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28/08/2020 | LUXEMBOURG | N°44685

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2020, 44685


Tribunal administratif N° 44685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2020 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 28 août 2020 Recours formé par Monsieur … alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44685 du rôle et déposée le 22 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître

Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 44685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2020 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 28 août 2020 Recours formé par Monsieur … alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44685 du rôle et déposée le 22 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Nigéria), alias …, de nationalité nigériane, étant actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juillet 2020 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 26 août 2020.

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Le 2 mars 2020, Monsieur …, alias …, ci-après dénommé « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, par une consultation de la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit des demandes de protection internationales en Grèce le 9 février 2011, en Italie le 11 mars 2014, en Autriche le 9 avril 2018 et en Suisse le 27 décembre 2019.

Toujours le 2 mars 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois. Ladite assignation à résidence fut prorogée par arrêté ministériel du 2 juin 2020 pour trois mois supplémentaires.

En date du 3 mars 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités suisses en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par les autorités suisses en date du même jour au motif que l’Italie serait l’Etat compétent pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur ….

En date du 4 mars 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Au vu de l’absence de réaction des autorités italiennes à la suite de la prédite demande de reprise en charge, le ministre informa, par courrier du 14 avril 2020, les autorités italiennes de ce qu’en application de l’article 25, paragraphe 2 du règlement Dublin III, celles-ci étaient supposées avoir tacitement accepté la demande de reprise en charge en date du 19 mars 2020.

Par courrier électronique du 14 avril 2020, les autorités italiennes indiquèrent aux autorités luxembourgeoises l’aéroport de Venise pour la remise de Monsieur ….

Par décision du 7 juillet 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des articles 18, paragraphe (1), point d) et 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 2 mars 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 18(1)d et 25(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 2 mars 2020 et le rapport d’entretien 2 Dublin III sur votre demande de protection internationale du 2 mars 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 2 mars 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit quatre demandes de protection internationale, dont une en Grèce en date du 3 juin 2011, une en Italie en date du 11 mars 2014, une en Autriche en date du 9 avril 2018 et une en Suisse en date du 30 décembre 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 2 mars 2020.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 3 mars 2020 une demande de reprise en charge aux autorités suisses sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut refusée par lesdites autorités suisses en date du 3 mars 2020 parce que leur demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes en date du 21 janvier 2020 avait été acceptée en date du 3 février 2020. La Direction de l’immigration a donc adressé en date du 4 mars 2020 une demande de reprise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 19 mars 2020 sur base de l’article 25(2) du règlement précité.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. De plus, conformément à l’article 25(2), l’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation du pays 3 membre requis de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 2 mars 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit quatre demandes de protection internationale, dont une en Grèce en date du 3 juin 2011, une en Italie en date du 11 mars 2014, une en Autriche en date du 9 avril 2018 et une en Suisse en date du 30 décembre 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Nigéria en 2011 en direction du Bénin où vous auriez embarqué sur un bateau en direction de la Turquie. Après trois jours en Turquie, vous seriez entré en Grèce par voie maritime où vous auriez vécu pendant trois années. Vous y avez déposé une demande de protection internationale, mais vous seriez parti suite à des menaces subies de la part de groupes anti-immigrants sans attendre la réponse des autorités grecques. Vous auriez emprunté la route des Balkans en direction de l’Italie où vous auriez vécu pendant quatre années. Vous y avez déposé une demande de protection internationale qui a été rejetée après deux ans et quelques mois. Après avoir été débouté de votre demande, vous n’auriez plus eu assez à manger et vous auriez été attaqué par des criminels dans la rue.

Vous vous seriez rendu en Autriche où vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale qui aurait été rejetée parce que les autorités autrichiennes auraient considéré que l’Italie serait le pays responsable pour l’examen de votre demande de protection internationale. Après deux mois, vous seriez retourné en Italie pour un an avant de vous rendre en Suisse où vous auriez séjourné du 25 décembre 2019 au 27 février 2020. Vous avez introduit une demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Comme vous n’auriez plus été logé dans un foyer, vous seriez venu au Luxembourg en date du 28 février 2020.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 2 mars 2020, vous faites mention d’avoir occasionnellement mal aux poumons. De plus, vous dites que vous auriez perdu l’ouïe à l’oreille gauche et que votre main gauche serait toujours cassée suite à des agressions subies par des criminels en Italie entre 2014 et 2018. Cependant, vous n’avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

4 Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement, des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv.

torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités italiennes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires italiennes.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Italie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Italie. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Italie ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez 5 pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions italiennes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Au regard de votre état de santé, il n’existe aucune raison de croire que l’exécution du transfert-même vers l’Italie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d’une violation de l’article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n’est pas d’une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d’ores et déjà voué à échec.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées (…) ».

