La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/07/2020 | LUXEMBOURG | N°44612

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juillet 2020, 44612


Tribunal administratif Numéro 44612 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2020 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 29 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44612 du rôle et déposée le 1er juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ana R

eal Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo...

Tribunal administratif Numéro 44612 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2020 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 29 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44612 du rôle et déposée le 1er juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ana Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juin 2020 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claire Lidolff, en remplacement de Maître Ana Real Geraldo Dias, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 juillet 2020.

__________________________________________________________________________

Le 20 mai 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 14 août 2019, notifiée à Monsieur … par lettre recommandée envoyée le 16 août 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours, à compter du jour où ladite décision sera devenue définitive. Cette décision ne fit pas l’objet d’un recours contentieux.

Par la suite, Monsieur … ne se présenta pas au rendez-vous fixé auprès du ministère en vue de préparer son retour volontaire au Nigéria.

Suite au dépôt d’une demande de protection internationale le 18 septembre 2019 en France, les autorités dudit pays demandèrent le 18 octobre 2019 à leurs homologues luxembourgeois de reprendre en charge Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe 1, point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, désigné ci-après par « le règlement Dublin III », demande qui fut acceptée le 22 octobre 2019.

Le transfert vers le Luxembourg se fit le 28 février 2020.

A son arrivée, Monsieur … fit l’objet d’un placement en rétention et se vit notifier une décision du 24 février 2020 lui interdisant l’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans.

Cette mesure de placement en rétention fit l’objet d’une prorogation à une reprise en date du 26 mars 2020, avec effet au 28 mars 2020.

Le 30 mars 2020, Monsieur … déposa auprès du ministère une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Par arrêté du 30 mars 2020 notifié le même jour, le ministre ordonna la mainlevée des arrêtés de placement des 24 février et 26 mars 2020 et Monsieur … fit l’objet d’un nouveau placement en rétention pour une durée de trois mois à partir du jour de l’introduction de sa deuxième demande.

Le 31 mars 2020, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Par courrier du 25 mai 2020, il fut invité à faire parvenir par écrit les motifs à la base de sa deuxième demande de protection internationale, ce qu’il fit par courrier du 8 juin 2020.

Par décision du 22 juin 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 24 juin 2020, le ministre informa Monsieur … que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015.

Cette décision est libellée comme suit :

« J’ai l’honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 30 mars 2020 auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes.

Il ressort de votre dossier que vous avez introduit une première demande de protection internationale le 20 mai 2019, qui a été refusée par décision ministérielle du 14 août 2019.

Vous avez invoqué à la base de cette demande que vous auriez quitté le Nigéria en 2018 à cause de vos soucis financiers. Ainsi, vous auriez été obligé de fermer votre magasin et vous précisez qu’il n’y aurait pas d’argent au Nigéria. Vous n’auriez pas non plus réussi à trouver un autre emploi. Après votre départ du Nigéria, vous auriez travaillé pendant quelque temps en Libye, avant de rejoindre Malte en avril 2019, où vous avez introduit une demande de protection internationale le 7 mai 2019.

Le 8 octobre 2019, vous avez été convoqué pour vous présenter à la Direction de l’immigration le 16 octobre 2019, en vue de préparer votre retour volontaire au Nigéria. Vous ne vous êtes pas présenté à ce rendez-vous.

Le 18 octobre 2019, les autorités françaises ont demandé aux autorités luxembourgeoises votre reprise en charge sur base du règlement Dublin III, après que vous y avez introduit une demande de protection internationale le 18 septembre 2019.

Le 28 février 2020, vous avez été transféré au Luxembourg et le même jour vous avez été placé au Centre de rétention afin de procéder à votre identification auprès des autorités de votre pays d’origine et de pouvoir engager les démarches en vue de votre rapatriement sur base des dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Le 30 mars 2020, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg et une décision de placement en rétention sur base des dispositions de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire vous a été notifiée.

Par courrier du 11 juin 2020 vous avez été invité à faire parvenir au Ministre de l’immigration et de l’Asile les motifs à la base de votre deuxième demande de protection internationale.

