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05/08/2020 | LUXEMBOURG | N°43595

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 août 2020, 43595


Tribunal administratif N° 43595 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2019 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 5 août 2020 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision de l’administration communale de Reisdorf en matière d’accès aux documents

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43595 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2019 par Maître Daniel CRAVATTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, deme

urant à …, de Madame …, demeurant à …, ainsi que de Monsieur …, demeurant à …, tendant ...

Tribunal administratif N° 43595 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2019 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 5 août 2020 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision de l’administration communale de Reisdorf en matière d’accès aux documents

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43595 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2019 par Maître Daniel CRAVATTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à …, de Madame …, demeurant à …, ainsi que de Monsieur …, demeurant à …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de refus de l’administration communale de Reisdorf, voire du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Reisdorf, de procéder à la communication de divers documents suite à la demande y afférente des parties requérantes datée au 21 février 2019 ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Georges …, demeurant à Diekirch, du 2 octobre 2019, portant signification de ce recours contentieux à l’administration communale de Reisdorf, représentée par son collège des bourgmestre et échevins ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2019 par Maître Trixi LANNERS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de l’administration communale de Reisdorf ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 décembre 2019 par Maître Trixi LANNERS, au nom de l’administration communale de Reisdorf ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 janvier 2020 par Maître Daniel CRAVATTE au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 février 2020 par Maître Trixi LANNERS, au nom de l’administration communale de Reisdorf ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel CRAVATTE et Maître Paul BENOIT, en remplacement de Maître Trixi LANNERS, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 juillet 2020 ;

___________________________________________________________________________

Monsieur …, Madame … et Monsieur …, ci-après « les consorts … », anciens membres du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Reisdorf, exposent s’être adressés en date du 21 février 2019 à l’administration communale de Reisdorf pour solliciter la communication des documents officiels à la base de la construction d’une maison sur la parcelle …, respectivement la parcelle …, section … de …, commune de Reisdorf, à savoir les documents suivants :

« 1.

Les plans 2.

L’autorisation de construire 3.

La partie graphique et écrite du PAG concernant le reclassement de cette parcelle 4.

la délibération du conseil communal concernant le reclassement de cette parcelle 5.

l’accord des Ministères concernant le reclassement de cette parcelle 6.

l’avis/l’autorisation des Sites et Monuments 7.

le passeport énergétique de ladite construction 8.

la délibération du conseil communal relative à la marge de reculement » Par courrier du 29 mars 2019, le mandataire de l’administration communale de Reisdorf refusa la communication des documents sollicités en les termes suivants :

« Je suis chargée de la défense des intérêts de l’Administration communale de Reisdorf et pour autant que de besoin du Collège des bourgmestre et échevins qui me remet votre demande datée au 21.2.2019 concernant la communication de divers documents, demande formulée sur base de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte (ci-après « la loi »).

Aux termes de l’article 12 de la loi du 14 septembre 2018, l’obligation de publication ne vaut pas « (p)our les documents qui ont été créés avant l’entrée en vigueur de (ladite) loi ».

Tous les documents dont vous réclamez la délivrance d’une copie ont été créés avant l’entrée en vigueur de la loi, dès lors, le Collège des bourgmestres et échevins considère (i) que cette loi ne s’applique pas à votre demande et (ii) qu’il ne doit pas procéder à la communication d’une copie des documents sollicités.

Par ailleurs, au vœu de l’article 7 de la loi, la communication peut être refusée si « la demande porte sur un document qui est déjà publié ».

En l’espèce, toutes les publications légalement requises au moment de l’élaboration des documents que vous réclamez ont été effectués. Les documents ont donc « déjà été publié(s) » et ce conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur au moment de leur création. Une nouvelle publication ou communication ne se conçoit dès lors pas.

Les documents que vous réclamez comportent par ailleurs des données à caractère personnel, de sorte qu’au vœu de l’article 6 de la loi, ils ne sont communicables qu’à la personne concernée.

Il ne saura partant être fait droit à votre demande. (…) » Par courrier recommandé du 18 avril 2019, les consorts … saisirent en application de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, ci-après « la loi du 14 septembre 2018 », la Commission d’accès aux documents pour avis, laquelle rendit à l’unanimité en date du 12 juin 2019 l’avis suivant, référencé sous le n° … :

« Par courrier recommandé du 18 avril 2019, reçu le 26 avril 2019, M. …, M. … et Mme … ont, en application de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte saisi la CAD pour avis alors qu’ils se sont vu opposer par courrier du 29 mars 2019 de la part de l’administration communale de REISDORF un refus de communication de plusieurs documents concernant la construction d’une maison à ….

