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21/10/2020 | LUXEMBOURG | N°44919

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 octobre 2020, 44919


Tribunal administratif N° 44919 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2020 3e chambre Audience publique du 21 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44919 du rôle et déposée le 25 août 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Katrin DJABER, avocat à la Cour, assistée de Maître Marcel MARIGO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Mauritanie), de national...

Tribunal administratif N° 44919 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2020 3e chambre Audience publique du 21 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44919 du rôle et déposée le 25 août 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Katrin DJABER, avocat à la Cour, assistée de Maître Marcel MARIGO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Mauritanie), de nationalité mauritanienne, alias …, né le …, de nationalité sénégalaise, alias …, né le …, de nationalité sénégalaise, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 août 2020 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en sa plaidoiries à l’audience publique du 7 octobre 2020.

Le 13 juillet 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée et police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC, qu’il a déposé une demande de protection internationale en Suisse le 23 décembre 2014, en Belgique le 26 mai 2015 et le 26 janvier 2017, en Allemagne les 23 mai et 26 septembre 2016, et aux Pays-Bas le 29 janvier 2017.

Toujours le 13 juillet 2020, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE)n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 20 juillet 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 18, paragraphe (1), d), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités néerlandaises en date du 28 juillet 2020.

Par décision datée au 10 août 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », sur base de la considération que les autorités néerlandaises ont accepté de prendre/reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et de l’article 18, paragraphe (1), d), du règlement Dublin III. Ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 13 juillet 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 13 juillet 2020 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 13 juillet 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 13 juillet 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit six demandes de protection internationale, dont une en Suisse en date du 23 décembre 2014, deux en Belgique en date du 26 mai 2015 et du 26 janvier 2017, deux en Allemagne en date du 23 mai 2016 et du 26 septembre 2016 et une aux Pays-Bas en date du 29 janvier 2017.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 13 juillet 2020.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 20 juillet 2020 une demande de reprise en charge aux autorités néerlandaises sur base de l’article 18(1)d du 2 règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 28 juillet 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 13 juillet 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit six demandes de protection internationale, dont une en Suisse en date du 23 décembre 2014, deux en Belgique en date du 26 mai 2015 et du 26 janvier 2017, deux en Allemagne en date du 23 mai 2016 et du 26 septembre 2016 et une aux Pays-Bas en date du 29 janvier 2017.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Mauritanie en 2009 en direction du Sénégal où vous auriez travaillé dans la construction jusqu’en 2014. Ensuite, vous auriez payé environ 2 000 000 CFA (3049 Euros) pour des faux documents de voyage et vous auriez pris un vol en direction de Genève en Suisse, en faisant escale à Bruxelles. Vous avez déposé une demande de protection internationale en Suisse qui aurait été rejetée. Vous seriez parti en direction de la Belgique sans faire recours contre la décision des autorités suisses. Vous auriez vécu pendant un an en Belgique et vous y avez déposé une nouvelle demande de protection internationale qui aurait été rejetée parce que les autorités belges auraient considéré que la Suisse serait responsable pour le traitement de votre demande. En mai 2015, vous vous seriez rendu en Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale qui aurait 3 été rejetée pour les mêmes raisons que votre demande en Belgique. Vous auriez été transféré en Suisse en septembre 2016. Après quelques jours, vous seriez reparti en direction de l’Allemagne où vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale. Après quatre mois, vous seriez allé en Belgique où vous auriez séjourné pendant quelques jours et introduit une demande de protection internationale. Ensuite, vous auriez continué votre voyage aux Pays-Bas où vous avez introduit votre sixième demande de protection internationale. Vous y auriez vécu à partir de janvier 2017 jusqu’à votre départ en direction du Luxembourg où vous seriez arrivé en date du 10 juillet 2020.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 13 juillet 2020, vous avez fait mention d’être asthmatique.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liées à la Charte UE, et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte) (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités néerlandaises auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les 4 juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv.

torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête inscrite sous le numéro 44919 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2020, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 10 août 2020.

En vertu de l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … se prévaut en premier lieu d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après la « CEDH » et del’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », en raison d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants aux Pays-Bas, dans la mesure où il y serait contraint de vivre dans la rue, le demandeur se basant à cet égard sur un courrier du 2 juillet 2020 du « Centraal Orgaan opvang asielzoejers ». Il indique encore être asthmatique et être, de ce fait, considéré comme une personne vulnérable, sinon à risque, au regard de la situation sanitaire mondiale actuelle.

Le demandeur conclut ensuite à une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III compte tenu de sa situation humanitaire exceptionnelle justifiant l’application de l’article en question, le demandeur avançant de nouveau son état de santé et le risque accrue d’une « contamination » dès son arrivée aux Pays-Bas.

Monsieur … prétend ensuite que la décision ministérielle litigieuse aurait été prise en violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III à défaut de l’existence d’une quelconque garantie permettant d’espérer qu’il sera accueilli par les autorités néerlandaises dans le respect de sa dignité humaine et de son intégrité physique.

