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06/08/2020 | LUXEMBOURG | N°44733

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 août 2020, 44733


Tribunal administratif Numéro 44733 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2020 chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 6 août 2020 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44733 du rôle et déposée le 27 juillet 2020 au greffe du tribunal administra

tif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av...

Tribunal administratif Numéro 44733 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2020 chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 6 août 2020 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44733 du rôle et déposée le 27 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Maroc), et être de nationalité marocaine, alias …, déclarant être né le … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 juillet 2020 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fabien François, en remplacement de Maître Philippe Stroesser, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 22 août 2017, Monsieur …, alias …, désigné ci-après par « Monsieur … », introduisit une demande de protection internationale au Luxembourg au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-

après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ». Ladite demande fut refusée par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 7 septembre 2018, décision coulée en force de chose décidée pour ne pas avoir fait l’objet d’un recours contentieux.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg Groupe Gare, n° …, du 23 novembre 2018 qu’en date de ce même jour, Monsieur … fut appréhendé par la police lors d’un contrôle. Il ressort encore du même rapport de police que Monsieur … ne disposait pas d’adresse fixe au Luxembourg et que son attestation d’introduction d’une demande de protection internationale n’avait plus été renouvelée depuis le 13 juin 2018.

1Suite à cette interpellation, le ministre prit, en date du même jour, une décision portant interdiction d’entrée sur le territoire pendant trois ans à partir de la sortie de l’espace Schengen à l’encontre de Monsieur …, ainsi qu’un arrêté séparé de placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision.

Suite à un avis du même jour du médecin de garde au Centre de rétention déclarant Monsieur … « inapte à la rétention pour cause d’un état d’intoxication mixte », celui-ci fut libéré du Centre de rétention avec effet immédiat.

Suivant rapport de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg Groupe Gare, n° …, du 24 novembre 2018, Monsieur … fut, à cette même date, de nouveau intercepté par la police. Il ressort encore dudit rapport de police qu’après avoir contacté le service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, ainsi que le ministère des Affaires étrangères et européennes, il fut décidé de placer Monsieur … au Centre de rétention.

Le 24 novembre 2018, le ministre prit une décision de placement en rétention à l’encontre de Monsieur …, laquelle lui fut notifiée à la même date.

Par arrêté du 20 décembre 2018, notifié à Monsieur … le 24 décembre 2018, le ministre prorogea une première fois le placement au Centre de rétention de l’intéressé pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Par arrêté du 22 janvier 2019, notifié à l’intéressé le 24 janvier 2019, le ministre prorogea une nouvelle fois le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 février 2019, Monsieur … fit introduire un recours contentieux contre l’arrêté ministériel précité du 22 janvier 2019, qui fut rejeté comme n’étant pas fondé par un jugement du tribunal administratif du 15 février 2019, inscrit sous le numéro 42332 du rôle.

Par arrêté du 15 février 2019, notifié à l’intéressé le 22 février 2019, la mesure de placement en rétention administrative de Monsieur … fut une nouvelle fois prorogée pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification dudit arrêté.

Par arrêté du 21 mars 2019, notifié à l’intéressé le 22 mars 2019, le ministre prorogea une nouvelle fois le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification.

Le recours contentieux dirigé à l’encontre du susdit arrêté ministériel du 21 mars 2019, déposé le 16 avril 2019 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 26 avril 2019, inscrit sous le numéro 42673 du rôle.

Le 2 mai 2019, Monsieur … fut libéré avec effet immédiat du Centre de rétention.

Suivant procès-verbal de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg Groupe Gare, n° …, du 3 septembre 2019, Monsieur … fut appréhendé dans le quartier de la gare de la Ville de Luxembourg en possession d’une certaine quantité de 2stupéfiants et son arrestation fut ordonnée par le parquet de Luxembourg, étant encore relevé qu’il s’avéra à cette occasion, qu’il était dépourvu de pièces d’identité.

Le même jour, le greffe du Centre pénitentiaire de Luxembourg informa le ministre que Monsieur …, placé en détention préventive, était dépourvu de pièces d’identité.

Suivant procès-verbal de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg Groupe Gare, n° …, du 27 octobre 2019, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité, lors duquel il s’avéra qu’il n’était pas en possession de pièces d’identité et, sur ordre du parquet de Luxembourg, il fut incarcéré au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, étant encore relevé qu’il se dégage du même procès-verbal qu’à cette date, il ne pouvait être admis au Centre de rétention, étant donné que celui-ci n’avait plus de disponibilités.

Le 28 octobre 2019, le greffe du Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig informa encore une fois le ministre que Monsieur …, placé en détention prévention, était dépourvu de pièces d’identité.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, n° … du 7 novembre 2019, qu’en raison d’un reçu confisqué sur Monsieur …, dont il ressortait qu’il avait envoyé de l’argent à Tanger au Maroc à un bénéficiaire dénommé …, ses empreintes digitales avaient été transmises aux autorités marocaines, lesquelles l’ont identifié en tant que « …, né le … de nationalité marocaine».

