Tribunal administratif Numéro 43434 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2019 3e chambre Audience publique de vacation du 19 août 2020 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43434 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 août 2019 par Maître Katia AÏDARA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Togo), de nationalité togolaise, demeurant à L-…, tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juillet 2019 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2019 ;
Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;
Vu les communications des parties suivant lesquelles elles marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 8 juillet 2020.
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Le 18 mai 2018, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
En date du 18 février 2019 Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 12 juillet 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Madame … comme suit : « […] Madame, il résulte de votre dossier administratif que vous seriez née le 24 octobre 1989 à Lomé au Togo et que vous auriez vécu avec votre famille dans le village de … dans la préfecture de … et y auriez travaillé comme couturière et comme coiffeuse.
En ce qui concerne les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous indiquez que vous craindriez d’être forcée à adhérer au culte Vodou.
Vous précisez que le responsable Vodou de votre village d’origine nommé « Monsieur … » ou « Grand Papa » (entretien, p.7/12) vous aurait demandé à plusieurs reprises depuis 2006 de rejoindre le culte Vodou. Dans ce contexte vous soulevez que vous seriez régulièrement tombée dans des états de trance involontaire lors de votre apprentissage de 2007 à 2010.
Depuis le décès de votre père en 2011, qui aurait toujours refusé que vous rejoignez ce culte, vous n’auriez eu aucun problème jusqu’à la fin 2016, tout en soulignant que vous auriez vécu à nouveau des états de trance entre 2017 et 2018. Vous auriez à ce moment décidé de retourner dans votre village natal pour subir des rituels auprès de « Monsieur … » pour faire cesser ses états de trance. Comme vous auriez toujours refusé de rejoindre le culte Vodou, malgré le fait que votre mère et votre tante vous auraient encouragée de le faire, « Monsieur … » vous aurait enlevée pour vous préparer à votre initiation au culte Vodou, qui devrait avoir lieu après neuf jours. D’après vos dires vous [vous] seriez enfuie lors de la quatrième journée et vous vous seriez cachée chez une famille à « … » - un village voisin. Le père de famille vous aurait, ensemble avec le pasteur de votre église, organisé un passeport et un billet d’avion pour vous sortir du Togo.
En mai 2018, vous auriez embarqué à bord d’avion en direction de l’Europe, après une escale au Maroc vous seriez finalement arrivée à Lyon en France. Vous y auriez rencontré une personne non autrement identifiée qui vous aurait emmenée au Luxembourg.
Vous présentez un acte de naissance de votre fille sans pour autant présenter un quelconque document d’identité. […] ».
Le ministre informa ensuite Madame … que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.
En ce qui concerne la demande de Madame … de se voir accorder le statut de réfugié, le ministre retint, tout d’abord, que la crainte de celle-ci d’être initiée au culte du Vodou entrerait a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, dénommée ci-après « la Convention de Genève ». Il estima néanmoins que les faits invoqués par Madame … à la base de sa demande de protection internationale, à savoir les pressions subies de la part du dénommé « Monsieur … », ainsi que l’insistance de celui-ci, afin qu’elle rejoigne le culte en question manqueraient de gravité pour être assimilés à une persécution au sens de la Convention de Genève, le ministre ayant encore ajouté que le fait que l’intéressée avait contactée cette même personne de son propre gré pour qu’il fasse des rituels pour la sortir de ses états de trance soutiendrait encore ce constat.
En tout état de cause, ces mêmes faits, commis par un tiers, ne sauraient être qualifiés de persécutions qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités pour l’un des motifs énoncés à la Convention de Genève, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce, leministre ayant à cet égard, outre de citer un extrait de la Constitution togolaise, relevé qu’il ne ressortirait pas du rapport d’audition de Madame … que la police ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire du Togo seraient dans l’incapacité ou refuseraient de lui accorder une protection adéquate à l’encontre de « Monsieur … ».
Le ministre arriva ainsi à la conclusion que Madame … ne remplirait pas les conditions pour pouvoir prétendre à l’octroi du statut de réfugié.
S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Madame … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.
Finalement, le ministre retint encore la possibilité pour Madame … de bénéficier d’une fuite interne au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015.
En conséquence, il constata que le séjour de Madame … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 août 2019, Madame … a fait déposer un recours tendant, d’après le dispositif de ladite requête auquel le tribunal est seul tenu, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 12 juillet 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 12 juillet 2019, telle que déférée, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de son recours et en fait Madame … explique être de confession chrétienne, tout comme le serait actuellement sa mère. Or, avant de se convertir au christianisme, cette dernière aurait toutefois été une adepte du culte Vodou, de sorte qu’elle aurait également été contrainte de rejoindre ce même culte. Suite à cette adhésion, elle aurait régulièrement été victime d’états de trance involontaires causés par le « responsable vodou » de son village, la demanderesse précisant encore que ces états de trance seraient devenus de plus en plus fréquents à partir de 2018.
Elle fait ensuite valoir que face à son refus d’adhérer au culte en question, elle aurait finalement été enlevée et enfermée chez le dénommé « Monsieur … », afin d’être soumise à une procédure d’initiation audit culte, procédure qui aurait dû se dérouler après neuf jours.Au bout du quatrième jour, elle aurait finalement réussi à s’enfuir et se serait rendue auprès d’une famille dans un village voisin, laquelle l’aurait aidée, ensemble avec le pasteur de l’église dudit village, de quitter le Togo.
