Tribunal administratif Numéro 43339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2019 3e chambre Audience publique de vacation du 19 août 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43339 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2019 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Côte d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 juin 2019 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2019 ;
Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;
Vu les communications de Maître Frank WIES et du délégué du gouvernement du 7 juillet 2020 suivant laquelle ils marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 8 juillet 2020.
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Le 29 décembre 2017, Monsieur …, déclarant être de nationalité ivoirienne et être mineur, se présenta auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, afin de déposer une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Par ordonnance du 3 janvier 2018 portant le numéro 03/18, le juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna Maître Frank WIES administrateur ad hoc de Monsieur ….
Le 13 février 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du 14 février 2018.
En date des 25 juillet, 1er août et 21 septembre 2018, Monsieur … fit l’objet d’un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 26 juin 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 février 2018 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 25 juillet, du 1er août et du 21 septembre 2018 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Monsieur, vous déclarez avoir grandi à Abidjan et que vous et votre sœur auraient trouvé refuge chez une « tante » du nom de … suite au décès de vos parents en 2015. Deux ou trois mois plus tard, vous auriez déménagé avec cette dernière à … près de la frontière libérienne, où elle aurait trouvé un travail dans un hôtel. Vous indiquez que la situation sécuritaire y aurait été précaire à cause des incursions régulières de rebelles libériens. Un soir, des enfants-soldats libériens auraient pénétré dans votre maison et, après avoir frappé votre tante, vous auraient forcé à rejoindre leur groupe. Malgré votre résistance, ils vous auraient frappé et emmené dans une forêt. Lors d’un moment d’inattention, vous auriez réussi à vous échapper.
Le lendemain, votre tante se serait adressée au chef du village, mais ce dernier aurait dit qu’il ne pourrait rien faire pour votre sécurité. Par la suite, les enfants-soldats seraient revenus et vous auraient emmené dans un village au Libéria, où ils vous auraient enfermé dans une prison et vous auraient torturé pendant trois semaines. Un jour, ils auraient oublié de fermer le cadenas et vous auriez réussi à vous échapper de leur prison. Vous seriez retourné à … où vous auriez vécu et travaillé dans les champs pendant un mois et demi avant de quitter la Côte d’Ivoire en direction du Mali.
Vous présentez un certificat de nationalité et un extrait du registre des actes de l’Etat civil. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande avait été refusée comme non fondée.
Le ministre, après avoir souligné que les prétendus faits subis au Libéria ne seraient pas pertinents dans le cadre de sa demande de protection internationale, de sorte qu’uniquement les faits qui se seraient déroulés dans son pays d’origine seraient pris en considération, et que l’analyse médico-légale du 11 septembre 2018 aurait estimé son âgé à 19,8 ans au moins, et probablement à 26 ans, estima que les faits allégués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale et l’ayant amené à quitter son pays d’origine, à savoir les maltraitances et les tentatives de recrutement de force subis de la part d’enfants soldats libériens en Côte d’Ivoire n’auraient pas été motivés par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève » et par la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les convictions politiques du demandeur. Concernant la situation sécuritaire dans les régions frontalières entre la Côte d’Ivoire et le Libéria, le ministre souligna les efforts considérables réalisés par les autorités ivoiriennes afin de renforcer le dispositif sécuritaire et d’améliorer la collaboration entre les forces de sécurité et les « leaders » communautaires dans la région, de sorte que les craintes du demandeur s’analyseraient en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité, qui ne seraient basées sur aucun fait réel ou probable et ne sauraient constituer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Il n’existerait, par ailleurs, aucun risque de persécution future dans son chef en cas de retour dans son pays d’origine suite aux efforts de réconciliation entamés par les autorités nationales et locales.
Le ministre releva ensuite que Monsieur … aurait pu s’adresser à une institution ou organisation non-gouvernementale se chargeant de la protection des enfants et des adolescents, tel que le réseau international « Catholique de l’Enfance », « UNICEF Côte d’Ivoire » ou le « Mouvement pour l’éducation, la santé et le développement (MESAD) », afin de solliciter de l’assistance.