Il ressort de vos observations écrites, présentées par l’intermédiaire de votre mandataire le 8 juin 2020, que vous auriez été mal conseillé en 2019 et que vous n’auriez pas été préparé à votre entretien dans le cadre de votre première demande de protection internationale; d’autant plus qu’au vu de votre passé, vous n’auriez ni pu vous confier au personnel de la Direction de l’immigration, ni à votre ancien mandataire.

Ainsi, vous expliquez que vous seriez le fils d’un « community leader » d’Adia State, qui aurait encouragé les gens de votre village à ne pas vendre leurs terrains à des acheteurs inconnus. « Un jour », votre père et vos deux frères auraient été tués suite à l’explosion d’une bombe. Jusqu’à ce jour, les auteurs de ce crime n’auraient pas pu être identifiés. Par la suite, vous auriez effectivement travaillé dans ledit magasin de votre oncle, mentionné dans le cadre de votre première demande de protection internationale, jusqu’à sa fermeture, avant de commencer à travailler dans la construction à partir de 2014. Votre patron, un dénommé …, aurait activement participé au sein du parti « All Progressives Grand Alliance », mais les élections de 2015, auraient été gagnées par le « People’s Democratic Party ».

Ainsi, comme conséquence, … aurait été menacé « et prié » de quitter son entreprise.

Or, comme il aurait refusé, il aurait mis tous ses employés en danger, alors que vous-même et une douzaine de collègues de travail auriez alors été arrêtés par la police au moment de vouloir récupérer vos salaires. Vous auriez alors tous été emmenés dans un endroit inconnu, où vous auriez été interrogés sur vos affiliations politiques et vos liens avec …. Deux de vos collègues de travail auraient été tués sur place, tandis que les autres auraient été libérés à condition de quitter le Nigéria immédiatement. Vous vous seriez alors réfugié dans le village de … pour une « longue période ». En février 2018, vous vous seriez rendu près de l’hôpital de … « sur instruction de votre nouvel employeur », mais vous auriez été blessé lors d’une fusillade. Vous auriez alors décidé de quitte le Nigéria en vous rendant en Libye.

Vous ne présentez toujours pas de pièce d’identité et vous ne versez pas non plus une quelconque autre pièce à l’appui de vos dires.

Je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n’avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

Rappelons dans ce contexte, que selon l’article 32 (4) « Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse ».

Monsieur, soulevons avant tout autre développement qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos nouveaux motifs de fuite et qu’il est évident que vous avez décidé cette fois-

ci d’étoffer votre demande de protection internationale avec des éléments plus « dramatiques » susceptibles d’augmenter la probabilité de vous voir octroyer une protection internationale, après avoir été, comme vous le précisez, mal conseillé et mal préparé pour votre première demande.

En effet, alors qu’au cours de votre première demande de protection vous vous êtes limité à faire part de manière claire et cohérente de vos conditions de vie misérables et du manque d’argent au Nigéria, vous tentez désormais de prétendre à un tout autre passé et d’autres problèmes en faisant état d’une explosion de bombe qui serait « responsable pour la mort de tous les hommes de sa famille », tel que précisé par votre mandataire.

Or, rappelons que vous aviez déjà précisé dans le cadre de votre première demande de protection internationale, que votre père serait mort de maladie pendant votre jeunesse, tandis que vous auriez encore aujourd’hui une sœur et un frère mariés habitant à Adia State.

Si votre nouveau mandataire tente certes d’excuser vos déclarations effectuées dans le cadre de votre première demande de protection internationale par le fait que vous n’auriez à l’époque pas réussi à vous confier à quiconque au Luxembourg, cela n’explique toutefois toujours pas les contradictions flagrantes susmentionnées. En effet, le fait de ne soit disant pas réussir à parler de la prétendue mort par explosion de bombe de votre père et de vos deux uniques frères, n’explique pas pourquoi vous auriez inventé un autre frère marié et travaillant aujourd’hui à Adia State, ni pourquoi vous auriez voulu préciser que votre père serait mort d’une maladie.

