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23/10/2020 | LUXEMBOURG | N°42995

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 octobre 2020, 42995


Tribunal administratif N° 42995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2019 4e chambre Audience publique du 23 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Défense en matière de stage

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42995 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 mai 2019 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, fonctionnaire, demeurant à L-

…, tendant à l’annulation d'

une décision du ministre de la Défense du 1er avril 2019 portant sur la fin du stage d’officie...

Tribunal administratif N° 42995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2019 4e chambre Audience publique du 23 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Défense en matière de stage

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42995 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 mai 2019 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, fonctionnaire, demeurant à L-

…, tendant à l’annulation d'une décision du ministre de la Défense du 1er avril 2019 portant sur la fin du stage d’officier de l’armée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 août 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel Baulisch et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 2020.

______________________________________________________________________________

Par information adressée au « chef d’Etat-Major » en date du 23 septembre 2014, le major …, chef de corps a.i. du Bataillon de Chasseurs à Cheval de Heverlee/Belgique, communiqua les résultats obtenus par le sous-lieutenant … à l’issue de sa formation professionnelle « officier des Ground Reconnaissance ». Il se dégage de cette information qu’au regard de ces résultats, il conviendrait de retenir que le sous-lieutenant … n’avait pas réussi sa formation professionnelle « Officier Recce ».

Le 26 septembre 2014, le colonel …, en sa qualité de commandant du Centre militaire, s’adressa au Général, chef d’Etat-Major de l’Armée luxembourgeoise, pour lui demander d’intervenir auprès du ministre de la Défense, dénommé ci-après « le ministre », afin qu’il soit mis fin au stage de Monsieur ….

Par lettre du 6 octobre 2014, le ministre informa Monsieur … de ce qu’après son double échec à l’école d’application, son « maintien dans l’Armée n’est pas possible à l’issue de votre stage, qui est arrivé à échéance le 30 septembre 2014 ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2015, inscrite sous le numéro 35668 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision du « ministère des affaires étrangères et européennes – direction de la défense » du 6 octobre 2014 portant sur son élimination définitive de l’armée ; 2) de la « décision » du commandant du Centre militaire du 26 septembre 2014 et 3) de la « décision » du chef de corps du Bataillon de Chasseurs à Cheval de Heverlee du 23 septembre 2014. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 35669 du rôle, il fît solliciter le sursis à exécution de ces trois actes critiqués dans le cadre du recours au fond, en attendant l’issue de son recours au fond.

Par ordonnance du 20 janvier 2015, inscrite sous le numéro 35669 du rôle, le président du tribunal administratif rejeta la demande en institution d’un sursis à exécution pour ne pas être justifiée, au motif que la preuve d’un préjudice grave et définitif n’était pas rapportée en cause, indépendamment du caractère sérieux des moyens invoqués en cause.

Par jugement du 7 octobre 2015, inscrit sous le numéro 35668 du rôle, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre un acte du 23 septembre 2014 du major du Bataillon de Chasseurs à Cheval de l’armée belge suivant lequel « il n’a pas réussi sa formation professionnelle Officier Recce », un acte du commandant du Centre militaire de l’armée luxembourgeoise du 26 septembre 2014, par lequel le ministre a été prié de mettre un terme au stage de Monsieur … et une décision du ministre du 6 octobre 2014 décidant que le stage de Monsieur … était arrivé à échéance le 30 septembre 2014, entraînant que son maintien dans l’armée n’était pas possible à l’issue dudit stage, reçut en la forme le recours subsidiaire en annulation en ce qu’il a été dirigé contre la décision du ministre du 6 octobre 2014 en le déclarant irrecevable pour le surplus, déclara irrecevable la demande tendant à la communication d’informations quant à une procédure pendante en Belgique et, avant tout autre progrès en cause, soumit à la Cour constitutionnelle une question de la teneur suivante : « L’article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire, telle que modifiée par la loi du 21 décembre 2007, en ce qu’il habilite le pouvoir réglementaire à prendre un règlement grand-ducal afin de déterminer les modalités concernant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des officiers, des sous-officiers, du personnel militaire de carrière de la musique militaire, des caporaux, des infirmiers diplômés ainsi que des membres de la section de sports d’élite de l’armée tout en renvoyant en ce qui concerne le stage à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, est-il conforme aux articles 96 et 32, paragraphe 3 de la Constitution ? ».

