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28/08/2020 | LUXEMBOURG | N°44696

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2020, 44696


Tribunal administratif N° 44696 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2020 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 28 août 2020 Recours formé par Monsieur …, Mondercange, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44696 du rôle et déposée le 23 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Sh

anez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 44696 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2020 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 28 août 2020 Recours formé par Monsieur …, Mondercange, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44696 du rôle et déposée le 23 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Shanez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, résidant actuellement à L-

…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 juillet 2020 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot entendu en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 26 août 2020.

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Le 7 janvier 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 29 avril 2019, notifié à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale.

Il ressort d’un rapport d’éloignement du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale du 5 juin 2019 que Monsieur … a été éloigné vers l’Italie le même jour.

En date du 4 juillet 2019, les autorités françaises contactèrent les autorités luxembourgeoises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable del’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III », demande qui fut rejetée par les autorités luxembourgeoises en date du 8 juillet 2019, alors que l’Italie aurait tacitement accepté la demande de prise en charge de Monsieur … en date du 16 mars 2019 et que ce dernier aurait été transféré vers l’Italie le 5 juin 2019.

Suivant rapport de la police grand-ducale, région Capitale, Commissariat Luxembourg – Groupe Gare, n° 50555, du 10 février 2020, Monsieur … fut, à cette même date, intercepté par la police à la gare de Luxembourg.

Le même jour, l’intéressé s’est vu notifier un arrêté constatant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et assorti d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen.

Par arrêté du 21 février 2020, Monsieur … fut placé au Centre de rétention.

Le 21 février 2020, Monsieur … déposa auprès du ministère une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Il fut confirmé à cette occasion, par une consultation de la base de données EURODAC, que Monsieur … avait irrégulièrement franchi la frontière italienne en date du 25 novembre 2018, qu’il avait précédemment déposé des demandes de protection internationale au Luxembourg le 7 janvier 2019 et en France le 27 juin 2019.

Le 4 mars 2020, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

Par courrier de son litismandataire daté du 4 mars 2020, adressé au ministère, Monsieur … informa le ministre qu’il serait le père de l’enfant porté par une dénommée Madame … et ne souhaiterait dès lors pas être transféré vers l’Italie, alors que son enfant allait naître au Luxembourg. Le demandeur laisse entendre que ce fait n’aurait pas été retenu dans son entretien Dublin III du même jour et il verse encore un certificat de grossesse du 10 février 2020 à l’appui de ses dires.

En date du 5 mars 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragrpahe (1) du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités italiennes firent droit par un courrier électronique du 4 mai 2020.

Par courrier du 11 mars 2020, l’agent du ministère ayant tenu l’entretien Dublin III de Monsieur … conteste les faits lui reprochés par Monsieur … et précise que non seulement ce dernier n’en aurait parlé à aucun moment, mais qu’il aurait interrogé le demandeur sur son état civil et qu’en raison du fait qu’il aurait indiqué n’avoir qu’une copine, ce fait n’aurait pas été intégré dans le rapport Dublin III.

Par arrêté séparé du même jour, le ministre ordonna la mainlevée de l’arrêté de placement en rétention du 21 février 2020.

Par arrêté du 16 mars 2020, le ministre assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois, assignation qui fut prorogée par arrêté ministériel du 15 juin 2020.

Par décision du 6 juillet 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 8 juillet 2020, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des articles 13, paragraphe (1) et 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 21 février 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 18(1) a) et 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police grand-ducale du 10 février 2020 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 4 mars 2020. En mains également la télécopie de votre mandataire du 4 mars 2020, par laquelle elle nous informe de la grossesse de votre copine Madame ….

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 21 février 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

Rappelons que vous avez déjà introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 janvier 2019 et que cette demande a été rejetée en date du 29 avril 2019. Le transfert vers l’Italie fut effectué en date du 5 juin 2019.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018 et que vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 janvier 2019 et en France en date du 27 juin 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 4 mars 2020.

A cet égard, il y a lieu de souligner que l’article 7(2) du règlement DIII dit que « la détermination de l’Etat membre responsable (…) se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d’un Etat membre » et que, en date du 16 mars 2019, l’Italie avait déjà tacitement accepté notre requête aux fins de prise en charge basée sur l’article 13(1) du 3 règlement DIII.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 5 mars 2020 une nouvelle demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base des articles 18(1) a) et 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 4 mai 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 21 février 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018 et que vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en 4 date du 7 janvier 2019 et en France en date du 27 juin 2019.

