Tribunal administratif N° 40553 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 janvier 2018 2e chambre Audience publique du 21 septembre 2020 Recours formé par la société anonyme …, …, contre deux décisions du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40553 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2018 par Maître Serge Marx, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation de « (…) 1. la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juin 2016 par laquelle a été mise sur orbite la procédure de refonte du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg (…) ;
2. la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017 par laquelle a été approuvé le projet de refonte du plan d’aménagement général (…) ; et 3. la décision du ministre de l’Intérieur du 5 octobre 2017 par laquelle celui-ci a approuvé la refonte du projet du PAG et rejeté la réclamation de la requérante (…) ; » Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 11 janvier 2018, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie à L-2090 Luxembourg, 42 Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2018 par la société anonyme Arendt & Medernach SA, inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B186371, représentée aux fins des présentes par Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2018 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu la requête en prorogation des délais pour déposer le mémoire en réponse ainsi que le mémoire en duplique, présentée par Maître Albert Rodesch, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en date du 22 février 2018 ;
Vu les accords de toutes les autres parties avec la mesure sollicitée ;
Vu les avis des 8 et 12 mars 2018 du tribunal administratif fixant les délais pour déposer les mémoires en réponse, réplique et duplique ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2018 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par la société anonyme Arendt & Medernach SA, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2018 par Maître Serge Marx au nom de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2019 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2019 par la société anonyme Arendt & Medernach SA au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause ainsi que les décisions attaquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Serge Marx, Maîtres Martial Barbian et Gilles Dauphin, en remplacement de Maître Christian Point et Maître Paul Schintgen en remplacement de Maître Albert Rodesch, en leurs plaidoiries respectives, à l’audience publique du 18 mars 2019.
Lors de sa séance publique du 13 juin 2016, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par le « conseil communal », se déclara d’accord, en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », « (…) pour lancer la procédure d’adoption du nouveau projet d’aménagement général (PAG) de la Ville de Luxembourg, parties écrite et graphique accompagnées des documents et annexes prescrits par la législation y relative (…) » et « (…) charge[a] le collège des bourgmestre et échevins de procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et à l’article 7 de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (…) ».
Par courrier du 19 juillet 2016, la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … », déclarant agir en sa qualité de propriétaire d’une parcelle inscrite au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … d’Eich, sous le numéro …, désignées ci-après par : « la parcelle … », soumit au collège des bourgmestre et échevins des objections à l’encontre du projet d’aménagement général.
Lors de sa séance publique du 28 avril 2017, le conseil communal, d’une part, statua sur les objections dirigées à l’encontre du projet d’aménagement général et, d’autre part, adopta ledit projet, « (…) tel qu’il a été modifié suite aux réclamations et avis ministériels reçus (…) ». Concernant plus particulièrement la réclamation de la société …, le conseil communal fit droit à certains de ses aspects et rejeta les autres points. Le conseil communal décida ainsi de procéder aux modifications suivantes :
« 1. modifications partie graphique PAG, de [HAB-2] à [MIX-u] 2. aplanissement, pas de modifications, reste [SPR-es] 3. modifications partie graphique PAG, réduction zone [JAR] modifications partie écrite PAG, dispositions [JAR] 4. modifications partie graphique PAG, suppression de la zone à risques naturels [RI] » Par courrier de son mandataire du 19 mai 2017, la société … introduisit auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », une réclamation à l’encontre de la susdite délibération du conseil communal du 28 avril 2017 portant adoption du projet d’aménagement général et ayant statué sur les objections dirigées par les administrés à l’encontre de ce même projet.
Par décision du 5 octobre 2017, le ministre approuva la délibération, précitée, du conseil communal du 13 juin 2016, de même que celle du 28 avril 2017 portant adoption du projet d’aménagement général, tout en statuant sur les réclamations lui soumises, en déclarant fondées une partie de celles-ci et en apportant, en conséquence, certaines modifications aux parties graphique et écrite du plan d’aménagement général (« PAG »), la réclamation introduite par la société … ayant, cependant, été déclarée non fondée, en son volet visant le classement par le projet d’aménagement général de la parcelle …. Cette décision est libellée comme suit :
« (…) Par la présente, j’ai l’honneur de vous informer que j’approuve les délibérations du conseil communal des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 portant adoption de la refonte du plan d’aménagement général (dénommé ci-après « PAG ») de la Ville de Luxembourg, présenté par les autorités communales.
Conformément à l’article 18 de loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain (dénommée ci-après « Loi ») j’ai fait droit à certaines objections et observations formulées par les réclamants à l’encontre du projet d’aménagement général.
La procédure d’adoption du projet d’aménagement général s’est déroulée conformément aux exigences des articles 10 et suivants de la Loi.
Les modifications ainsi apportées à la partie graphique et à la partie écrite du PAG sont illustrées dans la présente décision et en font partie intégrante. Il est laissé le soin aux autorités communales d’adapter les délimitations des plans d’aménagement particulier « quartier existant » sur les plans de repérage et les parties graphiques afférents et ce conformément aux modifications résultant de la décision ministérielle. Les autorités communales sont ainsi tenues de me faire parvenir des versions coordonnées de la partie écrite et de la partie graphique du PAG ainsi que des plans d’aménagement particulier « quartier existant » adaptés en conséquence.
Il est statué sur les réclamations émanant (…) de Maître Serge Marx au nom et pour le compte de la société … (…).
Ad réclamation … (rec 179) (…) La réclamante sollicite que la zone superposée « secteur protégé d'intérêt communal "environnement construit" » sur la parcelle cadastrale n° …, sise à Eich, soit supprimée.
Tout d'abord force est de constater que les bâtiments forment un ensemble cohérent, digne de protection. Ils ont été classés suite à l'avis émis par le Service des Sites et Monuments Nationaux, préconisant leur valeur en tant que témoins historiques.
Le classement des bâtisses en question comme « bâtiment protégé » est ainsi justifié, étant donné qu'il remplit, conformément à la jurisprudence constante en la matière (cf. notamment un jugement du Tribunal administratif rendu en date du 9 juin 2016, n° 35751 du rôle), au moins un des critères fixés à l'article 33, alinéa 2, du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d'aménagement général, article qui dispose que « les secteurs protégés de type environnement construit » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d'immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l'immeuble pour l'histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle ».
Cependant, il s'impose de noter que les bâtiments litigieux se trouvent actuellement en « secteur protégé du petit patrimoine » et en « zone de bâtiments et équipements publics [BEP] » couverts par un plan d'aménagement particulier « quartier existant » (PAP QE). Ledit PAP fixe en lui-même les règles applicables pour les fonds qu'il couvre. Il s'ensuit que, faute de dispositions spécifiques définies par le PAP imposant des règles définies spécifiques, les contraintes auxquelles sont soumis les bâtiments en question sont de nature minime. Le propriétaire des fonds en question n'est donc aucunement lésé et peut même envisager leur démolition.
La réclamation est partant non fondée. (…) ».
A titre liminaire et avant de procéder à l’analyse du recours sous examen, il échet de préciser qu’à l’audience publique des plaidoiries, sur question afférente du tribunal, les litismandataires des différentes parties en cause n’ont soulevé aucune contestation relative à la notification entre eux de l’ensemble des mémoires respectifs, par actes d’avocat à avocat, au cours de la procédure contentieuse.
I) Quant à la compétence Les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’elles concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire. Les décisions d’approbation du ministre participent au caractère réglementaire des actes approuvés1, étant précisé que le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision litigieuse du 5 octobre 2017 ayant statué sur la réclamation introduite par la société demanderesse, intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.
Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation sous examen.
II) Quant à la loi applicable 1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 49 et les autres références y citées.
Le tribunal précise que les procédures d’adoption d’un PAG et d’un plan d’aménagement particulier (« PAP ») sont prévues par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017, (v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire et (vi) par la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des actes déférés et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif est amené à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise2, les modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par les lois, précitées, des 17 avril et 18 juillet 2018, adoptées et entrées en vigueur postérieurement à la prise des actes déférés, ne sont pas à prendre en considération en l’espèce.
Selon les dispositions transitoires figurant à l’article 108ter (1) de la loi du 19 juillet 2004, tel que modifié en dernier lieu par la loi précitée du 1er août 2011, « La procédure d’adoption des projets d’aménagement général, dont la refonte complète a été entamée par la saisine de la commission d’aménagement avant le 1er août 2011, peut être continuée et achevée conformément aux dispositions du Titre 3 de la présente loi qui était en vigueur avant le 1er août 2011. (…) ».
Le tribunal relève que le conseil communal a émis son vote positif, au sens de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004, en date du 13 juin 2016, de sorte que la saisine de la commission d’aménagement en application de l’article 11 de la même loi s’est a fortiori opérée après la date butoir du 1er août 2011, fixée par l’article 108ter (1), alinéa 1er de la loi du 19 juillet 2004.
Il suit de ces constats que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est – sous réserve des précisions faites ci-après – celle résultant des modifications opérées par les lois des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015 et 3 mars 2017.
S’agissant plus particulièrement de l’applicabilité de cette dernière loi, le tribunal relève que dans un arrêt du 24 septembre 2015, portant le numéro 36179C du rôle3, la Cour administrative a retenu ce qui suit : « (…) Si le droit administratif est notamment régi par le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle, celui-ci ne s’applique néanmoins en principe qu’aux situations juridiques nées postérieurement à la date normale de son entrée en vigueur après sa publication, ainsi qu’aux situations encore dépourvues de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. En outre, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les autorités compétentes sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés puissent prétendre à un droit acquis à voir leur cas traité par l’autorité désignée comme compétente par les dispositions antérieures (…). En revanche, le principe de non-rétroactivité des lois commande que ne soient pas remis en cause les actes déjà valablement accomplis (…) ».
2 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.
3 Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 81.
Dès lors, si la procédure d’adoption du PAG litigieux a certes débuté avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 mars 2017, laquelle a eu lieu le 1er avril 2017, en application de l’article 76 de ladite loi, tel que relevé ci-avant, il n’en reste pas moins qu’à cette dernière date, la procédure en question était toujours en cours, de sorte à devoir être qualifiée de procédure pendante, respectivement de situation juridique dépourvue de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il s’ensuit que conformément aux principes dégagés par la Cour administrative dans l’arrêt, précité, du 24 septembre 2015, cette dernière loi doit s’appliquer à la procédure en question dès son entrée en vigueur en date du 1er avril 2017. Ainsi, le tribunal doit en tenir compte, dans le cadre de l’examen de la légalité des décisions déférées des 28 avril 2017 et 5 octobre 2017, toutes adoptées postérieurement au 1er avril 2017. En revanche, en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, l’acte déféré du conseil communal du 13 juin 2016 ne saurait être remis en cause par ladite loi du 3 mars 2017, s’agissant d’un acte valablement accompli avant l’entrée en vigueur de la loi en question.
III) Quant à la recevabilité a) Quant à la question du caractère décisionnel de la délibération du conseil communal du 13 juin 2016 L’administration communale et la partie étatique soulèvent l’irrecevabilité du recours en ce qu’il vise la délibération du conseil communal du 13 juin 2016, au motif, en substance, qu’il ne s’agirait que d’un accord ou d’un « feu vert » – dépourvu de caractère décisionnel – donné au collège échevinal pour entamer la procédure d’adoption du PAG, ainsi que cela se dégagerait de la jurisprudence des juridictions administratives.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, la société demanderesse se rapporte à prudence du tribunal en ce qui concerne la question de la recevabilité du volet du recours dirigé contre la délibération du conseil communal du 13 juin 2016.
L’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision.4 Dans un arrêt du 15 décembre 2016, portant le numéro 38139C du rôle, la Cour administrative a précisé la nature juridique du vote du conseil communal prévu par l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004. Dans l’arrêt en question, la Cour administrative, après avoir relevé qu’avant la prise d’effet des modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par celle du 28 juillet 2011, les PAG étaient soumis à la « (…) procédure classique d’adoption et d’approbation (…) en deux temps (…)[, qui] comprenait d’abord un vote provisoire par le conseil communal contre lequel des objections étaient ouvertes, elles-mêmes vidées par le même conseil communal à travers le vote définitif, contre lequel des réclamations pouvaient être introduites devant le ministre de l’Intérieur qui, dans le cadre de ses attributions de tutelle d’approbation, était amené à vider les réclamations ainsi portées devant lui, et à approuver ou non le PAG, de sorte à revêtir une double casquette à ce sujet. (…) », et après avoir précisé que dans le cadre de cette procédure classique « (…) le conseil communal, en adoptant provisoirement un projet de PAG, avait en quelque sorte fait sien le projet d’une manière effective en l’adoptant à un premier stade, quitte à ce que des objections puissent être formulées relativement à cette première adoption communale (…) », a constaté que cette procédure avait été modifiée par 4 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm. 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 61 et les autres références y citées.
ladite loi du 28 juillet 2011. Ainsi, l’article 10 prévoit, dans sa version modifiée, que le conseil communal délibère sur le projet d’aménagement général, tel qu’il lui est présenté par le collège des bourgmestre et échevins, ensemble avec l’étude préparatoire, le rapport de présentation ainsi que, le cas échéant, le rapport sur les incidences environnementales, et qu’en cas de vote positif, le collège des bourgmestre et échevins peut lancer les différentes procédures de consultation. L’article 14, quant à lui, prévoit, dans sa version modifiée, que le projet d’aménagement général ensemble avec toutes les pièces mentionnées à l’article 10 est soumis au conseil communal avec l’avis de la commission d’aménagement et, le cas échéant, avec l’avis du ministre ayant dans ses attributions l’environnement, le rapport sur les incidences environnementales, les réclamations et les propositions de modifications du collège des bourgmestre et échevins. Le conseil communal peut ensuite approuver le projet tel que présenté ou y apporter des modifications issues des propositions de la commission d’aménagement, de l’avis émis par le ministre de l’Environnement ou encore des observations et objections présentées.
