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10/08/2020 | LUXEMBOURG | N°41649

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 août 2020, 41649


Tribunal administratif Numéro 41649 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 août 2018 2e chambre Audience publique extraordinaire du 10 août 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41649 du rôle et déposée le 31 août 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Admir Pucurica, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à …, t...

Tribunal administratif Numéro 41649 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 août 2018 2e chambre Audience publique extraordinaire du 10 août 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41649 du rôle et déposée le 31 août 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Admir Pucurica, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 mai 2018, référencée sous le numéro …, portant rejet de sa réclamation introduite le 13 février 2017 à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2015, émis le 7 décembre 2016 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2018 par Maître Admir Pucurica, au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elodie Da Costa, en remplacement de Maître Admir Pucurica, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mars 2020.

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Le 7 décembre 2016, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … et de son épouse, Madame …, le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2015.

Aux termes d’un courrier du 1er février 2017, le préposé du bureau d’imposition refusa de faire droit à la demande de redressement de ce bulletin d’impôts, introduite par Monsieur … le 22 décembre 2016.

1 Par courrier du 9 février 2017, réceptionné le 13 février 2017, Monsieur … introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation à l’encontre du susdit bulletin de l’impôt sur le revenu.

Cette réclamation fut rejetée par une décision du directeur du 30 mai 2018, référencée sous le numéro …, libellée comme suit :

« (…) Vu la requête introduite le 13 février 2017 par le sieur …, demeurant à …, pour réclamer contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015, émis le 7 décembre 2016 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le réclamant fait grief au bureau d’imposition de ne pas avoir admis la base d’amortissement de ses habitations données en location ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant, matériellement, qu’il y a lieu de constater que le réclamant a déclaré les revenus locatifs provenant de deux appartements-duplex situés dans la « Résidence … » sise au … par le biais d’une seule annexe (i.e. le modèle 190) ; que le réclamant perçoit également des revenus locatifs afférents à un immeuble sis au … ; que, toutefois, la présente réclamation ne concerne que les appartements-duplex sis au … ;

Considérant que le bureau d’imposition a modifié la base d’amortissement globale des immeubles litigieux en la portant de … euros à … euros ;

Considérant que ce redressement trouve son origine dans la déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 1994 des parents du réclamant, i.e. feu le sieur … et feu la dame … (ci-après : « les parents ») ; que les parents étaient propriétaires des appartements-duplex précités et donnés en location ; qu’ils avaient déclaré à l’époque une base d’amortissement globale se chiffrant à (… x 40,3399 i.e.) … francs luxembourgeois ; que suite au décès de ses parents la succession est échue pour la totalité au réclamant en vertu d’un acte de notoriété daté du 31 mars 2009 ; que, par la suite, le réclamant a perçu les loyers en relation avec les appartements hérités ;

2Considérant que par une lettre datée du 20 décembre 2016 adressée au bureau d’imposition …, le réclamant a demandé de « calculer l’amortissement des deux appartements pour 2015 sur base de leur valeur d’acquisition » ; que le préposé du bureau d’imposition a cependant refusé la demande de redressement en date du 1er février 2017 ;

Considérant que les immeubles sont entrés dans le patrimoine privé des parents suite à un litige fastidieux les opposant à la société à responsabilité limitée … ; qu’en l’espèce, ils ont déposé un recours en annulation d’une autorisation de construction de la « Résidence …» délivrée à la société à responsabilité limitée … ; qu’ils ont eu gain de cause résultant en l’annulation du permis de construire par le Conseil d’État ; que par la suite les parents ont porté une action en démolition de la construction déjà entamée devant le juge des référés ; qu’au vu de cette assignation la société à responsabilité limitée … a proposé un arrangement aux parents ;

Considérant qu’une « CONVENTION TRANSACTIONNELLE » a été signée par les parents et la société à responsabilité limitée … en date du 10 août 1994 ; que cette convention a comme objet une indemnisation à hauteur de … francs luxembourgeois (i.e. … euros) au profit des parents, alors qu’en contrepartie « ils s’abstiendront, sous peine de caducité, de toute intervention et de toute ingérence administrative et judiciaire ou autre vis-à-vis des projets de celui-ci connus sous le dénomination "Résidence …"» ;

Considérant qu’au même jour a été dressé un « ACTE DE VENTE EN ETAT FUTUR D’ACHEVEMENT AVEC COMPENSATION » stipulant que la « société venderesse [i.e. la société à responsabilité limitée …] cède à titre d’indemnisation aux prédits époux … dit … dite … les lots ci-après désignés, savoir les lots 012, 017, 049, 050, 057, 058, 062 et 063 » ; que, partant, la dette consignée précédemment dans la convention transactionnelle (i.e. … euros) a été compensée par la transmission des lots sus-visés aux parents ;

Considérant, tel qu’indiqué supra, qu’après le décès de ses parents, le réclamant a hérité des appartements-duplex et les a donnés en location jusqu’à leurs ventes respectives au courant de l’année 2016 ;

Considérant que c’est sur cette toile de fond que le réclamant a acquis la pleine propriété des immeubles litigieux ; qu’il convient dès lors de déterminer la base d’amortissement y afférente;

Considérant qu’un bien économique qui est source de revenus est sujet à amortissement dans son ensemble constitué par le prix d’acquisition ou de revient défini à l’article 25 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.), englobant notamment l’ensemble des dépenses faites pour mettre le bien envisagé dans l’état où il se trouve au moment de l’évaluation (doc.parl. 5714, p.219) ;

