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07/10/2020 | LUXEMBOURG | N°42709

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 octobre 2020, 42709


Tribunal administratif N° 42709 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2019 1re chambre Audience publique du 7 octobre 2020 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42709 du rôle et déposée le 23 avril 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima Gouni, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, … (Portugal), de nationalité portugaise,...

Tribunal administratif N° 42709 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2019 1re chambre Audience publique du 7 octobre 2020 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42709 du rôle et déposée le 23 avril 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima Gouni, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, … (Portugal), de nationalité portugaise, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 janvier 2019 rejetant sa demande d’autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union dans le chef de son époux, Monsieur …, né le … (Monténégro), de nationalité monténégrine ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 1er juillet 2020, et vu les remarques écrites de Maître Hakima Gouni et de Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski des 16 et 30 juin 2020, produites avant l’audience conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020.

Par arrêté du 29 avril 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter celui-ci sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir le Monténégro, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire luxembourgeois pour une durée de 3 ans. Le recours contentieux introduit par Monsieur … contre cette décision fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 9 mars 2017, inscrit sous le numéro 38128C du rôle.

Par arrêté du 26 octobre 2017, notifié à l’intéressé par courrier recommandé le 1er mars 2018, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté d’expulsion avec ordre de quitter le territoire avec effet immédiat, assorti d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour des raisons d’ordre public d’une durée de 5 ans à partir de la sortie de l’Espace Schengen, ledit arrêté étant motivé par la considération que l’intéressé est revenu au Grand-Duché de Luxembourg en violation de l’arrêté ministériel précité du 29 avril 2015, et au regard de ses 1antécédents judiciaires. Dans la mesure où aucun recours contentieux n’a été introduit contre cet arrêté ministériel du 26 octobre 2017, il a acquis autorité de chose décidée.

Par l’intermédiaire d’un courrier de l’association sans but lucratif … du 19 octobre 2018, réceptionné par la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes le 23 octobre 2018, Madame … introduisit une demande d’autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union au sens des articles 12 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de son époux, Monsieur …, demande par rapport à laquelle le ministre prit position dans un courrier du 21 janvier 2019 libellé comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande du 23 octobre 2018.

Je suis toutefois au regret de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de donner une suite favorable à votre requête, étant donné que Monsieur … est sous le coup d'une expulsion comportant une interdiction d'entrée sur le territoire d'une durée de 5 ans depuis le mois de février 2018.

En vertu de l'article 116 (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l'immigration, Monsieur … pourra introduire une demande de levée de l'interdiction d'entrée sur le territoire après un délai raisonnable, et en tout cas après un délai qui représente les deux tiers de la durée de l'interdiction d'entrée sur le territoire. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 avril 2019, inscrite sous le numéro 42709 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 21 janvier 2019 refusant de faire droit à la demande d’autorisation de séjour dans le chef de son époux, Monsieur ….

Etant donné que l’article 113 de la loi du 29 août 2008, par renvoi à l’article 109 de la même loi, prévoit un recours en annulation contre les décisions de refus de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes relatés ci-dessus, la demanderesse explique qu’en date du …, elle aurait eu avec Monsieur …, ayant résidé au Luxembourg du 24 février 2004 au 7 août 2008, un premier enfant, …, atteint de trisomie 21 et d’autisme. Après son mariage avec Monsieur … le … 2013, elle aurait eu le … un second enfant, …. Ensuite, en date du 7 mai 2016, Monsieur …, ayant fait l’objet à l’époque d’un mandat d’amener international, aurait été arrêté et emprisonné au Centre Pénitentiaire de Schrassig et le … 2016, les autorités helvétiques auraient sollicité son extradition.