Enfin, le conseil communal peut renvoyer le dossier devant le collège des bourgmestre et échevins – qui est tenu de recommencer la procédure prévue aux articles 10 et suivants – lorsqu’il entend apporter d’autres modifications au projet d’aménagement général.
A partir d’une lecture combinée des articles 10 à 14 de la loi du 19 juillet 2004, tels que résultant de la modification du 28 juillet 2011, la Cour administrative est arrivée à la conclusion que le vote du conseil communal prévu à l’article 10, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version applicable depuis la modification par la loi du 28 juillet 2011, n’est plus comparable à l’adoption provisoire du PAG – prévue par l’ancienne version dudit article – et ne peut dès lors plus être analysé en adoption du projet de plan, mais en une sorte de mise sur orbite dudit projet, respectivement en un feu vert donné au collège échevinal pour procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la même loi. La Cour a encore retenu que l’opération visée à l’article 14 consiste en règle générale dans l’adoption unique et définitive par le conseil communal du projet de PAG qui devient le PAG adopté par l’organe compétent de la commune. Cette adoption peut se faire soit sous la forme originale, soit, dans la majorité des cas, sur les modifications opérées par le conseil communal compte tenu des consultations menées.
Ainsi, le vote positif émis par le conseil communal, en application de l’article 10, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, ne constitue qu’une « (…) mise sur orbite [du] projet (…) », respectivement un « feu vert » que le conseil communal donne au collège échevinal pour continuer la procédure et pour procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 2004, après avoir constaté que le projet est suffisamment élaboré à cette fin.
Or, une telle « mise sur orbite », respectivement un tel « feu vert », qui n’emporte aucune adoption ou approbation du projet d’aménagement général, mais qui traduit le seul constat du conseil communal que le projet est suffisamment élaboré pour que le collège échevinal puisse continuer la procédure, ne fait que préparer l’adoption ultérieure de ce projet, sans être susceptible de produire par elle-même, respectivement par lui-même des effets juridiques sur la situation personnelle ou patrimoniale des administrés, de sorte à constituer, non pas un acte administratif de nature à faire grief, mais un simple acte préparatoire ne pouvant, en tant que tel, faire l’objet d’un recours contentieux.5 Il s’ensuit que le recours en annulation est à déclarer irrecevable pour autant qu’il vise la délibération du conseil communal du 13 juin 2016.
b) Quant au moyen d’irrecevabilité omisso medio 5 Trib. adm., 25 septembre 2017, n° 37637 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes règlementaires, n° 56 et les autres références y citées.
L’administration communale conclut à l’irrecevabilité omisso medio du recours, en soutenant que la demanderesse rechercherait l’annulation des décisions déférées sur base notamment du fait que le PAG n’aurait pas pu fixer des servitudes de sauvegarde « tout en abandonnant au PAP le soin de définir les secteurs protégés » et au motif que le quartier… en général et sa parcelle en particulier ne relèveraient d’aucune des servitudes de sauvegarde arrêtées par le PAG, tandis que ce même moyen n’aurait pas été invoqué par la société demanderesse dans le cadre de la procédure précontentieuse.
A l’appui de ce moyen d’irrecevabilité, l’administration communale soutient que le tribunal administratif, dans un jugement du 10 juillet 2014, portant le numéro 32627 du rôle, ainsi que la Cour administrative, dans l’arrêt confirmatif afférent du 4 juin 2015, portant le numéro 35035C du rôle, auraient précisé que la loi du 19 juillet 2004 prévoirait dans son article 30 une procédure non contentieuse d’adoption et d’approbation des PAP, dont le but serait précisément de voir disparaître, au fur et à mesure des aplanissements des difficultés, les objections et réclamations solutionnées, tout en ne laissant subsister que celles maintenues et réitérées, lesquelles seraient seules susceptibles d’être portées devant les juridictions administratives, de sorte qu’en cas de défaut d’épuisement de la procédure précontentieuse de réclamation ainsi mise en place par le législateur, le recours contentieux introduit à l’encontre d’un PAP serait irrecevable omisso medio. Ces principes devraient également s’appliquer en matière de PAG, au regard des dispositions des articles 13 et suivants de la loi du 19 juillet 2004. Par ailleurs, ces mêmes principes devraient s’appliquer non seulement en l’absence de toute réclamation au cours de la procédure précontentieuse d’adoption des PAP et PAG, mais également et a fortiori en présence de moyens d’annulation invoqués pour la première fois au cours de la procédure contentieuse, sous peine de priver d’effet ladite procédure précontentieuse, destinée à résoudre les réclamations à un stade non-contentieux. Ainsi, seuls les arguments effectivement soulevés à un stade précontentieux pourraient être invoqués devant les juridictions administratives.
Admettre le contraire aurait pour conséquence de légitimer des objections et réclamations stéréotypés, consistant, le cas échéant, en une seule « (…) ligne de principe (…) », ce qui serait contraire aux objectifs de la loi du 19 juillet 2004 et aurait pour effet de vider de leur substance les dispositions des articles 13, 16 et 30 de ladite loi. L’administration communale en conclut que le recours devrait être déclaré irrecevable sous l’angle des moyens d’annulation invoqués dans la requête introductive d’instance, mais non formulés par les demandeurs dans leurs courriers, précités, des 19 juillet 2016 et 19 mai 2017 à titre d’objections, respectivement de réclamation.
Le tribunal rappelle qu’à travers les articles 10 et suivants de la loi du 19 juillet 2004, le législateur a mis en place une procédure d’adoption des PAG qui se déroule en plusieurs étapes, comprenant une enquête publique. Ainsi, l’article 12 de ladite loi dispose qu’après le vote du conseil communal prévu par l’article 10, le projet d’aménagement général fait l’objet d’une publication, comprenant, notamment, le dépôt du projet pendant trente jours à la maison communale où le public peut en prendre connaissance, ainsi que des mesures de publicité de ce dépôt. L’article 13 de la même loi prévoit que dans le délai de trente jours de la publication du dépôt du projet dans les quatre quotidiens imprimés et publiés au Grand-Duché de Luxembourg, les observations et objections contre le projet doivent être présentées par écrit au collège des bourgmestre et échevins, sous peine de forclusion. Cette disposition légale dispose encore qu’au cas où une ou plusieurs réclamations écrites ont été présentées dans le délai, le collège des bourgmestre et échevins convoque les réclamants qui peuvent, en vue de l’aplanissement des différends, présenter leurs observations. Aux termes de l’article 14, alinéa 1er de la loi du 19 juillet 2004, le projet d’aménagement général est ensuite soumis au conseil communal qui peut approuver le projet dans sa forme originale ou y apporter des modifications qui soit sont proposées par la commission d’aménagement, soit répondent en tout ou en partie à l’avis émis par le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions, soit prennent en compte en tout ou en partie des observations et objections présentées. En vertu du 3e alinéa du même article, le conseil communal est tenu de renvoyer le dossier au collège des bourgmestre et échevins lorsqu’il entend apporter des modifications autres que celles visées à l’alinéa 1er. Enfin, il peut rejeter le projet d’aménagement général présenté et dans cette hypothèse, le dossier est clôturé. Aux termes de l’article 15 de la loi du 19 juillet 2004, la décision du conseil communal fait l’objet d’une publication, par voie d’affichage et par notification aux personnes ayant introduit une réclamation écrite. Cette publication est suivie d’une procédure de réclamation devant le ministre, organisée par l’article 16 de la même loi, libellé comme suit : « Les réclamations contre le vote du conseil communal introduites par les personnes ayant réclamé contre le projet d’aménagement général conformément à l’article 13 doivent être adressées au ministre dans les quinze jours suivant la notification prévue à l’article qui précède, sous peine de forclusion.
Les réclamations dirigées contre les modifications apportées au projet par le conseil communal doivent être adressées au ministre dans les quinze jours de l’affichage prévu à l’article qui précède, sous peine de forclusion.
Sont recevables les réclamations des personnes ayant introduit leurs observations et objections conformément à l’article 13 et les réclamations dirigées contre les modifications apportées au projet par le conseil communal lors du vote. ». Aux termes de l’article 18 de ladite loi du 19 juillet 2004, le ministre est, par la suite, amené à statuer sur les réclamations lui soumises, en même temps qu’il décide de l’approbation définitive du projet d’aménagement général, dénommé PAG dès cette approbation.
Aux termes d’une jurisprudence des juridictions administratives devenue constante, le recours introduit devant le juge administratif contre un PAG n’est recevable qu’à condition de l’épuisement de la procédure non contentieuse de réclamation ainsi mise en place par les articles 13 et suivants de la loi du 19 juillet 2004, impliquant en particulier que l’omission d’emprunter la voie de la réclamation à adresser au ministre à l’encontre du vote du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général6, entraîne l’irrecevabilité omisso medio du recours devant le juge administratif.
En ce qui concerne le contenu de la réclamation à adresser au collège échevinal, respectivement au ministre, il convient d’abord de constater que la loi du 19 juillet 2004 a prévu à travers ses articles 13 et suivants une procédure non contentieuse d’adoption et d’approbation des PAG, tendant à voir disparaître, au cours de l’élaboration du PAG, les objections et réclamations solutionnées, tout en ne laissant subsister que celles maintenues et réitérées, lesquelles seraient partant seules susceptibles d’être portées devant les juridictions de l’ordre administratif. Le fait que l’intention du législateur est de faire disparaître au fur et à mesure des procédures d’aplanissement des difficultés les différentes demandes et réclamations des administrés implique que seules les réclamations d’ores et déjà formulées au cours de la procédure précontentieuses sont susceptibles d’être portées devant le juge administratif, étant précisé à cet égard que la motivation à l’appui de ces réclamations peut être complétée et développée durant la phase contentieuse pour autant que la réclamation en elle-même ait d’ores et déjà été présentée en phase précontentieuse. Il y a partant lieu de distinguer entre le moyen nouveau avancé à l’appui d’une réclamation et la demande nouvelle invoquée une toute première fois devant les juridictions administratives. Ainsi, le moyen nouveau qui se définit comme la raison de droit ou de fait invoquée à l’appui de la réclamation est susceptible d’être invoqué devant le tribunal administratif même s’il y est invoqué pour la première fois, pour autant que la réclamation ait d’ores et déjà traversé la procédure précontentieuse sans aboutir. En revanche, les demandes nouvelles, se définissant comme demandes qui diffèrent de la demande initiale contenue dans l’observation ou la réclamation par son objet, par sa cause ou par les personnes entre qui elle est engagée n’ayant pas été présentées au cours de la procédure d’élaboration du PAG, 6 P. ex. : Cour adm., 17 avril 2008, n° 23846C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 258 et les autres références y citées.
mais qui sont invoquées pour la première fois devant les juges administratifs sont irrecevables.7 En l’espèce, dans le cadre de la procédure d’élaboration du PAG litigieux, la société demanderesse avait présenté des objections et observations auprès du collège des bourgmestre et échevins, respectivement une réclamation auprès du ministre, visant à convaincre ces autorités à ne pas adopter, respectivement approuver, sous la forme soumise à l’enquête publique, le projet afférent en raison de certaines irrégularités et illégalités. Le recours contentieux sous examen vise à son tour l’annulation de la décision du conseil communal portant adoption du projet d’aménagement général, ainsi que de la décision ministérielle portant approbation de ladite décision du conseil communal.
Indépendamment de l’argumentation juridique soulevée, d’une part, au cours de la procédure pré-
contentieuse et, d’autre part, dans le cadre du présent litige, force est au tribunal de constater que les demandes présentées dans le cadre de ces deux procédures sont identiques, en ce qu’elles tendent, en substance, à la disparition de l’ordonnancement juridique du PAG sous examen. En effet, aucune demande nouvelle ne peut être décelée dans le recours sous examen par rapport aux observations et objections introduites devant le collège des bourgmestre et échevins, respectivement à la réclamation soumise au ministre. Le moyen d’irrecevabilité afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
c) Quant au moyen d’irrecevabilité ayant trait à un défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse L’administration communale soulève encore l’irrecevabilité du recours, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse. Elle soutient que sous l’ancien PAG, dit « PAG Joly », la parcelle … de la demanderesse aurait été classée en « zone d’habitation 3 » et en zone « ensembles sensibles », de sorte que les immeubles construits sur ladite parcelle auraient d’ores et déjà fait l’objet de mesures de protection sous l’ancien PAG. Le PAG refondu classerait lesdites parcelles en « zone mixte urbaine [MIX-u] » avec en superposition un classement en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit-C » ». Le statut urbanistique conféré à la parcelle précitée par le PAG refondu serait partant identique, sinon similaire au statut prévu par l’ancien PAG Joly. Il ne serait en tout cas pas plus contraignant que le classement antérieur et permettrait d’ailleurs plus d’affectations que celles qui auraient été admises auparavant.
Or, il serait de jurisprudence constante qu’en matière de contentieux administratif et notamment dans le domaine de l’urbanisme, l’intérêt à agir s’apprécierait in concreto et ne serait donné qu’à la condition que les décisions attaquées soient de nature à faire grief au demandeur et donc si elles affectent négativement sa situation par une aggravation concrète de sa situation de propriétaire. Dans la mesure où tel ne serait pas le cas en l’espèce, le recours serait à déclarer irrecevable.
La société demanderesse conclut au rejet de ce moyen d’irrecevabilité.