Il estima encore, au regard de ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration selon lesquelles son rêve aurait été de venir en Europe pour travailler et pour aider sa sœur, que des motifs économiques sous-tendraient sa demande de protection internationale, lesquels ne sauraient fonder une demande de protection internationale alors qu’ils ne répondraient à aucun des critères prévus par la Convention de Genève.
S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.
Finalement, Monsieur … aurait encore pu bénéficier d’une fuite interne dans la mesure où il aurait pu s’installer à Abidjan, capitale et métropole économique de la Côte d’Ivoire, où il aurait grandi jusqu’en 2015 et où il aurait été scolarisé. Il aurait également pu retourner à Man, la ville natale de sa mère, où il aurait passé les vacances et où il aurait eu un ami avec lequel il serait toujours en contact.
En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2019, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 26 juin 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 26 juin 2019, telle que déférée.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours et à titre liminaire, Monsieur … remet en question l’analyse médico-légale sur laquelle le ministre s’est basé pour remettre en cause son identité, en soulignant que malgré le fait qu’il se serait vu désigner un administrateur ad hoc, ledit test aurait été réalisé à son insu en violation de l’article 20 de la loi du 18 décembre 2015. En l’absence de son administrateur ad hoc, il n’aurait, en tant que mineur, pas pu donner un consentement éclairé pour effectuer ledit examen médial. Il critique ensuite le ministre pour ne pas avoir communiqué le résultat de l’examen médical à son mandataire, malgré sa demande en communication du dossier administratif, mais, au contraire, de l’avoir convoqué pour une audition supplémentaire où il aurait été interrogé, voire piégé, pendant des heures et n’aurait été confronté aux résultats de l’examen médical qu’à la fin de l’audition. Le demandeur en conclut que les résultats de l’analyse médico-légale seraient à écarter des débats pour violation du droit à un procès équitable. Concernant le fond, le demandeur se réfère à la marge d’erreur communément admise des analyses médico-légales afin de déterminer l’âge d’une personne, pour contester son résultat et demander de ne pas en tenir compte lors de l’évaluation des mérites de sa demande de protection internationale.
En fait, Monsieur … renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes.
En droit, le demandeur souligne que ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration seraient crédibles et cohérentes, dans la mesure où les contradictions mineures résulteraient de son niveau de scolarisation peu élevé. A cet égard, il se réfère aux recommandations de l’UNHCR, suivant lesquelles les entretiens réalisés avec des personnes à charge ne devraient pas être menés dans l’intention d’établir des contradictions et un manque de cohésion, pour souligner que l’agent en charge du dossier auprès de la direction de l’Immigration aurait justement conduit l’audition dans l’intention d’établir des contradictions en dissimulant l’existence du rapport médical à son mandataire. Il en conclut qu’au regard de l’absence de transparence et de coopération de la partie étatique, son récit devrait dès lors être analysé dans ce contexte précis.
Concernant le statut de réfugié, le demandeur estime tout d’abord que ce serait à tort que le ministre a conclu que les faits vécu n’auraient pas été motivés par un des critères de fond définis par la Convention de Genève. Il indique dans ce contexte avoir été victime de plusieurs tentatives brutales de recrutement par des miliciens libériens qui l’auraient frappé, humilié et emprisonné dans des conditions inhumaines et dégradantes. Il estime à cet égard que, contrairement aux affirmations ministérielles, il y aurait lieu de tenir compte des maltraitances subies au Libéria, alors qu’elles seraient liées directement à son enlèvement dans son pays d’origine. Les actes subis seraient encore motivés par un des critères de fond définis par la Convention de Genève, à savoir ses opinions politiques, ou du moins celles lui attribuées parses persécuteurs. Le demandeur indique également que l’UNHCR1 recommanderait de considérer le recrutement forcé des enfants comme une forme de persécution spécifique à l’enfant pouvant justifier l’octroi du statut de réfugié. Il se base encore sur les sources ministérielles citées dans la décision litigieuse et sur un rapport établi par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)2 qui confirmeraient l’existence du recrutement de force d’enfants soldats en Côte d’Ivoire.