La CAD a examiné le dossier une première fois lors de sa réunion du 2 mai 2019 et a rendu l’avis intérimaire nr ….

Suite à la demande écrite d’informations de la CAD du 6 mai 2019, l’administration communale de Reisdorf a pris position dans un courrier du 13 mai 2019.

1) L’Administration communale de Reisdorf maintient sa motivation du refus du 29 mars 2019 par le fait que les documents auraient tous été créés avant l’entrée en vigueur de la loi.

La CAD rappelle le libellé de l’article 12 de la loi précitée du 14 septembre 2018 qui prévoit que l’obligation de publication ne vaut pas pour les documents qui ont été créés avant l’entrée en vigueur de la loi.

Une communication de ces documents est par contre possible en vertu de la loi, de sorte qu’une demande de communication de documents antérieurs au 1er janvier 2019 est à déclarer recevable.

2) L’AC de Reisdorf affirme également dans son courrier du 13 mai 2019 que « les documents en question ont été publiés conformément aux exigences légales applicables au moment de la publication », de sorte que le motif de refus de l’article 7 point 2 de la loi précitée devrait jouer.

Elle joint à son courrier du 13 mai 2019 le certificat de délivrance d’une autorisation de construire à M. …concernant l’agrandissement et l’achèvement du gros-œuvre avec toiture d’un immeuble datant du 14 août 2018.

Les demandeurs avaient sollicité le 21 février 2019 la communication de 8 documents.

La CAD avait demandé une « copie des documents sollicités et des informations sur leur date de publication éventuelle » et l’AC de Reisdorf a transmis un seul document à la CAD.

L’AC de Reisdorf n’a donc pas apporté la preuve que tous les documents ont fait l’objet d’une publication, de sorte que le motif de refus de l’article 7 point 2 ne saurait trouver application.

La CAD estime dès lors à l’unanimité de ses membres que les documents sollicités sont communicables aux demandeurs ».

Par courrier du 2 juillet 2019, les consorts … invitèrent l’administration communale de Reisdorf à leur faire parvenir les documents en question afin de se conformer à l’avis de la Commission d’accès aux documents, sans que l’administration communale concernée n’ait toutefois donné de suites à ce courrier.

Aussi, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2019, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus implicite de communication de l’administration communale de Reisdorf, le dispositif de ladite requête demandant à ce que par réformation de la décision implicite de refus de l’administration communale de Reisdorf, ci-après « l’administration communale », résultant, conformément à l’article 10 (3) de la loi du 14 septembre 2018, de l’absence de communication des documents sollicités dans le délai d’un mois suivant l’avis de la Commission d’accès aux documents, le tribunal administratif dise que l’administration communale doit procéder à la communication des documents sollicités endéans un délai de 30 jours à partir du jugement à intervenir sous peine de se voir condamner à une astreinte journalière de 150 euros par jour, sinon à l’annulation de la décision implicite de refus de communication.

En vertu de l’article 10 (3) de la loi du 14 septembre 2018, lorsque la Commission d’accès aux documents est d’avis que le document sollicité est communicable, et si l’organisme décide de suivre l’avis de la Commission d’accès aux documents, il est tenu de communiquer le document demandé dans un délai d’un mois à partir de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents. En cas d’absence de communication du document sollicité dans le délai d’un mois, l’organisme est réputé avoir rejeté la demande. Ce refus est susceptible d’un recours en réformation à introduire dans un délai de trois mois devant le Tribunal administratif.

Dans la mesure où, en l’espèce, la Commission d’accès aux documents a retenu dans son avis que les documents litigieux étaient communicables sans que l’administration communale ne se soit conformée à cet avis endéans un délai d’un mois, l’administration communale est réputée avoir rejeté la demande de communication afférente, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître dans le cadre d’un recours en réformation de cette décision implicite de refus de communication.