Quant à la question de l’intérêt à agir en matière de PAG, le tribunal rappelle qu’il ressort d’une jurisprudence constante des juridictions administratives8 que le recours introduit devant le juge administratif contre un projet d’aménagement général communal n’est recevable qu’à condition de l’épuisement de la procédure non contentieuse de réclamation, entraînant qu’en particulier l’omission d’emprunter la voie de la réclamation à adresser au gouvernement à l’encontre de la délibération 7 Trib. adm., 28 juin 2018, n° 39248 du rôle, non réformé sur ce point par Cour adm., 7 février 2019, n° 41544C du rôle ; voir également : trib. adm., 4 octobre 2018, n° 39421 du rôle, non réformé sur ce point par Cour adm., 21 mars 2019, n° 41948C et 41949C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
8 Cour adm., 17 avril 2008, n° 23846C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 258 et les autres références y citées, ainsi que trib. adm., 24 mars 2004, n° 16556 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 103 et les autres références y citées, de même que trib. adm., 8 décembre 2014, n° 33918 du rôle, confirmé par Cour. adm., 12 mai 2015, n° 35730C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 101 et les autres références y citées.
portant adoption d’un projet entraîne l’irrecevabilité omisso medio du recours devant le juge administratif. Il ressort de cette même jurisprudence qu’en contrepartie, peu importe que cette réclamation ait été déclarée irrecevable ou non fondée par le ministre, le réclamant en question dispose d’un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision ministérielle prise à son encontre et, plus loin, de la délibération communale ainsi approuvée, de sorte que son recours en annulation est recevable sous l’aspect de l’intérêt à agir au-delà de toutes autres considérations, fussent-elles du domaine politique.
En l’espèce, il est constant que par courrier du 19 juillet 2016, la société demanderesse avait introduit une objection auprès du collège des bourgmestre et échevins contre le projet de refonte du PAG et il se dégage des pièces versées en cause, notamment du tableau renseignant les réponses données par le conseil communal aux différentes réclamations lui soumises, que dans le cadre de la prise de la décision d’adoption dudit projet, approuvée par le ministre, le conseil communal a fait droit à certains points de l’objection, tout en rejetant la réclamation pour le surplus. Il est encore constant en cause que par courrier de son litismandataire du 19 mai 2017, la société demanderesse a introduit une réclamation auprès du ministre contre le projet d’aménagement général. Par la suite, le ministre a, à travers sa décision déférée du 5 octobre 2017, approuvé la délibération du conseil communal du 28 avril 2017 portant adoption du projet d’aménagement général, tout en déclarant la réclamation afférente de la société demanderesse non fondée.
Eu égard aux considérations qui précèdent, la société demanderesse dispose partant en l’espèce d’un intérêt à agir suffisant par le seul fait que ses réclamations dirigées contre le projet d’aménagement général ont été rejetées par le ministre.
Le moyen d’irrecevabilité afférent encourt, dès lors, à son tour, le rejet.
En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal est amené à conclure que le recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre la décision du conseil communal du 28 avril 2017 et contre la décision ministérielle du 5 octobre 2017, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
IV) Quant au fond A l’appui de son recours, la société demanderesse conteste tant la légalité externe que la légalité interne des décisions déférées.
A. Quant aux moyens tirés d’une illégalité externe des décisions déférées - Quant au moyen tiré du fait que les documents relatifs au projet d’aménagement général auraient été transmis de manière tardive et incomplète au conseil communal En ce qui concerne la question de la légalité externe des décisions déférées, la société demanderesse fait valoir qu’en vue de la préparation de la délibération et du vote de mise sur orbite du projet d’aménagement général, les documents relatifs au projet d’aménagement général auraient été remis de manière tardive aux membres du conseil communal, de sorte qu’il ne leur aurait matériellement pas été possible de prendre connaissance du dossier extrêmement volumineux. En conséquence, les membres de l’opposition auraient sollicité un report du vote et lorsque ce dernier leur aurait été refusé, ils se seraient abstenus lors du vote. La société demanderesse se réfère aux affirmations de trois conseillers communaux reprises au compte rendu analytique des séances du conseil communal publié par la Ville de Luxembourg. Elle argumente que le collège des bourgmestre et échevins serait tenu de communiquer « en temps utile » les pièces nécessaires aux conseillers communaux, afin que ces derniers puissent délibérer en connaissance de cause. Or, aucune délibération conforme à l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004 n’aurait pu avoir lieu en l’espèce.
Dans le même contexte, la société demanderesse affirme qu’un dossier incomplet aurait été remis aux conseillers communaux. Il ressortirait, ainsi, de l’étude préparatoire du projet d’aménagement général que l’ensemble des études et analyses réalisées dans le cadre de l’élaboration dudit projet n’aurait pas été ajouté à ladite étude préparatoire et que d’autres études n’auraient même pas encore été achevées au moment de la remise de l’étude aux conseillers communaux. Selon la société demanderesse le bureau d’études appelé à élaborer le projet d’aménagement général et le bourgmestre ne pourraient pas, sans violer l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004, retirer certaines études ou analyses de l’étude préparatoire. Il s’agirait d’un glissement inacceptable des compétences du conseil communal vers le bourgmestre et le bureau d’études, décidant de facto du contenu du projet d’aménagement général, en violation de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004.
Enfin, la société demanderesse se réfère à un arrêt rendu le 8 juin 1994 par le Conseil d’Etat français ayant confirmé un jugement d’une juridiction administrative de première instance qui avait annulé une délibération du conseil municipal au motif que le maire, en n’informant pas les conseillers municipaux en temps utile des documents sur lesquels il serait appelé à délibérer, aurait porté atteinte aux droits et prérogatives permettant auxdits conseillers de remplir leur mandat.
L’administration communale de la Ville de Luxembourg et la partie étatique contestent l’argumentation de la société demanderesse en soulevant, en substance, (i) que les déclarations citées par la société demanderesse ne reflèteraient que les seules opinions personnelles des trois conseillers communaux en cause, qu’il s’agirait de déclarations à portée purement politique et qu’aucune des interventions n’aurait fait état d’une quelconque illégalité de la procédure, (ii) que malgré le fait que la loi ne confierait l’élaboration du projet d’aménagement général qu’au seul collège des bourgmestre et échevins, les conseillers communaux auraient été impliqués dans la préparation du vote du projet d’aménagement général et des projets d’aménagement particulier dans la mesure où ils auraient été invités à participer pendant six semaines à six réunions de la Commission de développement urbain, et, (iii) que le législateur n’aurait prévu à l’article 13 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, désignées ci-après par « la loi du 13 décembre 1988 », qu’un délai unique de cinq jours pour la mise à disposition des documents aux conseillers communaux, délai qui devrait être considéré comme « temps utile » suffisant pour la préparation des séances du conseil communal et qui aurait été respecté en l’espèce par la mise à disposition aux conseillers communaux des documents concernés en format papier le 6 juin 2016 et, sur demande, en format électronique.
L’administration communale ainsi que la partie étatique résistent encore au reproche selon lequel les documents remis aux conseillers communaux auraient été incomplets en affirmant que la société demanderesse se référerait à des études complémentaires sollicitées par l’administration communale qui n’auraient pas encore été achevées, mais qui ne seraient pas non plus légalement obligatoires. La partie demanderesse ne soulèverait d’ailleurs aucune lacune concrète dans le dossier.
De même, les parties défenderesses estiment que l’affirmation selon laquelle le dossier n’aurait pas fait l’objet d’une délibération et selon laquelle le bourgmestre et les échevins ne seraient pas intervenus lors de la réunion de présentation du projet d’aménagement général se trouverait contredite par les développements relatifs à la « prise de position du collège échevinal » reproduits dans le compte rendu analytique de la séance du conseil communal du 13 juin 2016. Enfin, selon l’administration communale, la solution dégagée par l’arrêt du Conseil d’Etat français cité par la partie demanderesse, ne serait pas transposable en cause, étant donné que dans cette affaire, les conseillers municipaux auraient eux-mêmes formulé une demande de communication de pièces, tandis qu’en l’espèce, la société demanderesse, qui n’aurait pas la qualité de conseiller communal, soulèverait un tel reproche.
La société demanderesse réplique, en substance, que l’affirmation selon laquelle les conseillers communaux auraient été impliqués dans six réunions pendant six semaines en vue de la préparation de la délibération de mise sur orbite du projet d’aménagement général resterait à l’état de pure allégation. Elle ajoute que le délai de cinq jours prévu par la loi du 13 décembre 1988 serait un délai minimal qui serait à adapter en fonction de la complexité du vote que le conseil communal serait appelé à prendre.
L’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 prévoit que « Le projet d’aménagement général d’une commune est élaboré à l’initiative du collège des bourgmestre et échevins, par une personne qualifiée (…) ».
Aux termes de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version applicable au moment de la délibération du conseil communal relative à la mise sur orbite du projet d’aménagement général :
« Le projet d’aménagement général ensemble avec l’étude préparatoire, le rapport de présentation ainsi que, le cas échéant, le rapport sur les incidences environnementales élaboré conformément à la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement est soumis au conseil communal.
Le conseil communal délibère sur le projet d’aménagement général; en cas de vote positif, le collège des bourgmestre et échevins procède aux consultations prévues aux articles 11 et 12. ».
L’article 13 de la loi du 13 décembre 1988 dispose que : « Sauf le cas d’urgence, la convocation se fait, par écrit et à domicile, au moins cinq jours avant celui de la réunion ; elle mentionne le lieu, le jour et l’heure de la réunion et en contient l’ordre du jour. (…) Pour chaque point à l’ordre du jour, les documents, actes et pièces afférents peuvent être consultés, sans déplacement, par les membres du conseil à la maison communale durant le délai prévu à l’alinéa 1er du présent article. Il peut en être pris copie, le cas échéant contre remboursement. » Il suit des dispositions légales qui précèdent que la compétence pour faire élaborer un projet d’aménagement général revient entièrement au collège des bourgmestre et échevins, qui soumet ensuite son projet au vote du conseil communal. Les documents actes et pièces nécessaires au conseil communal pour pouvoir procéder au vote en connaissance de cause doivent être mis à disposition des conseillers communaux au moins cinq jours avant celui de la réunion, en application de l’article 13 précité de la loi du 13 décembre 1988.
En l’espèce, il n’est pas contesté que les documents relatifs au projet d’aménagement général ont été mis à disposition des conseillers communaux sous format papier et, sur demande, sous format électronique en date du 6 juin 2016, soit sept jours avant le vote du conseil communal sur ledit projet.
D’un point de vue strictement légal, le délai minimal de cinq jours pour remettre les documents concernés aux conseillers communaux a donc bien été respecté.
Toutefois, et de manière générale, il échet de constater que le délai minimal de cinq jours inscrit à l’article 13 de la loi communale ne constitue pas une fin en soi, mais vise à éviter que les conseillers communaux soient mis devant le fait accompli et à garantir leur droit d’être informés et de pouvoir voter en connaissance de cause sur les points figurant à l’ordre du jour de la réunion du conseil communal. Le délai de mise à disposition aux conseillers communaux des documents concernés doit nécessairement être fonction de la complexité du point sur lequel les conseillers sont appelés à voter, ainsi que de l’ampleur du dossier à connaître de même que des informations et connaissances dont les conseillers sont, le cas échéant, supposés disposer en la matière.
Par ailleurs, et toujours de manière générale, le tribunal vient de préciser que dans le cadre de son arrêt du 15 décembre 2016, inscrit sous le numéro 38139C du rôle, la Cour administrative a retenu que le vote prévu à l’article 10, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004 (i) « doit être lu en ce sens que le conseil communal est d’accord à ce que le projet de PAG soit mis sur orbite, du moment qu’il déclare que ce projet est suffisamment élaboré pour qu’il puisse continuer la procédure et être soumis aux consultations prévues par la loi » et (ii) « n’est plus comparable à l’adoption provisoire du PAG et ne saurait dès lors être analysé en adoption du projet de plan, mais en une sorte de mise sur orbite dudit projet ». Il se dégage de la solution ainsi retenue par la Cour administrative que lors du vote prévu par l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004 les conseillers communaux ne sont pas appelés à adopter point par point le projet, mais uniquement à apprécier l’état de l’élaboration du projet dans sa large globalité sans entrer dans les détails concrets du projet. Il s’ensuit qu’une connaissance sommaire du projet, sans nécessairement entrer dans chaque détail de ce dernier devrait permettre aux conseillers de pouvoir, à ce stade de la procédure, délibérer et voter en connaissance de cause, au sens de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004.
Si, en l’espèce, la partie demanderesse argumente, à juste titre, qu’un délai de sept jours s’avère trop court pour prendre connaissance d’un dossier de l’ampleur du projet de refonte du PAG de la Ville de Luxembourg, il n’en demeure pas moins qu’il ressort des pièces soumises au tribunal par l’administration communale que les conseillers communaux ont été invités aux six réunions de la Commission de développement urbain, qui se sont tenues en date des 3, 10, 24, 26 et 30 mai ainsi que du 7 juin 2016. Il était, dès lors, loisible aux conseillers communaux d’assister à la préparation du vote de mise sur orbite du projet d’aménagement général sur une période de six semaines et ainsi de prendre connaissance de manière globale de l’intégralité du projet, bien avant le vote de mise sur orbite.
Enfin, la situation à la base de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’Etat français du 8 juin 1994 – et dans le cadre duquel le Conseil d’Etat français a retenu que les membres du conseil municipal disposent de la liberté d'accès aux documents administratifs et ont le droit d'obtenir communication des documents énumérés par le texte de loi afférent et qu’ils tiennent, en outre, de leur qualité de membres de l'assemblée municipale appelés à délibérer sur les affaires de la commune, le droit d'être informés de tout ce qui touche à ces affaires dans des conditions leur permettant de remplir normalement leur mandat - cité par la société demanderesse, n’est pas comparable à celle qui s’est présentée à la base de l’affaire faisant l’objet du recours sous examen. En effet, il ressort de l’arrêt du Conseil d’Etat français que dans le cadre de l’affaire de l’époque, le maire d’une localité française, suite à une demande préalable de communication de documents de la part de cinq conseillers municipaux, s’est limité à distribuer lesdits documents à l’ouverture de la séance même au cours de laquelle lesdits documents ont été approuvés, mettant de la sorte lesdits conseillers dans l’impossibilité totale de prendre connaissance des documents concernés. En l’espèce, en revanche, tel que le tribunal vient de le retenir, les documents à la base du projet d’aménagement général ont été mis à disposition des conseillers communaux sept jours avant la délibération sur la mise sur orbite dudit projet, étant encore précisé que les conseillers communaux ont pu participer aux réunions de la Commission de développement urbain. Il s’ensuit dès lors que faute de similitude entre les faits, la conclusion dégagée par le Conseil d’Etat français dans l’arrêt précité du 8 juin 1994 n’est pas transposable telle quelle en l’espèce.
