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13/08/2020 | LUXEMBOURG | N°44658

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 août 2020, 44658


Tribunal administratif N° 44658 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2020 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 13 août 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44658 du rôle et déposée le 15 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maîtr

e Mickaël Mosconi, avocat à la Cour, assisté de Maître Catherine Warin, avocat, tous deux...

Tribunal administratif N° 44658 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2020 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 13 août 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44658 du rôle et déposée le 15 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Mickaël Mosconi, avocat à la Cour, assisté de Maître Catherine Warin, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Guinée), et être de nationalité guinéenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, élisant domicile en l’étude de Maître Mickaël Mosconi, préqualifié, sise à L-2763 Luxembourg, 10, rue Sainte Zithe, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er juillet 2020 de le transférer vers l’Espagne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine Warin, en remplacement de Maître Mickaël Mosconi, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Muller en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 août 2020.

Le 5 mars 2020, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, service criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, ainsi que suivant ses propres déclarations, qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 14 février 2020.

Toujours le 5 mars 2020, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu 1du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III».

Par arrêté du 5 mars 2020, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK), assignation qui fut prorogée par arrêté ministériel du 4 juin 2020, notifié à l’intéressé suivant les données figurant au dossier administratif le 3 juin 2020.

En date du 6 mars 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités espagnoles aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités espagnoles firent droit par un courrier du 13 mars 2020.

Par décision du 1er juillet 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Espagne, sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, le ministre insistant plus particulièrement sur le fait que Monsieur … avait précédemment franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 14 février 2020 et que les autorités espagnoles avaient, le 13 mars 2020, accepté de le prendre en charge.

Ladite décision est libellée comme suit :

« […] En mains le rapport de Police Judiciaire du 5 mars 2020 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 5 mars 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 5 mars 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 14 février 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 5 mars 2020.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 6 mars 2020 une demande de prise en charge aux autorités espagnoles sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités espagnoles en date du 13 mars 2020.

22. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale conformément à l'article 13(1) du règlement Dublin Ill.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 5 mars 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 14 février 2020.

Selon vos déclarations vous auriez quitté la Guinée en date du 5 janvier 2020 par voie aérienne en direction du Maroc. Après un séjour de cinq jours, vous auriez embarqué sur un bateau en direction de Malaga en Espagne. Comme vous ne parliez pas l'espagnol et par peur d'être rapatrié en Guinée, vous auriez quitté l'Espagne après deux semaines sans introduire une demande de protection internationale. Vous vous seriez rendu en France, mais vous n'auriez pas pu y rester, car la communauté Malinké qui vous aurait voulu du mal en Guinée, serait aussi présente en France. Vous auriez continué votre voyage au Luxembourg où vous seriez arrivé en date du 4 mars 2020.

3Lors de votre entretien Dublin III en date du 5 mars 2020, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Espagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons que l'Espagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Espagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Par conséquent, l'Espagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Espagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Espagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Espagne, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités espagnoles ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes espagnoles, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si 4cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Espagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Espagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Espagne en informant les autorités espagnoles conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités espagnoles n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2020, inscrite sous le numéro 44658 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle, précitée, du 1er juillet 2020 décidant de le transférer vers l’Espagne, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 1er juillet 2020 de transférer Monsieur … vers l’Espagne, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes relatés ci-dessus, le demandeur explique qu’il serait originaire de Guinée et qu’il aurait fui son pays à la suite de l’assassinat de son père et des violences exercées contre plusieurs membres de sa famille à cause de leur engagement politique. Il ajoute, pièce à l’appui, qu’en date du 11 mai 2020, il aurait été testé positif au virus dit Covid-19 et qu’il aurait fait l’objet d’une mesure d’isolement de quatorze jours, tout en soulignant qu’il n’aurait pas été atteint par une forme sévère de la maladie, mais qu’en revanche, il souffrirait encore à ce jour d’un mauvais état physique général.