Considérant que d’après l’article 25, alinéa 1er L.I.R. le prix d’acquisition d’un bien est l’ensemble des dépenses assumées par le propriétaire, ou son prédécesseur en cas de transmission à titre gratuit, pour le mettre dans son état au moment de l’évaluation ; que le prix de revient d’un bien englobe toutes les dépenses assumées en raison de la fabrication du bien envisagé (article 26 L.I.R.) ;

3Considérant encore que l’article 102, alinéa 3, première phrase L.I.R. dispose que lorsqu’un bien a été acquis à titre gratuit par le cédant, le prix d’acquisition à mettre en compte est celui payé par le détenteur antérieur ayant acquis le bien en dernier lieu à titre onéreux ; que « Par acquisition à titre gratuit il y a lieu de comprendre les immeubles reçus par voie de donation ou de succession. » (cf circulaire L.I.R. 106/2 du 7 février 2000) ; qu’en l’occurrence, les prédits immeubles ont été acquis par le requérant par voie de succession, i.e. à titre gratuit ;

Considérant que les détenteurs antérieurs étaient les défunts parents du réclamant, qui avaient acquis les immeubles en cause en date du 10 août 1994 à titre de compensation d’un préjudice subi par eux et ayant été évalué à … euros que, partant, il est sans équivoque que le montant précité ne représente pas « les dépenses assumées » par les parents, mais qu’au contraire, ce dernier montant constitue l’évaluation d’une indemnisation leur ayant été concédée moyennant une convention transactionnelle afin qu’ils fassent abstraction de leur droit de faire démolir la « Résidence …» ; que l’acte de vente du 10 août 1994 n’est donc que la transposition de la convention transactionnelle précitée ; qu’il échet de mettre en exergue que l’acte de vente stipule que « les frais des présentes et les droits d’enregistrement et de transcription seront entièrement à charge de la société venderesse [i.e. la société à responsabilité limitée …] » de sorte que les parents n’avaient, en principe, aucune charge à supporter ; qu’il se dégage néanmoins du dossier fiscal des parents qu’ils ont payé des suppléments pour l’achèvement des appartements-duplex se chiffrant à … euros ;

Considérant qu’il échet de mentionner que lors du litige opposant les parents à la société à responsabilité limitée …, ces derniers avaient déboursé des honoraires d’avocat pour une somme se chiffrant à … francs luxembourgeois (i.e. … euros) au courant des années 1992 à 1994 ; que, toutefois, ce montant n’est pas susceptible de majorer la base d’amortissement des immeubles litigieux à défaut d’un lien causal avec les immeubles litigieux ; qu’initialement les parents ont recouru à une assistance juridique dans le seul but d’empêcher la construction de la « Résidence …», notamment en annulant l’autorisation de construction y afférente ; que, manifestement, les dépenses afférentes aux honoraires juridiques ne sont dès lors pas en relation économique directe avec l’acquisition des appartements-duplex, de sorte que le montant de … euros n’est pas à prendre en considération pour la détermination du prix d’acquisition ou de revient, et, partant, pour la base d’amortissement des immeubles en cause ;

Considérant que le revenu net provenant de la location de biens (article 98 L.I.R.) est constitué par l’excédent des recettes sur les frais d’obtention (article 103 L.I.R.) ; qu’en vertu de l’article 105, alinéa 2, n° 3 L.I.R. l’amortissement pour usure ou pour diminution de substance visé à l’article 106 L.I.R. rentre également parmi les frais d’obtention ; qu’aux termes du règlement grand-ducal du 19 novembre 1999, article 1er, alinéa 2, lettre b) portant exécution de l’article 106, alinéa 4 L.1.R. la base d’amortissement pour usure des immeubles et parties d’immeubles bâtis acquis à titre gratuit est fixée comme s’il n’y avait pas eu de transmission, à savoir au prix d’acquisition ou de revient, diminué de la quote-part relative au terrain, payé après le … par le détenteur antérieur ayant acquis l’immeuble en dernier lieu à titre onéreux ;

Considérant que le prix d’acquisition ou de revient à retenir en guise de base d’amortissement se compose des seuls suppléments payés à l’époque par les parents se chiffrant à … euros ; que l’instruction n’a pas révélé d’autres éléments susceptibles de majorer le prix 4d’acquisition ou de revient des immeubles litigieux ; qu’il résulte de ce qui précède que la base d’amortissement afférente aux deux appartements-duplex sis au … se chiffre … euros ;

Considérant qu’en vertu de l’article 2, alinéa 2, n° 3 du règlement grand-ducal modifié du 19 novembre 1999 portant exécution de l’article 106, alinéa 4 L.I.R., le taux d’amortissement applicable aux immeubles ou parties d’immeubles bâtis, affectés au logement locatif dont l’achèvement remonte au 1er janvier de l’année d’imposition à 6 ans jusqu’à 60 ans inclus est fixé à 2 pour cent ; qu’en l’espèce, l’amortissement pour usure se chiffre à (… x 2% i.e.) … euros ;

Considérant que le bureau d’imposition a fait une juste appréciation des faits ; qu’il est donc pleinement à confirmer en ce qui concerne la détermination de la base d’amortissement (i.e.

… euros) respectivement l’amortissement des immeubles litigieux (i.e. … euros) ;

Considérant que pour le surplus, l’imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause, et n’est d’ailleurs pas autrement contestée ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 août 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale, précitée, du 30 mai 2018.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung » en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-

après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale déférée du 30 mai 2018, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée. Plus particulièrement, il explique qu’il serait devenu propriétaire des appartements sis à … par voie de succession, suite aux décès successifs de ses parents, Monsieur … et Madame …, ci-après désignés par « les époux … ». Ces derniers auraient acquis les appartements litigieux dans le cadre d’une vente en état futur d’achèvement, conclue par acte notarié du 10 août 1994. Cet acte serait intervenu suite à la conclusion, en date du même jour, d’une convention transactionnelle entre les époux …et la société à responsabilité limitée …, ci-après 5désignée par « la société … », après que le Conseil d’Etat, saisi par les parents de Monsieur …, aurait annulé, par deux arrêts des 9 juillet 1993 et 27 juin 1994, les autorisations de construire délivrées successivement à la société … les 19 avril 1992 et 23 juillet 1993 par le bourgmestre de la commune de … en vue de la construction de la résidence sise à …, dénommée « Résidence … ».