Le 25 novembre 2019, Monsieur … fut libéré du Centre pénitentiaire.

Par courrier du 26 novembre 2019 le ministre demanda à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur … et d’aviser le service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, en cas d’interception en vue d’un placement en rétention.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg Groupe Gare, du 27 novembre 2019 que Monsieur … fut interpellé le même jour lors d’un contrôle d’identité et qu’il était dépourvu de papiers d’identité.

Par arrêté du même jour, le ministre prit une décision de placement en rétention à l’encontre de Monsieur …, laquelle lui fut notifiée à la même date.

Par arrêté du 23 décembre 2019, notifié à l’intéressé le 27 décembre 2019, le ministre prorogea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2020, Monsieur … fit introduire un recours contentieux contre l’arrêté ministériel précité du 23 décembre 2019, qui fut rejeté comme n’étant pas fondé par un jugement du tribunal administratif du 20 janvier 2020, inscrit sous le numéro 44010 du rôle.

Par arrêté du 23 janvier 2020, notifié à l’intéressé le 27 janvier 2020, le ministre prorogea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification.

3 Par courrier du 11 février 2020, les autorités consulaires marocaines marquèrent leur accord de principe quant à l’octroi d’un laissez-passer en faveur de Monsieur ….

Le même jour, le ministre chargea le service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de l’organisation du départ de Monsieur ….

En date du 24 février 2020, le service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, transmit au ministre le plan de vol à destination de Marrakech (Maroc) pour le 26 mars 2020.

Par arrêté du 25 février 2020, notifié le 27 février 2020, le ministre prorogea une nouvelle fois le placement en rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois.

Le 13 mars 2020, les autorités consulaires marocaines transmirent un laissez-passer en faveur de Monsieur ….

En date du 16 mars 2020, le ministre informa les autorités consulaires marocaines de l’annulation de l’éloignement de Monsieur … en raison du virus COVID-19.

Le même jour, Monsieur … fut libéré du Centre de rétention.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg n° …, du 10 avril 2020, que Monsieur … fut appréhendé le même jour par les forces de police après une course-poursuite en voiture et qu’à cette occasion, il n’était pas en possession de pièces d’identité.

Par arrêté du 10 avril 2020, le ministre prit une décision de placement en rétention à l’encontre de Monsieur …, laquelle lui fut notifiée à la même date et qui est basée sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal n° … du 10 avril 2020 établi par la Police grand-ducale, Région Capitale Commissariat Luxembourg ;

Vu ma décision de retour du 14 septembre 2018 ;

Vu mon interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans du 23 novembre 2018 ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu que l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

4Le recours introduit le 29 avril 2020 par Monsieur … contre ledit arrêté de placement en rétention précité du 10 avril 2020 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2020, inscrit sous le numéro 44396 du rôle.

Le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé, à deux reprises, par des arrêtés ministériels des 6 mai et 9 juin 2020.

Le recours contentieux introduit le 17 juin 2020 par Monsieur … contre ledit arrêté de placement précité du 9 juin 2020 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 24 juin 2020, inscrit sous le numéro 44549 du rôle.

Par arrêté du ministre du 8 juillet 2020, la prorogation du placement en rétention administrative de Monsieur … fut à nouveau ordonnée, ledit arrêté qui a été notifié à l’intéressé en date du 10 juillet 2020, est motivé comme suit :

« (…)Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 10 avril, 6 mai et 9 juin 2020, notifiés le 10 avril, le 8 mai avec effet au 10 mai 2020 et le 10 juin 2020, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 10 avril 2020 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'éloignement de l'intéressé ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; (…) ».

Par transmis de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux du 28 juillet 2020 adressé au ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, le plan de vol ayant trait au rapatriement de Monsieur … vers le Maroc fut communiqué, avec l’indication que ledit éloignement a été organisé pour la date du 25 août 2020.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juillet 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 8 juillet 2020.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base de la décision déférée et après avoir cité l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, souligne, de manière générale, que le placement au Centre de rétention devrait être considéré comme un ultime remède et ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique, s’agissant d’une atteinte évidente à la liberté de mouvement. Il 5indique également qu’en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence nécessaire, impliquant que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Le demandeur conclut de ces considérations qu’en raison de la pandémie actuelle due au virus dit COVID-19, il serait impossible pour le ministre d’entreprendre toutes les démarches nécessaires en vue de son éloignement rapide, la pandémie actuelle constituant, d’après lui, un obstacle à son éloignement dans un délai raisonnable et avant la durée maximale de sa rétention.

