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22/07/2020 | LUXEMBOURG | N°44587

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 juillet 2020, 44587


Tribunal administratif N° 44587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2020 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 22 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44587 du rôle et déposée le 26 juin 2020 au greffe du tribunal admini

stratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or...

Tribunal administratif N° 44587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2020 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 22 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44587 du rôle et déposée le 26 juin 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous différents alias, déclarant être né le … à … (Ethiopie) et être de nationalité éthiopienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 mai 2020 de le transférer vers l’Allemagne, l’Etat membre responsable pour traiter sa demande de protection internationale, ainsi que de la décision du même jour prise par le même ministre « chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers l’Allemagne sous peu de temps » et de « l’ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée » ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marlène Aybek, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries à l’audience publique du 22 juillet 2020.

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Le 24 février 2020, Monsieur … introduisit auprès des autorités luxembourgeoises compétentes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC que celui-ci avait précédemment introduit des demandes de protection internationale en Allemagne le 23 août 1 2016, aux Pays-Bas le 15 mai 2019 et en Belgique le 29 novembre 2019, et suite à une recherche dans la base de données VIS qu’il avait obtenu un visa de la part des autorités allemandes valable du 31 juillet au 20 août 2016.

Toujours le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 25 février 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de Monsieur …, ce que ces derniers acceptèrent par courrier du 2 mars 2020 sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.

Par décision du 28 mai 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 février 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1) d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 24 février 2020 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 24 février 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 24 février 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit trois demandes de protection internationale, dont une en Allemagne en date du 23 août 2016, une aux Pays-Bas en date du 15 mai 2019 et une en Belgique en date du 29 novembre 2019.

Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que l'Allemagne vous a délivré un visa valable du 31 juillet 2016 au 20 août 2016 vous ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 24 février 2020.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 25 février 2020 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 2 mars 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande dans un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 24 février 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment introduit trois demandes de protection internationale, dont une en Allemagne en date du 23 août 2016, une aux Pays-Bas en date du 15 mai 2019 et une en Belgique en date du 29 novembre 2019.

De plus, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que l'Allemagne vous a délivré un visa valable du 31 juillet 2016 au 20 août 2016 vous ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Ethiopie en 2016 par voie aérienne en direction de l'Allemagne, muni d'un visa émis par les autorités allemandes. Vous auriez vécu pendant deux ans et demi en Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Par peur d'être rapatrié en Ethiopie, vous vous seriez rendu aux Pays-Bas où vous auriez vécu pendant huit mois et où vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale. Les autorités néerlandaises auraient considéré que l'Allemagne serait responsable du traitement de votre demande de protection 3 internationale. Par peur d'être transféré, vous vous seriez rendu en Belgique où vous avez introduit votre troisième demande de protection internationale. Les autorités belges auraient également considéré que l'Allemagne serait responsable pour le traitement de votre demande de protection internationale. C'est pourquoi vous auriez quitté la Belgique pour venir au Luxembourg où vous seriez arrivé en date du 21 février 2020.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 24 février 2020, vous avez fait mention de souffrir de stress et de problèmes mentaux et de suivre un traitement médicamenteux.

Cependant, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l‘Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

À cet égard, il y a lieu de relever que l'Allemagne dispose de structures médicales semblables à celles existant au Luxembourg. Par conséquent, il peut être admis que l'Allemagne peut fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins urgents et nécessaires.

Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir retourner en Allemagne parce que les autorités allemandes vous rapatrieraient vers votre pays d'origine où vous craigniez d'être emprisonné.

En l'occurrence, dans l'hypothèse où les autorités allemandes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d'origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

4 Pour l'exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avérait nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2020, inscrite sous le numéro 44587 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 mai 2020 ordonnant son transfert vers l’Allemagne, de la « décision » du même jour prise par le même ministre « chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers l’Allemagne sous peu de temps » et de « l’ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée ».

Le délégué du gouvernement conclut, à titre liminaire, à l’irrecevabilité du recours introduit contre « la décision du transfert du requérant sous-jacente à la décision du 28 mai 2020 […] chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers l’Allemagne sous peu de temps ». Il ajoute que le recours visant l’ordre d’expulsion, mentionné par le demandeur dans son dispositif, encourrait également le même sort, dans la mesure où Monsieur … aurait fait l’objet d’une décision de transfert vers l’Allemagne et non d’un ordre d’expulsion.

En ce qui concerne tout d’abord la demande de Monsieur … de voir suspendre son transfert « pour raison de santé publique, respectivement en raison des mesures nationales prises pour endiguer le Covid-19 », tel que requis au dispositif de son recours, le tribunal a soulevé d’office à l’audience publique la question de sa compétence pour connaitre de cette demande. Force est de constater que le tribunal, saisi en l’espèce d’un recours en annulation contre la décision du ministre de ne pas statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers l’Allemagne ne peut qu’annuler celle-ci ou rejeter le recours contentieux, mais il ne peut pas ordonner la suspension du transfert ou prendre toute autre mesure de sauvegarde, cette compétence appartenant exclusivement, en vertu de l’article 11 (1) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, au président du tribunal administratif statuant comme juge des référés.

Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître de la demande, telle que formulée dans le dispositif de la requête introductive d’instance, de suspendre le transfert du demandeur vers l’Allemagne.

En ce qui concerne le recours en annulation, pour autant qu’il est dirigé contre la décision du ministre de ne pas statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers l’Allemagne, aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28 (1) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision précitée du 28 mai 5 2020.

En ce qui concerne la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre une « décision » du ministre du 28 mai 2020 « chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers l’Allemagne sous peu de temps », ainsi que contre « l’ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée », il échet de relever qu’aux termes de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.

N’ont pas la qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les simples mesures d’exécution d’une décision administrative puisqu’elles ne sont pas susceptibles de produire un effet de droit indépendamment de la décision dont elles constituent l’exécution, la modification apportée à l’ordonnancement juridique étant l’œuvre de la décision exécutée3.

Dans la mesure où la demande adressée à la police judiciaire afin d’organiser matériellement le transfert de Monsieur … vers l’Allemagne ne constitue qu’une mesure d’exécution de la décision de transfert prise le 28 mai 2020, elle ne peut être considérée comme constitutive d’une décision susceptible d’un recours contentieux, de sorte que le recours en annulation, pour autant qu’il est dirigé contre la demande ainsi adressée à la police judiciaire de procéder à l’organisation matérielle du transfert de l’intéressée, est à déclarer irrecevable.

Il échet également de retenir qu’il n’existe aucun « ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée », la décision ministérielle attaquée consistant seulement dans le constat que le Luxembourg est incompétent pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers l’Etat membre compétent, en l’occurrence l’Allemagne, de sorte que le recours dirigé contre cet ordre d’expulsion est aussi à déclarer irrecevable.

Enfin, en ce qui concerne la demande formulée par Monsieur … dans le dispositif de la requête introductive d’instance de voir surseoir à statuer, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, il est tenu de statuer dans un délai de deux mois à compter de l’introduction de la requête, de sorte qu’une telle demande est à rejeter.

1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2019, V° Actes administratifs, n° 40, et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 29 février 2016, n° 35543 du rôle. Pas. adm. 2019, V° Actes administratifs, n° 67, et l’autre référence y citée.

6 Etant donné que les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions administratives ont été suspendus à partir du 26 mars 2020 en application du règlement grand-

ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, tel que modifié par les règlements grand-ducaux des 1er et 29 avril 2020, le prédit recours en annulation, déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2020, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend en substance les rétroactes développés ci-avant.

En droit, le demandeur reproche en premier lieu au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits d’espèce en ne prenant pas en considération sa vulnérabilité et en ne signalant pas son état aux autorités allemandes, tel que prescrit par le règlement Dublin III. Il précise avoir déposé une demande de protection internationale au Luxembourg après le rejet de sa demande en Allemagne, ce qui aurait pour conséquence un retour vers son pays d’origine, l’Ethiopie. Après avoir cité les termes de l’article 17, ainsi que les considérants (14), (15) et (17) du règlement Dublin III, il conclut à la violation du prédit article 17, en estimant que le ministre aurait pu recourir à la clause de souveraineté prévue en son premier paragraphe, sinon à la clause humanitaire prévue en son deuxième paragraphe. Il fait valoir, dans ce contexte, deux motifs humanitaires qui auraient dû donner lieu à l’application du prédit article 17, à savoir (i) des motifs de « santé publique » résultant des nouveaux foyers de contamination de COVID-19 en Allemagne et (ii) des motifs personnels en raison des situations traumatisantes qu’il aurait vécues.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne tout d’abord l’affirmation du demandeur selon laquelle, en cas de transfert vers l’Allemagne, il risquerait d’être renvoyé en Ethiopie, dans la mesure où il se limite à cette affirmation sans soutenir effectivement son moyen, le tribunal est amené à écarter ledit moyen pour être simplement suggéré, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Quant à la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Aux termes de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

7 Il suit de ces dispositions que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où la demande de protection internationale de l’intéressé a été rejetée et que ce dernier a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.

Le tribunal constate de prime abord, qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que Monsieur … a déposé une demande de protection internationale en Allemagne et, d’autre part, par le fait que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que la décision déférée serait contraire à l’article 17 du règlement Dublin III.

En ce qui concerne le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17 (1) du règlement Dublin III, il échet de relever que s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres.4 Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée6, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Or, en l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments permettant de retenir que le ministre, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au premier paragraphe de l’article 17 du règlement Dublin III, ait commis une erreur manifeste d’appréciation susceptible d’être sanctionnée par l’annulation de la décision déférée.