Dans ce contexte, le demandeur cite l’exposé préliminaire figurant à l’acte de vente en état futur d’achèvement du 10 août 1994, pour en déduire que ses parents auraient disposé d’une créance à hauteur de … francs à l’égard de la société …, qui aurait procédé au paiement de cette somme par compensation, en leur vendant les appartements litigieux.

En droit, le demandeur soutient que dans la mesure où il aurait acquis les appartements litigieux à titre gratuit, le prix d’acquisition à prendre en compte en vue de la détermination de la base d’amortissement globale de ces appartements serait, en vertu de l’article 102 (3) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée « LIR », le prix payé par le détenteur antérieur ayant acquis le bien en dernier lieu à titre onéreux, en l’occurrence ses parents, qui auraient acquis lesdits appartements par compensation de leur créance susmentionnée de … francs, soit de … euros. Après avoir souligné que tant l’acte de vente en état futur d’achèvement que la convention transactionnelle auraient été enregistrés, de sorte à être opposables aux tiers, le demandeur fait valoir que la créance de ses parents ayant résulté de ladite convention serait à qualifier de bien meuble corporel. Le paiement par compensation aurait conduit à l’échange de ladite créance avec les deux appartements litigieux. Conformément à l’article 25 LIR, le prix d’acquisition de ces derniers serait, dès lors, de … euros. A cette somme, il y aurait lieu d’ajouter celle de … euros que les époux …auraient payée à titre de suppléments pour la réalisation de leurs appartements. Ainsi, la base d’amortissement afférente serait de … euros. En application de l’article 2 (2) 3. du règlement grand-ducal modifié du 19 novembre 1999 portant exécution de l’article 106, alinéas 3 et 4 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (base d’amortissement forfaitaire et taux d’amortissement pour immeubles locatifs), ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 19 novembre 1999 », le taux d’amortissement serait, en l’espèce, à fixer à 2 %, de sorte que l’amortissement pour usure se chiffrerait à (… euros x 2 % =) … euros. La décision déférée devrait, dès lors, encourir la réformation pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation.

Le demandeur fait ensuite valoir que l’argumentation du directeur, selon laquelle le montant de … euros ne représenterait pas les dépenses assumées par ses parents en vue de l’acquisition des appartements litigieux, mais constituerait l’évaluation d’une indemnisation leur concédée dans le cadre de la susdite convention transactionnelle, afin qu’ils renoncent à leur droit de faire démolir la Résidence …, serait en contradiction avec les arrêts du Conseil d’Etat des 9 juillet 1993 et 27 juin 1994 ayant retenu l’existence, dans le chef des époux …, d’un intérêt à agir suffisant du fait de la perte d’une servitude et de leur vue, ainsi que de la dépréciation de leur immeuble d’habitation ayant résulté de la construction de ladite résidence. Dans ce contexte, le demandeur insiste sur le fait que la construction de cette résidence aurait causé un préjudice à ses parents. Ce préjudice, dont la preuve serait rapportée par le libellé du susdit acte de vente en état futur d’achèvement, aurait été compensé par la société … d’un commun accord des parties. Si la partie étatique estime que la somme de … euros ne correspondrait pas au préjudice subi par les époux …, il lui appartiendrait d’en rapporter la preuve.

6Si l’administration est d’avis que le prix d’acquisition payé par les époux …serait de … euros, l’acte de vente en état futur d’achèvement serait à qualifier d’acte de donation. Or, pour les acquisitions à titre gratuit, le prix d’acquisition à mettre en compte serait celui payé par le détenteur antérieur ayant acquis le bien en dernier lieu à titre onéreux, qui serait, en présence d’une donation au profit des époux …, la société …. Pour déterminer le prix d’acquisition payé par cette dernière, il y aurait lieu de tenir compte du prix de cession des appartements de … euros. Alternativement, ladite société devrait « (…) apporter les calculs nécessaires pour déterminer le prix de revient de ces deux appartements-duplex 24 ans après leur construction[…] avec tous les risques quant à la sécurité juridique des contrats (…) ».

Par ailleurs, le demandeur donne à considérer que la société …, qui aurait certainement déclaré la cession des appartements litigieux au prix de … euros dans ses propres déclarations fiscales des années 1994 et 1995, aurait fait état de ce montant dans sa comptabilité et aurait payé l’impôt dû pour le bénéfice réalisé dans le cadre de ladite cession.