La demanderesse fait, à cet égard, valoir qu’outre le fait que la décision d’expulsion, précitée, du 26 octobre 2017 aurait été prise à un moment où Monsieur … ne se serait plus trouvé sur le territoire luxembourgeois depuis de nombreux mois au vu de son extradition vers la Suisse au mois de juillet 2016 et dans la mesure où il y aurait été emprisonné jusqu’en février 2018, celle-ci ne serait, par ailleurs, pas suffisamment motivée alors qu’elle invoquerait des raisons d’ordre public sans autre précision.

2Elle avance que toutes les attaches familiales et affectives de Monsieur … se trouveraient au Luxembourg, à savoir elle-même, citoyenne portugaise vivant légalement au Luxembourg, ainsi que ses trois enfants dont un, …, née le …, serait issu d’un premier mariage de Monsieur ….

En droit, elle critique le refus d’octroi d’une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 12, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008 en réitérant qu’elle serait mariée à Monsieur … depuis le 5 septembre 2013 et que de leur relation seraient nés deux enfants, … et …, tous de nationalité portugaise, et en insistant sur le fait que la présence du père serait indispensable surtout pour le bien-être de l’enfant … qui serait atteint de trisomie 21 et d’autisme, et soutient qu’elle remplirait les conditions de l’article 12, paragraphes (1), point a), et (3) de la loi du 29 août 2008, étant relevé, à cet égard, que la référence par la demanderesse au point d) du même article est manifestement le fruit d’une erreur matérielle, la demanderesse ayant en effet cité le point a) de l’article 12, paragraphe (1) visant le conjoint du regroupant, alors que le point d) vise les ascendants directs à charge du citoyen de l’Union et les ascendants directs à charge du conjoint ou du partenaire visé au point b), à savoir le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, hypothèses sans pertinence en l’espèce, Monsieur … n’étant pas un ascendant à charge.

Elle fait plaider que l’article 12 de la loi du 29 août 2008 aurait pour objectif de réunir les familles et que le ministre devrait garder à l’esprit le principe de l’unité familiale avant « toutes applications aveugles et irraisonnées » des lois qui risqueraient d’enfreindre ce principe élémentaire, ce qu’il aurait pourtant omis de faire en l’espèce, de sorte que la décision encourrait l’annulation.

Ensuite, après avoir cité les termes de l’article 116 de la loi du 29 août 2008 sur base duquel l’arrêté d’expulsion, précité, du 26 octobre 2017 a été pris, ainsi que la motivation dudit arrêté d’expulsion, la demanderesse donne à considérer que Monsieur … aurait quitté le Grand-

Duché de Luxembourg puisqu’il aurait été officiellement extradé vers la Suisse au courant du mois de juillet 2016, tout en insistant sur le fait que, contrairement à ce que le ministre a retenu sans fournir la preuve afférente, Monsieur … ne serait jamais « revenu » au Grand-Duché de Luxembourg.

Elle réitère, à cet égard, que Monsieur … aurait fait l’objet en date du 29 avril 2015 d’un premier mandat d’amener pour une infraction de faux à la suite duquel il aurait été placé en détention préventive au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, ce qui expliquerait les différents problèmes à l’époque pour le tribunal administratif de lui notifier un courrier en date du 16 mars 2016.

Elle explique que Monsieur … aurait fait l’objet d’un second mandat d’arrêt international en date du 7 mai 2016 à la suite duquel il aurait été placé immédiatement en détention au Centre Pénitentiaire de Luxembourg où il serait resté jusqu’au moment de son extradition vers la Suisse afin d’y être jugé pour des faits de « vol à l'aide de violences ».

Il serait dès lors incontestable que Monsieur … ne serait nullement « revenu » au Luxembourg, et n’y serait d’ailleurs par resté volontairement, alors qu’il aurait été maintenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour être extradé vers la Suisse.

3Il s’ensuivrait que la décision du 26 octobre 2017, n’ayant que pour principale motivation le retour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et comportant une expulsion assortie d’une interdiction d’entrer sur le territoire d’une durée de 5 ans, aurait été prise en violation de la loi, sinon suivant une erreur manifeste d’appréciation des faits, de sorte à encourir l’annulation.