La Cour constitutionnelle, après avoir recadré la question préjudicielle lui soumise par le jugement précité du tribunal administratif du 7 octobre 2015 pour lui donner la teneur suivante :

« L’article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire, tel que modifié par la loi du 21 décembre 2007, en ce qu’il habilite le pouvoir réglementaire à prendre un règlement grand-ducal afin de déterminer les modalités concernant les conditions du stage des officiers de l’armée, tout en renvoyant, en ce qui concerne le stage, à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, est-il conforme aux articles 96 et 32, paragraphe 3, de la Constitution ? », décida, dans son arrêt du 11 mars 2016, inscrit sous le numéro 00121 de son registre, que l’article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire, ci-après désignée par « la loi du 23 juillet 1952 », modifiée par la loi du 21 décembre 2007 et renvoyant à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, n’est pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution, en ce qu’il ne précise ni les fins, conditions et modalités du déroulement du stage des officiers, soit au Luxembourg, soit à l’étranger, ni celles de l’examen de fin de stage.

Après avoir rappelé que par le jugement précité du tribunal administratif du 7 octobre 2015, le recours n’avait été déclaré recevable qu’en ce qui concerne la seule décision prise par le ministre en date du 6 octobre 2014, libellée comme suit : « (…) je suis au regret de vous confirmer que, conformément à l’article 4.2.h) du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des officiers de l’Armée, qui stipule qu’en cas de double échec à l’école d’application « un nouvel échec entraîne l’élimination définitive du candidat », votre maintien dans l’Armée n’est pas possible à l’issue de votre stage, qui est arrivé à échéance le 30 septembre 2014 », et que le tribunal avait encore retenu dans le jugement précité que le courrier en question contenait deux éléments décisionnels distincts, de nature à affecter directement la situation personnelle et patrimoniale du demandeur, en ce que le ministre avait clairement exprimé sa volonté de mettre un terme à l’engagement du demandeur au sein de l’armée luxembourgeoise, après avoir constaté l’échec de celui-ci à sa formation professionnelle, et après avoir constaté que la Cour constitutionnelle a décidé que l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire, telle que notamment modifiée par une loi du 21 décembre 2007, qui constituait la seule base légale sur le fondement de laquelle a été pris le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des officiers de l’Armée, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 », tout en renvoyant à la loi précitée du 16 avril 1979, n’était pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution, en ce qu’il ne précise ni les fins, conditions et modalités du déroulement du stage des officiers, soit au Luxembourg, soit à l’étranger, ni celles de l’examen de fin de stage, le tribunal de céans décida, dans un jugement du 3 février 2017, inscrit sous le numéro 35668a du rôle, qu’en application de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle, l’article 10 de la loi précitée du 23 juillet 1952 n’a pas pu servir de base légale au règlement grand-ducal du 25 janvier 2011, en application duquel a été prise la décision précitée du 6 octobre 2014. Ainsi, et en application de l’article 95 de la Constitution, le tribunal administratif écarta l’application du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 en refusant de l’appliquer dans le cas concret, au motif qu’il avait été pris sur base d’une disposition habilitante non conforme à la Constitution, de sorte qu’il y avait lieu d’en retenir l’illégalité. Or, comme ledit règlement grand-ducal, et plus particulièrement son article 4.2.h) constituait le seul fondement de la décision précitée du 6 octobre 2014, et au vu de l’illégalité du règlement grand-ducal ainsi constatée et du fait qu’aucune autre base légale ou réglementaire n’était de nature à justifier la décision en question, le tribunal procéda à l’annulation de la décision précitée du 6 octobre 2014.

Les jugements précités du tribunal administratif des 7 octobre 2015 et 3 février 2017, inscrits respectivement sous les numéros 35668 et 35668a du rôle, furent confirmés sur appel par un arrêt de la Cour administrative du 22 juin 2017, inscrit sous le numéro 39175C du rôle.

En date du 1er septembre 2017, le ministre envoya à Monsieur … un courrier de la teneur suivante :

« (…) Par arrêt en date du 22 juin 2017 (n° 39175C du rôle), la Cour administrative a statué sur l’appel relevé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre deux jugements rendus par le tribunal administratif les 7 octobre 2015 et 3 février 2017 (n° 35668 et n° 35668a du rôle) concernant votre situation administrative d’officier-stagiaire.

La Cour a ainsi confirmé les jugements du tribunal administratif et par conséquent l’annulation du courrier ministériel en date du 6 octobre 2014, lequel a été qualifié de décision administrative.

Il s’ensuit de cette annulation que la décision administrative précitée n’existe plus et est réputée n’être jamais intervenue.

