation du ministre de la Santé à délivrer au service national d’urgence pédiatrique, dont la Commission des nomenclatures a affirmé qu’elle « devrait être en phase » avec l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal litigieux, n’est intervenue qu’en date du 28 février 2019.

Quant au décalage temporaire entre cette décision du 28 février 2019 et l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal le 9 novembre 2018, et les éventuelles conséquences en découlant, la partie étatique n’a toutefois pas non plus fourni d’explication en cause.

Par ailleurs, il échet de noter que même si la loi du 8 mars 2018 n’a été publiée que le 28 mars 2018 et n’est entrée en vigueur que le 1er avril 2018, elle a été signée à la date dudit 8 mars 2018, de sorte que la nécessité d’élaborer une modification du règlement grand-ducal du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie était connue par le pouvoir exécutif au plus tard à la date du 8 mars 2018. Si la Commission des nomenclatures a ensuite mis jusqu’au 28 septembre 2018 pour dresser sa recommandation circonstanciée et si, tel que la partie étatique l’affirme dans son mémoire en réponse, le projet de règlement grand-ducal n’a été préparé et présenté au Grand-Duc pour signature qu’en octobre 2018, ce délai est entièrement imputable aux procédures internes de la Commission des nomenclatures, voire, de manière plus générale du pouvoir exécutif lui-même, et ne saurait partant en aucun cas valoir comme justification pour invoquer une urgence dans le cadre de la procédure d’adoption du règlement grand-ducal litigieux.

Enfin, force est encore au tribunal de constater que l’avis de la Commission de nomenclature a été émis le 28 septembre 2018, de sorte que même à admettre une certaine nécessité de voir entrer rapidement en vigueur le règlement grand-ducal litigieux, il subsistait un délai de deux mois avant le 1er décembre 2018, de sorte que le pouvoir exécutif aurait du moins pu tenter de saisir le Conseil d’Etat tout en lui expliquant l’urgence de la situation et en demandant la célérité de son intervention. Un recours à la procédure d’urgence aurait toujours pu être envisagé dans l’hypothèse d’un retard de l’avis du Conseil d’Etat, mais il ne saurait être admis que la partie étatique n’a même pas tenté d’obtenir l’avis de ce dernier3.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’à défaut de justification de l’urgence invoquée à la base de l’adoption du règlement grand-ducal du 27 octobre 2018, celui-ci a été pris en violation de l’article 1er, paragraphe 1er de la loi du 16 juin 2017, de sorte qu’il encourt l’annulation pour violation de la loi conformément à l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, sans qu’il y ait besoin d’analyser les autres moyens d’annulation invoqués par les parties demanderesses, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule le règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 modifiant le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 1998 arrêtant la nomenclature des actes et services des médecins pris en charge par l’assurance maladie ;

3 voir dans le même sens : Cour adm. 17 juin 2010, n° 26753C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Lois et règlements, n° 123 dit que le présent jugement est à publier dès qu’il sera coulé en force de chose jugée conformément à l’article 7 (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise EBERHARD, vice-président, Daniel WEBER, premier juge, Michèle STOFFEL, premier juge, et lu à l’audience publique du 9 novembre 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 novembre 2020 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 42321
Date de la décision : 09/11/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-11-09;42321 ?

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