La demanderesse en conclut que dans la mesure où la décision du 26 octobre 2017 serait entachée de nullité, le ministre n’aurait pas pu fonder son refus de faire droit à la demande de regroupement familial sur cette même décision.

Elle affirme ensuite que l’article 13, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 aurait été appliquée en méconnaissance « des principes généraux du droit, respectivement du principe de proportionnalité pour excès de pouvoir », en ce que le ministre aurait, en prenant la décision du 21 janvier 2019, fait un usage arbitraire du pouvoir d’appréciation dont dispose toute autorité administrative pour évaluer discrétionnairement les éléments de la situation de fait lui soumise.

Or, il se dégagerait de l’ensemble des éléments de l’espèce et notamment du fait que la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois du 26 octobre 2017 prise à l’encontre de Monsieur … serait entachée de nullité, que la décision de refus d’accorder à Monsieur … une autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne, respectivement une autorisation de séjour pour raisons privées, aurait, au regard des conséquences engendrées, une portée disproportionnée par rapport au but qui pourrait être légitimement poursuivi par l’autorité administrative, la demanderesse insistant sur le fait que son époux remplirait les conditions pour obtenir une autorisation de séjour pour membre de famille, respectivement pour raisons privées, tout en reprochant au ministre de ne pas avoir tenu compte des éléments de faits invoqués par elle à l’appui de sa demande.

La décision de refus litigieuse serait par conséquent à annuler pour violation de la loi et du respect « des principes généraux du droit administratif relatif au respect du traitement ».

La demanderesse invoque, enfin, une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en faisant valoir que suivant une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), le droit au regroupement familial serait reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer1.

Elle réitère, dans ce contexte, i) que Monsieur … serait venu au Luxembourg au courant de l’année 2014, ii) qu’elle-même serait résidente luxembourgeoise, tout comme ses deux enfants issus de son union avec Monsieur …, dont l’un serait atteint de pathologies graves incurables et aurait besoin tant de sa mère que de son père pour lui permettre de vivre une vie épanouie, tandis que l’autre fils souffrirait également de l’absence de son père, iii) qu’elle formerait ensemble avec ses enfants et son époux une famille au sens strict de la loi, et iv) que Monsieur … aurait encore une autre attache non négligeable au Luxembourg, à savoir sa fille …, issue de son premier mariage.

1 CourEDH, 28 mai 1985, Abdulazis, Cabales et Balkandali.

4Il s’ensuivrait, au vu des éléments qui précèdent, que le refus du ministre d’accorder à Monsieur … une autorisation de séjour constituerait une ingérence et une entrave à sa vie familiale d’une violence inouïe.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal constate que par le biais de la décision du 21 janvier 2019, déférée en l’espèce, le ministre a refusé de faire droit à la demande d’autorisation de séjour litigieuse sur base de la considération que Monsieur … a fait l’objet d’un arrêté expulsion comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de 5 ans depuis le mois de février 2018, tout en informant la demanderesse que, suivant l’article 116, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008, l’intéressé pourra introduire une demande de levée de l’interdiction d’entrée sur le territoire après un délai raisonnable, et en tout cas après un délai qui représente les deux tiers de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire, étant relevé que cette information sur base de l’article 116 de la loi du 29 août 2008 ne constitue pas une décision susceptible de recours, ce qui n’est pas contesté en l’espèce, le seul élément décisionnel litigieux étant celui relatif au refus d’autorisation de séjour dans le chef de Monsieur ….

Le tribunal est dès lors saisi en l’espèce d’un recours en annulation dirigé contre la seule décision ministérielle du 21 janvier 2019 refusant de faire droit à la demande d’autorisation de séjour dans le chef de Monsieur … en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne. En conséquence, tous les développements de la demanderesse tendant à remettre en question la légalité de la décision d’expulsion et d’interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de 5 ans prononcée à l’encontre de Monsieur … en date du 26 octobre 2017, voire qui tendent à critiquer la décision du 21 janvier 2019 au motif qu’elle reposerait sur une décision d’interdiction du territoire illégale, sont dénués de toute pertinence pour viser directement ou du moins indirectement une décision qui ne fait pas l’objet du présent recours et qui a acquis autorité de chosé décidée, tel que cela a été relevé ci-avant.