En effet, le demandeur est resté plus particulièrement en défaut de faire état d’un quelconque élément humanitaire ou exceptionnel qui aurait dû amener les autorités ministérielles luxembourgeoises à se déclarer responsables du traitement de sa demande de protection internationale en lieu et place des autorités allemandes.

4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

5 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

6 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

8 En ce qui concerne, à cet égard, l’état de vulnérabilité du demandeur mentionné à l’appui de son moyen, force est de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément du dossier, et notamment d’un certificat médical, que l’état de santé du demandeur serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert en Allemagne, la simple affirmation de ce dernier suivant laquelle il serait particulièrement fragile en raison de l’expérience traumatisante qu’il aurait vécue dans son pays d’origine étant en tout état de cause insuffisante à cet égard.

Plus particulièrement, en ce qui concerne son état de santé mentale, Monsieur … a affirmé lors de son entretien du 24 février 2020 qu’il aurait des problèmes mentaux et souffrirait de stress. A l’appui de ses affirmations, il a versé un certificat médical du Docteur A.E. du 8 juillet 2020, dans lequel ce dernier constate que Monsieur … souffre de « troubles psychotique chronique nécessitant un traitement à longterme », ainsi qu’une ordonnance médicale indiquant le traitement médicamenteux à suivre.

Or, force est de constater que le demandeur reste en défaut de démontrer qu’il serait dans l’incapacité d’être transféré ou que le transfert entraînerait un préjudice dans son chef, que ce soit lors de son exécution ou une fois exécuté. Il ne démontre pas non plus qu’il ne pourrait pas poursuivre en Allemagne la thérapie qu’il a commencée ni qu’il ne pourrait continuer à y prendre le traitement médicamenteux qui lui a été prescrit.

S’agissant, ensuite, de l’argumentation du demandeur qu’il ne pourrait être transféré en Allemagne en raison de la situation sanitaire actuelle due à la pandémie due au virus COVID-

19 rendant impossible son déplacement en raison des mesures nationales prises dans ce contexte par les autorités compétentes, il échet de relever que les éventuels problèmes liés au transfert en lui-même ne sauraient mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée puisqu’ils sont relatifs à l’exécution de la décision de transfert du 28 mai 2020, étant, à cet égard, encore relevé que même si le transfert est momentanément suspendu et que, malgré la cessation des contrôles aux frontières, la date de transfert de Monsieur … vers l’Allemagne est incertaine, il n’en demeure pas moins que les autorités luxembourgeoises disposent d’un délai allant jusqu’au 2 septembre 2020 pour procéder au transfert de l’intéressé en application de l’article 29 (1) du règlement Dublin III, qui dispose que le transfert vers un autre Etat membre en application notamment de l’article 18 (1) d) du même règlement doit avoir lieu, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par l’autre Etat membre de la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée, en l’occurrence, en l’espèce, à partir du 2 mars 2020.

Le tribunal retient, dès lors, que le moyen tiré d’une violation fondée sur une non-

application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17 (1) du règlement Dublin III encourt le rejet.

Finalement, en ce qui concerne le moyen fondé sur une violation de l’article 17 (2) du règlement Dublin III, aux termes duquel « 2. L’Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l’Etat membre responsable, ou l’Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu’une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. », ensemble les considérants (14), (15) et (17) du même règlement, force est de relever que cette disposition vise la possibilité soit pour un Etat membre dans lequel une demande de protection est présentée et qui procède à la détermination de l’Etat membre 9 responsable, en l’occurrence, le Luxembourg, soit pour l’Etat membre responsable, à savoir, l’Allemagne, de demander à un autre Etat membre, avant qu’une première décision ne soit prise sur le fond, de prendre un demandeur en charge pour le rapprocher de tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels même si cet autre Etat membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16 du même règlement, étant toutefois relevé que les personnes concernées doivent, dans ce cas, exprimer leur consentement par écrit.

Or, en l’espèce, il échet de constater que le demandeur n’a pas allégué avoir un parent sur le territoire d’un autre Etat membre et duquel il souhaiterait être rapproché, et il ne ressort pas du dossier administratif qu’une personne dont il y aurait lieu de le rapprocher ait exprimé son consentement par écrit, de sorte que les dispositions prévues au deuxième paragraphe de l’article 17, précité, du règlement Dublin III ne sont pas pertinentes en l’espèce.

Il s’ensuit que les moyens fondés sur l’article 17 du règlement Dublin III sont rejetés pour ne pas être fondés.

Partant, il échet de constater que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Allemagne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande de suspension du transfert du demandeur vers l’Allemagne ;

déclare irrecevable le recours en annulation, pour le surplus ;

reçoit en la forme le recours en annulation pour autant qu’il est dirigé contre la décision du ministre du 28 mai 2020 de transférer le demandeur vers l’Allemagne ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Hélène Steichen, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 22 juillet 2020, par le vice-président en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

10 s. Xavier Drebenstedt s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 44587
Date de la décision : 22/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-22;44587 ?

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