Le demandeur déduit de ces considérations que la décision directoriale déférée serait « (…) incohérente par rapport aux dispositions législatives et réglementaires (…) », de sorte à devoir encourir la réformation.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle la transaction et la vente en état futur d’achèvement susmentionnées seraient à qualifier d’actes apparents dans le cadre d’une simulation d’un acte de donation. A cet égard, il donne à considérer qu’il serait de jurisprudence constante que les juges du fond apprécieraient souverainement la valeur des présomptions invoquées par l’administration des Contributions directes pour soutenir qu’une vente dissimulerait un acte à titre gratuit. En revanche, dans le cadre d’une affaire impliquant l’intervention d’un notaire, il aurait été jugé que dans la mesure où la mention, dans un acte de vente notarié, d’un paiement du prix intervenu hors la vue ou hors la comptabilité du notaire ferait foi jusqu’à preuve contraire, il incomberait au tiers à l’acte qui le contesterait de démontrer par tous moyens l’absence de paiement effectif. Monsieur … ajoute que la simulation supposerait la fraude, qui serait constituée par des actes dissimulant la véritable portée d’un contrat. En présence de deux voies susceptibles d’atteindre le but poursuivi, les parties auraient le droit de choisir la voie la moins onéreuse, dès lors que la voie choisie ne serait pas défendue par la loi, même si le Trésor touche des droits moins élevés. Il faudrait, toutefois, que le contrat conclu et soumis à l’administration reflète l’intention réelle des parties. L’administration aurait le droit de contrôler la qualification de l’acte lui présenté et d’établir une simulation par des présomptions graves, précises et concordantes.

Or, en l’espèce, la partie étatique conclurait à l’absence d’un quelconque préjudice dans le chef des époux …, sans étayer son argumentation par des éléments probants. Elle n’apporterait aucune présomption grave, précise et concordante pour établir la simulation et n’établirait pas l’intention frauduleuse des époux …et de la société ….

Le demandeur insiste sur le fait qu’il se dégagerait des documents comptables déposés par la société … ensemble avec le bilan de l’année 1994 auprès de l’administration des Contributions directes et du registre de commerce et des sociétés que ladite société aurait déclaré à l’administration fiscale une charge exceptionnelle de … francs – soit de … euros – relative au 7« Préjudice … ». Cette charge exceptionnelle n’aurait pas été contestée par l’administration des Contributions directes, de sorte que cette dernière serait présumée avoir accepté la réalité de la transaction litigieuse.

Après avoir souligné que l’opération d’échange conclue entre les époux …et la société … constituerait, non pas une simulation, mais une opération licite et courante, le demandeur fait valoir que la partie étatique serait forclose pour invoquer une éventuelle contre-lettre entre ces dernières parties. En effet, l’acte notarié du 10 août 1994, qui décrirait en détail l’accord de ces mêmes parties et qui aurait été régulièrement enregistré et publié, serait connu par l’administration, qui, pendant 24 ans, n’aurait pas jugé utile de le remettre en cause ou d’en contester les énonciations.

Le demandeur souligne encore qu’en vertu du paragraphe 6, alinéa 1er de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz », dénommée ci-après « StAnpG », l’abus de droit supposerait la réunion de plusieurs éléments, à savoir l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie.

Or, lors de la conclusion de l’opération du 10 août 1994, il n’y aurait eu aucun motif fiscal consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, alors que les parties auraient simplement voulu régler leur litige par le biais d’une transaction sur base de l’article 2044 du Code civil. L’argumentation de la partie étatique selon laquelle les époux … n’auraient rien payé en contrepartie des appartements litigieux, n’auraient subi aucun préjudice du fait de la construction illicite et se seraient vu gratifier par le promoteur ferait abstraction, non seulement de l’important préjudice matériel subi par les parents du demandeur, qui aurait consisté, notamment, en (i) des fissures et d’autres endommagements causés à leur immeuble, (ii) la perte de leur vue et d’une servitude, (iii) la dépréciation de leur maison et (iv) des frais de procédures et honoraires d’avocat, mais encore du dommage moral ayant résulté de « (…) tous les embêtements et tracas qu’[ils auraient dû] subir avant de conclure la transaction du 10 août 1994 (…) ».

Les contrats du 10 août 1994 n’auraient été conclus que pour des motifs extra-fiscaux, à savoir l’indemnisation du préjudice subi par les époux … par compensation du prix de vente des deux appartements, et les actes de transaction et de vente seraient à considérer comme des voies adéquates et communément utilisées.

Le demandeur en conclut que la partie étatique serait restée en défaut « (…) d’établir la nullité de l’échange opéré en 1994 (…) ».

A titre subsidiaire et en se prévalant de la circulaire LIR n° 99ter/1 du directeur du 29 décembre 1994, le demandeur soutient que dans l’hypothèse où l’opération de 1994 serait à qualifier de donation, il conviendrait de tenir compte du prix payé par la société … pour la construction des deux appartements litigieux. Etant donné qu’il se dégagerait de l’acte notarié du 10 août 1994 que pour ladite société, le coût de l’opération aurait été de … euros, sinon de … euros, ces montants seraient à retenir en tant que prix d’acquisition servant au calcul de la base d’amortissement des appartements sis à ….