Ces moyens sont dès lors rejetés.

S’agissant ensuite de la violation alléguée de l’article 12, paragraphes (1), point a), et (3) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel : « (1) Sont considérés comme membres de la famille:

a) le conjoint ; […] (3) Les membres de la famille, citoyens de l’Union ou ressortissants de pays tiers, d’un citoyen luxembourgeois sont assimilés aux membres de la famille du citoyen de l’Union. », force est tout d’abord de constater que le paragraphe (3) ne retient que l’assimilation qui est à faire entre les membres de la famille d’un citoyen luxembourgeois et les membres de la famille d’un citoyen de l’Union européenne, éléments non litigieux ni d’ailleurs pertinents en l’espèce.

En ce qui concerne ensuite le point a) du paragraphe (1) de l’article 12 précité de la loi du 29 août 2008, seul pertinent en l’espèce, Monsieur … étant de manière non contestée l’époux de la demanderesse, il échet de relever que les conditions d’octroi du droit de séjour des membres de la famille d’un ressortissant de l’Union européenne sont énumérées à l’article 13 de la loi du 29 août 2008 en vertu duquel : « (1) Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage applicables aux contrôles aux frontières, telles qu’elles résultent de conventions internationales et de la réglementation communautaire, les membres de la famille 5définis à l’article 12, qui sont ressortissants d’un pays tiers et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union, ont le droit d’entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois s’ils sont munis d’un passeport en cours de validité et le cas échéant du visa requis pour l’entrée sur le territoire. […] » et à l’article 15 de la même loi, aux termes duquel « (1) Pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, les membres de la famille du citoyen de l’Union doivent soit se faire enregistrer, s’ils sont eux-mêmes citoyens de l’Union, soit, s’ils sont ressortissants d’un pays tiers, faire une demande de carte de séjour, dans les trois mois suivant leur arrivée, auprès de l’administration communale du lieu de leur résidence, d’après les modalités à déterminer par règlement grand-ducal, et ce sans préjudice des réglementations existantes en matière de registre de la population. ».

A cet égard, le tribunal relève que les conditions de l’article 12, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont a priori pas litigieuses en l’espèce, le ministre ne remettant en effet en question ni la qualité de conjoint de Monsieur … ni celle de citoyen de l’Union européenne de la demanderesse, seule l’interdiction d’entrée sur le territoire qui a été prononcée en l’espèce à l’encontre de Monsieur … constituant un obstacle à l’octroi d’une autorisation de séjour, le ministre ayant en effet fondé son refus sur base de la considération que Monsieur … a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion assorti d’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pendant une durée de 5 ans, tel que cela a été relevé ci-avant.

Le moyen fondé sur une violation de l’article 12, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, ensemble les considérations avancées par la demanderesse et fondées sur le principe de l’unité familiale, sont partant également rejetés pour défaut de pertinence.

Si la demanderesse invoque encore une violation du principe de proportionnalité résultant de l’application par le ministre de l’article 13, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, force est de relever que cette disposition confère aux membres de famille d’un citoyen de l’Union le droit d’entrer sur le territoire du Luxembourg et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois s’ils sont munis d’un passeport en cours de validité et, le cas échéant, du visa requis pour l’entrée sur le territoire, et sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage applicables aux contrôles aux frontières, telles qu’elles résultent de conventions internationales et de la réglementation communautaire, de sorte que cette disposition est non pertinente, alors qu’un séjour de plus de trois mois est demandé en l’espèce.