En droit, il reproche de prime abord au ministre d’avoir violé les principes de solidarité et de coopération loyale entre les Etats membres de l’Union européenne, le devoir de protection de la santé humaine, ainsi que le principe de précaution en matière d’environnement et de santé, tels que consacrés à travers les articles 3, paragraphe (3), alinéa 3, et 4, paragraphe (3) du Traité 5sur l’Union européenne (« TUE »), et 168 et 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE »), ainsi qu’à travers le considérant n°22 du règlement Dublin III.

En se référant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 5 février 1963 dans une affaire Van Gend en Loos1, il fait valoir que dans la mesure où la décision déférée ayant pour objet de le transférer vers l’Espagne violerait les dispositions des traités précités au vu de la situation régnant actuellement dans ce pays, il serait en droit de les invoquer en l’espèce.

Il renvoie, dans ce contexte, à un article de presse publié le 26 juin 2020 sur le site www.euronews.fr, intitulé « L’Espagne confrontée à plusieurs foyers épidémiques », à un article de presse publié le 12 juillet 2020 sur le site www.le petitjournal.com, intitulé « Cent foyers en Espagne, le gouvernement n’exclut pas l’état d’alerte », ainsi qu’à un article de presse publié le 4 avril 2020 sur le site de France.info, intitulé « Micro européen Coivd-19 :

l’apocalyptique réalité espagnole », pour soutenir que l’Espagne serait un des pays les plus touchés par la pandémie due au virus Covid-19, tout en insistant sur le fait que depuis le début du mois de juillet, la situation s’y serait encore aggravée avec de nombreux foyers (« clusters») y identifiés, auxquels s’ajouteraient 109 cas dans un hébergement pour demandeurs d’asile, des reconfinements de plusieurs zones et le rétablissement de nombreuses mesures de restriction des déplacements et des contacts, le demandeur soulignant encore que la désorganisation des services de santé, des services administratifs et de la vie économique serait décrite par la presse comme étant « apocalyptique ».

Il donne à considérer que suivant un article publié dans le journal Tageblatt le 2 mai 2020, intitulé « Ein Drittel der Geflüchteten positiv auf Covid-19 getestet », le Luxembourg serait classé par plusieurs Etats européens comme étant un pays à haut risque de contamination au virus Covid-19, de sorte qu’il ne pourrait être exclu que lui-même, ayant contracté ledit virus il y a deux mois, ne représente « un vecteur de la maladie ». Ce risque serait encore renforcé par le fait qu’il réside actuellement à la SHUK où la promiscuité favoriserait la contagion.

Il en conclut que son transfert ajouterait aux difficultés auxquelles ferait actuellement face l’Espagne, en violation des principes de solidarité et de coopération loyale entre Etats membres de l’Union européenne, ainsi que du devoir de ceux-ci d’assurer un haut niveau de protection de la santé humaine. A cela s’ajouterait le fait que de nombreuses incertitudes demeureraient sur les modalités exactes de la transmission du virus Covid-19 et sur les impacts, notamment à long terme, de la maladie, tel que cela se dégagerait d’un article de presse publié le 16 juin 2020 sur le site vidal.fr, intitulé « COVID-19 : quelles séquelles à long terme ? L’expérience du SRAS et du MERS », ainsi que d’un article de presse publié le 13 juillet 2020 sur le site lci.fr , intitulé « Covid-19 : des doutes sur la durée de l’immunité (et l’efficacité d’un futur vaccin) ». Il s’ensuivrait que dans ces conditions, son transfert vers l’Espagne constituerait également une violation du principe de précaution.

Le demandeur ajoute que le ministre aurait omis de fournir une quelconque information quant à la mise en œuvre du transfert en lui-même et quant à la question de savoir si les conditions d’hygiène et les mesures de protection adéquates pouvaient être assurées tout au long de son voyage vers l’Espagne, ce qui serait formellement contesté.

1 CJUE, 5 février 1963, C-26/62, EU:C:1963:1.

6Le demandeur se prévaut, ensuite, d’une violation par la décision déférée des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte ») et 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, alors qu’il y aurait de sérieuses raisons de croire qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Espagne.

