Tribunal administratif N° 44536 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2020 2e chambre Audience publique extraordinaire du 10 août 2020 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 44536 du rôle et déposée le 15 juin 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous différents alias, déclarant être né le … (Egypte) et être de nationalité égyptienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, sis à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 28 mai 2020 de le transférer vers l'Allemagne, l'Etat membre responsable pour traiter sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l'audience publique du 13 juillet 2020.
Le 3 mars 2020, Monsieur … introduisit auprès des autorités luxembourgeoises compétentes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l'itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s'avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l'intéressé avec la base de données EURODAC, que celui-ci avait précédemment introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date des 1er février 2016 et 23 mai 2019.
Toujours le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l'Immigration, en vue de déterminer l'Etat responsable de l'examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 4 mars 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de Monsieur …, ce que ces derniers acceptèrent par courrier du 9 mars 2020 sur base de l'article 18 (1) d) du règlement Dublin III.
Par décision du 28 mai 2020, notifiée à l'intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l'Allemagne sur base de l'article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l'article 18 (1) d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 3 mars 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1) d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers 1 'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 3 mars 2020 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 3 mars 2020.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 3 mars 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'Immigration.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date du 1er février 2016 et en date du 23 mai 2019.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 3 mars 2020.
Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 4 mars 2020 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 9 mars 2020.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre 2 responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande dans un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.
3. ruant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 3 mars 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date du 1er février 2016 et en date du 23 mai 2019.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté 1 'Egypte en septembre 2015 par voie aérienne en direction de la Russie, muni d'un visa russe. Après vingt-cinq à trente jours en Russie, vous auriez traversé la frontière biélorusse de façon illégale en voiture. Les autorités biélorusses vous auraient placé dans un centre de rétention pendant quarante-deux jours afin de vous rapatrier.
Lors de votre transfert vers l'Egypte, vous auriez fait escale à Istanbul où vous auriez déchiré votre billet. Après trente jours d'enfermement à l'aéroport d'Istanbul, vous auriez embarqué sur un bateau en direction de la Grèce pour après emprunter la route des Balkans. Après votre arrivée en Allemagne, vous avez introduit une demande de protection internationale sous une fausse identité. Les autorités allemandes auraient découvert votre vraie identité par la suite et auraient rejeté votre demande. Votre avocat vous aurait informé que vous n'auriez plus de chance d'obtenir une protection de la part des autorités allemandes en raison de la fausse identité indiquée initialement. Vous pensez que les autorités allemandes vont vous rapatrier en Egypte où votre vie serait en danger. Vous reportez par ailleurs que vous auriez été agressé à plusieurs reprises en Allemagne dans le cadre de disputes.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 3 mars 2020, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
En l'occurrence, dans l'hypothèse où les autorités allemandes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d'origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
3 Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avérait nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2020, inscrite sous le numéro 44536 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l'annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 mai 2020 ordonnant son transfert vers l'Allemagne.
Etant donné qu'aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, l'article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l'article 28 (1) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision précitée du 28 mai 2020. Ledit recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.A l'appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir été définitivement débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne, où il aurait donné une fausse identité aux autorités allemandes suite au conseil d'un autre demandeur de protection internationale qui lui aurait assuré avoir plus de chances d'obtenir une protection en indiquant qu'il serait Syrien. Lorsque lesdites autorités auraient découvert sa véritable identité, elles auraient rejeté sa demande de protection internationale et lui auraient ordonné de quitter le territoire. Il n'aurait dès lors pas pu exposer les réelles raisons pour lesquelles il a quitté son pays d'origine, l'Egypte, à savoir le fait qu'il aurait été arrêté et emprisonné pour s'être converti au christianisme. Il explique dans ce contexte craindre de retourner en Allemagne où il serait renvoyé en Egypte, pays dans lequel il risquerait sa vie et sa liberté en raison de ses opinions religieuses. Il donne également à considérer que les transferts seraient suspendus vers et depuis l'Allemagne depuis le 18 mars 2020 en raison de l'épidémie de COVID-19, et estime à cet égard que les autorités luxembourgeoises auraient pu d'office prendre en charge l'examen de sa demande de protection internationale.