Les actes subis, à savoir des violences physiques, l’enlèvement, et l’emprisonnement dans des conditions inhumaines et dégradantes, seraient encore d’une gravité suffisante pour être considérés comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève.
Concernant les acteurs des persécutions, le demandeur, tout en admettant que les milices libériennes seraient à qualifier d’acteurs dit « non-étatiques », estime cependant que les autorités de son pays d’origine ne seraient pas à même de lui fournir une protection effective. Il donne à cet égard à considérer que le chef du village aurait affirmé avoir les mains liées et que le ministre ne saurait reprocher à un enfant de quinze ans de ne pas avoir pris l’initiative de s’adresser à la police, l’armée, voire à des organisations non-gouvernementales pour demander une protection supplémentaire. Par ailleurs, des cas de torture et d’autres mauvais traitement seraient encore largement répandus en Côte d’Ivoire, et notamment dans les postes de police et de gendarmerie, de sorte que les autorités étatiques ivoiriennes se trouveraient dans l’impossibilité de fournir une protection effective aux victimes des assauts libériens.
Monsieur … conteste ensuite que des motifs économiques se trouveraient à la base de sa demande de protection internationale en précisant qu’après son vécu en Côte d’Ivoire, la fuite vers l’Europe lui aurait paru comme une aventure et que la seule circonstance qu’il voulait offrir une meilleure vie à sa sœur n’enlèverait en rien la gravité aux faits subis.
En ce qui concerne la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir qu’il aurait été victime de deux tentatives violentes de recrutement en tant qu’enfant soldat et que les autorités ivoiriennes seraient impuissantes face à tels actes perpétrés par les milices libériennes, de sorte qu’il ne saurait dès lors être exclu qu’il risquerait une nouvelle fois de devenir victime de traitements inhumains en cas de retour dans son pays d’origine.
Etant donné qu’au moment des faits il aurait été mineur, il lui aurait encore été impossible de s’installer à son compte dans une autre partie du pays.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en reprenant, en substance, la motivation telle qu’elle se dégage de la décision ministérielle déférée.
Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un 1 Document intitulé « Recrutement des enfants » de l’UNHCR de mars 2015.
2 Rapport intitulé « Rapport de mission en République de Côte d’Ivoire 26 novembre au 7 décembre 2012 » de l’OFPRA.certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
6 c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintesgraves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Il échet encore de rappeler que dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir de substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer, les deux parties en cause étant autorisées à compléter leurs arguments respectifs en cours d’instance3.
En l’espèce, il ressort des déclarations de Monsieur … auprès de la direction de l’Immigration des 25 juillet, 1er août et 21 septembre 2018 qu’il a quitté la Côte d’Ivoire pour avoir été enlevé et maltraité à deux reprises par des enfants soldats libériens en vue de son enrôlement forcé en tant qu’enfant soldat.
A cet égard, il échet de prime abord de préciser en ce qui concerne les faits s’étant déroulés au Libéria, à savoir l’emprisonnement et les violences physiques subies par le demandeur dans ce contexte, que la question de savoir si un étranger craint avec raison d’être persécuté, voire faire l’objet d’atteintes graves, doit être examinée par rapport au pays dont celui-ci a la nationalité. En effet tant que l’intéressé n’éprouve aucune crainte vis-à-vis du pays dont il a la nationalité, il est possible d’attendre de lui qu’il se prévale de la protection de ce pays. Il n’a pas besoin d’une protection internationale et par conséquent il n’est pas à considérer comme réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire4. Dans la mesure où les faits subis au Libéria constituent toutefois la suite directe de l’enlèvement du demandeur dans son pays d’origine et des mauvais traitements y d’ores et déjà subis et trouvent encore leur origine dans le pays dont le demandeur a la nationalité, à savoir, la Côte d’Ivoire, ils sont à prendre en considération par le tribunal dans son analyse, la crainte dont se prévaut le demandeur ne s’examinant cependant que par rapport au pays dont il a la nationalité.