En date du même jour, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale en vue d’organiser le transfert de Monsieur … vers l’Italie, tout en précisant que le transfert ne pourra être organisé avant le 24 juillet 2020.

Par courrier de son litismandataire du 16 juillet 2020, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 7 juillet 2020, en faisant notamment valoir son état de santé et ce, sur base d’une ordonnance médicale datée au 6 avril 2020 par le docteur B. B. prescrivant un traitement à base de comprimés antibiotiques pendant une durée de six mois avec l’inscription manuscrite « doit prendre médicament tous les jours pendant 6 mois sinon la bactérie devient résistante ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 7 juillet 2020.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant, par ailleurs, expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée du 7 juillet 2020, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale et plus particulièrement la circonstance que suite au départ de son pays d’origine, il se serait rendu dans un premier temps en Grèce au début de l’année 2011, avant de se rendre en Italie en 2014. En raison du rejet de sa demande de protection internationale en Italie, il aurait été exclu du foyer dans lequel il aurait été hébergé, et il se serait trouvé contraint de vivre dans la rue, à la merci de nombreux dangers, dont notamment la violence et la criminalité. Le demandeur expose qu’il se serait ensuite rendu en Autriche, puis en Suisse pour y introduire des demandes de protection internationale et serait finalement venu au Grand-Duché du Luxembourg aux mêmes fins.

En droit, le demandeur conclut en premier lieu à une violation de ses droits fondamentaux protégés par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH », et par l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ».

A ce titre, il relève qu’il serait atteint d’une tuberculose et suivrait un traitement médicamenteux antituberculeux depuis le début du mois d’avril 2020. Il se prévaut d’un certificat médical du docteur B. B. du 6 avril 2020 duquel il ressortirait que son traitement devrait être suivi scrupuleusement au risque de développer une résistance à la bactérie qui ne saurait alors plus être convenablement traitée, respectivement qui mènerait à son décès à plus ou moins court terme. Il critique le fait que le ministre, informé de son état de santé par le biais d’un recours gracieux du 16 juillet 2020, n’y aurait pas donné aucune suite. Or, le demandeur estime qu’en l’absence d’un traitement adéquat pendant la durée médicalement requise pour le soigner de manière efficace et d’un suivi médical régulier pour surveiller l’évolution de son état de santé par le biais d’analyses de sang, son pronostic vital serait très rapidement engagé. Au vu du fait qu’il bénéficierait d’un traitement et suivi médical au Grand-Duché de Luxembourg, il conclut à l’annulation de la décision ministérielle de le transférer en Italie en raison des éléments développés-ci avant.

Le demandeur se base, en outre, sur les articles 21 et 22 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive accueil », pour conclure que les Etats membres devraient tenir compte, lors de la transposition de ladite directive, de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que celles ayant subi des tortures, ainsi que celles ayant des besoins particuliers en matière d’accueil, et ce pendant toute la durée de la procédure d’asile.

Ainsi, le demandeur souligne qu’en droit luxembourgeois, l’article 2 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, définirait le demandeur ayant des besoins particuliers comme étant une personne vulnérable conformément à l’article 15 de la même loi, et prévoirait la prise en compte des besoins particuliers dans l’article 16 de la même loi. Il s’appuie encore sur le « Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers » de 2014 de la Commission du droit internationale de l’Organisation des Nations Unies pour relever que son article 15 consacrerait la protection des personnes vulnérables faisant l’objet d’une expulsion.

Le demandeur en conclut qu’au vu de son état de santé, de la nécessité pour sa survie d’être médicalement suivi et de suivre de manière stricte un traitement antituberculeux pendant la durée requise pour éviter toute résistance, il serait à considérer comme étant une personne vulnérable au sens des textes internationaux et nationaux précités.