Il faut en déduire qu’il est évident que vos déclarations effectuées dans le cadre de votre première demande de protection internationale sont à considérer comme étant honnêtes, contrairement à celles exposées à la base de votre nouvelle demande de protection internationale. En effet, il est toujours à considérer que vous avez quitté le Nigéria et plus largement l’Afrique sur base de considérations économiques et matérielles et que vous faites dorénavant preuve d’un usage abusif de la procédure de protection internationale.

Quand bien même les motifs à la base de votre deuxième demande de protection internationale seraient avérés, ce qui reste très contesté, toujours est-il que vous n’auriez manifestement pas été dans l’incapacité d’en faire part dans le cadre de votre première demande de protection internationale. En effet, la prétendue explosion et les prétendues persécutions de nature politique dont vous auriez été victime auraient clairement eu lieu avant l’introduction de votre première demande de protection internationale au Luxembourg, de sorte que vous auriez pu et dû les mentionner dans le cadre de celle-ci. Le simple fait de prétendre avoir été « mal conseillé » ne saurait justifier ou excuser votre incapacité à faire état de ces faits lors de votre première demande.

Ces deux éléments ne sauraient par conséquent pas être définis comme étant des faits nouveaux tel que prévus par l’article 32 précité.

De plus, conformément à l’article 9 de la loi du 18 décembre 2015, il est dérogé au droit de rester sur le territoire lorsqu’une personne n’a introduit une première demande ultérieure considérée comme irrecevable, qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision qui entraînerait son éloignement imminent du territoire. Or, il ressort de votre dossier qu’une décision de retour a été prise en date du 14 août 2019 et que vous avez décidé d’introduire une deuxième demande de protection internationale après avoir été placé au Centre de rétention en vue d’engager les démarches concernant votre éloignement du territoire.

Par conséquent la prédite dérogation au droit de rester sur le territoire luxembourgeois s’applique en l’espèce.

Votre nouvelle demande en obtention d’une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l’article 28 (2) d). […] ».

Par arrêté du 29 juin 2020, Monsieur … fit l’objet d’un nouveau placement en rétention pour une durée d’un mois.

Par requête déposée le 1er juillet 2020 et inscrite sous le numéro 44612 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 22 juin 2020, précitée.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35, paragraphe (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement soulève à titre liminaire l’irrecevabilité du recours pour violation de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », en invoquant le fait que Monsieur … n’aurait pas indiqué les moyens de légalité propres à son recours en annulation.

S’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal administratif statue sur la légalité de la décision administrative lui déférée sur la base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq cas d’annulation énumérés à l’article 2 (1) de la loi précitée du 7 novembre 1996, l’exigence de l’indication formelle de l’un ou l’autre des cinq cas d’ouverture du recours en annulation ainsi légalement prévus, contrairement à ce qui est soutenu par la partie demanderesse, n’est toutefois pas requise par la loi1.

Il convient, en outre, de relever que le demandeur indique expressément dans sa requête introductive d’instance qu’il entend introduire un recours en annulation et qu’il expose - certes, de manière concise -, après avoir cité l’article 28, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 qu’il n’aurait pas pu faire état des éléments nouveaux à la base de sa deuxième demande de protection internationale en raison d’ « une impossibilité émotionnelle de communiquer ces éléments au Ministère en 2019 », remettant ainsi en cause la légalité de la décision d’irrecevabilité de sa demande, et en conclut que ladite décision encourrait pour ces raisons l’annulation.

Etant donné que l’indication formelle du ou des cas d’ouverture tels que prévus par l’article 2 de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’est pas requise de façon impérative et que, par ailleurs, le délégué du gouvernement n’a pas pu se méprendre sur la portée effective des moyens proposés, pour y avoir pris position de façon circonstanciée dans son mémoire en réponse, il y a lieu d’écarter le moyen d’irrecevabilité afférent pour manquer de fondement.

Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir quitté le Nigéria en 2018 en raison de la situation politique et des persécutions dont il aurait fait l’objet sur place.