Selon vos déclarations vous auriez quitté l’Érythrée en date du 5 juin 2016. Vous seriez parti à pied en Ethiopie, où vous seriez resté pendant deux mois. Ensuite vous auriez passé quatre mois au Soudan et un an et huit mois en Libye. Le 23 novembre 2018, vous auriez pris le bateau pour vous rendre en Italie où vous seriez resté pendant un mois. Suite à votre première demande de protection internationale au Luxembourg et votre transfert en Italie, vous seriez parti en France et vous y auriez séjourné pendant cinq mois. Les autorités françaises vous auraient également transféré en Italie, mais vous auriez quitté le pays après cinq jours afin de revenir au Luxembourg en date du 4 janvier 2020.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 4 mars 2020, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Par ailleurs, il n’existe pas de preuve que vous êtes effectivement le père de l’enfant à naître de Madame …. La date présumée de l’accouchement étant le 7 octobre 2020, il va de soi qu’aucun lien familial n’aurait pu exister dans votre pays d’origine. Les conditions pour une application de l’article 10 du règlement DIII ne sont donc pas remplies.

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement, des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv.

torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.

5 Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

6 D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées (…) ».

Le 6 juillet 2020, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, afin d’organiser le transfert de Monsieur … vers l’Italie, en précisant qu’il ne pourrait être organisé avant le 23 juillet 2020.

Par courrier de son litismandataire du 22 juillet 2020, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 6 juillet 2020, en faisant notamment valoir qu’il serait dans une relation stable avec Madame …, demanderesse d’asile au Luxembourg, qu’elle serait enceinte de leur enfant commun, de sorte qu’il solliciterait l’application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III afin que sa demande de protection internationale puisse être examinée par le Grand-Duché du Luxembourg, en précisant que l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », s’opposerait à son transfert en Italie.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 6 juillet 2020.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant, par ailleurs, expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée du 6 juillet 2020, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur résume les rétroactes à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale et précise notamment qu’il aurait fait connaissance de Madame … à son retour au Luxembourg et qu’ils seraient en couple depuis le début février 2020. Il explique que sa copine aurait été enceinte à la date de son entretien Dublin III du 4 mars 2020 et qu’il aurait relayé cette information à la même date par le biais d’un certificat de grossesse au ministère. Le demandeur précise encore que sa copine aurait subi une fausse couche, mais serait de nouveau enceinte, la nouvelle date de l’accouchement étant prévue au 16 mars 2021.

En droit, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir fait application des dispositions de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et de l’article 8 de la CEDH et conclut à l’annulation de la décision ministérielle litigieuse pour violation de ces dispositions.

Il estime que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour l’examen de sa demande de protection internationale, alors que son transfert en Italie risquerait de causer un grave préjudice à sa vie privée et familiale en raison du fait qu’il serait privé de vivre la grossesse de sa copine, d’assister à l’accouchement de son enfant et même éventuellement d’assister aux premiers mois de vie de son enfant, étant précisé qu’il n’aurait aucune autorisation de quitter le territoire italien pendant l’examen de sa demande de protection internationale en Italie. Le demandeur souligne encore qu’eu égard au traitement très lent des demandes de protection internationales en Italie, ce préjudice ne serait pas purement hypothétique, mais réel, de sorte que son transfert constituerait une ingérence disproportionnée dans sa vie privée et familiale.

Le demandeur se prévaut finalement d’un jugement du tribunal administratif du 8 mai 2018, n° 40899 du rôle, en soutenant que le tribunal aurait décidé dans cette affaire que l’article 8 de la CEDH devrait conduire le ministre à faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III dans l’hypothèse où un transfert en application du règlement Dublin III mènerait à une séparation d’un couple non marié, en relation stable et en attente de la naissance de leur enfant commun, même si le lien d’affiliation de l’enfant à naître ne serait pas encore établi et ne le serait qu’à la naissance de l’enfant.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour prendre en charge Monsieur … prévoit que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ».

L’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III dispose que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ».

En l’espèce, force est de constater que la décision déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur avait déjà introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 janvier 2019, que le demandeur avait été transféré en Italie, Etat membre responsable de sa demande de protection internationale, en date du 5 juin 2019 sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III au motif qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne depuis moins de douze mois. D’autre part, la décision se base sur l’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III, pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour prendre en charge Monsieur …, alors que sur base de l’article 7, paragraphe (2) du même règlement « la détermination de l’État membre 8 responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d’un État membre », de sorte que comme l’Italie avait déjà été désignée comme l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … lors de l’acceptation de sa prise en charge le 16 mars 2019, les autorités luxembourgeoises ont une nouvelle fois adressé une demande de prise en charge aux autorités italiennes, laquelle fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 4 mai 2020.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de la décision ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il échet d’ailleurs de souligner que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient, en substance, que la décision déférée violerait l’article 8 de la CEDH ensemble l’article 17 du règlement Dublin III, alors que le fait de le transférer vers l’Italie constituerait une ingérence démesurée dans sa vie privée et familiale, de sorte que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en décidant de traiter sa demande de protection internationale au Luxembourg.