En droit, et en se prévalant des articles 37, paragraphe (3) et (5) et 42 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, la demanderesse conclut à l’illégalité de la décision ministérielle sous analyse, alors que celle-ci serait basée sur un examen superficiel et insuffisant des faits. Elle reproche plus particulièrement au ministre de ne pas avoir pris en considération les craintes réelles de persécution dont elle aurait fait état, la demanderesse précisant à cet égard que la pratique du culte Vodou et les procédures d’initiation y relatives, lesquelles seraient non seulement obscures, mais également particulièrement dangereuses, seraient largement répandues au Togo.
De même, ce serait à tort que le ministre aurait retenu que les actes de persécution invoqués n’émaneraient pas d’acteurs de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse étant en effet d’avis qu’elle aurait établi à suffisance que les autorités togolaises seraient dans l’incapacité de lui offrir une protection adéquate dans la mesure où celles-ci n’entendraient pas s’immiscer dans des problèmes d’ordre spirituel, de sorte que la personne à l’origine des actes de persécution subis pourrait œuvrer en toute impunité.
Finalement, elle fait valoir que la mise en cause de ses droits civils et politiques au Togo constituerait une persécution au sens du droit international.
Le délégué du gouvernement soutient, quant à lui, que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement despersécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que la demanderesse avance, du risque d’être persécutée ou de subir des atteintes graves qu’elle encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, et indépendamment de la qualification des faits invoqués par Madame … ou encore de leur gravité, l’examen des déclarations faites lors de son audition auprès de la direction de l’Immigration du 18 février 2019, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les faits allégués ne peuvent s’analyser comme des actes de persécutions, respectivement des atteintes graves nide considérer qu’elle puisse être exposé à des persécutions, respectivement des atteintes graves, en cas de retour dans le pays dont elle déclare avoir la nationalité.
En effet, et en ce qui concerne les pressions et violences morales subies par la demanderesse suite à son refus de rejoindre le culte du Vodou, de même que son enlèvement subséquent, force est au tribunal de constater que si ces actes sont certes fortement condamnables, il n’en reste pas moins qu’ils ont été commis par une personne privée sans lien avec l’Etat, à savoir le dénommé « Monsieur … », chef dudit culte dans le village de la demanderesse.
Dans la mesure où la personne dont émanent les faits dont Madame … se prévaut à la base de sa demande de protection internationale est sans lien avec l’Etat togolais, la crainte de faire l’objet d’actes de persécution, voire d’atteintes graves, ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités togolaises ne veulent ou ne peuvent pas lui fournir une protection effective contre cette même personne, ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des actes de persécution, respectivement des atteintes graves1.
En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale2. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays, en déposant notamment une plainte contre l’auteur des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut3.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En l’espèce, il ressort des déclarations faites par Madame … lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, qu’elle n’a dénoncé aucun des agissements du dénommé « Monsieur … » à la police, ni demandé une protection quelconque auprès d’une 1 Trib. adm., 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Etrangers, n° 147, et les autres références y citées.
2 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.
21, n° 100.
3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754. autorité de son pays, la demanderesse ayant expliqué à cet égard que « Non. Ça ne serait pas pris au sérieux. Même si j’étais allée chez les chefs du village, comme il s’agit de problèmes spirituels, ça doit être réglé entre nous-mêmes »4.
Or, à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte contre l’auteur des actes dont elle se prévaut à la base de sa demande de protection internationale auprès des autorités togolaises, la demanderesse ne saurait leur reprocher une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider, ce d’autant plus qu’elle n’a, en particulier, pas fait état du fait que le dépôt d’une plainte lui aurait été refusé.
En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces, d’un enlèvement et d’une séquestration, communément la forme d’une plainte.
Par ailleurs, force est encore de constater que la demanderesse n’a, dans le cadre de son recours contentieux, soumis aucune pièce à l’appréciation du tribunal susceptible d’étayer ses affirmations suivant lesquelles les autorités de son pays d’origine ne seraient pas en mesure de la protéger contre les agissements du dénommé « Monsieur … ».
Au-delà de ces considérations, le besoin de protection internationale affiché par la demanderesse s’estompe par ailleurs au vu de ce que les actes de persécution, respectivement les atteintes graves invoqués ont un caractère essentiellement local, de sorte que le ministre a raisonnablement pu estimer qu’elle peut bénéficier d’une possibilité de fuite interne, c’est-à-dire que l’intéressée peut mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine, et ce notamment dans une grande ville telle que notamment la ville de Lomé, où il peut être raisonnablement exclu que l’auteur des persécutions, respectivement des atteintes graves invoquées puisse la retrouver.
Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par Madame ….
2) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, seul un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée peut valablement être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse.
4 Page 9/12 du rapport d’entretien.
Les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation étant a priori à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que circonscrits dans le dispositif de la requête introductive d’instance, il y a lieu de relever, au vu de la demande y formulée tendant à voir annuler la décision portant ordre de quitter le territoire, que le recours, en dépit de la possibilité plus large et plus favorable à l’administré d’un recours en réformation prévue par la loi, tend à la seule annulation de la décision précitée.
Or, si dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité5, étant par ailleurs relevé qu’il a été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
En l’espèce, la demanderesse sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au vu des conséquences graves qu’aurait pour elle le retour au Togo.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à la demanderesse un statut de protection internationale, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, En l’absence de tout autre moyen, le tribunal ne saurait remettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours y relatif est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2019 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Madame … ;
au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;
5 Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2019, V° Recours en réformation, n° 2 et les autres références y citées. dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2019 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Madame … ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2019 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 19 août 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, 19 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 10