Il fait valoir qu’un transfert vers l’Espagne compromettrait l’objectif posé au considérant n°5 du règlement Dublin III, en ce que l’accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale, ainsi que la célérité du traitement de sa demande d’asile ne seraient pas garantis dans son chef, ceci plus particulièrement dans la mesure où l’ensemble du fonctionnement des administrations espagnoles serait lourdement affecté par la pandémie et les mesures prises pour endiguer la contagion du virus Covid-19. Cet accès effectif aux procédures d’asile serait d’autant plus compliqué en raison de la barrière linguistique à laquelle il serait confronté, ce à quoi s’ajouterait le fait qu’il serait transféré depuis le Luxembourg, un Etat identifié comme étant à haut risque pour les contaminations au virus Covid-19, tel que cela ressortirait d’un article de presse publié sur le site rtl.lu en date du 13 juillet 2020, intitulé « List of countries that have blacklisted Luxembourg », le demandeur estimant, en effet, qu’une mesure de quarantaine serait prise à son égard, retardant davantage l’accès pour lui aux procédures d’asile et portant ainsi atteinte à l’objectif de célérité poursuivi par le règlement Dublin III.

Le demandeur se prévaut, ensuite, d’une violation par la décision déférée de l’article 35 de la Charte, en raison des défaillances systémiques qui existeraient dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, en faisant valoir que les services de santé seraient si gravement affectés par l’afflux de patients infectés par le virus Covid-19 qu’ils ne seraient plus capables d’assurer correctement leur mission, tout en soulignant que la situation telle qu’elle se présente actuellement serait vouée à perdurer, en l’absence de vaccins contre le Covid-19 dans l’immédiat.

En se référant à une jurisprudence de la CJUE suivant laquelle il faudrait prendre en compte la vulnérabilité particulière d’une personne pour évaluer l’impact de possibles défaillances systémiques, il avance que bien que n’ayant pas été affecté par une forme grave du virus dit Covid-19, il souffrirait toutefois de séquelles diverses qui n’auraient pas encore pu être objectivées par un examen médical, mais qui correspondraient aux problèmes identifiés par la communauté médicale quant aux suites à long terme du Covid-19. Il s’ensuivrait que son état de santé s’opposerait à la mise en œuvre de son transfert et le rendrait particulièrement vulnérable face aux défaillances systémiques affectant actuellement la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Espagne, de sorte que la décision litigieuse serait à annuler pour violation des articles 4 de la Charte et 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III.

Le demandeur soutient, enfin, qu’en application de l’article 7 du règlement n°1560/2003 consolidé du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement n°343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, il serait probable que son transfert se ferait sous escorte, provoquant ainsi une situation à risque dans laquelle il devrait « être physiquement maîtrisé par des membres de forces de l’ordre ». En contestant que l’observation de mesures barrières appropriées soit garantie au moment de son transfert et au vu des enseignements retenus, dans 7ce contexte, par la CJUE dans un arrêt du 16 février 20172, il conclut que l’exposition au virus Covid-19, maladie potentiellement mortelle, du fait de son transfert vers l’Espagne constituerait dans son chef une violation de ses droits garantis par les articles 3, 4 et 6 de la Charte, et 29, paragraphe (1), alinéa 2, du règlement Dublin III, de sorte que la décision déférée serait à annuler.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Aux termes de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, sur base duquel la décision litigieuse a été prise, : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

En l’espèce, force est de constater que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a irrégulièrement franchi la frontière espagnole le 14 février 2020 et, d’autre part, par le fait que les autorités espagnoles ont accepté de le prendre en charge le 13 mars 2020.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de la décision ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Espagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne remet pas en cause la compétence de principe des autorités espagnoles pour procéder à l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais 2 CJUE, 16 février 2017, C.K. (C578/16 PPU, points 65 et 68).