Eu égard aux développements qui précèdent et au vu des circonstances de l’espèce, le tribunal est amené à conclure que le délai d’une semaine de mise à disposition des documents concernés aux conseillers communaux était suffisant pour leur permettre d’en prendre connaissance, de délibérer et de voter en connaissance de cause lors du vote du 13 juin 2016, de sorte qu’aucune violation de l’article 13 de la loi du 13 décembre 1988 ne peut être constatée et que le moyen afférent est à rejeter.
En ce qui concerne ensuite la question de l’exhaustivité du dossier remis aux conseillers communaux, l’article 10 précité de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version applicable au moment de la délibération du conseil communal relative à la mise sur orbite du projet d’aménagement général, imposait que le collège des bourgmestre et échevins soumette au vote du conseil communal les documents suivants : (i) le projet d’aménagement général, (ii) l’étude préparatoire, (iii) le rapport de présentation et (iv) le cas échéant, le rapport sur les incidences environnementales.
Il ressort, en l’espèce, de l’extrait du registre aux délibérations du conseil communal de la séance du 13 juin 2016 que le conseil communal a pris en compte lors du vote du 13 juin 2016 tant le projet d’aménagement général que l’étude préparatoire, le rapport de présentation et, enfin, le rapport sur les incidences environnementales, intitulé : « Strategische Umweltprüfung für den PAG der Stadt Luxemburg ». Le tribunal est dès lors amené à conclure que les documents exigés légalement ont été soumis à la délibération du conseil communal au sens de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004. S’il ressort, en effet, de l’étude préparatoire du projet d’aménagement général que « plusieurs études spécifiques » ont été réalisées dans le cadre de l’élaboration du nouveau PAG, qui ne sont cependant pas toutes annexées à l’étude préparatoire « pour ne pas alourdir le dossier », il n’en demeure pas moins que, tel que le tribunal vient de le retenir, les documents légalement exigés ont été soumis au conseil communal et que les parties défenderesses affirment à juste titre que les études et analyses supplémentaires ne sont pas légalement obligatoires, de sorte que sur ce point aucune violation de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004 ne peut être constatée et que le moyen afférent est à rejeter.
- Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 La société demanderesse reproche au ministre d’avoir violé l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 en n’ayant pas statué sur tous les moyens soulevés dans sa réclamation précontentieuse. Ainsi, le ministre n’aurait pas pris en compte dans le cadre de sa décision déférée du 5 octobre 2017 (i) le moyen selon lequel le PAG aurait été voté sur base d’un dossier incomplet, (ii) le moyen selon lequel le projet d’aménagement général aurait été présenté de manière tardive aux membres du conseil communal , (iii) le moyen tiré d’un défaut d’indépendance dans le chef du bureau d’études chargé de l’élaboration du projet d’aménagement général et, enfin, (iv) le moyen tiré d’un manque de compétence du même bureau.
L’administration communale et la partie étatique répondent qu’en approuvant le projet d’aménagement général, le ministre aurait nécessairement statué sur la régularité de la procédure d’adoption du projet d’aménagement général et rejeté les moyens de la réclamation tenant à la prétendue irrégularité du vote du 13 juin 2016.
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 : « Le ministre statue sur les réclamations dans les trois mois qui suivent le délai prévu à l’article 16 alinéa 1, respectivement dans les trois mois suivant la réception des avis de la commission d’aménagement et du conseil communal prévus à l’article qui précède, en même temps qu’il décide de l’approbation définitive du projet d’aménagement général, qui prend dès lors la désignation de plan d’aménagement général. ».
Il s’ensuit que le ministre est appelé, d’une part, à statuer sur les réclamations et, d’autre part, à décider de l’approbation définitive du projet d’aménagement général, dans le cadre de la décision qu’il est amené à prendre en application de l’article 18 précité.
En ce qui concerne la question de la légalité externe de la décision ministérielle déférée et plus généralement de la motivation à indiquer pour justifier la prise d’un tel acte, le tribunal relève d’abord que les actes administratifs à caractère réglementaire doivent reposer sur de justes motifs légaux devant avoir existé au moment où ils ont été respectivement pris, motifs dont le juge administratif est appelé à vérifier tant l'existence que la légalité. Ces motifs doivent être retraçables, à la fois par la juridiction saisie et par les administrés intéressés, afin de permettre l'exercice effectif du contrôle juridictionnel de légalité prévu par la loi9.
Force est en l’espèce de constater que dans le cadre de sa décision déférée du 5 octobre 2017, citée par extraits ci-avant, le ministre a pris position quant à la réclamation introduite par la société demanderesse en affirmant que les bâtiments formeraient un ensemble cohérent, digne de protection et qu’ils auraient été classés suite à l'avis émis par le Service des Sites et Monuments Nationaux, préconisant leur valeur en tant que témoins historiques. Le ministre a estimé le classement des bâtisses en question comme « bâtiment protégé » justifié par le fait qu’il remplirait au moins un des critères fixés à l'article 33, alinéa 2, du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, tout en citant ladite disposition in extenso. Enfin, le ministre a ajouté que les bâtiments litigieux se trouveraient actuellement en « secteur protégé du petit patrimoine » et en « zone de bâtiments et équipements publics [BEP] » couverts par un plan d'aménagement particulier « quartier existant », lequel fixerait en lui-même les règles applicables pour les fonds qu'il couvre, de sorte que faute de dispositions spécifiques définies par le plan d’aménagement particulier imposant des règles définies spécifiques, les contraintes auxquelles sont soumis les bâtiments en question seraient de nature minime. Il s’ensuit qu’indépendamment du bien-fondé de la justification ainsi avancée, le ministre a amplement motivé tant en droit qu’en fait sa décision de ne pas élargir la zone d’habitation sur les parcelles concernées en l’espèce.
Si le ministre n’a certes pas pris position quant aux arguments tirés de diverses irrégularités dans le cadre de la procédure d’élaboration du projet d’aménagement général, invoqués par la société demanderesse dans sa réclamation, il échet pourtant de conclure qu’en ayant rejeté la réclamation de la société demanderesse comme non fondée, le ministre a nécessairement rejeté l’ensemble des moyens avancés à l’appui de ladite réclamation. De surplus, la Cour administrative a retenu dans un arrêt du 20 mars 2014, inscrit sous le numéro 33588C du rôle, que bien que la décision ministérielle portant approbation de la décision d’un conseil communal approuvant un projet d'aménagement général s’analyse en un acte participant à un acte réglementaire dont elle épouse elle-même la forme, la procédure d’aplanissement des difficultés se trouve à tel point proche d’un processus de participation et de collaboration administrative, tel que parallèlement prévu pour la prise de décisions individuelles, que la solution jurisprudentielle consacrée en matière de refus implicite pour silence gardé par l’administration durant plus de trois mois, permettant la fourniture de motifs pour la première fois en phase contentieuse, pourvu que les éléments afférents aient existé au moment de la prise de la décision critiquée, doit être entrevue comme étant transposable ponctuellement et précisément au cas de l’omission par le ministre de motiver le rejet d’une réclamation dans le cadre de la procédure d’adoption d’un PAG ou d’un PAP.
En l’espèce, force est de constater que si le ministre n’a pas expressément pris position quant à certains arguments avancés par la société demanderesse dans sa réclamation, la partie étatique a néanmoins amplement motivé le rejet desdits arguments dans le cadre de son mémoire en réponse.
Dès lors, indépendamment de toute considération quant au bien-fondé de l’argumentation ainsi avancée par la partie étatique et conformément aux principes dégagés par la Cour administrative dans son arrêt précité du 20 mars 2014, force est au tribunal de conclure que la décision déférée du 5 9 Cour adm. 23 février 2006, n° 20173C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 30 et les autres références y citées.
octobre 2017 comporte une indication suffisante de la motivation à sa base, de sorte que le moyen d’annulation tiré d’une absence de motivation est à rejeter pour ne pas être fondé.
- Quant au moyen tiré d’un défaut d’indépendance de la personne qualifiée chargée d’élaborer le projet d’aménagement général La société demanderesse soutient que l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, selon lequel il serait interdit à la personne qualifiée chargée de l’élaboration du projet de PAG d’avoir par elle-
même ou par personne interposée des intérêts de nature à compromettre son indépendance, viserait à écarter dans le chef de la personne appelée à élaborer le projet de PAG toute partialité et ainsi à garantir que le PAG serait élaboré en toute neutralité. Elle reproche dans ce contexte au PAG litigieux d’être « affecté à de nombreux endroits par des considérations écologiques extrémistes qui [relèveraient] davantage d’une vision idéologique que d’une protection de l’environnement ». Ainsi, les deux associés du bureau d’études … chargé d’élaborer le PAG seraient membres de longue date de l’association sans but lucratif … et l’une des associés serait même mariée à l’ancien président fondateur, qui continuerait d’être membre du conseil d’administration de ladite association. De surcroît, le gérant de l’autre bureau d’études, la société à responsabilité limitée …, serait à son tour membre de l’association …. La société demanderesse soutient que l’élaboration du projet de PAG aurait été indirectement faite, sinon largement influencée par ladite association et que les associés des bureaux d’études concernés se seraient trouvés dans une situation de conflit d’intérêts dans laquelle s’opposeraient, d’une part, l’« approche maximaliste de protection de la nature, de l’environnement et du patrimoine naturel » et, de l’autre côté, les « considérations légales, le besoin de développement des agglomérations etc. ». La société demanderesse conclut à une absence d’objectivité et de neutralité dans le chef des bureaux d’études chargés d’élaborer le PAG, tout en donnant à considérer qu’un PAG devrait être élaboré dans l’intérêt général et non point dans l’intérêt d’une association privée.
L’administration communale résiste à cet argumentaire en faisant valoir que sans démontrer ses affirmations ni les illustrer de façon concrète, la société demanderesse procéderait par « pétition de principe sur les prétendues orientations et considérations écologiques extrémistes du PAG ». Elle estime qu’une telle argumentation se heurterait (i) à l’objet du recours en ce que les décisions portant approbation du PAG seraient déférées et non point la décision portant attribution de la mission d’élaborer le PAG, (ii) au contenu de l’article 7 (2), alinéa 3 de la loi du 19 juillet 2004 énumérant les exigences de neutralité à respecter par la personne qualifiée chargée d’élaborer le PAG et, enfin, (iii) aux principes de la liberté d’association et de la liberté d’opinion, tels que garantis par les articles 24 et 26 de la Constitution, en ce que cette argumentation aboutirait à obliger les associés des bureaux d’études à indiquer leurs opinions politiques et philosophiques, ainsi qu’à énoncer les associations auxquelles ils adhèrent, ce qui ne ressemblerait guère à un Etat de droit. L’administration communale ajoute que le litismandataire de la société demanderesse serait à son tour membre d’une association s’engageant pour l’environnement.
La partie étatique donne encore à considérer que les réclamations introduites auprès du ministre contre le PAG basées sur un défaut de protection de l’environnement démontreraient par elles-mêmes qu’il n’y aurait pas eu de mise en œuvre d’une « idéologie écologique extrémiste ».
La société demanderesse insiste sur son argumentation en précisant qu’il ne serait en l’espèce pas question d’atteinte à la liberté d’association ou d’opinion, mais uniquement de l’obligation de s’abstenir d’élaborer des PAG dans l’hypothèse où un engagement associatif risquerait de porter atteinte à l’objectivité nécessaire pour élaborer un PAG.
Le tribunal précise à titre liminaire que les parties défenderesses indiquent à juste titre que les actes déférés en cause sont les décisions communale et ministérielle portant adoption, respectivement approbation du projet d’aménagement général et non point la décision portant attribution du marché public relatif à l’élaboration du PAG. L’analyse du tribunal, saisi d’un recours en annulation, ne pourra partant porter que sur la question de la légalité des deux décisions déférées. Si, dès lors, la décision portant attribution du marché public ne peut pas être remise en cause dans le cadre du recours sous examen, le choix de la personne qualifiée pour élaborer le projet d’aménagement général n’échappe toutefois pas complètement au contrôle du tribunal dans le cadre de ce même recours, dans la mesure où il lui revient de vérifier la légalité des décisions déférées au regard des dispositions de la loi du 19 juillet 2004, précisant, notamment, les conditions à remplir par la personne qualifiée chargée de l’élaboration du projet d’aménagement général. Ainsi, aux termes de l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 : « Le projet d’aménagement général d’une commune est élaboré à l’initiative du collège des bourgmestre et échevins, par une personne qualifiée.
(…) Il est interdit à la personne qualifiée d’avoir par elle-même ou par personne interposée des intérêts de nature à compromettre son indépendance. Il est interdit à la personne qualifiée d’accepter un mandat émanant d’une personne privée, physique ou morale, pour l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier ou pour l’introduction d’une demande d’autorisation de construire sur le territoire de la commune concernée pendant le délai allant de la date de l’attribution à la personne qualifiée de la mission d’élaborer, de réviser ou de modifier un plan d’aménagement général jusqu’à l’adoption définitive du plan d’aménagement général conformément aux dispositions de l’article 18.
(…) ».