Le demandeur tient ensuite à souligner que le considérant 11 du règlement Dublin III prévoirait que la directive accueil devrait s’appliquer à la procédure de détermination de l’Etat membre responsable régie par ledit règlement, avant de citer une jurisprudence qu’il qualifie de constante de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la CourEDH », rappelée dans son arrêt du 4 novembre 2014, dans une affaire Tarakhel c/ Suisse, requête 29217/12, selon laquelle l’expulsion d’un demandeur d’asile par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause, ce qui impliquerait, le cas échant, l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays.

La même position aurait été adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », laquelle aurait retenu, dans un arrêt du 16 février 2018 dans l’affaire C.K. et autres c/ Republika Slovenija, que le transfert de demandeurs d’asile dans le cadre du système de Dublin pourrait, dans certaines circonstances, être incompatible avec l’interdiction prévue à l’article 4 de la Charte et que les Etats membres seraient liés, dans l’application de celui-ci, par la jurisprudence de la CourEDH relative à l’article 3 de la CEDH.

Il ressortirait, ainsi, des arrêts précités que la vulnérabilité des personnes faisant l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III serait un facteur que les Etats membres devraient prendre en compte dans l’appréciation du risque de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, respectivement par l’article 4 de la Charte, traitements qui devraient présenter un minimum de gravité appréciée au vu de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

En se penchant sur le cas d’une personne dont la vulnérabilité résultait de son état de santé, la CJUE aurait retenu, en application de la jurisprudence de la CourEDH, que la souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale,pourrait relever de l’article 3 de la CEDH si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement, que celui-ci résulte d’une expulsion ou d’autres mesures, dont les autorités peuvent être tenues pour responsables, et cela, à condition que les souffrances en résultant atteignent le minimum de gravité requis par cet article.

La CourEDH aurait rajouté que les autorités de l’Etat membre concerné, y compris ses juridictions seraient tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci.

Le demandeur conclut qu’au vu des développements qui précèdent, et notamment en raison de son état de santé et du risque avéré de mettre en péril son pronostic vital en cas d’interruption ou d’absence de traitement antituberculeux, ainsi qu’en absence d’un suivi médical régulier, ces faits devraient entraîner la qualification dans son chef de personne vulnérable ayant des besoins particuliers en termes de conditions d’accueil, de sorte que ces facteurs auraient dû être pris en compte dans l’appréciation du risque, qu’en cas de transfert vers l’Italie, il soit soumis à un traitement inhumain ou dégradant, prohibé par l’article 3 de la CEDH, l’article 4 de la Charte, voire à un traitement contraire à l’article 2 de la CEDH et en tout état de cause un traitement contraire à l’article 1 de la Charte.

En deuxième lieu, quant à l’existence concret d’un tel risque dans son chef, le demandeur rappelle que dans son arrêt Tarakhel c/ Suisse, la CourEDH aurait retenu, que si la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie ne sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d’asile vers ce pays, il y aurait de sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système, de sorte que l’hypothèse d’un nombre significatif de demandeurs d’asile privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence ne saurait être écartée comme dénuée de tout fondement.

Il relève qu’en raison de sa situation personnelle caractérisée par sa vulnérabilité, son transfert vers l’Italie, où il risquerait de ne pas bénéficier de conditions matérielles d’accueil adaptées à son état de santé, aurait pour conséquence de le plonger dans un état de détresse ultime et aurait des conséquences irrémédiables. Il considère qu’il risquerait à terme la mort en raison de l’interruption de son traitement antituberculeux, qu’il serait très probablement confronté au sans-abrisme pour une durée prolongée et en tout état de cause indéterminée, qu’il risquerait la perte totale du soutien d’un encadrement médical vital, d’un hébergement au sein d’une structure d’accueil, qu’il serait confronté à la faim, ainsi qu’à l’impossibilité de suivre de manière régulière voire simplement d’avoir accès au traitement médical nécessaire à sa survie. Dans ce contexte, il cite des extraits du rapport du US Department of State intitulé « Italy 2017 Human Rights Report » lesquels relateraient les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie. Il invoque encore un rapport du 31 décembre 2018 publié par AIDA (Asylum Information Database) intitulé « Country report :

Italy – 2018 update », et concernant la situation spécifique des demandeurs de protection internationale transférés vers l’Italie en application du règlement Dublin III qui n’y seraient pas accueillis de manière convenable et seraient livrés à eux-mêmes, ainsi qu’une publication de Médecins Sans Frontières du 8 février 2018, intitulé « Out of sight – Second edition », sur la situation difficile d’hébergement des demandeurs de protection internationale en Italie.