8reproche au ministre d’avoir violé, en prenant la décision déférée, les dispositions des articles 3, paragraphe (3), alinéa 3, et 4, paragraphe (3) du TUE, et 168 et 191 du TFUE, d’une part, ainsi que celles des articles 4 et 35 de la Charte et 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, d’autre part. Il avance, enfin, que son transfert serait contraire aux articles 3, 4 et 6 de la Charte, et 29, paragraphe (1), alinéa 2, du règlement Dublin III.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen fondé sur une violation par le ministre des dispositions précitées du TUE et du TFUE, le tribunal relève que le règlement Dublin III, qui est un acte issu du droit dérivé, c’est-à-dire adopté par les institutions sur la base des traités fondateurs, repose sur les principes de solidarité, de protection et de confiance mutuelle entre Etat membres, conformément notamment aux articles 78 et 80 du TFUE3, tout en établissant une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile4 qui est fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les Etats membres que pour les personnes concernées.5 Ainsi, en tant que droit dérivé, le règlement Dublin III est censé respecter le droit primaire se dégageant du TUE et du TFUE. Or, comme le demandeur n’a pas évoqué une non-

conformité du règlement Dublin III avec le droit primaire de l’Union européenne, auquel cas le tribunal se verrait obligé de saisir la CJUE d’une question préjudicielle y afférente, et comme le tribunal ne constate pas non plus une telle non-conformité, celui-ci ne peut que faire application du droit dérivé, à savoir, en l’espèce, le règlement Dublin III, de sorte qu’abstraction faite de la question de savoir si les articles du TUE et du TFUE ont un effet direct, susceptible d’être invoqué par un administré contre un Etat membre, en l’occurrence le Luxembourg, le tribunal n’a pas à prendre position sur la violation éventuelle des articles 3, paragraphe (3), alinéa 3, et 4, paragraphe (3) du TUE, d’une part, et 168 et 191 du TFUE, d’autre part.

En ce qui concerne, ensuite, l’invocation par le demandeur de déficiences systémiques en Espagne, le tribunal se doit tout d’abord de relever que la décision déférée du 1er juillet 2020 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, hypothèse plus particulièrement visée à l’article 18 du règlement Dublin III.

Force est toutefois au tribunal de constater que dans la mesure où le demandeur, ayant depuis lors introduit une demande de protection internationale au Luxembourg, doit, en cas de transfert vers l’Espagne, y être dorénavant considéré comme un demandeur de protection internationale, et ce, conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), la question qui se pose en l’espèce doit se limiter à l’accès aux conditions d’accueil minimales des personnes transférées sous le règlement Dublin III en Espagne.

S’agissant de prime abord de la prétendue violation par la décision ministérielle déférée de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III aux termes duquel : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre 3 Voir notamment les considérants numéros 7 et 22 du règlement Dublin III.

4 Considérant n° 4 du règlement Dublin III.

5 Considérant n° 5 du règlement Dublin III.

9des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. », il convient de relever que cette disposition du règlement Dublin III impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », respectivement de l’article 4 de la Charte.

Il échet, à cet égard, de relever que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard6.

C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants78. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées9. Dans son arrêt du 16 février 2017, invoqué par le demandeur, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile10, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE11 a, dans un arrêt du 19 mars 2019, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans 6 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

7 Ibidem, point 79.

8 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu 9 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

10 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, point 95.

11 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, précité.

10la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de cet arrêt du 19 mars 2019, que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine.12 Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

Le demandeur remettant en question cette présomption du respect des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants en Espagne, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, force est de constater que de pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis au tribunal.

En effet, s’agissant des éléments invoqués par le demandeur pour faire constater des déficiences systémiques en Espagne, à savoir les articles de presse précités du 26 juin 2020, intitulé « L’Espagne confrontée à plusieurs foyers épidémiques », du 12 juillet 2020, intitulé « Cent foyers en Espagne, le gouvernement n’exclut pas l’état d’alerte », et du 4 avril 2020, intitulé « Micro européen Coivd-19 : l’apocalyptique réalité espagnole », force est de constater que s’il résulte certes de ces articles de presse que certains « clusters » ont été recensés dans certaines provinces du pays et notamment dans un centre d’accueil pour réfugiés de la Croix-

Rouge à Malaga et que l’Espagne compte parmi l’un des pays les plus touchés par la pandémie due au virus Covid-19, il ne se dégage toutefois pas de ces articles de presse, voire d’un quelconque autre élément soumis à l’appréciation du tribunal qu’il y a des sérieuses raisons de 12 Idem, point 92.

11croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, ni d’une manière générale, ni en raison des difficultés que connaît actuellement l’Espagne à cause de la pandémie.

Le demandeur reste, en effet, plus particulièrement en défaut de prouver, pièces à l’appui, que tant l’accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale que la célérité du traitement de sa demande ne seraient pas garantis en Espagne en raison de la pandémie, la seule affirmation que les administrations espagnoles seraient particulièrement affectées par la pandémie et qu’il y existerait une augmentation notable de nouvelles infections au virus risquant d’emporter des reconfinements étant en tout état de cause insuffisante pour retenir qu’il existe en l’espèce des défaillances systémiques dans le traitement des demandes de demandeurs de protection internationale.

Ce constat ne saurait être ébranlé ni par la barrière linguistique à laquelle serait confronté le demandeur, ni par le fait qu’il serait transféré depuis le Luxembourg, un Etat identifié par d’autres Etats européens comme étant un pays « at-risk » concernant les infections avec le virus Covid-19, impliquant pour lui un risque de faire l’objet d’une mesure de quarantaine dès son arrivée en Espagne, ceci plus particulièrement dans la mesure où il n’est pas établi en l’espèce que de telles considérations auraient pour effet de porter atteinte à la célérité du traitement de sa demande de protection internationale, voire à l’accès pour lui aux conditions d’accueil en Espagne, entraînent dans son chef un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

Quant aux moyens du demandeur tirés de son état de santé, et plus particulièrement de la violation par le ministre de l’article 35 de la Charte aux termes duquel : « Toute personne a le droit d'accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union », force est de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément du dossier, et notamment d’un certificat médical, que l’état de santé du demandeur serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert en Espagne, la simple affirmation du demandeur suivant laquelle il souffrirait de séquelles diverses suite à sa contamination avec le virus Covid-19 en mai 2020 est en tout état de cause insuffisante à cet égard, étant encore relevé qu’il a affirmé lors de son entretien relatif à la procédure Dublin III du 5 mars 2020 qu’il est en « bonne santé ».

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage ni des articles de presse précités, ni d’aucun autre élément tangible soumis à son appréciation que les demandeurs de protection internationale n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin, ni d’une manière générale, ni spécifiquement dans la situation telle qu’elle se présente actuellement en Espagne, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter.

A cela s’ajoute que le demandeur n’invoque aucun rapport actuel d’une institution internationale interdisant ou recommandant une suspension générale des transferts vers l’Espagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la pandémie due au virus Covid-19 qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

12Par ailleurs, rien n’indique que le demandeur ne puisse le cas échéant trouver en Espagne une aide spécifique au vu des besoins éventuels particuliers en matière d’accueil requis le cas échéant par son état de santé, à admettre l’existence de problèmes de santé graves, de sorte qu’il n’y a aucun obstacle en vue d’un transfert vers l’Espagne, ni en ce qui concerne sa propre santé, ni en ce qui concerne la santé publique.

Il s’ensuit, au vu de ce qui précède, que le moyen fondé sur une violation des articles 35 de la Charte et 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, est à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant, enfin, du moyen fondé sur une violation par le ministre des articles 3 et 6 de la Charte relatifs au droit à l’intégrité physique d’une personne et à la liberté et la sûreté, et 29, paragraphe (1), du règlement Dublin III relatif aux modalités et délais d’un transfert, invoqué dans l’hypothèse où il devrait être transféré sous escorte et être « physiquement maîtrisé par les forces de l’ordre », force est de constater que ces considérations sont liées à l’exécution du transfert en lui-même et ne sauraient aucunement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Par ailleurs, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les conditions d’hygiène et les mesures de protection adéquates ne seraient pas garanties lors du transfert du demandeur en Espagne, de sorte que, outre le fait que cette affirmation non autrement sous-tendue concerne l’exécution du transfert lui-même, celle-ci, ensemble le reproche y relatif que les autorités luxembourgeoises n’auraient pas fourni d’informations en ce sens, sont à rejeter.

Le moyen afférent est partant rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, 13et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 13 août 2020 à 17.00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 44658
Date de la décision : 13/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-08-13;44658 ?

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