Toutefois, dans la mesure où les consorts … tendent à voir adresser une injonction à l’administration communale sous peine d’astreinte, il y a lieu de souligner que les juridictions administratives, d’une part, ne sauraient à défaut de base légale ordonner de telles injonctions à l’encontre de l’administration et, d’autre part, qu’elles ne sauraient - hormis le cas des dépens et des indemnités de procédure régis respectivement par l’article 32 et par l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 » - prononcer de condamnation à l’encontre d’une partie, serait-ce au titre d’astreintes comminatoires.

Sous cette réserve, le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

En substance, les consorts …, après avoir rappelé les rétroactes ayant abouti à leur demande de communication des documents litigieux, constatent, à l’analyse de la décision initiale de refus de l’administration communale, que le mandataire de celle-ci admet bien l’existence des documents sollicités, mais, tel que constaté par la Commission d’accès aux documents, que les motifs de refus de communication avancés par l’administration communale, à savoir le fait que les documents réclamés auraient été créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018 et qu’ils auraient encore tous été publiés, ne seraient pas avérés, les consorts … relevant, d’une part, que si la loi en question prévoit certes que l’obligation de publication ne vaut pas pour les documents qui ont été créés avant son ’entrée en vigueur, une communication de ces documents serait par contre possible en vertu de la même loi et, d’autre part, que l’administration communale resterait en défaut de rapporter la preuve de la publication alléguée.

L’administration communale, de son côté, soutient que tous les documents concernés par la demande de communication adverse auraient été créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018, de sorte que l’obligation légale de publication visée ne leur serait pas applicable. En ce qui concerne leur communication, l’administration communale maintient, en se basant sur l’article 7 de la loi du 14 septembre 2018, que leur communication pourrait être refusée, alors que les « publications légalement requises » à l’époque de la création des documents sollicités auraient toutes été effectuées.

Enfin, s’emparant de l’article 6 de la loi du 14 septembre 2018, aux termes duquel les documents comportant des données à caractère personnel ne devraient être communiqués qu’à la personne concernée, elle soutient que les documents sollicités comporteraient des données à caractère personnel sur la personne concernée, de sorte qu’ils ne devraient pas être communiqués aux requérants.

Dans leur mémoire en réplique, les consorts … contestent la publication antérieure des documents sollicités telle que soutenue par l’administration communale ; par référence à une attestation testimoniale versée en cause par l’administration communale, ils contestent que l’autorisation de construire visée, tout comme toute autre autorisation de construire éventuelle, ait été publiée sur le site Internet communal, en exposant que l’administration communale ne publierait pas les autorisations de construire sur son site Internet mais se contenterait d’y publier, de temps à autre, un relevé des autorisations délivrées sans cependant procéder à la publication de l’autorisation en tant que telle. Par ailleurs, même à admettre que l’autorisation de construire dont la communication est sollicitée aurait été publiée, les requérants relèvent que l’administration communale resterait en défaut de rapporter la preuve de la publication des sept autres documents dont la communication est demandée.

Enfin, s’appuyant sur un message électronique d’un tiers à l’adresse de l’administration communale, ils soutiennent que l’autorisation de construire litigieuse ne semblerait pas avoir fait l’objet d’une publication quelconque, en ce compris sur Internet, de sorte que les requérants en concluent que les dires de la commune ne correspondent tout simplement pas à la vérité.

En ce qui concerne l’invocation par l’administration communale en tant que motif de refus de la circonstance que les documents dont la communication est demandée comporteraient des informations à caractère personnel rendant impossible leur communication, les requérants soulignent à cet égard l’incohérence de cet argumentaire, alors que l’administration communale a antérieurement soutenu que le refus de communication se fonderait sur la publication préalable des documents. Par ailleurs, même à considérer que les documents en question contiendraient une quelconque information personnelle, il incomberait à l’administration communale de prendre les mesures nécessaires afin que la communication du document en tant que tel ne soit pas mise en échec.

L’administration communale persiste dans son mémoire en duplique en son argumentaire en soutenant avoir rapporté la preuve d’une publication de l’information relative à l’autorisation de construire sur son site Internet et de l’apposition du « point rouge » aux abords du chantier pendant trois mois ; elle relève encore avoir introduit une demande auprès du Syndicat intercommunal de Gestion informatique, gérant les sites internet d’une centaine de communes, dont celle de Reisdorf, afin qu’il effectue une recherche sur son serveur concernant la publication de l’autorisation concernée. Indépendamment de cette question, elle donne encore à considérer que de toute façon, l’information publiée sur son site, renseignant les habitants de la commune au sujet de la délivrance d’une autorisation de construire ne serait toujours qu’accessoire à l’affichage du certificat « point rouge » sur le chantier et que cet affichage aurait été effectué pendant trois mois.