En droit, le demandeur reproche en premier lieu une violation de l'article 17 (1) du règlement Dublin III, alors qu'il aurait appartenu au ministre de recourir d'office à la clause discrétionnaire pour admettre la responsabilité du Luxembourg et entamer sans retard l'examen de sa demande de protection internationale. Dans ce contexte, il renvoie à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 16 février 2017, C.K, H.F., A.S. c/ Republika Slovenija, portant le numéro C-578/16 PPU, dans lequel la Cour aurait relevé que le système Dublin aurait pour but de permettre la détermination rapide de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale afin de garantir un accès effectif aux procédures d'octroi d'une protection internationale. Il fait valoir encore que la pandémie de COVID-19 affecterait l'exécution des transferts dans le cadre de l'application du règlement Dublin III, circonstances qui revêtiraient le caractère de la force majeure, et qu'il aurait dès lors appartenu au ministre de déclarer le Luxembourg responsable pour l'examen de sa demande pour satisfaire le principe de célérité requis dans l'application dudit règlement. Il indique que la Cour d'appel de Colmar aurait retenu que l'absence d'un demandeur d'asile à l'audience était justifiée en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à la pandémie. Il ajoute que dans une communication du 17 avril 2020, la Commission européenne aurait admis que, lorsque le transfert d'un demandeur sur base du règlement Dublin III ne pouvait pas être exécuté dans le délai prévu à son article 29 (2), la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale serait transférée à l'Etat membre requérant. Le demandeur donne à considérer dans ce contexte qu'une date pour son transfert ne serait pas, à l'heure actuelle, prévue et que le délai prévu à l'article 29 (2) risquerait de ne pas être respecté. Ainsi, pour satisfaire au critère de célérité, il estime qu'il aurait appartenu au ministre d'examiner sa demande de protection internationale au lieu de vouloir le transférer vers l'Allemagne.
En deuxième lieu, le demandeur se prévaut d'une violation des articles 31 et 32 du règlement Dublin III obligeant d'échanger avec l'Etat membre responsable les informations pertinentes avant l'exécution du transfert, dans la mesure où le ministre ne se serait pas informé sur toutes les circonstances justifiant la légalité de sa décision de transfert, surtout suite à la suspension par l'Allemagne des transferts vers son territoire.
En troisième lieu, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle violerait « par ricochet » l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH » et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». En effet,son transfert vers l'Allemagne l'exposerait à un retour vers l'Egypte où il encourrait le risque réel d'être soumis à des traitements inhumains et dégradants en raison de sa religion, le demandeur s'appuyant à cet effet sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-
après désignée par « la CourEDH », du 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, portant le n° 30696/09, un article de Paris Match, publié le 22 avril 2019 et intitulé «Le harcèlement des chrétiens d'Egypte », un rapport d'Amnesty International de 2019 concernant les droits de l'Homme et la situation des chrétiens d'Egypte et un autre rapport de 2019 de Human Rights Watch.
En quatrième lieu, le demandeur s'empare d'une violation « indirecte » de l'article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, ci-après désigné par « la Convention de Genève » et de l'article 19 (2) de la Charte, alors que son transfert vers l'Allemagne entraînerait un refoulement indirect en violation desdites dispositions, suite au rejet définitif de sa demande de protection internationale dans ledit pays et de l'existence d'un ordre de quitter le territoire à son égard.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n'être fondé dans aucun de ses moyens.
En ce qui concerne la procédure de détermination de l'Etat membre responsable du traitement d'une demande de protection internationale, il y a tout d'abord lieu de relever qu'aux termes de l'article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015: « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu'un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu'à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers 1 'Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Aux termes de l'article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. ».
Il suit de ces dispositions que l'Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l'hypothèse où la demande de protection internationale de l'intéressé a été rejetée et que ce dernier a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre.
Le tribunal constate de prime abord qu'en l'espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d'une part, par le fait que Monsieur … a déposé deux demandes de protection internationale en Allemagne et, d'autre part, par le fait que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge, de sorte que c'est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l'Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.
Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principede l'Allemagne, respectivement l'incompétence de principe de l'Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que la décision déférée serait contraire au principe de non-refoulement prévu aux articles 33 (1) de la Convention de Genève et 19 de la Charte, et, «par ricochet » aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et aux articles 17 (1), 31 et 32 du règlement Dublin III.
Tout d'abord, quant aux moyens basés sur une violation du principe de non-refoulement visé par les articles 19 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, en ce que le demandeur risquerait de subir des actes de torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants interdits par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas d'éloignement vers son pays d'origine par les autorités allemandes, le tribunal est amené à rappeler que le système européen commun d'asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l'ensemble des Etats y participant, qu'ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève ainsi que dans la CEDH, de même que dans la Charte, et que les Etats membres peuvent s'accorder une confiance mutuelle à cet égard.