Les travaux parlementaires relatifs à la disposition légale afférente renseignent que : « La neutralité de l’expert est une deuxième condition indispensable pour garantir la qualité des plans d’aménagement général de la nouvelle génération. Ledit expert, du fait qu’il formule notamment des propositions concernant la subdivision de fonds en terrains à bâtir et d’autres qui ne le sont pas, prépare en fait la création de plus-values qui peuvent être substantielles. Le fait d’être mandataire en même temps de la commune et de l’un ou l’autre particulier qui pourrait bénéficier de cette situation risque de fausser son jugement professionnel. Le délai prévu a été défini en relation avec la période d’élaboration et d’approbation du plan d’aménagement général10 ».
L’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 impose dès lors l’indépendance de la personne qualifiée chargée par le collège des bourgmestre et échevins d’élaborer le projet d’aménagement général. Ladite disposition légale ne fournit certes aucune définition expresse des « intérêts », susceptibles de compromettre l’indépendance de la personne qualifiée. Il ressort toutefois, sans équivoque, tant de l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 que des extraits des documents parlementaires afférents que par cette notion d’« intérêt », il y a lieu d’entendre un intérêt matériel direct, c’est-à-dire appréciable en argent que ce soit pour la personne qualifiée elle-même ou pour son client. En effet, l’article 7 (2), précité, précise qu’il est interdit à la personne qualifiée d’accepter la mission d’élaborer un PAP ou une autorisation de construire pour des parcelles situées dans la commune pour laquelle elle est d’ores et déjà investie de la mission d’élaborer le PAG. Les travaux parlementaires à la base de ladite disposition légale expliquent cette interdiction par le fait que la personne qualifiée chargée d’élaborer un PAG prépare la « création de plus-values », notamment en formulant des propositions concernant la subdivision de fonds en terrains à bâtir et en terrains non constructibles. La prohibition imposée par l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 vise partant, sans équivoque et exclusivement, à éviter qu’à travers sa mission d’élaborer un PAG, l’homme de l’art 10 v. doc. parl. 44863, projet de loi concernant l’aménagement des communes, amendements gouvernementaux, commentaire des articles p. 46 puisse être tenté de se procurer, respectivement de procurer à son client, un intérêt matériel direct au sens d’un avantage financier concret.
En l’espèce, la société demanderesse n’invoque pas que l’indépendance de la personne qualifiée ayant été chargée d’élaborer le projet d’aménagement général aurait été affectée par des intérêts financiers. En revanche, elle reproche à la personne qualifiée, en l’occurrence aux bureaux d’études chargés d’élaborer le PAG, d’avoir imprégné le projet d’aménagement général de « considérations écologiques extrémistes », correspondant à leurs propres convictions et intérêts. En d’autres termes, elle reproche à certains associés desdits bureaux, membres d’associations écologiques, d’avoir des idéologies et de les avoir intégrées dans le projet d’aménagement général.
L’intérêt visé en l’espèce par la société demanderesse correspond donc à la notion d’« idéologie », d’« opinion », de « passion » ou de « sujet » intéressant la personne concernée et non point à celle d’un « avantage financier » que la personne concernée pourrait retirer du projet à élaborer.
Etant donné que le tribunal vient de retenir que l’intérêt visé par l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 est, sans équivoque, un intérêt matériel direct au sens d’un avantage financier concret et non pas une idéologie et, dans la mesure où il n’est pas reproché aux bureaux d’études concernés d’avoir des intérêts matériels dans l’élaboration du projet d’aménagement général, autres que celui ayant trait à la rémunération de leurs services, leur indépendance au sens de l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, n’est pas compromise.
Cette conclusion est d’ailleurs confortée par le fait que sous condition du respect des dispositions légales applicables, le choix de la personne qualifiée pour élaborer le projet d’aménagement général, y compris ses idéologies politiques, écologiques, architecturales, urbanistiques, économiques, culturelles, etc., relève d’un choix politique de la commune et échappe dans cette mesure au contrôle des juridictions administratives11.
Eu égard aux considérations qui précèdent le moyen de légalité externe, tiré d’un défaut d’indépendance de la personne qualifiée chargée d’élaborer le projet d’aménagement général est à rejeter pour ne pas être fondé.
- Quant au moyen tiré d’un défaut de compétence de la personne qualifiée chargée d’élaborer le projet d’aménagement général La société demanderesse estime que les bureaux d’études luxembourgeois … et … chargés de l’élaboration du projet d’aménagement général ne disposeraient pas des compétences requises pour l’élaboration d’un PAG de l’envergure de celui de la Ville de Luxembourg. Dans le cadre de la procédure de concours d’attribution de la mission d’élaborer un projet d’aménagement général, quatre critères de sélection auraient été posés, dont le critère de l’élaboration de plans d’urbanisme pour des villes d’importance et de taille semblables à la Ville de Luxembourg aurait joué un rôle primordial.
Comme le bureau d’études … n’aurait pas rempli ce critère, il se serait associé pour ce projet à un établissement public de droit français, en l’occurrence l’établissement …, ainsi qu’à un bureau spécialisé en matière de mobilité, en l’occurrence le bureau …, remplacé par la suite par le bureau ….
La société demanderesse estime que l’association momentanée … – … – … se serait vu attribuer le marché en raison de l’expérience et des compétences de l’établissement … en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme. D’ailleurs, dans le courrier de la Ville de Luxembourg informant ladite association momentanée de l’attribution du marché, l’expérience de l’établissement … en matière d’élaboration de plans d’urbanisme aurait été particulièrement mise en exergue. Or, selon la société demanderesse, il semblerait que l’établissement … « n’ait pas sérieusement collaboré, voire pas collaboré du tout » aux travaux d’élaboration du projet d’aménagement général.
11 Cour adm. 12 décembre 1998, n° 10452 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 25 et les autres références.
Face à la contestation de l’administration communale dans son mémoire en réponse, selon laquelle la décision d’attribuer la mission d’élaborer le projet d’aménagement général serait coulée en force de chose décidée et qu’elle ne ferait pas l’objet du recours sous examen, la société demanderesse réplique que son moyen aurait trait à l’exécution du marché. Le marché n’aurait, en effet, pas été exécuté par l’ensemble des membres de l’association momentanée, alors même que l’expérience de l’établissement … aurait été déterminante pour l’attribution du marché. Le projet d’aménagement général aurait donc en définitive été élaboré par des bureaux ne disposant pas de l’expérience nécessaire pour ce travail, ce qui aurait vicié toute la procédure d’élaboration du projet.
En ce qui concerne les factures émises par l’établissement … pour sa participation dans le cadre de l’élaboration du projet d’aménagement général, telles que versées en cause par la Ville de Luxembourg, la société demanderesse estime qu’il en ressortirait que l’essentiel de la contribution de l’établissement … remonterait à 2008 et que la collaboration dudit établissement aurait définitivement cessé en janvier 2011.
Il échet au tribunal de rappeler qu’il est saisi en l’espèce d’un recours en annulation dirigé contre les seules décisions communale et ministérielle portant adoption, respectivement approbation du projet d’aménagement général et non point contre la décision portant attribution du marché public relatif à l’élaboration du projet d’aménagement général.
En ce qui concerne la compétence de la personne qualifiée chargée d’élaborer le projet d’aménagement général ledit article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, applicable au moment du choix de la personne qualifiée, dispose en son 2e alinéa que : « Par dérogation à l’article 1 de la loi du 13 décembre 1989 portant organisation des professions d’architecte et d’ingénieur-conseil et à l’article 4 de la loi modifiée du 25 juillet 2002 portant création et réglementation des professions de géomètre et de géomètre officiel, on entend par personne qualifiée au sens du présent article, toute personne visée à l’article 19 i) de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales. ».
Force est au tribunal de constater que la société demanderesse n’a pas invoqué de violation des dispositions de l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, mais qu’elle s’est limitée à soulever qu’un des trois membres de l’association momentanée s’étant vu attribuer le marché public n’aurait par la suite pas ou très peu contribué à l’élaboration du projet d’aménagement général. Cette considération relève toutefois, tel que la société demanderesse le précise d’ailleurs elle-même, de la seule exécution du marché public et ne produit aucun effet sur la légalité des décisions communale et ministérielle portant adoption respectivement approbation du projet d’aménagement général, de sorte à être dépourvue de pertinence.
Le moyen de légalité externe, tiré d’un défaut de compétence de la personne qualifiée chargée d’élaborer le projet d’aménagement général, est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
La demande de la société demanderesse tendant à voir ordonner la communication des procès-
verbaux des réunions d’élaboration de l’avant-projet de PAG et d’une copie des comptes de l’association momentanée renseignant la rémunération touchée le cas échéant par l’établissement … en contrepartie du travail fourni, outre le fait qu’elle est erronément basée sur les articles 284 à 288 du Nouveau Code de procédure civile, au lieu de l’article 14 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, est partant à rejeter pour ne pas être pertinente en l’espèce.
- Quant au moyen fondé sur un empiètement par le PAG sur les compétences relevant de l’Etat • La société demanderesse fait valoir que par le biais de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments, désignée ci-après par « la loi du 18 juillet 1983 », le législateur aurait réservé la matière de la conservation et de la protection des sites et monuments nationaux à l’Etat, auquel reviendrait, outre le pouvoir de classer individuellement des immeubles, la possibilité de déclarer des secteurs sauvegardés. En revanche, l’aménagement du territoire relèverait, non point d’une compétence exclusive, mais d’une compétence répartie entre l’Etat et les communes. Il serait dès lors impossible pour une commune de prendre par le biais des instruments d’aménagement communal des décisions de classement ou des mesures de protection relevant de la compétence étatique. Selon la société demanderesse, la Ville de Luxembourg n’aurait donc pas pu classer ses parcelles en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » ».
Face aux contestations de la Ville de Luxembourg et de la partie étatique dans le cadre de leurs mémoires en réponse respectifs, la société demanderesse affirme dans son mémoire en réplique que le régime du « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » et le régime de protection découlant de la loi du 18 juillet 1983 poursuivraient le même objectif et aboutiraient au même résultat, de sorte qu’il serait impossible d’identifier une différence entre la compétence de l’Etat et celle de la commune. Elle ajoute que l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 »12 permettrait même à la commune de prendre en considération comme critère de classement l’« intérêt national » ce qui serait pourtant impossible, étant donné que la compétence des communes serait limitée aux matières d’intérêt local.
Tant l’administration communale que la partie étatique concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 : « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par: (…) (e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ; (…) ».
L’article 1er de la loi du 18 juillet 1983 dispose que : « Les immeubles, nus ou bâtis, dont la conservation présente au point de vue archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, sont classés comme monuments nationaux en totalité ou en partie par les soins du Gouvernement, selon les distinctions établies par les articles ci-après.
Sont compris parmi les immeubles susceptibles d'être classés, aux termes de la présente loi, les monuments mégalithiques et les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques.
12 entretemps abrogé par le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement d’une commune, mais applicable au recours sous examen ainsi qu’au PAG litigieux dans la mesure où les dispositions transitoires figurant à l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 précité prévoient que : « Toutefois, jusqu’au 8 août 2018, le collège des bourgmestre et échevins peut entamer la procédure d’adoption d’un projet d’aménagement général basé sur une étude préparatoire élaborée conformément aux dispositions du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 précité. ».
Il en est de même des immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement, ainsi que, d'une façon générale, des immeubles, nus ou bâtis, situés dans le périmètre de protection d'un immeuble classé ou proposé pour le classement.
Un arrêté du Gouvernement en conseil détermine les monuments auxquels s'applique cette extension et délimite le périmètre de protection propre à chaque immeuble classé. (…) ».
Le tribunal constate que le législateur a mis en place deux régimes distincts de protection du patrimoine culturel en adoptant, d’une part, la loi du 18 juillet 198313 et en insérant, d’autre part, à l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 parmi les missions mises à charge des communes le « respect du patrimoine culturel ». Force est de constater, indépendamment de toute question relative à leurs effets concrets, que ces deux régimes de protection sont distincts comme relevant de la compétence d’autorités différentes et répondant à des critères spécifiques inscrits de part et d’autre dans des corps de textes différents à appliquer respectivement, chacun dans son propre contexte14. Ainsi, tandis que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 vise à assurer une protection des sites et monuments culturels et historiques au niveau communal, les dispositions de la loi du 18 juillet 1983 s’inscrivent plutôt dans un contexte général et tendent au niveau national à la protection du patrimoine culturel et historique15. Il s’ensuit que le ministre, voire le gouvernement en conseil, au niveau de la procédure prévue par la loi du 18 juillet 1983 et le conseil communal au niveau de la procédure mise en place par la loi du 19 juillet 2004, statuent chacun dans sa propre sphère de compétence16.
Par ailleurs, si la société demanderesse estime que le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, pris en exécution de la loi du 19 juillet 2004, en son article 33 relatif aux secteurs protégés d’intérêt national, permettrait aux autorités communales de classer des parcelles en secteur protégé de type « environnement construit » en prenant en considération un « intérêt national » et si ledit article 33 dispose que « les secteurs protégés de type « environnement construit » » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : (…) témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle », force est au tribunal de constater que la Ville de Luxembourg affirme à juste titre que ledit article ne consacre pas comme critère de classement un « intérêt national », mais qu’il permet aux autorités communales de soumettre à un régime de protection au niveau communal des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection, sous condition qu’ils constituent un témoignage pour l’histoire, soit nationale, soit locale, sociale politique, religieuse militaire technique ou industrielle. En d’autres termes, un des critères à prendre en considération pour procéder au classement sur base de l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 est l’« intérêt historique » et non point l’ « intérêt national ».