8 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en faisant valoir que les époux … n’auraient pas acquis lesdits appartements moyennant des « dépenses assumées », au sens de l’article 26 LIR, alors qu’ils n’auraient rien dépensé ni payé en contrepartie de l’obtention de ces derniers. A cet égard, le représentant étatique fait valoir que la transaction, prévue à l’article 2044 du Code civil, supposerait des concessions réciproques, qui, selon l’acte de transaction litigieux, auraient consisté en le paiement de la somme de … francs, pour la société … et en l’abandon des poursuites judiciaires, pour les parents du demandeur. Les termes « indemnisation » et « préjudice » figurant dans ce même acte seraient incorrects, étant donné que les époux … n’auraient pas subi de préjudice du fait de la construction de la résidence …. Sur ce point, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que les autorisations de construire afférentes auraient été annulées, non pas en raison de la perte, par les époux …, de leur vue ou d’une servitude ou encore de la dépréciation de leur maison, mais sur base de considérations « (…) purement techniques (…) », à savoir celles selon lesquelles, d’une part, la résidence en question aurait été à qualifier, non pas d’« immeuble groupé », mais d’« immeuble isolé » et, d’autre part, la construction n’aurait pas respecté les prescriptions dimensionnelles applicables aux « immeubles isolés ». La partie étatique en déduit que les époux … n’auraient pas été dédommagés, mais gratifiés. En effet, afin d’éviter de devoir démolir la résidence, comportant 20 appartements et dont la construction aurait déjà été à un stade avancée, suite à une ordonnance de référé, la société … aurait préféré offrir deux appartements aux parents du demandeur en contrepartie de l’abandon de leurs poursuites. Pour qu’un contrat de vente en état futur d’achèvement puisse valablement être conclu, notamment en ce qui concerne l’indication du prix, élément essentiel à la base de toute vente, les parties auraient signé une convention qualifiée de transaction pour ensuite compenser le montant y convenu avec le prix de vente. Il s’agirait d’une simulation, c’est-à-dire d’un mensonge concerté entre les contractants, qui auraient dissimulé leur volonté réelle derrière un contrat apparent. Les tiers, dont l’administration des Contributions directes, pourraient se prévaloir soit de l’acte apparent, soit de l’acte simulé. En l’espèce, les actes apparents seraient la transaction et la vente en état futur d’achèvement, tandis que l’acte simulé serait une donation, les appartements ayant été cédés à titre gratuit aux époux … en échange de leur renonciation à leur droit à introduire une action en démolition de la résidence …. La concomitance entre la transaction et la vente en état futur d’achèvement en serait la preuve.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que les époux … se seraient vu attribuer la propriété des appartements sis à …, non pas contre paiement d’une certaine somme d’argent, mais contre leur renonciation à leur droit d’agir judiciairement en démolition de la résidence. Pour ce faire, les parties auraient eu recours à deux actes qualifiés, d’une part, de « transaction » allouant aux époux … la somme de … francs et, d’autre part, de « vente en état futur d’achèvement », dans le cadre de laquelle la somme convenue dans la « transaction » aurait servi au paiement du prix de vente par compensation. Dans ce contexte le délégué du gouvernement donne à considérer que dans la mesure où l’acte de vente disposerait que le prix serait payé par compensation, la vente ne saurait être qualifiée de vente en état futur d’achèvement, et ce pour violation, notamment, des articles 1601-5 et 1601-9 du Code civil.

Le représentant étatique insiste sur le fait qu’il y aurait lieu de rechercher l’intention réelle des parties, qui aurait consisté en l’attribution d’immeubles aux époux …contre leur renonciation à leur droit d’agir en justice et non pas contre paiement d’un quelconque prix ni par échange. En se 9prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 3 février 2016, portant le numéro 35671 du rôle, selon lequel en matière fiscale, il y aurait lieu de rechercher et d’analyser la réalité économique recouverte par les formes juridiques, le délégué du gouvernement souligne qu’en l’espèce, cette réalité économique serait la suivante : les époux … auraient obtenu de la part de la société … la propriété de deux immeubles et ils n’auraient pas payé de prix, ni procédé à une quelconque dépense, conformément aux dispositions des articles 25, 26 et 102 LIR, mais ils auraient renoncé à un droit, à savoir celui d’agir en justice, de sorte que contrairement à l’argumentation de Monsieur …, il n’y aurait pas eu d’échange. Le délégué du gouvernement cite encore des extraits de la transaction du 10 août 1994, pour en déduire que cet accord n’aurait nullement eu pour objet d’indemniser les époux …d’un préjudice, mais de les persuader à renoncer à leur droit d’agir en démolition de la résidence ….

Il est constant que le présent litige porte sur la détermination de la base de l’amortissement de deux appartements sis à … ayant appartenu au demandeur et ayant été donnés en location par ce dernier au cours de l’année d’imposition litigieuse.

Aux termes de l’article 105 (1) LIR : « Sont considérés comme frais d’obtention les dépenses faites directement en vue d’acquérir, d’assurer et de conserver les recettes ». Il est encore précisé au paragraphe (2) de cet article, sous le numéro 3, que constituent également des frais d’obtention « (…) 3. l’amortissement pour usure ou pour diminution de substance visé à l’article 106 ; (…) ».

L’article 106 LIR, auquel il est ainsi renvoyé, prévoit ce qui suit :

« (1) L’amortissement prévu à l’alinéa 2, numéro 3 de l’article 105 concerne uniquement la déperdition normale tant technique qu’économique et n’entre en ligne de compte que pour les biens qui sont sources de revenus pour le contribuable ou qui en tant qu’instruments de travail sont affectés ou utilisés par le contribuable aux fins d’obtention de revenus. Il est déterminé conformément aux dispositions du présent article et des articles 22, alinéa 4, 29, 30, 32, alinéas 1er et 2, 33 et 34 sur la base du prix d’acquisition ou de revient.

(2) En ce qui concerne les biens acquis à titre gratuit, le prix d’acquisition ou de revient est remplacé par le prix que l’acquéreur aurait dû payer s’il avait acquis le bien à la même époque à titre onéreux.

(3) En ce qui concerne les biens acquis soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, avant une date à déterminer par règlement grand-ducal, le prix d’acquisition ou de revient est remplacé par le prix que l’acquéreur aurait dû payer, s’il avait acquis le bien à la date déterminée.

(4) Par dérogation aux dispositions qui précèdent un règlement grand-ducal peut, en ce qui concerne les immeubles bâtis ou certaines catégories d’immeubles bâtis, fixer forfaitairement la base ou le taux de l’amortissement par référence, soit à la valeur unitaire, soit au prix d’acquisition. ».