C'est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l'Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d'asile et d'éviter l'engorgement du système par l'obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d'accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l'Etat responsable du traitement de la demande d'asile et ainsi d'éviter le «forum shopping », l'ensemble ayant pour objectif principal d'accélérer le traitement des demandes tant dans l'intérêt des demandeurs d'asile que des Etats participants.
En ce qui concerne plus particulièrement le risque allégué d'une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d'abord que la décision attaquée n'implique pas un retour vers le pays d'origine du demandeur, mais désigne uniquement l'Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant relevé qu'en l'espèce, ledit Etat membre, en l'occurrence l'Allemagne, a reconnu être compétente pour reprendre en charge le demandeur.
Il n'en demeure pas moins qu'en vertu notamment de la jurisprudence de la CourEDH, dans certains cas, il ne peut être exclu que l'application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu'un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat membre, traité d'une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats membres respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH et la Charte est réfragable.
Force est toutefois de constater qu'en l'espèce, outre le fait que le demandeur n'affirme pas que, personnellement et concrètement, ses droits n'auraient pas été respectés en Allemagne lors du traitement de sa demande de protection internationale, il n'apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis dans ledit pays, que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Allemagne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n'auraient dans le prédit pays aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que l'Allemagne est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-
refoulement y inscrit à l'article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.
8Force est encore au tribunal de relever que, s'il n'est pas contesté en l'espèce que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne, ce dernier reste toutefois en défaut de fournir un quelconque élément susceptible de démontrer que le prédit pays ne respecterait systématiquement pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu'il risquerait d'être forcé de se rendre dans un tel pays.
En effet, hormis l'affirmation du demandeur qu'il serait renvoyé vers l'Egypte, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal qu'au moment de la prise de la décision litigieuse, tout demandeur de protection internationale égyptien définitivement débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne risque d'être, automatiquement et sans possibilité de recours, éloigné de force vers son pays d'origine.
Le tribunal relève encore que le demandeur ne fournit pas de précisions quant à la situation générale des personnes transférées vers l'Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III, ni n'invoque-t-il une jurisprudence de la CourEDH ou de la CJUE relative à une suspension générale des transferts vers l'Allemagne, voire une demande en ce sens de la part de l'UNHCR.
Le demandeur ne fait pas non plus état de l'existence d'un rapport ou avis de l'UNHCR interdisant ou recommandant l'arrêt des transferts vers l'Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d'asile allemande ou du renvoi des demandeurs d'asile déboutés égyptiens qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur en Allemagne l'exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré aux articles 33 de la Convention de Genève et 19 de la Charte ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Même à supposer que les autorités allemandes devaient décider de procéder à son éloignement vers l'Egypte en violation du principe de non-refoulement, force est de relever qu'il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal qu'il ne serait pas permis au demandeur de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates'.
Il s'ensuit que les moyens du demandeur fondés sur une violation par la décision ministérielle attaquée des articles 33 de la Convention de Genève, 19 de la Charte, ainsi que des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte sont rejetés pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne, ensuite, le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l'article 17 (1) du règlement Dublin III, il échet de relever que s'il est vrai que, lorsqu'en application des critères dudit règlement, l'Etat luxembourgeois n'est pas responsable de l'examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d'examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du 1 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.
ministre, s'agissant d'une disposition facultative qui accorde un pouvoir d'appréciation étendu aux Etats membres.' Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s'entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu'elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la chargea, et s'il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée4, de sorte que lorsque l'autorité s'est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d'appréciation, il y a lieu d'annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l'autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d'un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.
Si l'objectif du règlement Dublin III est, entre autres, d'accélérer le traitement des demandes de protection internationale, le demandeur reste cependant en défaut d'avancer des raisons concrètes permettant de penser que le ministre n'a pas agi avec célérité pour déterminer l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale de Monsieur … et de ses suites, et pour l'y transférer, alors qu'il ressort, au contraire, des éléments du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ont contacté leurs homologues allemands le 4 mars 2020 en vue de sa reprise en charge, soit le lendemain du dépôt de sa demande de protection internationale et de son entretien réalisé en vue de la détermination dudit Etat membre.