A titre récapitulatif, il y a lieu de relever que votre stage a été prolongé à deux reprises.

La dernière prolongation de votre stage a expiré le 30 septembre 2014.

En l’absence d’une nomination subséquente, le Ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative et moi-même tenons à vous informer, que votre stage est venu à échéance de plein droit en date du 30 septembre 2014 (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2017, inscrite sous le numéro 40339 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er septembre 2017 qui, d’après lui, aurait refusé de respecter « deux décisions de justice rendues en l’occurrence par le Tribunal administratif et la Cour administrative ». Le recours dirigé contre cette décision du 1er septembre 2017 a été déclaré recevable et fondé par un jugement du tribunal administratif du 5 février 2019, inscrit sous le n° 40339 du rôle, qui a retenu qu’en réitérant sa décision portant sur l’échec du demandeur à sa formation professionnelle, de sorte à devoir retenir ainsi la fin de son stage au sein de l’armée luxembourgeoise, sans fournir une base légale ou réglementaire valable à l’appui de la décision en question et sans motiver sa décision par des éléments factuels de nature à la sous-tendre, la décision ministérielle du 1er septembre 2017 devra encourir l’annulation.

Par décision du 1er avril 2019, le ministre s’adressa à Monsieur … comme suit :

« (…) Par jugement du 5 février 2017 (n° 40339 du rôle), le tribunal administratif a considéré « qu'en réitérant sa décision portant sur l'échec du demandeur à sa formation professionnelle, de sorte à devoir retenir ainsi la fin de son stage au sein de l'armée luxembourgeoise, sans fournir une base légale ou réglementaire valable à l'appui de la décision en question et sans fournir à l'appui de sa décision des éléments factuels de nature à la sous-

tendre, la décision ministérielle du 1er septembre 2017 encourt l'annulation ».

Au vu de ce qui précède, je suis au regret de vous informer que conformément à l'article 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat et suite aux deux échecs successifs à votre formation de fin de stage, votre stage est venu à expiration le 30 septembre 2014. A cet égard, je souligne tout d'abord que l'intégralité des arrêtés se rapportant à votre stage (admission, prolongation) ont été pris sur base de l'article 2 de la loi précitée du 16 avril 1979. Par ailleurs, l'applicabilité de la loi modifiée de 1979, dite « statut du fonctionnaire » en matière de statut du personnel militaire a été consacré par la Cour administrative dans un arrêt du 29 octobre 2009 (n° 25562C) et confirmé par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (Arrêt n° 108/13 du 29 novembre 2013).

Concrètement, en ce qui concerne la prolongation du stage, les alinéas 7 et 8 et 9 de l'article 2, paragraphe 3 de la loi modifiée de 1979 disposent que « le stage peut être prolongé pour une période s'étendant au maximum sur douze mois : (…) b) en faveur du stagiaire qui a subi un échec à l'examen de fin de stage. Dans ce cas, le stagiaire devra se présenter de nouveau à l'examen. Un nouvel échec entraîne l'élimination définitive du candidat ». Je précise à cet égard que la conformité à la Constitution de la manière dont la loi précitée de 1979 attache des effets à un deuxième échec n'a nullement été remise en question par l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2016, intervenu dans la présente affaire.

Je tiens à rappeler que suite à votre premier échec, mon prédécesseur, Monsieur le Ministre Etienne Schneider, a fait usage de son pouvoir discrétionnaire pour prolonger votre stage, vous autorisant par ce biais de refaire votre formation de fin de stage. Au vu de votre deuxième échec et à la lumière des termes clairs de l'article précité (« un nouvel échec entraîne l'élimination définitive du candidat »), la loi n'attribue au ministre ni la compétence, ni l'autorité de prolonger le stage une nouvelle fois. De même, il ne peut pas être procédé à votre nomination, étant donné que vous ne remplissez pas les conditions légalement requises, à savoir la réussite de l'examen de fin de stage.

Je regrette donc de vous confirmer votre élimination définitive, qui résulte de plein droit du texte législatif en vigueur (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 mai 2019, inscrit sous le numéro 42994 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la nomination d'un commissaire spécial afin de prendre la décision en lieu et place du ministre de la Défense, recours qui a été rejeté par un jugement du tribunal administratif du 6 décembre 2019, lequel fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 9 avril 2020, inscrit sous le numéro 43957C du rôle.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 42995 du rôle, Monsieur … a encore fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er avril 2019 portant sur la fin de son stage d’officier de l’armée.