Enfin, si, dans le même contexte, la demanderesse soulève, dans le cadre de son mémoire en réplique, l’illégalité de l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 au motif qu’il attribuerait des compétences aux autorités communales qui appartiendraient en réalité aux autorités étatiques, force est de constater que le tribunal vient de retenir que les régimes de protection du patrimoine culturel issus de la loi du 19 juillet 2004 ainsi que de la loi du 18 juillet 1983 sont deux 13 entretemps modifiée par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus » 14 Trib. adm. 26 février 2003, n° 14987 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n°268 15 V. à ce sujet l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 18 juillet 1983, énonçant l’objectif dudit projet comme suit : « la préservation de la continuité historique dans l'environnement est essentielle pour le maintien ou la création d'un cadre de vie qui permette à l'homme de trouver son identité et d'éprouver un sentiment de sécurité face aux mutations brutales de la société : un nouvel urbanisme cherche à retrouver les espaces clos, l'échelle humaine, l'interprétation des fonctions et la diversité socio-culturelle qui caractérisent les tissus urbains anciens". (Déclaration d'Amsterdam adoptée en 1975 à l'issue du Congrès sur le patrimoine architectural européen). ». Doc. parl 2191, p.2164 16 V. en ce sens : Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28102C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Sites et monuments, n°23.
régimes de protection distincts comme relevant de la compétence d’autorités différentes et répondant à des critères spécifiques. Il s’ensuit qu’en exécution de la loi du 19 juillet 2004, l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 a valablement pu attribuer certaines compétences en matière de protection du patrimoine culturel aux autorités communales.
Force est dès lors au tribunal de constater que le conseil communal de la Ville de Luxembourg, en surplombant le classement des parcelles de la demanderesse d’un « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » », a agi dans le cadre de sa propre sphère de compétence, lui attribuée par l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004, et n’a point, tel que soutenu par la société demanderesse, contourné la procédure prescrite par la loi du 18 juillet 1983. Le moyen tiré d’un « empiètement par le PAG sur des compétences relevant de l’Etat » est donc à rejeter pour ne pas être fondé.
• Dans le même contexte, la société demanderesse fait encore valoir que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 et l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 seraient inconstitutionnels, respectivement illégaux.
Elle reproche ainsi à l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 de violer les articles 16, 32 (3) et 10 bis de la Constitution.
En substance, elle argumente que l’article 16 de la Constitution protégerait le droit de la propriété et ne serait pas limité à l’expropriation proprement dite mais s’appliquerait également aux limitations de propriété. En l’espèce, le classement de ses parcelles en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » basé sur l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 constituerait une limitation de son droit de propriété résultant de la réglementation de son usage. Or, en limitant, voire, en supprimant l’exercice du droit de propriété ledit article 2 (e) toucherait à une matière réservée par la Constitution à la loi, de sorte que les mesures d’exécution à prendre dans cette matière trouveraient leur base dans l’article 32 (3) de la Constitution et non point de l’article 36 de la Constitution. Dans la mesure où dans les matières réservées à la loi, les habilitations générales seraient prohibées, l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004, pour pouvoir être exécuté par un règlement grand-
ducal, devrait énumérer limitativement et en détail les critères dont l’élaboration serait confiée au Grand-Duc. Ledit article 2 (e) ne fixerait pourtant pas les détails de son exécution. La demanderesse affirme à cet égard que : « S’il avait prévu ces détails, on aurait pu éviter les dérives qui résultent de l’article 33 du RGD-PAG. ». En guise de conclusion, la demanderesse prie le tribunal « à toutes fins utiles et pour autant que de besoin [de] surseoir à statuer et [de] poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « 1°Est-ce que l’article 2, point e) de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain est-il conforme à l’article 32 paragraphe (3) de la Constitution ? » La Ville de Luxembourg et la partie étatique contestent toute violation des articles 16 et 32 (3) de la Constitution et concluent au rejet du moyen afférent.
Aux termes de l’article 16 de la Constitution : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de la manière établis par la loi. » A titre liminaire, le tribunal relève que l’article 16 de la Constitution n’érige pas de manière générale le droit de propriété en matière réservée à la loi, mais se limite à interdire l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique, moyennant juste indemnité et dans les cas et de la manière établis par la loi, de sorte que seule l’expropriation constitue une matière réservée à la loi et non point la réglementation de l’usage des biens, étant précisé, dans ce contexte, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point essentiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation17.
Il échet ensuite de préciser que par un arrêt rendu en date du 4 octobre 201318, la Cour constitutionnelle tout en consacrant le principe de la mutabilité des plans d’aménagement général et en soulignant que le juge administratif n’était pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, mais que les propriétaires concernés pouvaient se pourvoir, le cas échéant, devant le juge judiciaire en vue de l’allocation d’une indemnité éventuelle, a déclaré contraires à l’article 16 de la Constitution les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 posant en principe que les servitudes résultant d’un plan d'aménagement général n’ouvrent droit à aucune indemnité et prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l’utilité publique. Dans le même arrêt, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la considération qu’elle avait retenue dans son arrêt du 26 septembre 200819, selon laquelle un changement dans les attributs de la propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation.
Dès lors, la Cour constitutionnelle n’a pas retenu que de manière générale toute servitude d’urbanisme constituait une expropriation, mais elle a en revanche retenu de manière nuancée que seul un changement dans les attributs de la propriété à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation. Cette nuance a, d’ailleurs, bien été relevée par le Conseil d’Etat dans son avis du 18 novembre 2014 par rapport au projet de loi relatif à la modification de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire20.
Dès lors, au vu de la solution dégagée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt précité du 4 octobre 2013, afin de déterminer si le classement en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » de la parcelle de la demanderesse s’apparente à une expropriation et tombe partant dans le champ d’application de l’article 16 de la Constitution, il échet de déterminer si ladite servitude d’urbanisme implique un changement dans les attributs de la propriété à tel point substantiel qu’elle prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels. Or, si le classement en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » des parcelles de la demanderesse a certes affecté son droit de propriété, dans la mesure où toute modification, transformation ou agrandissement dudit immeuble est subordonné à des conditions, elle n’est toutefois pas privée de sa propriété et ledit classement a uniquement apporté des limitations au droit d’usage de sa propriété, de sorte que parmi les trois attributs classiques du droit de propriété seul l’« usus » est affecté puisqu’il est désormais encadré, sans pour autant être vidé de sa substance, tandis que l’ « abusus » et le « fructus » restent intact. Il s’ensuit que le classement en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » n’entrave pas les attributs du droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation. Le classement opéré de la parcelle … de la demanderesse n’est dès lors pas à considérer comme expropriation et il ne tombe par conséquent pas dans le champ d’application de l’article 16 de la Constitution.
Eu égard aux considérations qui précèdent force est de conclure que les décisions déférées, n’interviennent pas en matière d’expropriation réservée à la loi par l’article 16 de la Constitution, de sorte que l’analyse du moyen tiré d’une violation de l’article 32 (3) de la Constitution au motif que les décisions déférées seraient intervenues en matière réservée à la loi, devient surabondante. Dès 17 Cour const., 26 septembre 2008, n° … du registre.
18 Cour constitutionnelle, 4 octobre 2013, n° … du registre.
19 inscrit sous le numéro … du registre.
20 Conseil d’Etat, avis n° 50.683, disponible sur http://www.conseil-etat.public.lu/fr.
lors, le tribunal est dispensé de l’obligation de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la conformité de l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 à l’article 32 (3) de la Constitution. En effet, en application de l’article 6, alinéa 1er de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, la connaissance des questions de constitutionnalité de normes législatives appartient exclusivement à la Cour constitutionnelle. Ce n'est que si une des exceptions prévues à l'article 6, alinéa 2, de la même loi est donnée qu'une juridiction peut se dispenser de poser une question de conformité à la Constitution, à savoir si elle estime a) qu'une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement, b) que la question de la constitutionnalité est dénuée de tout fondement, ou c) que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. Tel que le tribunal vient de le retenir, la question de la conformité de l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 à l’article 32 (3) de la Constitution est dénuée de tout fondement en l’espèce, et n’est donc pas nécessaire pour rendre le jugement, de sorte que le tribunal est dispensé d’en saisir la Cour constitutionnelle Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tiré d’une violation de l’article 16 en combinaison avec l’article 32 (3) de la Constitution, est à rejeter pour ne pas être fondé.
La société demanderesse conclut ensuite à une violation de l’article 10bis de la Constitution, en citant l’exemple de deux personnes, dont chacune est propriétaire d’un immeuble qui est frappée d’une mesure de protection, découlant, en ce qui concerne le premier immeuble, des dispositions de la loi du 19 juillet 2004 et, en ce qui concerne le second immeuble, des dispositions de la loi du 18 juillet 1983. La société demanderesse affirme qu’en raison desdites mesures de protection, les deux propriétaires subiraient les mêmes conséquences, à savoir une interdiction de démolir et une restriction d’exercer leur droit de propriété. Pourtant, les propriétaires seraient traités différemment.
Ainsi, le premier ne pourrait se défendre qu’en introduisant un recours en annulation contre un acte réglementaire et il ne pourrait réclamer une subvention étatique qu’à concurrence de 25% des frais de conservation et de restauration tandis que le second pourrait introduire un recours en réformation contre un acte individuel et solliciter des subventions de 50% et même plus des frais de conservation et de restauration. Elle conclut que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 serait contraire à l’article 10 bis de la Constitution puisqu’il déboucherait sur un traitement différent d’un propriétaire qui se trouverait dans une situation comparable à celle d’un propriétaire dont l’immeuble est frappé par des mesures de protection prises en application de la loi du 18 juillet 1983. La société demanderesse demande partant au tribunal « à toutes fins utiles et pour autant que de besoin [de] surseoir à statuer et [de] poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : (…) Ledit article 2, point e) est-il encore conforme à l’article 10bis de la Constitution ? ».
La Ville de Luxembourg ainsi que la partie étatique concluent au rejet du moyen afférent pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève qu’en application de l’article 6, alinéa 2 de la loi précitée du 27 juillet 1997 la question de la conformité de l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 à l’article 10bis de la Constitution est à écarter pour être dénuée de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu de saisir la Cour constitutionnelle. En effet, le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée21.
21 trib. adm. 12 janvier 1999, n° 10800 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 8 et les autres références y citées.
En l’espèce, la demanderesse en tant que propriétaire d’une parcelle soumise à une protection du patrimoine culturel sur base de la loi du 19 juillet 2004 ne se trouve précisément pas dans la même situation de droit que le propriétaire dont la parcelle aurait été soumise à une protection sur base de la loi du 18 juillet 1983, étant donné, justement, que la base légale des deux classements diffère.
Ainsi, tel que le tribunal vient de le retenir les deux régimes de protection du patrimoine culturel dont l’un trouve sa base légale dans la loi du 18 juillet 1983 et, l’autre, dans la loi du 19 juillet 2004, sont distincts comme relevant de la compétence d’autorités différentes et répondant à des critères spécifiques inscrits de part et d’autre dans des corps de textes différents à appliquer respectivement, chacun dans son propre contexte. Il s’ensuit que l’article 10 bis de la Constitution n’est pas applicable au cas de figure d’espèce. Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’« un empiètement par le PAG sur les compétences relevant de l’Etat » est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses points.
-
Quant au moyen selon lequel « le PAG n’a pas pu fixer des servitudes de sauvegarde tout en abandonnant au PAP le soin de définir les secteurs protégés » La société demanderesse se réfère à l’article 5 de la loi du 19 juillet 2004 selon lequel le PAG serait en substance un ensemble de prescriptions couvrant l’ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones et dont elles arrêtent l’utilisation du sol. Or, à la lecture de l’article 29 de la partie écrite du PAG de la Ville de Luxembourg , définissant le « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » », il s’avérerait que celui-ci ne définirait pas de zones en arrêtant l’utilisation du sol de chaque zone, mais définirait en réalité des servitudes de sauvegarde.
En revanche, le PAP « quartier existant », en arrêtant une multitude de différents secteurs protégés définirait des zones et l’utilisation du sol de celles-ci. La demanderesse précise qu’elle introduirait un recours en annulation contre ledit PAP pour être doublement illégal, dans la mesure où (i) il interviendrait dans le champ d’application réservé au PAG et (ii) il créerait ex nihilo des zones non prévues par le PAG. Elle conclut que le PAG contiendrait des dispositions urbanistiques qui relèveraient manifestement du PAP.
La société demanderesse ajoute que la Cour administrative aurait par son arrêt du 13 juillet 2017, inscrit sous le numéro 39294 du rôle, déclaré illégal l’article 33, alinéa dernier du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, qui, en exigeant que les servitudes de sauvegarde et de protection devraient être définies au niveau du PAG serait contraire à l’article 25, alinéa 1er de la loi du 19 juillet 2003.
Tant l’administration communale que la partie étatique concluent au rejet du moyen afférent.
Le tribunal rappelle de prime abord qu’en application de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal, notamment en veillant au respect du patrimoine culturel et à un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis au même article 2.
L’article 5 de la même loi dispose que : « Le plan d’aménagement général est un ensemble de prescriptions graphiques et écrites à caractère réglementaire qui se complètent réciproquement et qui couvrent l'ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones dont elles arrêtent l’utilisation du sol. (…) » tandis que l’article 25, alinéa 1er de la même loi prévoit que : « Le plan d’aménagement particulier précise et exécute les dispositions réglementaires du plan d’aménagement général concernant une zone ou partie de zone. ».
L’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit notamment que le contenu des parties graphique et écrite du plan d'aménagement général est arrêté par règlement grand-ducal. En application dudit article 9 a été adopté le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 qui dispose dans son article 33 intitulé : « Secteurs protégés d’intérêt communal » qu’: « On distingue les secteurs protégés de type « environnement construit » et les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » d’importance communale.
Les secteurs protégés de type « environnement construit » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.
Les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des espaces naturels et des paysages dignes de protection ou de sauvegarde.