Ensuite, et indépendamment des résultats de l’analyse médico-légale du 11 septembre 2018, et même à admettre que les faits vécus pourraient être qualifiés de persécutions, voire d’atteintes graves au sens de la Convention de Genève pour revêtir encore un certain niveau de gravité, et qu’il ne peut être raisonnablement exigé d’un mineur de prendre l’initiative de s’adresser à la police, à l’armée, ou à des organisations non-gouvernementales et de s’installer seul dans une autre partie de son pays d’origine, l’examen des déclarations faites lors de ses auditions auprès de la direction de l’Immigration des 25 juillet, 1er août et 21 septembre 2018, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur ne saurait, en tout état de cause, être exposé à des persécutions, respectivement des atteintes graves, en cas de retour dans le pays dont il déclare avoir la nationalité.
3 Trib. adm., 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Recours en réformation, n° 16 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 15 décembre 2004, n° 18573 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Etrangers, n° 120 et les autres références y citées.En effet, force est au tribunal de constater que Monsieur …, déclarant être né le 17 avril 2001 et ayant eu 16 ans au moment des faits dans la mesure où les faits s’étant produits fin 20175, est entretemps majeur, de sorte qu’il n’est plus susceptible de faire l’objet d’un enrôlement forcé en tant qu’enfant soldat par d’autres enfants soldats, voire d’enlèvements et de violences physiques dans ce contexte, tel que souligné à juste titre par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.
A cela s’ajoute qu’il ressort des déclarations mêmes du demandeur qu’il ne craint pas de faire de nouveau l’objet d’une tentative de recrutement forcé des enfants soldats libériens, ce dernier ayant, en effet, sur question de l’agent en charge de ses entretiens, quelles pourraient être les conséquences concrètes d’un retour dans son pays d’origine, déclaré « Ce sera très compliqué. Je n’ai pas appris de métier en Côte d’Ivoire, je n’ai rien réalisé en Côte d’Ivoire, je n’ai pas de famille en Côte d’Ivoire à part ma sœur et la dame qui nous à hébergés. Oui, Madame c’est tout.6 ».
Par ailleurs, aucun autre élément du dossier ne permet au tribunal de conclure que le demandeur, en cas de retour dans son pays d’origine, serait à nouveau exposé à revivre un enlèvement et des violences physiques dans le contexte d’une tentative d’enrôlement forcé en tant qu’enfant soldat, de sorte qu’il est amené à conclure qu’il existe de bonnes raisons de penser que ces faits ne se reproduiront pas, renversant ainsi la présomption de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas. », la crainte évoquée par le demandeur n’ayant, en effet, plus de raison d’être.
Dans la mesure où ils existent de bonnes raisons de penser que les faits vécus par Monsieur … ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine, les craintes de ce dernier de subir des traitements similaires en cas de retour dans son pays d’origine ne sont pas fondées.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par le demandeur.
2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Le demandeur expose principalement que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale. Subsidiairement, il estime que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre 5 Page 22 du rapport d’entretien de Monsieur … des 25 juillet, 1er août et 21 septembre 2018.
6 Page 25 du rapport d’entretien de Monsieur … des 25 juillet, 1er août et 21 septembre 2018.circulation des personnes et l’immigration, dans la mesure où un retour en Côte d’Ivoire serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée, la conclusion prise sur le volet de la protection subsidiaire s’appliquant également en l’espèce à une prétendue violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 26 juin 2019 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 juin 2019 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 19 août 2020 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 11