En ce qui concerne tant les plans accompagnant la demande d’autorisation de construire que le passeport énergétique, l’administration communale considère qu’il s’agirait de documents qui seraient la propriété du maître d’ouvrage - et non pas des documents créés par elle - de sorte qu’il ne lui appartiendrait pas d’en délivrer des copies à des tiers.

Il convient à titre liminaire de souligner que la loi du 14 septembre 2018 pose le principe de l’ouverture et du partage en ligne des documents administratifs, les auteurs de la loi afférente ayant décidé de réviser la liste des restrictions au droit d’accès telles que prévues initialement par le projet de loi n° 6540 relative à l’accès des citoyens aux documents détenus par l’administration, restrictions certes nécessaires pour empêcher la communication de documents dont la divulgation porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés fondamentaux, le législateur ayant ainsi décidé de reformuler certaines exceptions libellées de manière trop générale afin de les assortir de conditions plus strictes1.

En d’autres termes, le principe, sous l’égide de la loi du 14 septembre 2018, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, est dorénavant que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public sont accessibles et qu’il suffit que les documents sollicités revêtent un caractère administratif, qu’ils se rapportent donc à la gestion d’une activité administrative2 : dorénavant l’accès aux documents constitue la règle générale, tandis que les motifs d’exception doivent être interprétés de manière restrictive3.

A cet égard, force est de constater que l’administration communale, au fil de l’évolution de son argumentaire, entend dorénavant se prévaloir de 4 motifs de refus différents, à savoir 1) le fait que les documents dont la communication est sollicitée auraient été créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018, de sorte que l’obligation légale de publication visée ne leur serait pas applicable, 2) qu’en tout état de cause les « publications légalement requises » à l’époque de la création des documents sollicités auraient toutes été effectuées 3) que certains documents contiendraient des données à caractère personnel et enfin 4) que certains documents n’auraient pas été créés par l’administration communale mais qu’ils constitueraient la propriété du maître d’ouvrage, motifs que le tribunal analysera ci-dessous.

1 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, exposé des motifs.

2 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art 1er.

3 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art. 4.

6 En ce qui concerne le premier motif de refus, à savoir le fait allégué que les documents sollicités auraient été créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018, il y a lieu de relever que la loi du 14 septembre 2018, en son article 12, prévoit que « Pour les documents qui ont été créés avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’obligation de publication visée à l’article 2 [ à savoir l’obligation de publication] ne s’applique pas », tandis que les travaux parlementaires4 afférents ont précisé que cette dérogation est nécessaire afin d’éviter que les administrations se retrouvent dans la situation matériellement impossible de devoir diffuser, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, tous les documents accessibles en vertu de la nouvelle loi, alors que la mise en place d’une banque de données qui regroupe tous ces documents, est un processus complexe : « Cette dérogation n’affecte évidemment pas la possibilité pour le citoyen d’obtenir communication des documents créés avant l’entrée en vigueur de la loi d’autre part ».

Dès lors, le fait que les documents sollicités aient le cas échéant été créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018, s’il constitue un obstacle à leur publication spontanée, ne constitue toutefois pas, tel que d’ores et déjà retenu à bon droit par la Commission d’accès aux documents, un motif de refus de communication.

Ce premier motif de refus est partant à rejeter.

En ce qui concerne le second motif de refus, force est d’abord au tribunal de constater que l’administration communale se contente, hormis le cas spécifique de l’autorisation de construire visée, de soutenir sans autre précision que toutes les publications prescrites auraient été effectuées.

A défaut de précision quant aux prescriptions ainsi prétendument respectées ainsi qu’à défaut de preuve matérielle de ces publications alléguées, cette motivation générique doit être rejetée par le tribunal.