Le demandeur donne encore à considérer que la situation des migrants en Italie se serait encore aggravée depuis que Matteo Salvini, leader des souverainistes italiens, serait devenu ministre de l’Intérieur en juin 2018 et depuis que la Chambre des députés italienneaurait adopté le très controversé décret-loi sur la sécurité et l’immigration, législation menaçant gravement les droits des demandeurs d’asile, en prévoyant notamment la suppression des permis de séjour humanitaire d’une durée de 6 mois à deux ans renouvelable, qui auraient pu être délivrés à l’issue de la procédure d’asile, l’augmentation de la durée de rétention dans les centres pour le rapatriement de 90 à 180 jours, ainsi que le maintien des demandeurs d’asile dans les hot spots jusqu’à 30 jours ou dans des locaux aux frontières. En outre, seules les personnes dont le statut de réfugié aurait été reconnu et les mineurs non accompagnés seraient désormais éligibles pour un logement dans les centres d’accueil SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati), où de nombreux demandeurs d’asile auraient été hébergés.

De plus, le demandeur tient encore à relever, tel que la CourEDH aurait rappelé, qu’il ne serait pas exclu que la responsabilité d’un Etat soit engagée sous l’angle de l’article 3 CEDH par un traitement dans le cadre duquel un demandeur de protection internationale totalement dépendant de l’aide publique serait confronté à l’indifférence des autorités alors qu’il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu’elle serait incompatible avec la dignité humaine.

Il cite ensuite deux rapports publiés par l’OSAR du 8 mai 2019 et de janvier 2020 en lien avec l’accès difficile au système de soins en Italie par les demandeurs de protection internationale.

Le demandeur rajoute que la situation sanitaire mondiale liée à la lutte contre le COVID-19, laquelle aurait particulièrement affectée l’Italie et aurait aggravée la situation des migrants en Italie, aurait pour conséquence certaine qu’en cas de transfert vers l’Italie, il serait dans la rue et ne serait pas en mesure de faire l’objet d’un suivi médical et encore moins de poursuivre son traitement antituberculeux, développant ainsi une résistance à la bactérie qu’il ne serait plus en mesure se soigner efficacement et qui provoquerait à terme son décès.

Le demandeur en conclut qu’en raison de la précarité de son état de santé établie par certificat médical, de son état de vulnérabilité, de ses besoins particuliers notamment en terme d’accès aux soins et à son traitement antituberculeux de manière continue, il serait totalement dépendant de l’aide publique et risquerait dès lors de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, respectivement à l’article 4 de la Charte, alors qu’il risquerait de se retrouver dans une situation mettant en danger sa santé physique, incompatible avec la dignité humaine, voire incompatible avec l’article 2 de la CEDH, alors qu’il risquerait à terme de mourir de la tuberculose en cas de transfert en Italie.

En troisième lieu, en application de la jurisprudence de la CourEDH qui, dans son affaire précitée Tarakhel c/ Suisse, aurait imposé aux Etats membres d’obtenir des autorités italiennes des garanties individuelles concernant les besoins particuliers des personnes vulnérables, le demandeur relève qu’aucune information n’aurait été transmise aux autorités italiennes quant à ses besoins de base et particuliers, notamment en termes d’accès aux soins et à son traitement médical. Il précise que la CJUE aurait également retenue dans son affaire précitée C.K. et autres c/ Republika Slovenija que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de la demande de protection internationale, le transfert du demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne pourrait être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

Ainsi au vu de ces développements, le demandeur estime que son transfert vers l’Italie constituerait dans son chef une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, voire de l’article 2 de la CEDH et en tout état de cause de l’article 1 de la Charte.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens, tout en contestant formellement que le demandeur serait à considérer comme une personne vulnérable, estimant que ce dernier ne saurait être qualifié de personne ayant une maladie grave telle que son état de santé aurait imposé au ministre de solliciter, de la part des autorités italiennes, l’obtention d’une garantie relative à un accès aux soins en Italie.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Aux termes de l’article 25 du règlement Dublin III, intitulé « Réponse à une requête aux fins de reprise en charge », « 1. L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines.