Par ailleurs, dans la mesure où il est constant en cause que Monsieur … a fait, par décision ministérielle du 26 octobre 2017 ayant, tel que cela a été retenu ci-avant, acquis autorité de chose décidée, l’objet d’un arrêté d’expulsion assorti d’une interdiction d’entrer sur le territoire luxembourgeois pendant une durée de 5 ans, c’est à bon droit que le ministre a sur base de cette seule considération refusé de faire droit à la demande d’autorisation de séjour litigieuse formulée par la demanderesse dans le chef de Monsieur … sans violer le principe de proportionnalité et sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, dans la mesure où une décision d’interdiction du territoire s’oppose purement et simplement à l’octroi d’une autorisation de séjour sans que le ministre n’ait à prendre en considération les éléments de la situation de l’espèce.

Si la demanderesse affirme encore dans son recours que son époux remplirait les conditions pour se voir octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées, force est de 6constater que dans la mesure où aucune demande en ce sens n’a été présentée au ministre, celui-

ci n’a pas non plus pu prendre une décision à cet égard.

Il s’ensuit que le tribunal n’est pas saisi d’une telle décision de refus.

Si le refus ministériel de faire droit à la demande litigieuse se trouve dès lors au vu de ce qui précède, en principe, justifié à suffisance de droit par le fait que Monsieur … a fait l’objet d’une interdiction d’entrer sur le territoire, il y a encore lieu d’analyser le moyen formulé par la demanderesse basé sur une violation par la décision ministérielle de l’article 8 de la CEDH, disposition hiérarchiquement supérieure à la loi du 29 août 2008.

Aux termes de l’article 8 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

L’article 8 de la CEDH, précité, est applicable en cas de refus de délivrance d’une autorisation de séjour dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté de refuser la délivrance d’une autorisation de séjour, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH. Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Il convient dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, mais que, pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.

En effet, l’exercice du droit au respect de la vie familiale suppose pour le moins l’existence d’un exercice effectif de ce droit qui doit avoir une assise concrète, allant au-delà de simples rapports entretenus à travers des visites périodiques de la personne vis-à-vis de laquelle cette unité familiale est revendiquée. La notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national, le but du regroupement familial étant de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.2 2 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Etrangers, n° 447 et les autres références y citées.

7En principe, en matière d’immigration, la CourEDH reconnaît le droit au regroupement familial s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans le pays d’origine. Cependant, l’article 8 de la CEDH ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non-national d’une famille dans le pays3. L’article 8 ne garantit en effet pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et il faut des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition.

Il y a dès lors lieu d’examiner si, en l’espèce, la demanderesse peut faire valoir l’existence d’une vie familiale avec Monsieur … au sens de l’article 8 de la CEDH susceptible d’être protégée par cette disposition.

A cet égard, la demanderesse fait état dans sa requête introductive d’instance du fait qu’elle serait mariée à Monsieur … avec qui elle aurait deux enfants communs, tout en soulignant qu’un troisième enfant, issu d’un premier mariage de Monsieur …, vivrait également au Luxembourg.

Or, le simple fait d’être marié ou d’avoir des enfants communs n’est pas à lui seul de nature à satisfaire aux conditions posées par l’article 8 CEDH pour pouvoir bénéficier d’une protection de la vie privée et familiale. Il faut, au-delà de la conclusion d’un mariage, que soit démontrée l’effectivité d’une relation stable et étroite, qui se manifeste en principe pour un couple par une cohabitation durable ou du moins par un projet sérieux de vie commune se traduisant par des contacts réguliers et suffisamment étroits4, une telle preuve n’étant toutefois pas rapportée en l’espèce, la demanderesse ne faisant état d’aucun indice qu’une vie familiale effective aurait existé à un moment donné et cela même avant l’extradition de Monsieur … vers la Suisse en juillet 2016.