En application des paragraphes (3) et (4) dudit article 106 LIR, a été adopté le règlement grand-ducal du 19 novembre 1999, dont l’article 1er (2) b) prévoit que « La base de l’amortissement 10pour usure des immeubles et parties d’immeubles bâtis acquis à titre gratuit est fixée comme s’il n’y avait pas eu de transmission, à savoir (…) au prix d’acquisition ou de revient, diminué de la quote-part relative au terrain, payé après le 31.12.1940 par le détenteur antérieur ayant acquis l’immeuble en dernier lieu à titre onéreux. ».

Les appartements litigieux constituent des immeubles bâtis acquis par le demandeur à titre gratuit, plus particulièrement par voie de succession. Par ailleurs, il n’est pas contesté que l’acquisition par le détenteur antérieur ayant acquis l’immeuble en dernier lieu à titre onéreux – que ce soient les parents du demandeur ou la société … – a eu lieu à une date postérieure au 31 décembre 1940. Dès lors, la base de l’amortissement pour usure des appartements en question correspond au prix d’acquisition ou de revient, diminué de la quote-part relative au terrain, payé par le détenteur antérieur ayant acquis l’immeuble en dernier lieu à titre onéreux, étant précisé qu’aux termes de l’article 25 (1) LIR, « Le prix d’acquisition d’un bien est l’ensemble des dépenses assumées par l’exploitant pour le mettre dans son état au moment de l’évaluation (…) », et qu’aux termes de l’article 26 (1) LIR « Le prix de revient d’un bien comprend toutes les dépenses assumées par l’exploitant en raison de la fabrication du bien envisagé (…) ».

Les parties sont en désaccord quant à la question de savoir si, par la conclusion du susdit acte de vente en état futur d’achèvement, les parents du demandeur peuvent être qualifiés comme détenteurs antérieurs ayant acquis les immeubles en dernier lieu à titre onéreux, et ce au prix de vente stipulé dans l’acte.

A cet égard, le délégué du gouvernement soutient, en substance, que les actes de transaction et de vente en état futur d’achèvement du 10 août 1994 constitueraient une donation déguisée.

La donation déguisée est celle qui emprunte l’apparence d’un acte onéreux, le disposant réalisant son intention libérale au moyen d’une simulation, la charge de la preuve de la donation déguisée, et plus particulièrement de l’intention libérale du donateur, de même que la preuve de la simulation incombant à celui qui invoque le déguisement – en l’occurrence la partie étatique –, preuve pouvant être rapportée par tous moyens.1 La convention transactionnelle du 10 août 1994 est rédigée en les termes suivants :

« (…) Préambule En date du 19 avril 1992 le Bourgmestre de la commune de … a délivré au profit du promoteur l’autorisation de construire un immeuble à 20 appartements sis à … En date du 29 septembre 1992 les plaignants avaient déposé un recours en annulation contre le prédit permis de construire.

Par arrêt du 29 septembre 1992 le [C]onseil d’Etat a annulé le prédit permis de construire au motif que la construction litigieuse n’était pas à considérer comme un immeuble groupé et ne répondait pas aux prescriptions dimensionnelles des immeubles isolés construits en zone de moyenne densité.

1 Cour d’appel, 6 mars 2019, n° CAL-2018-00074 du rôle, disponible sur www.justice.public.lu.

11 Après annulation dudit permis de construire par le Conseil d’Etat le Bourgmestre de la Commune de … délivra un nouveau permis de construire en date du 23 juillet 1993.

Contre ce nouveau permis de construire du 23 juillet 1993 les plaignants ont déposé un deuxième recours en annulation devant le Conseil d’Etat en date du 8 octobre 1993.

Par arrêt du 27 juin 1994 le Conseil d’Etat annula le permis de construire délivré le 23 juillet 1993.

Par exploit de l’huissier KREMMER du 21 juillet 1993 les plaignants ont assigné le promoteur aux fins de démolition de la construction illicite.

Vu les deux arrêts du Conseil d’Etat.

Considérant qu’en conséquence, l’immeuble litigieux n’est plus couvert par une autorisation de construire valable, Considérant que les plaignant déclarent qu’a défaut d’arrangement à intervenir hic et nunc, ils rompront tous pourparlers et poursuivront sans autres considérations l’action en démolition qu’ils ont portée devant le juge des référés.

Les plaignants déclarent d’accord à accepter l’indemnisation proposée par le promoteur aux conditions et modalités qui vont suivre.

CONDITIONS 1. Le préjudice subi par les plaignants est évalué d’un commun accord à la somme de …,-

LUF (…) qui sera payable le 10 août 1994.

2. En contrepartie, les plaignants renoncent irrévocablement et définitivement pour eux-mêmes, leurs ayants droit et ayants cause à se prévaloir vis-à-vis du promoteur, des ayants-droit et ayants-cause de ce dernier, des arrêts précités qu’ils ont obtenus devant le Conseil d’Etat.

Ils déclarent plus particulièrement et au même titre que moyennant exécution de la présente convention, ils n’ont plus aucune prétention à faire valoir à charge du promoteur et qu’ils s’abstiendront, sous peine de caducité, de toute intervention et de toute ingérence administrative et judiciaire ou autre vis-à-vis des projets de celui-ci connus sous la dénomination « Résidence …» ainsi que de toute construction éventuelle future, à condition cependant que cette construction soit conforme au règlement sur les bâtisses de la commune de …. (…) ».

L’acte de vente en état futur d’achèvement signé le même jour contient un « EXPOSE PRELIMINAIRE » comportant, outre un rappel des antécédents procéduraux devant le Conseil 12d’Etat, les précisions suivants : « I.- (…) Etant donné que la promotion immobilière dénommée « RESIDENCE … » est déjà partiellement réalisée il était difficile à la société venderesse de démolir l’immeuble en cours de construction.