Aux termes de l’article 8 de la CEDH : « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Force est au tribunal de relever qu’il ressort d’un arrêt de la Cour administrative du 25 septembre 2018, n° 40306C du rôle, tel que relevé par la partie gouvernementale, que « L’article 8 de la CEDH tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, c’est-à-dire que l’Etat ne doit pas s’immiscer arbitrairement dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, mais que dans ce contexte, l’Etat ne dispose pas moins d’une ample marge d’appréciation. En effet, si ledit article 8 impose de réelles restrictions à la liberté d’action d’une partie contractante en ce qui concerne l’éloignement ou le refus d’admission d’un étranger, face à cette question délicate, la Cour européenne a cependant admis que l’article 8 ne garantit de manière générale pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale. Plus spécialement, le refus d’un Etat d’admettre sur son territoire un individu cherchant à y rejoindre un membre de sa famille ne peut constituer une « ingérence » que si trois conditions sont réunies. Premièrement, il doit y avoir une vie familiale effective. La 9 protection de l’article 8 de la CEDH ne saurait en effet être admise qu’à condition que la vie familiale invoquée soit effective et qu’elle ait été a priori préexistante à l’entrée sur le territoire national. Deuxièmement, l’Etat contre lequel la procédure a été engagée doit effectivement être l’auteur de la violation. Troisièmement, il doit exister des obstacles à la poursuite d’une vie familiale normale ailleurs, y compris dans le pays d’origine de l’étranger ».

Ainsi, pour pouvoir utilement invoquer l’article 8 de la CEDH, il faut que l’étranger qui s’en prévaut soit en mesure de faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable, a priori préexistante à l’entrée sur le territoire national et dont la poursuite serait rompu ailleurs, y compris dans son pays d’origine.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif et notamment des deux courriers du litismandataire du demandeur des 4 mars et 22 juillet 2020 que le demandeur explique avoir fait la connaissance de Madame …, demanderesse de protection internationale se trouvant dès lors au Luxembourg, dans une situation plutôt précaire, qu’après son retour au Luxembourg, donc au plus tôt le 4 janvier 2020, tel que cela ressort de l’entretien Dublin III de Monsieur … du 4 mars 2020. Il admet en outre qu’il ne serait en couple avec Madame … que depuis le début du mois de février 2020 et verse à l’appui de ses dires deux attestations de grossesses de celle-ci, datés du 10 février et 21 juillet 2020.

Or, force est au tribunal de constater que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement relève qu’il n’est pas établi que la relation du demandeur avec Madame … soit de nature à établir une vie familiale effective et préexistante. D’une part, Monsieur … se trouvait effectivement au Centre de rétention entre le 21 février et le 16 mars 2020, ce qui empêche de par là même toute vie familiale effective, et, d’autre part, même depuis son assignation à résidence à la SHUK, il ne rapporte aucun élément de nature à démontrer l’existence d’une relation de couple répondant aux critères de l’article 8 de la CEDH. Force est ensuite de relever qu’il n’existe, en outre, aucune preuve que Monsieur … est effectivement le père de l’enfant à naître, les certificats de grossesse invoqués par ses soins ne prouvant ni une relation affective entre le demandeur et Madame …, ni la paternité du demandeur à l’égard de l’enfant.

Le demandeur étant resté en défaut d’établir une relation familiale réelle et effective, il y a lieu de conclure, à défaut de tout autre élément d’appréciation que l’existence d’une vie privée et familiale entre Monsieur … et Madame … laisse d’être établie, de sorte que le moyen lié à l’application de l’article 8 de la CEDH est à rejeter.

Ce constat n’est pas invalidé par le jugement du tribunal administratif du 8 mai 2018 invoqué par le demandeur, alors que la situation de Monsieur … et de Madame … n’est pas transposable au cas d’espèce dans cette affaire, étant donné que contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du 8 mai 2018, Monsieur … reste en défaut d’établir une quelconque relation entre lui et Madame …, étant précisé que la charge de la preuve d’établir cet élément de fait lui incombait, et ce même par tous moyens tel que desattestations testimoniales ou autres éléments probants.

Concernant finalement le moyen tenant à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (…) », il est vrai que, lorsqu’en application des critères du règlement Dublin III, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres1. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge2, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée3, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Il appartient dès lors au demandeur de démontrer qu’il existe une disproportion manifeste dans la décision du ministre de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale au Luxembourg.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant tant dans l’examen de la légalité de la décision attaquée que l’Italie est l’Etat membres responsable de la demande de protection internationale du demandeur, ainsi que dans le cadre de l’examen du moyen relatif à l’article 8 de la CEDH, qu’aucune violation n’est à relever à ce titre, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur, alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes, le contraire constituant, en effet, une façon de procéder qui relèverait du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

2 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

3 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Olivier Poos, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Emilie Da Cruz De Sousa, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 28 août 2020, à 11.00 heures, par le premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 44696
Date de la décision : 28/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-08-28;44696 ?

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