2. L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée ».

Le tribunal constate qu’il est constant en cause que le ministre a adopté la décision de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des articles 18, paragraphe (1), point d) et 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que, d’une part, l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est l’Italie, en ce qu’il y a introduit une demande de protection internationaleen date du 11 mars 2014, et, d’autre part, que l’absence de réponse des autorités italiennes à l’expiration du délai de deux semaines suite à la demande de reprise en charge sur base des d’informations issues de la base de données EURODAC, soit jusqu’au 19 mars 2020, équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de la décision ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il échet d’ailleurs de souligner que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient, en substance, que la décision déférée violerait l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement l’article 3 de la CEDH, que la décision serait encore contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte au vu de son état de vulnérabilité que le ministre aurait omis de prendre en considération et la situation sanitaire en Italie due à la pandémie liée au COVID-19, et qu’elle violerait finalement les articles 2 de la CEDH et en tout état de cause l’article 1 de la Charte.

Il y a d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, non invoqué en l’espèce, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiquesdans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé.

S’agissant de prime abord des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2,3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

En effet, le tribunal relève encore que suivant la jurisprudence des juridictions 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 Ibidem, point. 79.

3 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur : www.jurad.etat.lu 4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans un arrêt du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage de l’arrêt précité de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Italie, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, il est certes exact qu’il ressort des articles et rapports invoqués par le demandeur, tels qu’énumérés ci-avant dans le cadre de l’exposé de ses moyens, que les autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, et que la situation régnant en Italie semble inquiétante. Il en ressort également que la politique migratoire italienne actuelle se caractérise par un certain durcissement, concrétisé par l’adoption, en date du 24 septembre 2018, d’un décret-loi mettant en place, notamment, une réorganisation du système d’accueil des demandeurs d’asile, qui seront regroupés dans de grands centres d’accueil, les efforts de répartition sur le territoire pour favoriser l’intégration étant désormais réservés aux mineurs isolés et aux réfugiés reconnus.

Cependant, si un tel durcissement peut être sujet à critique, force est de constater que les éléments présentés par le demandeur sont insuffisants pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions 6 Trib. adm. 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur : www.jurad.etat.lu 7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, point 91.

10 Ibidem., point 92.

11 Ibidem., point 93.matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Le tribunal tient encore à relever que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie de ressortissants nigérians dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, même s’il ressort des différents rapports de l’OSAR, tels qu’invoqués par le demandeur, que la situation des demandeurs de protection internationale en Italie est préoccupante, il y a cependant lieu de constater qu’aucun indice sérieux n’indique que les autorités italiennes compétentes de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur auraient violé son droit à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus dans son pays d’origine, Monsieur … n’ayant en effet avancé aucun élément concret qui permettrait de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Force est dès lors de constater qu’en l’espèce, le demandeur n’apporte aucun élément concret de nature à établir qu’il risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de retour en Italie. En effet, il n’affirme pas que, personnellement et concrètement, ses droits ne seraient pas garantis en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-

refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Ainsi, le demandeur est resté en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités italiennes n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas eu accès à la justice italienne pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protectioninternationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine.

Par ailleurs, et dans la mesure où les autorités italiennes sont présumées respecter leurs obligations découlant du droit international et européen, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute leur décision de rejet, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre devrait procéder à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.

Finalement, et en ce qui concerne l’affirmation du demandeur dans le cadre de son entretien Dublin III de ne pas avoir d’endroit où dormir en cas de retour en Italie, force est de constater qu’il ressort du dossier administratif ainsi que des déclarations du demandeur que sa demande de protection internationale a fait l’objet d’un refus de la part des autorités italiennes, de sorte qu’il ne saurait en tout état de cause pas être reproché auxdites autorités dans le cadre de leurs obligations découlant la directive accueil de ne pas mettre à sa disposition un logement ou un hébergement, alors qu’il n’appartient pas à un Etat de mettre à disposition un hébergement aux personnes se trouvant en séjour irrégulier sur son territoire, la susdite directive ne visant, en effet, que le « demandeur » d’asile, c’est-à-dire « tout ressortissant de pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ».