II.- Pour clôre le litige opposant les prédits époux […] à la prédite société venderesse, les parties (…) ont signé le 10 août 1994 une convention transactionnelle stipulant que le préjudice subi par les prédits époux est évalué à la somme de [… francs] et que la prédite société venderesse cède à titre d’indemnisation aux prédits époux […] les lots ci-après désignés, à savoir les lots 012, 017, 049, 050, 057, 058, 062 et 063 (…). Ces faits exposés, la société venderesse préqualifiée déclare redevoir aux prédits époux […] la somme de [… francs].

III.- Afin de se libérer de l’obligation ci-avant indiquée la prédite société venderesse déclare vendre (…) aux prédits époux […] les lots 012, 017, 049, 050, 057, 058, 062 et 063 ci-

après désignés. (…) ». Le même acte prévoit que le paiement du prix de vente, qui s’élève à … francs et se compose de … francs pour la quote-part terrain, de … francs pour les constructions déjà réalisées et de … francs pour les constructions à réaliser, devait se faire par compensation avec la dette de la société … résultant de la convention transactionnelle, l’acte notarié précisant encore que pour les constructions à réaliser « (…) [c]ette compensation se réalisera au fur et à mesure des échéances des tranches successives de l’immeuble à construire et déterminées selon le présent acte de vente (…) ». Par ailleurs, le même acte contient encore la stipulation suivante : « (…) L’indemnisation prévue par la prédite convention transactionnelle du 10 août 1994 étant réalisée par le présent acte de vente en état futur d’achèvement en date de ce jour, les époux […] renonceront expressément à tous actions et recours contre la [société …], en vertu de la prédite convention transactionnelle du 10 août 1994, dès que la réception des lots vendus aura été effectuée entre les prédits comparants, la signature du procès-verbal de réception entraînant renonciation expresse à faire valoir un droit ou une action quelconque entre les prédits comparants. (…) ».

Dans ces circonstances, le tribunal ne saurait déceler d’intention libérale dans le chef de la société …, étant donné qu’il ressort sans équivoque des actes du 10 août 1994 que l’allocation, à travers la convention transactionnelle, aux époux … de la somme de … francs ayant servi au paiement par compensation du prix de vente des appartements litigieux, fixé à cette même somme par l’acte de vente en état futur d’achèvement, n’a pas eu lieu à titre de libéralité, mais uniquement en considération d’une contrepartie, à savoir la renonciation, par les parents du demandeur, à leur droit d’agir à l’encontre de la société … suite aux arrêts du Conseil d’Etat ayant annulé les permis de construire délivrés pour la construction de la résidence …. L’argumentation du délégué du gouvernement ayant trait à l’existence d’une donation déguisée encourt, dès lors, le rejet.

Le tribunal relève ensuite que c’est à juste titre que la partie étatique soutient qu’en matière fiscale, le juge administratif ne saurait s’arrêter aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais il est appelé, au-delà de l’apparence juridique, de rechercher et d’analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques. En effet, il est de principe en droit fiscal que les faits et les actes juridiques doivent être interprétés et appréciés d’après des critères économiques. Pour le surplus, les qualifications juridiques avancées par les parties ne sont retenues par le juge de l’impôt que dans la mesure où elles correspondent à l’intention réelle des parties.2 2 Trib. adm. 3 février 2016, n° 35671 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Impôts, n° 30.

13En l’espèce, le tribunal constate qu’à travers la convention transactionnelle du 10 août 1994, la société … s’est engagée à payer en date du même jour aux époux …la somme de … francs, les parents du demandeur s’étant, quant à eux, engagés à renoncer à faire valoir des droits ou actions à l’encontre de la société … suite aux arrêts du Conseil d’Etat. S’il est certes exact que la convention transactionnelle était « (…) conclu[e] sous la condition suspensive que dans un délai de 8 jours à compter de sa signature, l’administration communale de … ne fasse pas de proposition équivalente à celle faisant l’objet de la présente transaction et susceptible de désintéresser les plaignants par préférence (…) », il n’est cependant pas allégué, ni a fortiori établi que cette condition suspensive ait été défaillante. Etant donné qu’aux termes de l’article 1179 du Code civil, « La condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté », les parents du demandeur étaient, au jour de la signature de la transaction, investis d’une créance de … francs à l’égard de la société ….

L’acte de vente en état futur d’achèvement, dont le libellé fait apparaître que sa conclusion était postérieure à celle de la convention transactionnelle, prévoyait, quant à lui, la compensation des créances réciproques des parties, à savoir, d’une part, celle ayant trait au paiement du montant de … francs par la société …, telle que prévue par ladite convention transactionnelle, et, d’autre part, celle consistant en le paiement, par les époux …, du prix de vente des appartements litigieux, fixé au même montant de … francs.

Au vu de ces éléments, le tribunal retient qu’indépendamment de la question de savoir si les parents du demandeur avaient subi un préjudice du fait de la construction illicite, les parties aux contrats du 10 août 1994 avaient l’intention de mettre un terme au litige les opposant à travers la renonciation, par les époux …, à leur droit d’agir à l’encontre du promoteur, moyennant une certaine contrepartie.

Il peut certes être admis, au vu du fait que les deux actes ont été conclus successivement le même jour et de l’exposé préliminaire figurant dans l’acte de vente en état futur d’achèvement, que la volonté des parties était ab initio celle qu’à la fin de l’opération, les parents du demandeur devenaient propriétaires des appartements litigieux.