Lorsqu’il a déposé sa première demande de protection internationale au Luxembourg en 2019, il aurait été mal conseillé et n’aurait pas été préparé pour son entretien au ministère. Il n’aurait ainsi pas été en mesure de se confier à l’agent en charge de son entretien, ni à son avocat. Il se serait ensuite excusé auprès du ministre de son manque de coopération par le biais d’un courrier lui adressé en date du 8 juin 2020. A cet égard, il précise que son père aurait été un « community leader » qui aurait été respecté par les gens de son village. Un jour, son père serait allé récupérer ses deux autres fils à l’école et une bombe aurait explosée, entraînant leur mort. Il aurait été l’unique survivant masculin de sa famille et aurait dû subvenir aux besoins de celle-ci. Il aurait ainsi commencé à travailler dans le magasin de l’oncle de sa mère, jusqu’à ce que ce dernier doive fermer son magasin. En outre, l’épouse de cet oncle aurait été tuée alors qu’elle aurait transporté l’argent de la famille. Il aurait alors commencé à chercher un autre travail, et après une longue période, en aurait trouvé un dans le domaine de la construction, auprès d’un dénommé …, qui aurait activement œuvré au sein du parti politique « All Progressives Grand Alliance ». En 2015, lorsque le parti « People’s Democratic Party » aurait gagné les élections, son patron aurait été prié de quitter les locaux de son entreprise, ce qu’il aurait refusé de faire.

Le demandeur poursuit qu’en 2017, lorsqu’il serait allé récupérer son salaire, il aurait été arrêté par la police nigériane, ensemble avec douze collègues de travail. Ils auraient tous été emmenés dans un lieu isolé et inconnu, puis interrogés sur leur appartenance politique et leur affiliation avec …. Deux d’entre eux auraient été tués sur place, tandis que les autres auraient été libérés à condition de se rendre à … et de quitter le pays immédiatement. Il n’aurait ainsi pas été en mesure de se prévaloir de la protection de son pays. Il se serait ensuite réfugié au village de … avec ses collègues, craignant d’être tué en cas de retour dans son village natal. En 2018, il se serait rendu avec un ami près de l’hôpital de …, où ils auraient été tous deux victimes d’une fusillade lors de laquelle il aurait été gravement blessé à la main. Il aurait alors décidé de quitter son pays d’origine pour la Lybie, où il aurait travaillé avant de se retrouver sur un bateau de 1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24392, Pas. adm. 2019, V° Recours en annulation, n° 2.

secours se dirigeant vers l’Europe. Il estime qu’il était nécessaire pour lui d’introduire une nouvelle demande de protection internationale, alors que lors de la première demande il n’aurait pas pu se confier et reproche dans ce contexte au ministre de ne pas avoir retenu que les faits avancés dans ce cadre sont nouveaux et correspondent à la réalité.

En droit, le demandeur estime que la décision ministérielle attaquée devrait être annulée, alors que ce serait à tort que l’autorité ministérielle a déclaré irrecevable sa demande en application de l’article 28, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur expliquant qu’il n’aurait pas pu faire valoir tous les éléments à la base de sa demande de protection internationale lors de sa première demande en raison d’« une impossibilité émotionnelle de communiquer ces éléments au Ministère en 2019 » et conclut, en conséquence, à l’annulation de la décision attaquée.

Le délégué de gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous examen.

L’article 28, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: […] d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale […] ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. […] ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure – c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne – sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

En l’espèce, il est constant en cause que la demande de protection internationale du demandeur ayant donné lieu à la décision déférée a été introduite le 30 mars 2020, soit après le rejet définitif de sa première demande de protection internationale par une décision du 14 août 2019, cette dernière n’ayant fait l’objet d’aucun recours devant les juridictions administratives, de sorte que sa demande de protection internationale introduite le 30 mars 2020 doit être qualifiée comme constituant chronologiquement une nouvelle demande au sens de l’article 32, paragraphe (1), précité.

En l’espèce, il apparaît, à la lecture du rapport de l’audition effectuée dans le cadre de la première demande de protection internationale, que le demandeur a invoqué avoir quitté son pays d’origine, à savoir le Nigéria, pour des raisons économiques, notamment le fait que le magasin de son oncle dans lequel il travaillait ait fermé et qu’il n’a pas trouvé d’autre emploi.