Si le demandeur reproche, dans ce contexte, au ministre d'avoir pris sa décision seulement le 28 mai 2020 alors qu'il avait connaissance de la responsabilité des autorités allemandes depuis le 9 mars 2020, il échet de relever que le règlement Dublin III sanctionne, par le biais de son article 29, la non-exécution du transfert dans le délai fixé à six mois, - dans l'hypothèse où l'intéressé n'est pas emprisonné ou en fuite -, en faisant basculer la charge de la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale de l'Etat requis à l'Etat requérant. Ce délai commence à courir à partir de l'acceptation de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale et de ses suites, et non de la date de prise de décision du ministre tel que le demandeur semble l'entendre, de sorte que le fait que le ministre ait pris sa décision le 28 mai 2020 n'a aucune incidence sur le fait qu'il doive exécuter le transfert dans le délai de six mois à partir de l'acceptation, soit jusqu'au 9 septembre 2020, date à partir de laquelle la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale pèsera sur les autorités luxembourgeoises.
En outre, si le demandeur a entendu reprocher au ministre le fait de ne pas avoir utilisé la clause discrétionnaire alors que l'exécution de son transfert risquerait d'être tardive en raison des restrictions prononcées par les différents Etats membres suite à la propagation du COVID-
19, il échet de relever que les Etats membres ont pris des mesures strictes de confinement, à l'instar du Luxembourg qui se trouvait en période de confinement du 18 mars au 6 mai 2020, empêchant ainsi toute exécution des transferts, mais que ces mesures, et qui concernent notamment les restrictions pour le franchissement des frontières nationales, sont temporaires, de sorte que l'exécution du transfert de Monsieur … n'est pas nécessairement voué à 1' échec.
2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
3 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges d u Vi le Co ngrè s i nter natio nal de Droit co mparé, B ruxelle s, CID C, 1966, p.449.
4 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339. Dans la mesure où le demandeur n'apporte pas d'éléments suffisants pour retenir que le ministre aurait outrepassé ses pouvoirs discrétionnaires dans le cadre de l'application de l'article 17 (1) du règlement Dublin III, hormis l'existence du risque d'un non-respect des délais de transferts en raison du COVID-19, le tribunal retient, dès lors, que le moyen tiré d'une violation fondée sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l'article 17 (1) du règlement Dublin III, encourt le rejet.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur fondé sur l'article 31 du règlement Dublin III, qui dispose dans son premier paragraphe, que « L 'État membre procédant au transfert d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), communique à 1 'État membre responsable les données à caractère personnel concernant la personne à transférer qui sont adéquates, pertinentes et raisonnables, aux seules fins de s 'assurer que les autorités qui sont compétentes conformément au droit national de l'État membre responsable sont en mesure d'apporter une assistance suffisante à cette personne, y compris les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels, et de garantir la continuité de la protection et des droits conférés par le présent règlement et par d'autres instruments juridiques pertinents en matière d'asile. Ces données sont communiquées à l'État membre responsable dans un délai raisonnable avant l'exécution d'un transfert, afin que ses autorités compétentes conformément au droit national disposent d'un délai suffisant pour prendre les mesures nécessaires. », et sur l'article 32 du même règlement qui dispose dans son premier paragraphe que «Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d'actes de torture, de viol ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'État membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis. », force est au tribunal de constater que lesdits articles ne contiennent que des exigences en matière d'exécution d'un transfert, dans le cadre du règlement Dublin III, en ce que l'Etat membre y procédant doit fournir un certain nombre d'informations sur la personne à transférer, notamment ses coordonnées et les éléments concernant son état de santé si celui-ci présente des particularités, afin que l'Etat membre de destination puisse prendre les mesures nécessaires et adéquates. Les articles en question ne peuvent partant a priori pas affecter la légalité de la décision ministérielle litigieuse.
Il échet, par ailleurs, de relever qu'en ce qui concerne la situation particulière du demandeur, qui ne nécessite, à défaut de toute indication en ce sens dans les éléments soumis au tribunal, aucune assistance médicale, les autorités allemandes ont été informées, à travers la demande de leurs homologues luxembourgeois des éléments d'identité, et partant également de la nationalité de Monsieur …, de sorte qu'elles doivent être considérées comme ayant été prévenues, en temps utile, afin de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder, le cas échéant, les droits de ce dernier, incluant son droit de ne pas être éloigné vers un pays où il risque de faire l'objet de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
1 0 Il s'ensuit que le moyen tiré d'une violation des articles 31 et 32 du règlement Dublin III est également à rejeter.
Partant, c'est à bon droit et sans commettre d'erreur d'appréciation que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l'Allemagne, l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande de protection internationale et de ses suites.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d'autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l'égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l'audience publique extraordinaire du 10 août 2020 par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 1 1