En effet, s’il est constant en cause que Monsieur … s’est marié le … 2013 à Madame …, de nationalité portugaise et détentrice d’un titre de séjour au Luxembourg, et que deux enfants sont nés de cette union, force est de relever que Monsieur … a passé ces dernières années en prison, dont notamment en Suisse, sans que la demanderesse n’ait fourni des éléments permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale effective au-delà de la nécessaire distance géographique due à l’emprisonnement de Monsieur …, étant relevé à cet égard que la demanderesse a affirmé dans son recours que Monsieur … a seulement résidé au Luxembourg du 24 février 2004 au 7 août 2008.

Il convient encore de relever que la Cour administrative a déjà eu l’occasion dans son arrêt précité du 9 mars 2017 de se prononcer quant à la réalité d’une vie familiale préexistante et effective dans le chef de Monsieur … au Luxembourg en relation avec l’article 3 de la CEDH en ayant retenu que « […] le fait que l’appelant est resté au pays après le refus de renouvellement de son autorisation de séjour malgré l’obligation légale pour lui de quitter le territoire et qu’il a créé au Luxembourg de nouveaux liens familiaux nonobstant la nécessaire précarité de son séjour ne saurait avoir pour effet que l’obligation lui faite par l’Etat luxembourgeois de quitter le territoire national serait constitutive d’un traitement inhumain 3 CEDH, 28 mai 1985, ABDULAZIS, CABALES et BALKANDALI ; CEDH, 19 février 1996, GÜL ; CEDH, 28 novembre 1996, AHMUT.

4 Trib. adm., 9 mai 2018, n° 39758 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Etrangers, n° 453 et l’autre référence y citée.

8ou dégradant, notion visant des traitements de nature à provoquer intentionnellement de graves souffrances mentales ou physiques qui ne peuvent pas être justifiées, étant donné que l’incidence alléguée sur les attaches personnelles de l’appelant trouve son origine primaire dans le non-respect par l’appelant de son obligation de quitter le territoire luxembourgeois.

Quant à la prétendue violation du principe de proportionnalité par le ministre pour ne pas avoir tenu compte des profondes attaches que l’appelant affirme avoir établies avec le Luxembourg et de l’intégration de sa famille au Luxembourg, il convient de relever que la «profondeur » de ces attaches laisse d’être établie en l’espèce. Ainsi, au moment de son mariage avec … à … au Monténégro le … 2013, l’appelant indiqua qu’il résidait à Dobrodole au Monténégro, tandis que son épouse déclara comme sa résidence la localité Arveyes en Suisse. Ensuite, l’épouse de l’appelant déclara le 16 octobre 2014 à l’administration communale de Mertert son changement de résidence et son arrivée à Wasserbillig en ayant indiqué comme domicile antérieur la localité Peniche au Portugal. En outre, Madame … déclara un itératif changement de résidence et son arrivée sur le territoire de la Ville de Luxembourg le 11 mai 2015 en ayant énoncé comme adresse antérieure la localité de Montey en Suisse. Il convient encore de relever que l’appelant n’a point fourni en cause ni une pièce dont il se dégage avec la certitude requise qu’il aurait reconnu l’enfant …, né le …, comme étant le sien, ni aucun autre élément concret concernant sa cohabitation effective et continue avec Madame … ainsi que le lien de filiation qui l’unirait aux deux autres enfants dont il fait état. Dans ces conditions, la Cour n’entrevoit aucun élément qui serait de nature à affecter le caractère proportionné de l’arrêté ministériel déféré. […] ».

Face à ces constats qui sont de nature à mettre en question la réalité d’une vie familiale même avant l’emprisonnement au Luxembourg, voire l’extradition de Monsieur … vers la Suisse et à défaut pour la demanderesse d’avoir fourni au ministre le moindre élément de nature à établir qu’il existe en l’espèce une vie familiale effective susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH, c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande d’autorisation de séjour litigieuse dans le chef de son époux sans violer les dispositions de l’article 8 de la CEDH précité. Le moyen afférent est partant également rejeté.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en annulation pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 21 janvier 2019 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 octobre 2020 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, 9 en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 octobre 2020 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 42709
Date de la décision : 07/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-10-07;42709 ?

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