Il n’en reste pas moins qu’il était aussi de la volonté des parties de chiffrer préalablement et dans un acte distinct la contrepartie de la renonciation au droit d’agir des époux … à une somme d’argent précise, à savoir celle de … francs, et d’en prévoir le paiement sans délai par la société …, de sorte à reconnaître aux intéressés une créance de … francs. L’acte de transaction n’était assorti d’aucune condition relative à la passation de l’acte de vente en état futur d’achèvement. Ainsi, la validité de la créance y prévue n’était pas subordonnée à la conclusion ultérieure de ce dernier, de sorte que les parents du demandeur auraient pu en poursuivre le recouvrement, en cas de refus, par la société …, de conclure ledit acte de vente par la suite. De même, une éventuelle cause de nullité propre à l’acte de vente ne se serait a priori pas répercutée sur l’acte de transaction et, dès lors, sur la créance y reconnue aux époux …. Dans ces circonstances, le tribunal ne saurait suivre le raisonnement de la partie étatique consistant, en substance, à faire abstraction de l’existence de ladite créance et à réduire l’opération à l’octroi des appartements sis à … moyennant la renonciation, par les parents du demandeur, à leur droit d’agir à l’encontre de la société …, en vertu du principe de l’appréciation, en droit fiscal, des faits et actes juridiques d’après des critères économiques.

14 La créance ainsi reconnue aux époux … a, par la suite, servi au paiement, par le mécanisme de la compensation, du prix de vente des appartements litigieux. A cet égard, le tribunal précise que la compensation tient lieu de paiement. Elle éteint, dès le moment où elle s’opère, les deux créances compensées, comme le ferait un double paiement simultané.3 Dès lors, du fait de cette compensation, qui correspondait, elle-aussi, à l’intention des parties, les époux … ont perdu leur qualité de titulaires de la susdite créance et, en contrepartie, ils sont devenus propriétaires desdits appartements. En d’autres termes, ladite créance est, d’un point de vue tant juridique qu’économique, sortie du patrimoine des parents du demandeur, du fait de la passation de l’acte de vente leur conférant, en contrepartie, la propriété des appartements sis à …. Eu égard à ces considérations, le tribunal retient que cette extinction de la créance des époux … par le biais de la compensation, qui tient lieu de paiement, tel que précisé ci-avant, peut être qualifiée de dépense assumée pour mettre le bien dans son état au moment de l’évaluation, au sens de l’article 25 LIR.

Les parents du demandeur sont, dès lors, à qualifier de détenteurs antérieurs ayant acquis l’immeuble en dernier lieu à titre onéreux, au sens de l’article 1er (2) b) du règlement grand-ducal du 19 novembre 1999, et ce au prix de … francs prévu dans l’acte notarié de vente du 10 août 1994, l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle ladite vente ne saurait être qualifiée de vente en état futur d’achèvement, au sens des articles 1601-1 et suivants du Code civil, au motif d’une violation des articles 1601-5 et 1601-9 de ce même Code, étant dépourvue de pertinence à cet égard.

Au vu de ces considérations et en application de l’article 1er (2) b), précité, du règlement grand-ducal du 19 novembre 1999, le tribunal est amené à conclure que la base de l’amortissement pour usure des appartements litigieux se compose non seulement des suppléments à hauteur de … euros payés par les parents du demandeur, mais aussi du prix de vente s’élevant à … francs, soit à (… / 40,3399 =) … euros, tel que prévu par l’acte notarié du 10 août 1994. Contrairement à la demande de Monsieur …, ce dernier montant n’est cependant pas à prendre en compte en son intégralité, mais il est, conformément à la susdite disposition réglementaire, à diminuer de la quote-

part relative au terrain, s’élevant, aux termes du même acte, à … francs, soit à (… / 40,3399 =) … euros. Le recours en réformation est, dès lors, partiellement fondé.

Etant donné qu’il était dans l’intention du législateur de ne pas faire du tribunal un « taxateur » et de ne pas l’amener à s’immiscer dans le domaine de l’administration sous peine de compromettre son statut judiciaire, son rôle consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt.4 Il s’ensuit qu’il y a lieu de renvoyer le dossier au directeur pour transmission au bureau d’imposition compétent, afin d’établir un nouveau bulletin de l’impôt sur le revenu, sur base des principes de droit et faits dégagés ci-avant.

Le recours ayant été déclaré partiellement fondé, il y a lieu de faire masse des frais et dépens et de les imputer pour un quart au demandeur et pour trois quarts à l’Etat.

3 JurisClasseur Notarial Formulaire, V° Compensation, Fasc. 10 : Compensation, pt. 85.

4 Trib. adm., 29 mars 1999, n° 10428 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 janvier 2000, n° 11285C du rôle, Pas. adm.

2019, V° Impôts, n° 1107 et les autres références y citées.

15 Finalement, le tribunal retient qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de Monsieur … tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500 euros, en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. », étant donné qu’il ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à sa charge.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 mai 2018, dit que la base de l’amortissement pour usure des appartements situés dans la Résidence « … », sise à …, …, se compose non seulement des suppléments à hauteur de … euros payés par les parents du demandeur, mais aussi du prix de vente de … euros, tel que prévu par l’acte notarié du 10 août 1994, diminué de la quote-part relative au terrain, s’élevant, aux termes du même acte, à … euros ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes, pour transmission au bureau d’imposition compétent, afin d’établir, sur base des principes retenus ci-avant, un nouveau bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2015 ;

pour le surplus, rejette le recours principal en réformation pour ne pas être fondé ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500 euros, telle que formulée par le demandeur ;

fait masse des frais et dépens et les impute pour un quart au demandeur et pour trois quarts à l’Etat.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 10 août 2020 par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

16 s. Luana Poiani s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 41649
Date de la décision : 10/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-08-10;41649 ?

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