Il précise à cet égard que son éloignement vers le Maroc, prévu pour le 1er juin 2020, aurait probablement dû être annulé en raison de la pandémie, aucune perspective de retour n’existant à l’heure actuelle.

En deuxième lieu, le demandeur s’empare de l’article 125 de la loi du 29 août 2008 pour plaider en faveur d’une assignation à résidence dans un lieu fixé par le ministre et avec l’obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministre ou de toute autre autorité désignée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de 6l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, force est d’abord de relever que Monsieur … se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, dans la mesure où il a fait l’objet d’une décision de retour du 7 septembre 2018, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans en date du 23 novembre 2018. Il est encore constant en cause que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de voyage en cours de validité, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, respectivement s’il ne peut pas justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage valables, le risque de fuite est présumé dans son chef sans qu’il ne se dégage du dossier soumis au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention, respectivement proroger ledit placement, afin d’organiser son éloignement.

En ce qui concerne l’application de mesures moins coercitives, l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, prévoit que :

« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008] (…).

On entend par mesures moins coercitives :

7a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-

ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef tel que cela a été retenu ci-avant. Il est, en effet, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, et n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux 1 trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Etrangers, n° 899 et les autres références y citées.

8points a), b) et c) dudit article s’impose, la seule affirmation du demandeur suivant laquelle il serait prêt à se présenter régulièrement auprès des autorités ministérielles désignées par le ministre étant, en effet, largement insuffisante à cet égard.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

S’agissant ensuite des démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, il a déjà été retenu par le tribunal administratif, dans son jugement du 24 juin 2020, inscrit sous le numéro 44549 du rôle, que jusqu’à la date dudit jugement, les diligences accomplies par le ministre étaient considérées comme suffisantes pour justifier la prorogation de la mesure de placement en rétention initiale.

En outre, depuis la date dudit jugement, le ministre a rappelé au service de police judiciaire, par transmis des 3, 8, 16, 22 et 24 juillet 2020 d’accomplir les démarches nécessaires afin de procéder à l’éloignement de Monsieur …, démarches qui ont abouti à l’organisation de l’éloignement de Monsieur … vers le Maroc en date du 25 août 2020, de sorte qu’au vu des éléments qui précèdent, il échet de constater que les démarches entreprises par l’autorité ministérielle sont à considérer comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, du fait qu’elles ont abouti à l’organisation concrète d’un vol de rapatriement en date du 25 août 2020, tel que relevé ci-avant.

S’il est vrai qu’en raison de la situation sanitaire due à la propagation rapide du COVID-

19, bon nombre de vols internationaux sont temporairement suspendus, cela ne signifie pas qu’il faille en dégager la preuve de ce qu’aucune perspective d’éloignement d’un étranger en séjour irrégulier n’existe plus. Ces suspensions, à vérifier au cas par cas, sont éminemment temporaires et ont vocation à être levées, au regard des informations actuellement disponibles, à moyen terme2.

En l’espèce, s’il est certes vrai que les deux premiers vols à destination du Maroc prévus pour le 26 mars 2020, respectivement le 1er juin 2020, ont dû être annulés en raison du COVID-19, que l’exécution de l’éloignement du demandeur dépend a priori de l’existence d’un vol vers le Maroc, et qu’il est constant en cause que les liaisons aériennes à destination du Maroc se trouvent temporairement suspendues, force est cependant au tribunal de retenir (i) que le caractère temporaire de cette mesure de suspension n’a pas fait l’objet de contestations circonstanciées de la part du demandeur, (ii) que la mesure de placement en rétention litigieuse pourrait a priori encore être prorogée jusqu’au 10 octobre 2020, en vertu des dispositions de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, et (iii) que même si l’état de crise sanitaire a été décrété au Maroc jusqu’au 10 août 2020, il n’est pas établi qu’il n’existerait à l’heure actuelle pas de chances sérieuses de croire que la suspension des liaisons aériennes internationales, notamment de celles en direction du Maroc, soit levée à un moment suffisamment rapproché dans le temps pour permettre l’exécution de l’éloignement dans un délai raisonnable et en tout cas avant l’expiration de la durée maximale de la mesure de rétention du demandeur, étant relevé qu’en l’espèce un vol a pu être réservé pour la date du 25 août 2020, comme relevé ci-avant. Ainsi, le tribunal est amené à conclure qu’à ce stade et en l’état actuel du dossier, ladite mesure reste proportionnée, sous réserve d’une réévaluation de la situation, si 2 Cour adm., 16 avril 2020, nos 44348C, 44352C et 44357C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

9les restrictions du trafic aérien international, notamment vers le Maroc, devaient perdurer durablement.

Au vu des considérations qui précèdent le moyen sous analyse encourt le rejet.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 6 août 2020 à 17.00 heures par Carlo Schockweiler, premier vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 44733
Date de la décision : 06/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-08-06;44733 ?

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