En ce qui concerne l’autorisation de bâtir litigieuse, si l’administration communale entend se retrancher derrière les modalités de publicité légale, en soutenant que ladite autorisation de bâtir aurait tant fait l’objet d’une publication sur le site Internet communal que sur le chantier afférent, il échet de rappeler qu’une autorisation de construire consiste en la constatation officielle par l’autorité compétente de la conformité d’un projet de construction par rapport aux dispositions réglementaires (plan d’aménagement et règlement sur les bâtisses) applicables. Cette constatation s’exprime formellement par un visa accordé par le bourgmestre à des plans déterminés, constituant la partie graphique de l’autorisation de construire, visa le cas échéant assorti de conditions constituant la partie écrite de l’autorisation, l’autorité compétente étant toujours appelée à se prononcer par rapport à un projet déterminé concrétisé par des plans, de sorte que le caractère décisionnel se rapporte toujours à des plans déterminés5, complétés par des conditions et prescriptions écrites.

Quant à la publicité à laquelle une telle autorisation de bâtir est soumise, l’article 38, alinéa 6, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après « la loi du 19 juillet 2004 », disposition à laquelle l’administration communale fait nécessairement référence, encore qu’elle n’ait pas 4 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art.10.

5 Trib. adm. 15 décembre 2004, n° 17971, confirmé par arrêt du 9 juin 2005, n° 19200C, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme, n° 761, et les autres références y citées.

explicitement cité de base légale à l’appui de son argumentation, dispose qu’ « un certificat délivré par le bourgmestre attestant que la construction projetée a fait l’objet de son autorisation est affiché par le maître de l’ouvrage aux abords du chantier, de manière aisément visible et lisible à partir de la voie publique par les personnes intéressées. Le certificat mentionne que le public peut prendre inspection à la maison communale des plans afférents appartenant à l’autorisation de construire pendant le délai durant lequel l’autorisation est susceptible de recours. Une information mentionnant la délivrance de l’autorisation de construire est publiée sur le site internet de la commune ».

Il en résulte que la délivrance d’une autorisation de construire fait certes l’objet d’une double publicité, en ce qu’un certificat attestant de la délivrance d’une autorisation de construire est affiché aux abords du chantier concerné, et ce aux fins procédurales de faire courir le délai de recours devant les juridictions administratives6, et qu’une information mentionnant la délivrance de l’autorisation de construire est publiée sur le site internet de la commune ; l’autorisation de bâtir en tant que telle, per se, comprenant une partie écrite et une partie graphique, ne fait, de manière générale, en revanche pas l’objet d’une publication intégrale sur le fondement de l’article 38, alinéa 6, précité.

Dans le cas d’espèce, il n’est par ailleurs ni établi, ni même soutenu que l’autorisation de bâtir, encore que sa délivrance ait fait l’objet de la publicité légale, ait été intégralement publiée.

A défaut de toute autre argumentation pertinente afférente, l’administration communale ne saurait dès lors en l’espèce refuser la communication de l’autorisation de bâtir sollicitée sous prétexte que sa délivrance aurait fait l’objet d’une publicité, alors qu’il résulte de ce qui précède que l’autorisation de construire per se n’a pas été publiée dans le sens de diffusée intégralement et publiquement au sens de la loi du 14 septembre 2018.

Par ailleurs, et de manière superfétatoire, l’affichage de documents administratifs, par essence localisé et le plus souvent temporaire et partiel, ou leur diffusion dans la presse, ne peuvent être regardés comme une diffusion publique dispensant l’administration de satisfaire à ses obligations en matière de communication7 au sens de l’article 5 de la loi du 14 septembre 2018.

En ce qui concerne l’invocation du caractère privé de certaines données, pénultième motif de refus de communication, il est vrai qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 14 septembre 2018, « Ne sont communicables qu’à la personne concernée les documents qui : 1.

comportent des données à caractère personnel (…) ».

Toutefois, la seule affirmation généralisée, selon laquelle « les documents dont les requérants sollicitent la communication comportent des données à caractère personnel sur la personne concernée » ne saurait suffire à justifier le recours à la susdite exception, l’administration communale restant en défaut de préciser quelles données devraient ainsi être protégées et quels documents seraient spécifiquement affectés.

Il n’est par ailleurs pas décelable quels documents d’urbanisme comporteraient des données à caractère personnel prohibant leur communication.

6 Art. 38, alinéa 7, de la loi du 19 juillet 2004.

7 CADA fr. 19 octobre 2000, n° 20003890 ; C. Robert, L’accès aux documents administratifs, Ed. Journal des Maires, 2003, p.23.