Etant donné qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire attribuant aux juridictions administratives un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle litigieuse du 1er avril 2019, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur retrace, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base du litige sous examen, en faisant état de ses recours contentieux du 5 janvier 2015 contre la décision ministérielle du 6 octobre 2014 et du 3 novembre 2017 contre la décision du ministre du 1er septembre 2017, ayant débouché sur un arrêt de la Cour administrative du 22 juin 2017, inscrit sous le numéro 39175C du rôle, respectivement sur un jugement du tribunal administratif du 5 février 2019, inscrit sous le numéro 40339 du rôle, qui ont à chaque fois annulé les décisions ministérielles leur déférées. Malgré ces décisions de justice coulées en force de chose jugée devant s’imposer au ministre, ce dernier, par le biais de la décision litigieuse du 1er avril 2019, aurait, de nouveau, retenu que le stage militaire de Monsieur … serait venu à échéance.

Quant au fond, le demandeur rappelle, tout d’abord, que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt, précité, du 11 mars 2016, avait déclaré que l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952 n’est pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution, Monsieur … précisant encore, dans ce contexte, qu’uniquement une norme législative devrait fixer les conditions et modalités du déroulement du stage des officiers. Or, en l’espèce, le ministre n’aurait pas eu l’intention de « se conformer aux décisions de justice rendues dans la présente affaire », en ce qu’il reviendrait, à l’heure actuelle, de nouveau sur son argumentation antérieure suivant laquelle « le stage serait venu à échéance de plein droit » et ce, alors même que les juridictions administratives auraient déjà traité cette question dans leurs décisions précitées des 7 octobre 2015 et 22 juin 2017. Il reproche ainsi au gouvernement de ne pas respecter le principe de l’autorité de chose jugée attachée aux décisions juridictionnelles précitées, alors que le constat de l’expiration de plein droit de son stage se baserait « implicitement mais nécessairement » sur une non-réussite de sa formation, ce qui serait d’ailleurs formellement contesté. Il y aurait partant lieu d’annuler la décision précitée du 1er avril 2019 pour violation de l’autorité de la chose jugée, sinon pour violation de l’article 2, paragraphe (4) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ».

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il y a, tout d’abord, lieu de rappeler que l’autorité de la chose jugée est attachée au jugement pour éviter toute remise en cause de la vérification juridictionnelle opérée par la première juridiction. Pour que l’autorité de la chose jugée puisse être invoquée, il ne suffit pas que les mêmes parties agissent en la même qualité dans les deux instances, encore faut-il que la « chose demandée » soit identique. Finalement, l’article 1351 du Code civil exige, outre l’identité de parties et d’objet, que les demandes soient fondées sur la même cause.

Force est au tribunal de constater que le demandeur n’invoque pas la présomption de l’article 1351 du Code civil pour l’imposer au tribunal dans l’affaire dont ce dernier est actuellement saisi pour que celui-ci se conforme à ses décisions prises antérieurement, mais exige du tribunal de sanctionner la partie étatique pour ne pas avoir respecté l’autorité de la chose jugée découlant des décisions juridictionnelles antérieures des 7 octobre 2015 et 22 juin 2017.

Or, il y a lieu de relever qu’il n’a pas été retenu par les juridictions administratives que le ministre ne serait pas fondé à décider de mettre fin au stage de Monsieur …, respectivement de constater la fin du stage de ce dernier, mais uniquement que le ministre ne pouvait pas valablement se baser sur le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 pour ce faire, dans la mesure où ledit règlement a été pris sur base d’une disposition législative jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle dans son arrêt précité du 11 mars 2016.

Etant donné qu’il ressort de la lecture de la décision déférée, ensemble les explications du délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, que le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 n’est plus invoqué comme base légale, le ministre n’a pas violé l’autorité de la chose jugée des décisions juridictionnelles des 7 octobre 2015 et 22 juin 2017 pour avoir changé la cause juridique1.

Il s’ensuit que le moyen du demandeur basé sur une violation, par la décision déférée du 1er avril 2019, de l’autorité de la chose jugée découlant du jugement du 7 octobre 2015, respectivement de l’arrêt du 22 juin 2017, est à rejeter pour manquer de fondement.