Ces secteurs sont soumis à des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection définies dans le plan d’aménagement général. Les secteurs protégés de type « environnement construit » sont marqués de la surimpression «C». Les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » sont marqués de la surimpression « N ». ».
Quant à l’argumentation de la demanderesse selon laquelle il se dégagerait du susdit arrêt de la Cour administrative du 13 juillet 2017, portant le numéro 39294C du rôle, que les zones superposées, telles que prévues par l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, relèveraient des PAP, de sorte que les dispositions de l’article 29 de la partie écrite du PAG réglementant le « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » seraient contraires aux dispositions de la loi du 19 juillet 2004, le tribunal relève que dans l’arrêt en question, la Cour a rejeté le motif ministériel de refus d’approbation d’un PAG de la commune en question tiré de ce que les servitudes relatives aux secteurs protégés d’intérêt communal, dont plus particulièrement ceux de type « environnement construit », ne figuraient pas au PAG, lequel se bornait à renvoyer aux servitudes fixées dans le PAP « quartier existant ».
Pour arriver à cette conclusion, la Cour a noté ce qui suit :
« (…) Il est vrai que l’économie générale de la loi du 19 juillet 2004, par opposition à la législation antérieure du 12 juin 1937, emporte que le PAG ne constitue plus qu’un cadre large comportant des dispositions d’ordre général concernant le classement des terrains faisant partie du territoire communal, tandis que le détail des règles d’urbanisation est appelé à figurer au niveau des PAP pertinents qui doivent être en tous points conformes au PAG.
Pour rappel, sous l’égide de la loi du 12 juin 1937, l’essentiel des règles d’urbanisme figurait au niveau du PAG et le PAP servait à des dispositions précises de détail qui, le cas échéant, pouvaient être contraires aux règles du PAG dans l’intérêt notamment d’une urbanisation cohérente de la partie concernée du territoire communal.
Ainsi, l’article 5 de la loi du 19 juillet 2004 définit précisément le PAG comme étant un ensemble de prescriptions graphiques et écrites à caractère réglementaire qui se complètent réciproquement et qui couvrent l’ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones dont elles arrêtent l’utilisation du sol.
C’est précisément l’article 25, alinéa 1er, de la loi du 19 juillet 2004 qui porte que « le plan d’aménagement particulier précise et exécute les dispositions réglementaires du plan d’aménagement général concernant une zone ou partie de zone ».
Il est patent que les secteurs protégés d’intérêt communal, qu’il s’agisse de ceux de type « environnement construit » ou de ceux de type « environnement naturel et paysage », constituent, sous l’angle de l’article 25, alinéa 1er, de la loi du 19 juillet 2004, des parties de zones.
Dès lors, en application dudit article 25, alinéa 1er, c’est le PAP qui est appelé à préciser et exécuter les dispositions réglementaires du PAG concernant précisément une partie de zone.
En d’autres termes, c’est au PAG de déterminer les secteurs protégés d’intérêt communal, tandis que, toujours suivant l’économie de la loi du 19 juillet 2004, il appartient, conformément à son article 25, alinéa 1er, au PAP de préciser et exécuter les dispositions réglementaires afférentes dont notamment les servitudes correspondant aux différents secteurs protégés d’intérêt communal, sans que ces servitudes ne doivent pas d’ores et déjà figurer au PAG.
Partant, en ce que l’article 33, alinéa final, exige que les servitudes spéciales de sauvegarde et de protection doivent être définies au niveau du PAG, l’obligation ainsi imposée, en premier lieu à la commune en tant qu’initiatrice du PAG, est contraire à l’article 25, alinéa 1er, de la loi du 19 juillet 2004.
En application de l’article 95 de la Constitution, ce passage précis de l’alinéa final de l’article 33 du RGD-PAG est à déclarer inapplicable. (…) ».
Force est au tribunal de constater que contrairement à ce que suggère la demanderesse, il ne se dégage pas de cet arrêt que les zones superposées et, plus particulièrement, les secteurs protégés d’intérêt communal de type « environnement construit » relèveraient exclusivement des PAP, étant donné que la Cour a expressément précisé qu’il appartient au PAG de déterminer de tels secteurs protégés.
Le tribunal relève ensuite que la Cour a pris soin de préciser que « (…) la déclaration d’inapplicabilité prévisée ne couvre pas la question, par ailleurs non pertinente pour la solution du présent litige, consistant à savoir si le PAG peut néanmoins prévoir pareille servitude (…) ».
Ainsi, l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 n’a été déclaré illégal que dans la mesure où il dispose que les servitudes de protection y visées doivent être prévues au PAG et non pas au PAP.
En l’absence de disposition expresse contraire, le tribunal est amené à conclure que si elles ne peuvent y être obligées, compte tenu des enseignements se dégageant du susdit arrêt de la Cour administrative, les autorités communales gardent néanmoins la faculté de définir, dans le PAG lui-
même, des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection s’appliquant dans les secteurs protégés d’intérêt communal de type « environnement construit », sur base des articles 2 e) de la loi du 19 juillet 2004 et 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011.
L’argumentation en sens contraire de la demanderesse encourt, dès lors, le rejet B. Quant aux moyens tirés d’une illégalité interne des décisions déférées - Quant au moyen selon lequel « le quartier… en général et la parcelle de la requérante en particulier ne relèvent d’aucune des servitudes de sauvegarde arrêtées par le PAG » La société demanderesse argumente que le PAP ne définirait aucunement le quartier… en général et sa parcelle en particulier comme étant soumis aux servitudes de sauvegarde par le PAG.
Plus concrètement, elle fait valoir que la partie écrite du PAG arrêterait sous son article 29 sept types de servitudes de sauvegarde. En parcourant ces différents types de servitudes de sauvegarde, il s’avérerait que le quartier… ne tomberait sous aucune de ces servitudes. Ainsi, le PAP QE indiquerait le quartier… par un pointillé en couleur turquoise, alors qu’une telle identification ne serait pas prévue par le PAG. Elle conclut que « l’absence de marquage par le PAP QE du quartier… en général et [de ses] parcelles en particulier en fonction des servitudes de sauvegarde prévues par le PAG implique un double constat d’illégalité du PAP ». Ainsi, d’une part, cette absence de marquage confirmerait le fait que le quartier… en général et sa parcelle en particulier n’accueilleraient aucune construction digne de protection ce qui démontrerait l’illégalité du PAG dans la mesure où il aurait tout de même recouvert le quartier concerné d’une zone superposée « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit -C » ». D’autre part, le PAP QE aurait crée ex nihilo un secteur protégé des ensembles sensibles recouvrant le quartier… et plus particulièrement sa parcelle. Ce secteur ne trouverait, en effet, aucune base dans le PAG. Or, le PAP, censé préciser et exécuter le PAG, ne pourrait pas créer de façon autonome une zone superposée de protection qui aurait vocation à s’appliquer à tous les autres secteurs qui ne correspondent pas aux servitudes prévues par le PAG.
Face à cet argumentaire, l’administration communale se limite à affirmer dans le cadre de son mémoire en réponse que la parcelle litigieuse aurait été classée par le PAP QE en « secteur protégé des ensembles sensibles [SPR-es] » régi par l’article D.10 de la partie écrite des PAP QE au motif qu’elle aurait considéré que ce secteur du territoire communal constituerait de par son caractère harmonieux et de par sa composition urbaine un ensemble cohérent, digne d’être protégé. Les dispositions de l’article D.10 de la partie écrite des PAP QE auraient précisément pour objet de préciser et d’exécuter les dispositions de l’article 29 du PAG et donc les servitudes de sauvegarde qu’il prévoit.
La partie étatique n’a pas pris position quant à ce moyen.
Force est au tribunal de constater que si la demanderesse argumente que le PAP QE aurait créé le classement du « secteur protégé des ensembles sensibles », sans que le PAG n’aurait énuméré une telle catégorie parmi la liste des secteurs protégés, elle soulève en fait la question de la légalité de la partie écrite des PAP QE. Toujours est-il que le recours sous examen est dirigé contre les décisions communale et ministérielle ayant adopté le PAG et vise dès lors la légalité du PAG. Il s’ensuit qu’indépendamment de la question du bien-fondé du moyen avancé par la partie demanderesse, ce dernier est à rejeter pour ne pas avoir trait aux décisions déférées dans le cadre du recours sous examen. Si, dans le même contexte, la demanderesse tente de déceler une illégalité du PAG dans le fait que l’absence de marquage du quartier… par le PAP QE en fonction des servitudes prévues par le PAG confirmerait que le quartier… n’accueillerait aucune construction digne de protection de sorte que le PAG serait illégal, ce raisonnement est, à son tour, à rejeter. En effet, le fait que le PAP ne se soit, le cas échéant, pas conformé au PAG, en ne reprenant pas les indications et couleurs telles que prescrites par le PAG, n’affecte que la légalité du PAP, sans produire un quelconque effet sur la légalité du PAG.
Le moyen afférent est partant à rejeter pour n’être fondé en aucun point.
- Quant au moyen tiré du fait que les décisions déférées ne seraient pas justifiées par des considérations d’ordre urbanistique répondant à une finalité d’intérêt général, et seraient entachées d’erreurs de fait, d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation La société demanderesse fait valoir que le classement litigieux serait frappé d’une flagrante illégalité. Il relèverait ainsi d’une « aberration urbanistique » de vouloir considérer le quartier dont fait partie sa parcelle comme étant digne de protection au sens de l’article 29 du PAG. La demanderesse s’appuie sur différentes photos pour affirmer que le quartier concerné se composerait de constructions ne présentant pas le moindre intérêt historique ou artistique, que les constructions seraient complètement banales, sans la moindre authenticité et se trouveraient de surcroît à l’abandon et dans un état de délabrement avancé. Enfin, elle ajoute que le classement du secteur protégé critiqué aurait été appliqué de façon complètement arbitraire. Ainsi, la motivation à la base dudit classement serait complètement arbitraire dans la mesure où des constructions du même quartier présentant des apparences strictement identiques se trouveraient tantôt intégrées dans le secteur protégé, tantôt exclues de celui-ci, sans qu’il n’existe une quelconque raison objective justifiant le traitement différent de ces constructions strictement identiques.
Tant l’administration communale que la partie étatique contestent ces critiques.
L’administration communale argumente que les développements de la partie demanderesse seraient vagues, abstraits et non démontrés. Elle explique que sous l’ancien PAG « Joly », les immeubles litigieux auraient déjà fait l’objet d’un régime de protection par le biais d’un classement en « zone d’habitation 3 – ensembles sensibles ». Les parcelles concernées accueilleraient, en effet, des immeubles construits, dont la composition et les façades seraient « tout à fait remarquables » et répondraient aux critères de l’article 29, alinéa 1er de la partie écrite du PAG. La commune ajoute qu’un classement en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » » pourrait se justifier alors même que la rue dans sa globalité ne présenterait pas une totale harmonie des constructions existantes ou que la rue ne contiendrait pas que des immeubles répondant au moins à un des critères précités. Ainsi, certains immeubles ou groupes d’immeubles situés dans une rue pourraient être soumis aux contraintes découlant de cette protection, alors même que la composition urbaine de la rue présenterait une certaine hétérogénéité avec des styles architecturaux variés, voire des immeubles qui ne paraissent pas, du moins au premier regard, remplir un des critères prévus à l’article 29, alinéa 1er de la partie écrite du PAG. Dans le cadre de son mémoire en duplique, l’administration communale conteste s’être basée sur la prise en considération isolée d’un immeuble pour motiver le classement en « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit – C » ». Bien au contraire sa réflexion aurait été opérée à l’échelle du quartier… ou du moins d’une partie de ce quartier. Elle se réfère encore à un extrait de l’étude préparatoire du PAG relatif à la déviation du flux de circulation de la rue … vers la route …, selon lequel : « (…) Cela permettrait également de consolider le centre d’Eich, d’apaiser les environs du foyer scolaire existant et de mettre en valeur les maisons de maître donnant un caractère au quartier ». Elle cite encore un extrait de ladite étude préparatoire selon lequel : « (…) la Ville de Luxembourg souhaite renforcer davantage la préservation des ensembles bâtis caractéristiques existants et maintenir voire renforcer les caractéristiques propres de chaque quartier, notamment les typologies des constructions et la qualité du tissu bâti.
L’analyse de la structure urbaine dans la première partie de l’étude préparatoire, respectivement, l’analyse des ensembles bâtis et des éléments isolés protégés et digne de protection démontre qu’une partie du tissu bâti existant et ayant un intérêt architectural et patrimonial n’était pas suffisamment protégée.
Afin de remédier à cette situation, le projet de PAG prévoit, d’un côté, l’extension des secteurs protégés et des ensembles sensibles existant et, d’un autre côté, la création de nouveaux secteurs protégés ainsi que la définition de prescriptions spécifiques dans le cadre des plans d’aménagement particulier « quartier existant » (PAP QE). Ces prescriptions visent le maintien des caractéristiques du tissu bâti, de la typologie du bâti, des éléments architecturaux spécifiques, ainsi que le traitement des espaces libres entourant les bâtiments. ».
L’administration communale argumente encore que les différents blocs d’immeubles identiques, auxquels des classements distincts auraient été appliqués de manière complètement arbitraire selon la demanderesse, se distingueraient « totalement notamment au niveau des hauteurs et des alignements de façade ».
Enfin, l’administration communale explique que les affirmations du ministre dans sa décision du 5 octobre 2017 selon lesquelles les bâtiments litigieux se trouveraient actuellement en « secteur protégé du petit patrimoine » et en « zone de bâtiments et équipements publics [BEP] », sembleraient « être le résultat d’une erreur matérielle ». A son avis, cette erreur matérielle ne saurait pourtant être considérée comme une erreur de fait et ne saurait en aucun cas justifier l’annulation des décisions déférées, puisque : « les autres éléments de cette décision [seraient] fondés ».