En effet, de manière générale, de telles données à caractère personnel consistent en des éléments relatifs à l’identité d’une personne, à l’exclusion de son nom et de son prénom, tels que sa date de naissance, sa nationalité, son numéro de téléphone, ou encore des éléments relatifs à sa situation familiale (état marital, charges de famille, filiation etc) ou encore à sa situation matérielle (formation, parcours professionnel, identification de comptes bancaires, éléments de rémunération etc) 8, voire en des éléments comportant un jugement de valeur sur une personne ou sur son comportement9.

Si, par impossible, l’administration communale devait viser certains plans qui révèleraient éventuellement l’agencement et l’aménagement intérieurs de l’immeuble concerné, il convient de souligner que les plans dévoilant l’intérieur d’un immeuble ne sauraient être soustraits à l’obligation de publicité légale : ainsi, il y a lieu de souligner que d’un point de vue légal, l’article 38, alinéa 6, de la loi du 19 juillet 2004, ne distingue pas entre plans extérieurs et intérieurs, mais impose la publicité, sous la forme de la possibilité de les consulter, de tous les plans, sans distinction, tandis que d’un point de vue pratique, la publicité des plans externes et internes constitue un élément indispensable à l’étude d’un projet de construction, notamment du point de vue de sa conformité avec la réglementation urbanistique communale10, la communication d’un jeu intégral des plans de construction permettant notamment à un tiers intéressé d’évaluer, en connaissance de cause, l’opportunité d’intenter un recours contentieux11, la consultation et, le cas échéant, la communication en particulier des plans révélant la configuration interne d’un immeuble pouvant en effet se révéler indispensables notamment pour vérifier l’affectation d’un immeuble (maison unifamiliale ou plurifamiliale, présence de locaux de commerce, de bureaux etc) ainsi que sa conformité avec des dispositions spécifiques (p.ex. nombre de places de parking).

Partant, si la loi du 19 juillet 2004 prévoit l’accessibilité aux plans sans distinction, des considérations tenant à d’éventuelles données à caractère personnel contenues dans les plans ne sauraient être opposées aux requérants sur le fondement de la loi du 14 septembre 2018.

Quant à la référence au règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données (« RGPD ») et plus particulièrement à son article 4, point 1), il convient de relever que les seules données à caractère personnel éventuellement décelables par le tribunal en l’espèce - à défaut de toute précision apportée par l’administration communale - seraient l’identité du bénéficiaire de l’autorisation de construire, identité ayant non seulement d’ores et déjà fait l’objet d’une publicité légale, tel que retenu ci-

avant - mais étant encore indiquée par toutes les parties en cause dans le cadre du présent recours sous analyse : l’administration communale ne saurait se prévaloir de la protection de l’identité - connue - du bénéficiaire de l’autorisation de construire pour en refuser la communication.

Par ailleurs, et en tout état de cause, il y a lieu de relever que même à admettre que l’administration communale ait réellement entendu préserver l’identité du bénéficiaire de 8 Op.cit., p.28-29.

9 Art.6 (2) de la loi du 14 septembre 2018.

10 Trib. adm. 16 décembre 1998, n° 10855, confirmé par arrêt du 13 juillet 1999, n° 11100C, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme, n° 867.

11 Trib. adm. 13 février 2006, n° 19534, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme, n° 868.

l’autorisation de construire, la disposition en question ne fait toutefois pas forcément obstacle à la communication du document dans sa totalité, alors qu’il aurait suffi d’occulter les mentions concernées pour que le document devienne librement accessible12.

Quant au dernier motif de refus, tiré du fait que certains documents tels que les plans accompagnant la demande d’autorisation de construire et le passeport énergétique, seraient la propriété du maître d’ouvrage et n’auraient pas été confectionnés par la commune, de sorte qu’il n’appartiendrait pas à cette dernière d’en délivrer des copies à des tiers, il y a lieu d’abord de souligner que la loi du 14 septembre 2018 n’opère aucune pareille distinction, alors qu’elle vise, de manière générale, en son article 1er, tous les « documents détenus par les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’État ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative » : il suffit que les documents sollicités revêtent un caractère administratif, qu’ils se rapportent donc à la gestion d’une activité administrative13, le Conseil d’État ayant d’ailleurs relevé qu’il suffit que le document soit « détenu » par un organisme soumis au respect de la loi; il n’est pas exigé que le document ait été produit par ou pour cet organisme14.