Au vu de ce qui précède, le moyen du demandeur basé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III entrainant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est rejeté.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.

Il échet dès lors d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.

12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

13 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé15.

A cet égard, il convient de prime abord de relever que dans le cadre du présent recours, le demandeur verse une ordonnance médicale du docteur B.B. datant du 6 avril 2020 et de laquelle il ressort qu’il suit un traitement médicamenteux de six mois. S’il ressort toutefois tant du dossier administratif que des explications de la partie étatique, que l’ordonnance médicale invoquée dans le présent recours n’est parvenu au ministre qu’en date du 16 juillet 2020, c’est-à-dire postérieurement à la décision litigieuse, force est de relever que, dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, la prédite ordonnance médicale constate un élément de fait antérieur à la décision ministérielle du 7 juillet 2020, à savoir l’état de santé du demandeur en date du 6 avril 2020, de sorte que cet élément est à prendre en considération dans le cadre du présent recours. Or, force est de constater qu’il ne ressort pas de ladite ordonnance médicale que Monsieur … souffrait, à la date de la prise de la décision litigieuse, d’une tuberculose active contagieuse, étant encore précisé à cet égard que si tel devait avoir été le cas, il se serait nécessairement trouvé en isolation, ce qui n’a toutefois pas été le cas en l’espèce.

A cet égard, il convient encore de relever que s’il ressort certes d’un échange électronique du 19 août 2020 entre le service d’encadrement psychosocial de la SHUK et l’autorité ministérielle que le demandeur a initié en date du 29 avril 2020 un traitement quotidien pour une tuberculose latente, le demandeur y est cependant qualifié comme « une personne autonome et stable qui ne nécessite d’aucune prise en charge spécifique ». Or, et tel que relevé par la partie étatique, une telle tuberculose latente signifie uniquement « qu’une personne a été, une fois ou l’autre dans sa vie, en contact avec des bacilles de la tuberculose.

A ce stade-là, la personne n’est ni malade ni contagieuse »16.

De plus, force est ainsi de constater que, tel que relevé à juste titre par la partie gouvernementale, le traitement prescrit sous forme de comprimés antibiotiques au demandeur, à prendre une fois par jour pendant six mois, peut être emmené par le demandeur en Italie. L’affirmation du litismandataire du demandeur à l’audience publique des plaidoiries selon laquelle, même en emportant le traitement médical avec lui, le demandeur risquerait de ne pas terminer son traitement du fait de pouvoir se faire voler ses affaires en Italie reste à l’état purement hypothétique.

15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16 Informations actualisées pour les personnes avec une maladie des poumons et des voies respiratoires de la Ligue pulmonaire suisse du 12 mai 2020.

Par ailleurs, et en ce qui concerne le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de s’assurer préalablement auprès des autorités italiennes qu’en cas de transfert, il aurait accès aux soins médicaux dont il aurait besoin, force est de constater que le demandeur reste en défaut d’expliquer quels seraient concrètement ses besoins et de démontrer que l’absence d’une prise en charge spécifique desdits besoins serait telle qu’elle entraînerait une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, la seule affirmation du demandeur, selon laquelle il nécessiterait un suivi médical régulier, étant insuffisante à cet égard.

Cette conclusion n’est pas énervée par la situation sanitaire liée à la pandémie du COVID-19, étant donné qu’il n’est pas établi en l’espèce que la situation sanitaire en Italie serait à ce point grave qu’un transfert vers ce pays emporterait de ce seul fait un risque de violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte.

Il s’ensuit que le ministre n’était pas, et n’est d’ailleurs toujours pas, confronté à des éléments suffisants qui lui auraient imposé de s’assurer auprès des autorités italiennes des conditions d’accès aux soins médicaux du demandeur.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Olivier Poos, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Emilie Da Cruz De Sousa, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 28 août 2020, à 11.00 heures, par le premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 44685
Date de la décision : 28/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-08-28;44685 ?

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