A l’appui de sa nouvelle demande de protection internationale, le demandeur explique que son père aurait eu une influence politique dans son village et qu’il aurait été tué, ainsi que ses deux frères, suite à l’explosion d’une bombe. Il ajoute qu’il aurait fait l’objet d’une arrestation arbitraire de la part de policiers nigérians en raison de l’implication politique de son employeur et que deux de ses collègues de travail auraient été tués après avoir été emmenés en même temps que lui. Après avoir été interrogés, d’autres collègues et lui-même auraient été sommés de quitter le pays. Il se serait alors réfugié dans une autre ville, où il aurait été victime d’une fusillade, lors de laquelle il aurait subi une grave fracture à la main.

Si les motifs à la base des deux demandes de protection internationale sont effectivement différents, de sorte que les faits invoqués à l’appui de la deuxième demande sont à considérer comme nouveaux par rapport à ceux de la première, force est de constater, à l’instar de la partie étatique, que les faits relatés dans le cadre de sa deuxième demande, indépendamment de leur crédibilité remise également en cause par le ministre, existaient au jour de la première demande de protection internationale, dans la mesure où ils ont eu lieu avant qu’il n’ait quitté le Nigéria, de sorte qu’il avait a priori la possibilité de relater ces faits lors de sa première demande de protection internationale, respectivement de compléter les motifs de cette demande au moment de la phase précontentieuse.

Or, le paragraphe (4) de l’article 32 précité de la loi du 18 décembre 2015 soumet la possibilité de prendre en compte des éléments ou faits nouveaux à la condition, notamment, que le demandeur a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure.

Force est de constater que le demandeur affirme ne pas avoir mentionné la réalité de son vécu lors de sa première demande de protection internationale au motif qu’il aurait été dans l’« impossibilité émotionnelle de communiquer ces éléments au Ministère en 2019 ».

Or, le tribunal est amené à retenir que le demandeur reste en défaut de justifier à suffisance le fait qu’il n’a pas mentionné ces évènements lors de sa première demande de protection internationale, la simple affirmation vague d’une « impossibilité émotionnelle », à défaut d’autres éléments, n’étant, en effet, pas suffisante à cet égard. Il convient, en outre, de relever qu’il a encore certifié à la fin de son entretien du 31 juillet 2019 qu’il n’avait plus de faits à mentionner autres que ceux qu’il avait relatés et qu’il a signé une déclaration finale en assurant qu’il ne retenait pas d’informations essentielles portant un changement significatif au contexte de sa première demande, de sorte que le constat s’impose qu’il a, en connaissance de cause, omis de raconter les faits sur lesquels il appuie actuellement sa deuxième demande de protection internationale.

En outre, le tribunal est également amené à suivre le raisonnement du ministre en ce qu’il retient que le demandeur invoque des faits dans le but d’augmenter la probabilité de se voir octroyer une protection internationale, dans la mesure où tant dans l’entretien réalisé en mai 2019, dans le cadre de sa relocalisation depuis Malte en mai 2019, que lors de son entretien en juillet 2019, il a uniquement fait état de ses problèmes purement économiques pour ensuite donner une dimension plus politique à son vécu lors de sa deuxième demande de protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et indépendamment de la question de savoir si les faits invoqués à l’appui de sa nouvelle demande de protection internationale augmentent effectivement de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, que l’une des conditions cumulatives prévues à l’article 32, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 n’est pas remplie, dans la mesure où le demandeur aurait été capable de se prévaloir des faits sur lesquels il se base actuellement, de sorte que le ministre a valablement pu déclarer irrecevable la demande de Monsieur … en application de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision 22 juin 2020 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale introduite par le demandeur en date du 30 mars 2020 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 29 juillet 2020, par :

Annick Braun, vice-président, Hélène Steichen, juge, Michèle Stoffel, juge en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 44612
Date de la décision : 29/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-29;44612 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award