Il critique encore le ministre pour ne pas avoir informé des autorités néerlandaises de sa situation « de vulnérabilité extrême » afin de garantir la prise de dispositifs de soins « pour éviter une aggravation totale et généralisée de son état de santé », et ceci en violation de l’article 32, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Finalement, le demandeur estime que son transfert vers les Pays-Bas aurait pour conséquence son éloignement vers son pays d’origine et que les autorités luxembourgeoises n’auraient pris aucune mesure permettant d’exclure son expulsion par les autorités néerlandaises vers la Mauritanie. Après avoir invoqué plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après la « CourEDH » et de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », il plaide en faveur d’une violation, par le ministre, du principe de non-refoulement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

L’article 18, paragraphe (1), d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale du demandeur prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autrepays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait les Pays-Bas, en ce qu’il y aurait introduit auparavant une demande de protection internationale en date du 29 janvier 2017 et que les autorités néerlandaises auraient accepté sa reprise en charge le 28 juillet 2020, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des Pays-Bas, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient qu’un transfert aux Pays-Bas l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, respectivement des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en raison de son état de santé et de la circonstance d’y être contraint de vivre dans la rue. Il se prévaut également d’une violation de l’article 32, paragraphe (1) du règlement Dublin III, et du principe de non-refoulement consacré à l’article 33 de la Convention de Genève.

Il convient tout d’abord de préciser que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

Le tribunal relève ensuite que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2,3.

En ce qui concerne plus particulièrement et de manière générale le risque allégué d’une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour du demandeur vers son pays d’origine mais désigne uniquement l’Etat membre 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 Ibidem, point. 79.

3 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu. responsable pour le traitement de la demande d’asile, respectivement de ses suites, en l’occurrence les Pays-Bas, ce pays ayant, tel que relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge le demandeur.

Il n’en reste pas moins qu’il ressort, notamment, de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH - similaire à l’article 4 de la Charte -, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant, en effet, pas irréfragable4. Dans ces conditions, l’article 3 de la CEDH implique l’obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays5.

Afin d’apprécier s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur encourt un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH, la CourEDH a jugé que pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, il y a lieu d’examiner les conséquences prévisibles de l’éloignement du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres au cas de la partie requérante6.

Le tribunal est toutefois amené à relever que dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la CourEDH7 a néanmoins précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève, sa préoccupation essentielle étant de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, la CourEDH ayant encore retenu que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant8.

Il n’en demeure pas moins que, compte tenu de l’importance que la CourEDH attache à l’article 3 de la CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, c’est-à-dire un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH9, la préoccupation essentielle de la CourEDH étant de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le demandeur contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine10, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueilles par eux11.

Il se dégage en conséquence de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable 4 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

5 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n°20113/07, point 75.

6 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n°20113/07, point 78; CEDH, 28 février 2008, Saadie/Italie, n°37201/06, points 128-129; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, n°13448/87, point 108 in fine.

7 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09, point 286.

8 Ibidem, point 289; voir également Trib. adm., 30 novembre 2018, n° 41764 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

9 Ibidem, point 293.

10 Ibidem, point 298.

11CEDH, grande chambre, 23 mars 2016, F.G. c. Suède, n°43611/11, point 118.de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement du traitement de celle-ci et des suites à y donner, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à apporter à celle-ci, une fois que son examen a abouti à la prise d’une décision de rejet définitive, à savoir en l’occurrence les Pays-Bas.

Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé.

D’autre part, lorsque, comme en l’espèce, le risque n’est pas seulement inhérent à la situation dans l’Etat membre responsable de la reprise en charge du demandeur de protection internationale débouté, mais résulte également de la crainte d’un refoulement par ricochet vers le pays d’origine, il y a lieu de vérifier l’existence d’une protection effective contre le non-refoulement du ressortissant de pays tiers par l’Etat intermédiaire de transfert vers son pays d’origine où il risquerait d’être exposé à un traitement inhumain ou dégradant.

Force est de constater qu’en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que les Pays-Bas aient refusé ou omis de traiter la demande de protection internationale de Monsieur …, alors qu’au contraire, il se dégage des explications du demandeur que celui-ci a bien vu sa demande examinée aux Pays-Bas, étant encore relevé à cet égard que les autorités néerlandaises ont explicitement accepté de le reprendre en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, disposition qui vise le cas d’un demandeur de protection internationale « dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Il ne se dégage pas non plus des éléments de la cause que les autorités néerlandaises compétentes auraient violé le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus par lui dans son pays d’origine, Monsieur … n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil ».

Il y a ensuite lieu de relever qu’il ne se dégage pas non plus des éléments à la disposition du tribunal que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine du demandeur constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping »), en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), étant, en effet, relevé que le règlement Dublin III cherche justement à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent,pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

Dans ces circonstances, la conclusion s’impose que le demandeur reste en défaut de prouver que son transfert vers les Pays-Bas l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe du non-refoulement ancré à l’article 33 de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que si par impossible les autorités néerlandaises devaient quand même décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises compétentes en usant des voies de droit adéquates12. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités néerlandaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Le tribunal relève encore, à cet égard, que dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités néerlandaises responsables du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner, n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas ou n’aurait pas eu accès à la justice de cet Etat pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute la décisions de rejet des autorités de l’Etat membre responsable, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter13.