La partie étatique fait valoir dans le cadre de son mémoire en réponse que les immeubles construits sur la parcelle … appartenant à la demanderesse figureraient parmi 15 autres immeubles sur un total de 37 dans le quartier… à analyser en vue d’une protection nationale. Elle argumente encore que les exemples donnés par la partie demanderesse pour conclure à l’absence de nécessité de protection, constitueraient notamment « un ensemble de petites maisons d’ouvriers construites au début du 20e siècle par l’ARBED dans son style typique et pour son personnel, à proximité immédiate du site sidérurgique à …, qui était l’un des plus importants du pays. Cet ensemble sensible constitue un bel exemple authentique de la pratique bien connue de l’ARBED de construire pour ses ouvriers des maisons unifamiliales, jumelés en bande. Il témoigne ainsi de l’histoire industrielle et locale, et plus particulièrement de l’époque de la sidérurgie et de l’industrie lourde à …, ayant sa part incontestable dans l’essor du Grand-Duché. ».
La partie étatique conclut que le classement se justifierait « tant quant à la demeure particulière que de manière générale quant au caractère du quartier lié à l’histoire du Grand-
Duché ». En se référant à un jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2017 inscrit sous le numéro 37637 du rôle, elle estime que même si des constructions ne font pas partie d’un ensemble cohérent d’immeubles et ne présentent aucune caractéristique digne de protection, le classement en secteur protégé se justifierait néanmoins afin d’éviter que d’éventuelles futures constructions y érigées ne pourraient pas porter atteinte à la cohérence de l’ensemble formé par les bâtiments dignes de protection.
Le tribunal précise, à titre liminaire, que les autorités communales, lorsqu'elles initient des modifications de leurs plans d'aménagement, doivent être mues par des considérations légales d'ordre urbanistique ayant trait à l'aménagement des agglomérations et d'ordre politique tirées de l'organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d'intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l'esthétique urbaine qu'au développement rationnel des agglomérations22.
Dans ce contexte, la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l'article 7 de la loi précitée du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d'opportunité et notamment d'ordre politique, à la base de l'acte administratif attaqué et inclut la vérification, d'après les pièces et 22 Trib. adm., 20 octobre 2004, n° 17604 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 172 et les autres références y citées.
éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s'est fondée l'administration sont matériellement établis à l'exclusion de tout doute. Dès lors, le tribunal est amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l'existence est vérifiée, une erreur d'appréciation étant susceptible d'être sanctionnée dans la mesure où elle est manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l'autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité23.
S'il est partant certes vrai que le choix d'entériner ou de ne pas entériner la modification d'un plan d'aménagement relève d'une dimension politique et échappe comme tel au contrôle des juridictions de l'ordre administratif saisies d'un recours en annulation, il n'en dem eure pas moins que tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l'existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l'obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n'ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir et cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l'intérêt général, de sorte qu'il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidées dans leur décision, le contrôle exercé par le juge de l'annulation ne portant dès lors pas sur l'opportunité, mais sur la réalité et la légalité des motifs avancés24.
Concrètement, en l’espèce, face aux contestations soulevées par la société demanderesse, le tribunal est amené à vérifier la réalité et la légalité des motifs avancés par les autorités communale et ministérielle à l’appui du classement du quartier… en « secteur protégé de type « environnement construit » ».
A cet égard, le tribunal vient de préciser qu’en application de l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004, un des objectifs à poursuivre par les autorités communales dans le cadre de l’élaboration d’un plan d'aménagement général est d’assurer le respect du patrimoine culturel. Tel que retenu ci-avant, l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 – adopté en exécution de l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 - prévoit le régime des « Secteurs protégés d’intérêt communal », notamment en les divisant en « secteurs protégés de type « environnement construit » » et en « secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » ». L’article 29 de la partie écrite du PAG adopté sur base dudit article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 dispose que : « Les secteurs protégés d'intérêt communal de type «environnement construit» constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d'immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment importance architecturale, témoignage de l'immeuble pour l'histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.
Ces secteurs couvrent des quartiers ou parties de quartiers qu'il s'agit de préserver pour conserver l'identité et l'histoire urbanistique de la Ville. Ils sont soumis à des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection définies dans la présente partie écrite et précisées dans les parties écrite et graphique des PAP QE. ».
En l’espèce, il ressort de la partie graphique du PAG qu’en ce qui concerne le quartier…, les deux côtés de la rue … sont classés sur la quasi-totalité de leur longueur en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » ». La Ville de Luxembourg se contente de motiver ce classement par (i) le fait que sous l’ancien PAG Joly, les immeubles litigieux auraient déjà fait l’objet 23 Trib. adm., 27 décembre 2007, n° 22243 du rôle, confirmé par Cour adm. 23 juillet 2008, n° 24055C du rôle, Pas. adm.
2018, V° Urbanisme, n°189 et les autres références y citées.
24 Trib. adm. 23 mars 2005, n° 18463 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 612 et les autres références y citées.
d’un régime de protection, (ii) le fait que les immeubles construits revêtiraient des compositions et des façades « tout à fait remarquables », de sorte à répondre « indiscutablement » à au moins un des critères prévus par l’article 29 de la partie écrite du PAG et (iii) le fait qu’une rue ne devrait pas présenter une totale harmonie des constructions existantes, ni contenir uniquement des immeubles répondant à au moins un des critères précités pour être classée en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » ». La partie étatique insiste sur la présence de certains immeubles dignes de protection dans le quartier, dont notamment « 15 immeubles à analyser en vue d’une protection nationale sur 37 dans le quartier ». Ces immeubles témoigneraient de l’histoire industrielle et locale, et plus particulièrement de l’époque de la sidérurgie et de l’industrie lourde à ….
Force est à cet égard, à titre liminaire, au tribunal de constater qu’un certain consensus entre les parties se dégage de leurs mémoires respectifs en ce qui concerne le caractère digne de protection de certains immeubles isolés situés dans la partie du quartier… concernée. A cet égard, il y a lieu de préciser que les autorités communales sont habilitées à procéder à la création de secteurs protégés de type « environnement construit » et que, par ailleurs, l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 prévoit expressément que les secteurs protégés de type environnement construit comprennent des « immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection », de sorte qu’il relève de la logique inhérente au système mis en place par le législateur pour assurer le respect du patrimoine culturel, que les autorités communales sont autorisées à désigner de manière individuelle à l’intérieur des secteurs protégés de type environnement construit, les immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection25.
Il convient encore à titre liminaire de retenir que la Ville de Luxembourg affirme à juste titre qu’une totale harmonie entre différents immeubles d’une rue ou d’un quartier n’est pas nécessairement requise pour pouvoir procéder au classement en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » » de ladite rue ou dudit quartier.
Toutefois, en l’espèce, la partie demanderesse avance des contestations circonstanciées appuyées par de nombreuses photographies à l’encontre de l’affirmation de l’existence d’un intérêt historique ou artistique, voire, du caractère authentique d’une partie des immeubles longeant la rue … dans le quartier… – et plus particulièrement de ses propres immeubles - et classés en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » ». Elle soumet ainsi au tribunal des photos d’immeubles longeant la rue … présentant a priori des façades sans particularités, dépourvues d’authenticité, comportant de nombreux éléments en plastique ainsi que des installations techniques en apparence et pour partie en état de fort délabrement. Les photographies versées en cause par la partie demanderesse ne permettent, par ailleurs, tel que la partie demanderesse le soulève à juste titre, pas de dégager une quelconque différence entre les immeubles classés en secteur protégé et les immeubles situés directement en face, qui ne sont pourtant pas classés en secteur protégés et qui ont entretemps été démolis, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les parties défenderesses.
Face à ces contestations détaillées, tant la Ville de Luxembourg que la partie étatique restent en défaut de répondre à suffisance et surtout de justifier à suffisance le classement des immeubles concernés en secteur protégé. Ainsi, les parties défenderesses, à part de simples affirmations, manquent d’indiquer concrètement les éléments d’« authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment importance architecturale, témoignage de l'immeuble pour l'histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle » correspondant aux critères requis par l’article 29 de la partie écrite du PAG pour pouvoir justifier un classement en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » ». En effet, si elles expliquent que les immeubles longeant la rue … constitueraient en 25 trib. adm. 9 juin 2016, n° 35788 du rôle, publié sur www.jurad.etat.lu.
grande partie des maisons ouvrières construites en début du 20e siècle par l’entreprise ARBED, elles restent en défaut de détailler concrètement les critères distinctifs permettant de caractériser les immeubles concernés en tant que maisons ouvrières construites au début du 20e siècle, de sorte que leurs explications restent de simples affirmations non étayées concrètement. Elles ne prennent, par ailleurs, pas position par rapport à l’éventuel impact, sur les différentes caractéristiques conditionnant le classement en secteur protégé, de l’état de dégradation avancée de certains des immeubles concernés, ainsi que des nombreux éléments de construction et des éléments techniques rajoutés aux façades de ces immeubles au fil des décennies.
De surcroît, il convient de noter que les parties défenderesses n’ont soumis au tribunal aucune pièce, aucun document et aucun rapport, permettant de conclure à un intérêt historique, artistique, voire au caractère authentique des immeubles situés dans la partie du quartier… concernée, et plus particulièrement des immeubles de la partie demanderesse. Si la Ville de Luxembourg se réfère, certes, dans le cadre de son mémoire en duplique à l’étude préparatoire du PAG, il convient de constater, d’une part, qu’il s’agit d’un document élaboré à la demande de la Ville de Luxembourg elle-même, donc d’une partie au litige, de sorte qu’il n’est pas surprenant qu’il confirme les affirmations de cette dernière et, d’autre part, que ladite étude ne se réfère de manière explicite qu’aux seules maisons de maître situées dans le quartier…, sans faire une quelconque allusion à d’autres immeubles ou constructions du quartier, et plus particulièrement à des maisons ouvrières construites par l’entreprise ARBED au début du 20e siècle, ni a fortiori, à leur éventuel potentiel de conférer un caractère digne de protection audit quartier dans son ensemble.
Enfin, le tribunal constate qu’au-delà du défaut par les parties défenderesses d’établir à suffisance que de manière générale la partie concernée du quartier… remplit les critères requis par l’article 29 de la partie écrite du PAG pour pouvoir justifier un classement en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » », elles restent encore en défaut d’indiquer de manière plus particulière les caractéristiques des immeubles appartenant à la demanderesse les rendant susceptibles d’être classés en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » ». En effet, si la Ville de Luxembourg ne se prononce pas du tout quant aux caractéristiques des différents immeubles, la partie étatique se contente d’indiquer que lesdits immeubles auraient été répertoriés comme immeubles à analyser en vue d’une protection nationale par le service des sites et monuments nationaux, sans pour autant relever une quelconque caractéristique distinguant lesdits immeubles et les rendant éligibles au classement en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » ».
Il suit des considérations qui précèdent que la réalité et la légalité des motifs avancés par la Ville de Luxembourg ainsi que par la partie étatique à la base du classement de la parcelle inscrite au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … d’Eich, sous le numéro … en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » » ne sont pas justifiées à suffisance surtout au regard des critiques et contestations circonstanciées de la société demanderesse. Partant les décisions déférées encourent l’annulation pour autant qu’elles ont procédé audit classement.
- Quant aux considérations finales soulevées par la demanderesse En guise de considérations finales, la partie demanderesse affirme, en premier lieu, que le classement par le PAG d’une partie du quartier… en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » » empêcherait tout réaménagement dudit quartier qui constituerait pourtant l’entrée principale de la Ville de Luxembourg en venant du Nord du pays et ainsi de bloquer toute urbanisation contemporaine digne d’une capitale. En second lieu, elle reproche au PAP QE d’avoir classé la partie concernée du quartier… en « secteur protégé des ensembles sensibles [SPR-
es] », tout en admettant que les reproches ainsi avancés concerneraient le PAP QE et non point le PAG et en expliquant qu’elle dirigerait en parallèle un recours contentieux à l’encontre du PAP concerné.
Les parties défenderesses concluent au rejet des moyens afférents.
Force est au tribunal que la demanderesse, à part de vagues affirmations, reste en défaut d’établir que le seul classement en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » » rendrait tout réaménagement du quartier… impossible et surtout d’établir que l’empêchement d’un tel réaménagement serait contraire à une urbanisation cohérente et à l’intérêt général, de sorte à affecter la légalité du PAG. Il s’ensuit que ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, tel que la société demanderesse l’admet elle-même, le moyen tiré du classement « secteur protégé des ensembles sensibles [SPR-es] » relève d’une question de légalité du PAP QE et non point du PAG, de sorte à ne pas être pertinent dans le cadre du recours sous examen, dirigé exclusivement contre les décisions communale et ministérielle ayant approuvé le PAG. Ledit moyen est partant, à son tour, à rejeter pour ne pas être fondé.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les décisions déférées encourent l’annulation dans l’unique mesure où elles ont classé en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » » la parcelle inscrite au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … d’Eich, sous le numéro … et le recours est rejeté pour le surplus pour n’être fondé dans aucun autre de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours en annulation irrecevable pour autant qu’il vise la délibération du conseil communal du 13 juin 2016 ;
le déclare recevable pour le surplus ;
au fond, le déclare partiellement justifié, partant annule la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017 par laquelle il a approuvé le projet de refonte du PAG de la Ville de Luxembourg ainsi que la décision du ministre de l’Intérieur du 5 octobre 2017 ayant approuvé la décision précitée du conseil communal du 28 avril 2017, dans l’unique mesure où elles ont classé en « secteur protégé d'intérêt communal de type « environnement construit » » la parcelle inscrite au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … d’Eich, sous le numéro … ;
pour le surplus, le déclare non justifié, partant le rejette ;
condamne la partie étatique ainsi que la Ville de Luxembourg aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 21 septembre 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22/09/2020 Le greffier du tribunal administratif 36