En ce qui concerne le moyen de Monsieur … selon lequel le ministre, à travers la décision litigieuse du 1er avril 2019, aurait violé l’article 2, paragraphe (4) de la loi du 7 novembre 1996, aux termes duquel « Lorsque le jugement ou l’arrêt annule la décision attaquée, l’affaire est renvoyée en cas d’annulation pour incompétence devant l’autorité compétente et, dans les autres cas, devant l’autorité dont la décision a été annulée, laquelle, en décidant du fond, doit se conformer audit jugement ou arrêt », il y a, à titre liminaire, lieu de relever que ladite disposition est une application concrète du principe de l’autorité de la chose jugée, en ce que l’autorité administrative appelée, après l’annulation de sa décision, à statuer à nouveau, doit se conformer aux jugements, respectivement arrêts afin de ne pas reproduire les causes d’annulation précédemment retenues.

Force est encore de rappeler que les décisions ministérielles des 6 octobre 2014 et 1er septembre 2017 constatant la fin du stage de Monsieur …, avaient, à chaque fois, étaient annulées par les juridictions administratives, au motif que le ministre était resté en défaut d’invoquer une base législative, respectivement réglementaire valable, de sorte que le renvoi du dossier à l’autorité compétente impliquait pour celle-ci l’obligation de reprendre une décision quant au stage du demandeur et d’indiquer formellement les motifs légaux la sous-tendant, sans cependant se fonder sur l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952, ainsi que sur l’article 4.2.h) du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des officiers de l’Armée, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 », ledit article 10 ayant été déclaré contraire aux dispositions combinées de l’article 32, paragraphe (3) et 96 de la Constitution par un arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2016, inscrit sous le numéro 00121, obligeant le tribunal administratif, dans son jugement, précité du 3 février 2017, à retenir, conformément à l’article 95 de la Constitution, l’illégalité du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 pour défaut de base légale habilitante. En ce qui concerne la décision ministérielle du 1er septembre 2017, le ministre était resté en défaut d’invoquer une quelconque base légale, ce qui a conduit le tribunal administratif à sanctionner cette irrégularité formelle par une annulation de cette dernière à travers son jugement du 5 février 2019, inscrit sous le numéro 40339 du rôle, tout en lui renvoyant à nouveau le dossier.

1 Par analogie, Trib. Adm., 30 juin 2008, n° 23537 du rôle, conf. par Cour adm., 23 octobre 2008, n° 24652C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse n° 944 et les autres références y citées.

Force est au tribunal de constater que le ministre, dans la décision déférée du 1er avril 2019 motive son constat concernant la fin du stage militaire de Monsieur … en se référant à l’article 2, paragraphe 3, alinéa 4 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 16 avril 1979 », ainsi qu’aux alinéas 7, 8 et 9 du même paragraphe pour relever que le stage d’un fonctionnaire a lieu pour une durée déterminée, susceptible de faire l’objet d’un prolongement sous réserve des conditions y légalement prévues, qui établiraient dans le chef du ministre un pouvoir discrétionnaire à cet égard. En outre, en application desdites dispositions légales, il y aurait lieu de constater qu’en cas de « nouvel échec » aux épreuves de fin de stage, il en découlerait comme conséquence automatique que le fonctionnaire en question devrait être écarté de la carrière convoitée par lui, sans que le ministre ne dispose d’une quelconque marge d’appréciation à cet égard.

Le ministre s’est, par ailleurs, référé au paragraphe 2 de l’article 38 de la loi du 16 avril 1979 suivant lequel cesserait également ses fonctions, le fonctionnaire-stagiaire dont le stage ne serait pas prorogé ou qui, à l’issue du stage, n’obtiendrait pas de nomination définitive, le ministre ayant, dans ce cadre, encore constaté que Monsieur … ne remplirait pas les conditions légales requises, à savoir la réussite de l’examen de fin de stage, pour pouvoir rester dans l’armée.

Dans la mesure où le ministre a indiqué, dans la décision litigieuse, les considérations tant factuelles que juridiques, autres que celles se basant sur le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 - éléments que le demandeur est resté en défaut de remettre en cause d’une quelconque manière à travers le recours sous examen - il y a lieu de retenir que le ministre s’est conformé aux jugements et arrêt précédemment rendus entre parties par les juridictions administratives, de sorte que le moyen d’annulation tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe (4) de la loi du 7 novembre 1996 encourt le rejet pour manquer de fondement.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en annulation sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige la demande en allocation d’une indemnité de procédure, d’un montant de 15.000 euros, formulée par Monsieur … est à rejeter comme non fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation de la décision du ministre de la Défense du 1er avril 2019 en la forme ;

au fond, déclare le recours en annulation non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Monsieur … d’un montant de 15.000 euros ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 octobre 2020 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2020 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 42995
Date de la décision : 23/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-10-23;42995 ?

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