Il est constant en cause que les documents sollicités sont détenus par l’administration communale, tout comme il est constant en cause que ces documents sont relatifs à une activité administrative, à savoir, d’une part, la délivrance d’une autorisation de construire et, d’autre part, l’établissement, respectivement la modification, du classement règlementaire d’une parcelle déterminée à travers le plan d’aménagement général.

Ce dernier motif de refus est partant également à rejeter.

Enfin, dans la mesure où l’administration communale aurait entendu à travers ce motif se prévaloir de la propriété intellectuelle ou des droits d’auteurs des auteurs de ces plans et certificat, il convient de souligner qu’une administration communale ne saurait se retrancher derrière une question de propriété intellectuelle ou de droits d’auteur pour refuser la communication des plans ou documents à la base d’une autorisation15.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le refus de l’administration communale de communiquer les documents sollicités n’est pas justifié ; corrélativement, la demande en communication des parties requérantes est partant justifiée.

Il échet partant d’en ordonner la communication.

Les parties requérantes demandent encore la condamnation de l’administration communale à une indemnité de procédure de 5.000 euros.

Il convient de relever que le législateur, à travers la loi du 14 septembre 2018, outre de consacrer de manière générale et sauf restrictions limitatives le droit d’accès du public aux 12 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art.4.

13 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art.1.

14 Projet de loi n° 68105 relative à une administration transparente et ouverte, Avis du Conseil d’Etat, examen des articles, p.8 15 Trib. adm. 20 décembre 2001, n° 13245, Pas. adm. 2019, V° Urbanisme, n° 854 ; voir aussi trib. adm. 11 mai 2009, n° 24323.

documents administratifs, visait encore à instaurer, à travers le recours possible à la Commission d’accès aux documents, une voie de recours rapide et gratuite qui devait permettre de réduire le nombre de recours en justice, le principe étant en effet la gratuité de l’accès aux documents16.

En l’espèce, la Commission d’accès aux documents, saisie par les parties requérantes suite à un premier refus de l’administration communale, a avisé de manière favorable la demande de communication des parties requérantes, en rejetant de manière motivée les motifs de refus communaux initiaux, encore qu’elle n’ait pas autrement pris position par rapport à la question de l’existence d’éventuelles données personnelles. Nonobstant cet avis, l’administration communale a persisté dans son refus, en réitérant notamment les mêmes motifs de refus, tout en ajoutant, au fil de ses mémoires, de nouveaux motifs de refus, tous intégralement rejetés ci-avant par le tribunal administratif.

Cette façon de procéder, outre de témoigner d’un défaut manifeste de collaboration avec les administrés que sont les parties requérantes, a contraint ces dernières à introduire un recours dispendieux devant les juridictions administratives nécessitant l’assistance d’un avocat à la Cour, circonstance mettant à néant le principe de gratuité devant impérativement présider à l’accès aux documents administratifs.

Aussi vu les circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue et du fait que les parties requérantes ont été obligées d’initier une procédure contentieuse sous l’assistance d’un avocat, il serait inéquitable de laisser à charge des parties requérantes l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.

Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer aux parties requérantes à un montant de 2.000.- euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal ;

quant au fond, le déclare justifié, sauf en ce qui concerne la condamnation de l’administration communale de Reisdorf à une astreinte ;

partant ordonne à l’administration communale de Reisdorf de communiquer aux parties requérantes les documents suivants :

1.

les plans tels qu’autorisés à la base d’une construction d’une maison sur la parcelle … (respectivement la parcelle …), section … de … 2.

l’autorisation de construire (partie écrite) afférente 3.

la partie graphique et écrite du PAG concernant le reclassement de la parcelle 16 Projet de loi 68105 relative à une administration transparente et ouverte, Avis du Conseil d’Etat, examen des articles p.12.

4.

la délibération du conseil communal concernant le reclassement de cette parcelle 5.

l’accord des Ministères concernant le reclassement de cette parcelle 6.

l’avis/l’autorisation des Sites et Monuments 7.

le passeport énergétique de ladite construction 8.

la délibération du conseil communal relative à la marge de reculement dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’administration communale de Reisdorf à payer aux parties requérantes une indemnité de procédure de 2.000.- euros ;

condamne encore l’administration communale aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Marc Sünnen, président, Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 5 août 2020 par le président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 août 2020 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43595
Date de la décision : 05/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-08-05;43595 ?
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