S’agissant ensuite plus spécifiquement des reproches du demandeur selon lesquels les conditions d’accueil aux Pays-Bas ne seraient pas garanties, le tribunal relève que si, en invoquant l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. », celui-ci fait état de sa crainte de se retrouver à la rue, sans pouvoir accéder à un logement aux Pays-Bas, la question centrale et pertinente qui se pose en l’espèce est celle non pas des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas, mais celle des demandeurs de protection internationale déboutés, transférés aux Pays-Bas, le demandeur s’étant, en effet, tel qu’il ressort notamment par le courrier lui adressé le 2 juillet 2020, vu refuser tant sa demande de protection internationale que son recours et a été informé par ce même courrier qu’en conséquence les 12 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

13 Trib. adm., 8 août 2018, n° 41457 du rôle et trib. adm., 17 octobre 2018, n°41694 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu. aides matérielles auxquelles il avait droit, ont expirées.

Pour ce qui est ainsi de la question de l’accès limité, voire impossible à des conditions d’accueil minimales des personnes transférées sous le règlement Dublin III aux Pays-Bas, le tribunal constate d’abord que la directive Accueil prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs14». L’article 20 de cette directive Accueil prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III stipule explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que Monsieur … a été débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, précité.

Monsieur …, en cas de transfert vers les Pays-Bas, devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y réintroduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale, est autorisé 14 Considérant 25.par la législation européenne.

Ainsi, même à admettre que les Pays-Bas aient, le cas échéant, adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle circonstance ne peut pas per se être constitutive d’un dysfonctionnement systémique. Quant au sort de Monsieur …, lequel pourra être considéré par les autorités néerlandaises soit comme un migrant en situation irrégulière, soit comme un demandeur ayant formulé une demande ultérieure, le fait de limiter l’accès de ce dernier aux conditions d’accueil ne constitue pas per se une violation de l’article 4 de la Charte, sous réserve d’une possibilité d’accès, à l’instar de toute autre personne en situation de détresse, en ce compris les nationaux, à un dispositif d’aide d’urgence.

Dans ce contexte et de manière plus générale, le tribunal relève encore que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait pas non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie15.

La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat16.

Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être, le cas échéant, exposée à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide néerlandais - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents néerlandais - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système néerlandais n’était pas conforme aux normes européennes; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale («directive Procédure»), ainsi que de la directive Accueil directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.

15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.

16 CEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.S’agissant du problème de santé dont fait état le demandeur, force est au tribunal de constater que s’il ressort certes d’un certificat médical du 30 novembre 2016 versé en cause que celui-ci souffre d’asthme. Il convient cependant de relever que le demandeur reste en défaut de justifier la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, ni ne fournit-il des indices concrets qu’il ne pourrait pas bénéficier aux Pays-Bas des soins médicaux dont il pourrait avoir besoin, ni encore ne fournit-il un quelconque élément permettant de constater son état de vulnérabilité particulière à l’égard de la situation sanitaire actuelle s’opposant à un transfert aux Pays-Bas.

Au contraire, il résulte des pièces du dossier administratif que les personnes asthmatiques ne présentent a priori pas de risques accrus de développer une forme grave de la maladie en cas d’une infection par le coronavirus. Le tribunal retient dès lors qu’au vu des éléments soumis à son appréciation, le demandeur n’a pas établi que du fait de son état de santé, son transfert vers les Pays-Bas l’exposerait à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation par la décision ministérielle attaquée de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, respectivement des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen du demandeur fondé sur l’article 32, du règlement Dublin III, qui dispose dans son premier paragraphe que « Aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l’État membre procédant au transfert transmet à l’État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l’autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l’état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L’État membre responsable s’assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis. », force est au tribunal de constater que ledit article ne contient que des exigences en matière d’exécution d’un transfert, dans le cadre du règlement Dublin III, en ce que l’Etat membre y procédant doit fournir un certain nombre d’informations sur la personne à transférer, notamment les éléments concernant son état de santé si celui-ci présente des particularités, afin d’assurer que l’Etat membre de destination puisse fournir les mesures nécessaires et adéquates. L’article en question ne peut partant a priori pas affecter la légalité de la décision ministérielle déférée du 10 août 2020.

Par ailleurs, et tel que retenu ci-avant, aucun élément versé en cause ne permet de retenir que le demandeur nécessite des soins médicaux essentiels, de sorte que son argumentation ayant trait à une violation de l’article 32, paragraphe (1) du règlement Dublin III est, en tout état de cause, à rejeter.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.[…] », le tribunal précise que lapossibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres17. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge18, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée19, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, ainsi que par rapport au principe de non-refoulement que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités néerlandaises.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers les Pays-Bas, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

quant au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 octobre 2020 par :

17 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

18 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

19 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 octobre 2020 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 44919
Date de la décision : 21/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-10-21;44919 ?

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