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22/07/2020 | LUXEMBOURG | N°43037

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 juillet 2020, 43037


Tribunal administratif N° 43037 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2019 1re chambre Audience publique de vacation du 22 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43037 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mai 2019 par Maître Louis Tinti, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N° 43037 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2019 1re chambre Audience publique de vacation du 22 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43037 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 mai 2019 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à …, tendant à la réformation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 avril 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 août 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l'audience publique du 3 juin 2020, et vu les remarques écrites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, de Maître Louis Tinti du 20 mai 2020 produites avant l’audience.

Le 19 septembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 9, 18 et 31 janvier 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 29 avril 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … auprès du service de police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit : « Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous seriez d’ethnie « Soussou » et que vous seriez né le … à …, où vous auriez vécu avec votre famille.

Après votre apprentissage, vous auriez travaillé comme grutier dans les ports de Conakry et Kindia, et soulignez que vous auriez aussi soutenu financièrement votre père qui aurait été agriculteur dans votre village d’origine.

En ce qui concerne les raisons de votre fuite, vous évoquez un conflit entre votre famille et votre voisin d’ethnie « Peul ». Vous précisez que votre voisin d’ethnie « Peul » se serait emparé d’un terrain appartenant à votre famille pour y réaliser des projets de construction, et ceci malgré le refus de votre père de lui céder le terrain. D’après vos dires, votre voisin se serait arrangé avec des membres de la police et de la gendarmerie pour que ces derniers arrêtent votre père, qui aurait été détenu en 2013, 2017 et 2018 suite à des conflits avec votre voisin. Après avoir été libéré de sa dernière détention en mars 2018, votre père serait décédé ;

vous supposez qu’il aurait été empoisonné. Dans ce contexte, vous ajoutez que votre mère aurait aussi été emprisonnée par la gendarmerie suite à une altercation avec votre voisin – vous ignorez néanmoins si elle serait toujours en détention. Une fois arrivés sur les lieux de l’arrestation de votre mère, les gendarmes vous auraient menotté et vous auraient arrêté. Après une détention d’environ deux semaines un homme, qui aurait déjà aidé votre père auparavant, aurait négocié votre libération contre le paiement de 400000 francs guinéens, sous condition que vous quittiez votre pays d’origine.

En juillet 2018, vous auriez quitté votre pays d’origine en direction du Mali, d’où vous auriez poursuivi votre chemin en direction du Maroc. Après un séjour de 10 à 12 jours au Maroc, un passeur nigérian aurait organisé votre traversée de la Méditerranée. Après un bref séjour en Espagne vous seriez allé à Toulouse en France, pour finalement arriver au Luxembourg, via Nancy. ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2019, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 29 avril 2019 pour autant qu’elle refuse de faire droit à sa demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, tout en renonçant à sa demande d’octroi du statut de réfugié, et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 29 avril 2019, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend en substance ses déclarations faites lors de ses entretiens, tout en soulignant qu’il invoquerait à la base de sa demande de protection internationale l’existence d’un risque pour sa vie en relation avec un conflit foncier opposant ses parents à leurs voisins d’ethnie « peul », lui-même appartenant à l’ethnie « soussou ». Ce conflit aurait été provoqué par les voisins qui se seraient accaparés d’une parcelle du terrain appartenant à ses parents. Il poursuit que cette situation aurait pu se réaliser avec la connivence des autorités de police qui, après avoir été corrompues par leurs voisins, auraient procédé à l’arrestation et la mise en détention de ses parents et de lui-même. Ce serait dans ce même contexte que son père aurait été emprisonné à plusieurs reprises et aurait, lors de sa dernière détention, était empoisonné pour finalement succomber peu de temps après sa libération, tandis que sa mère aurait toujours été en détention à son départ de la Guinée. Lui-

même n’aurait pu être libéré que grâce à la corruption des policiers qui n’auraient consenti à sa libération qu’à condition qu’il quitte le pays et moyennant le paiement d’une somme d’argent.

Le demandeur donne à considérer qu’il ne pourrait pas s’adresser à la police pour demander une quelconque protection et encore moins déposer plainte, puisque les agents de police seraient largement corrompus, corruption qui serait facilitée par la circonstance que les Peuls seraient généralement plus riches que les membres de l’ethnie Soussou.

En droit et à titre de remarques préliminaires, le demandeur fait valoir qu’une partie des problèmes à la base de sa demande de protection internationale résideraient dans la corruption des autorités de police en Guinée, de sorte que cet élément devrait être pris en considération. Il se réfère au rapport annuel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme concernant la Guinée de 2017 et portant sur la situation dans ce pays en 2016, faisant état d’une faiblesse de l’appareil judiciaire et d’une perte de confiance des citoyens en la justice. Ce même rapport mettrait encore en évidence des fréquentes exactions commises par les forces de police et de gendarmerie. La situation en Guinée se trouverait aggravée par un fort degré de corruption, le demandeur se référant, à cet égard, à un document diffusé le 23 février 2018 et intitulé « Corruption dans le monde : le rang de la Guinée (148e/160) intrigue ! », ainsi qu’à un article intitulé « De la politique fiscale à la corruption en Guinée et en Afrique » du 20 septembre 2018, degré de corruption qui expliquerait la défaillance du système judiciaire et des corps de police et de la gendarmerie. Dans ce contexte, il cite encore un document intitulé « Guinée : la police et le système judiciaire » publié le 20 juillet 2011, et affirme que ces problèmes affecteraient plus particulièrement ceux appartenant à des minorités insuffisamment représentées au niveau des autorités en place, parmi lesquelles figureraient plus particulièrement les Soussous, cette ethnie étant minoritaire en Guinée, tel que cela ressortirait d’un document publié par ACAPS le 11 mars 2015 sous l’intitulé « Guinée : profil du pays ».

Enfin, le demandeur affirme que de manière générale les droits de l’homme seraient largement violés en Guinée, en se référant à un document intitulé « Guinée : violation des droits de l’homme en région » de janvier 2017.

Après avoir exposé ces remarques préliminaires, le demandeur déclare vouloir renoncer à sa demande en obtention du statut de réfugié, renonciation dont il y a lieu de lui donner acte.

Sous l’angle de la protection subsidiaire, le demandeur donne à considérer que les faits de l’espèce permettraient de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, tout en se référant à des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) quant à la notion de traitements inhumains et dégradants. En l’espèce, le risque pour lui de se retrouver emprisonné, tel que cela aurait été le cas de ses parents et plus particulièrement de son père ayant succombé peu de temps après sa libération du fait de la maladie contractée durant son emprisonnement, serait réel et sérieux. Dès lors, tout porterait à croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il serait de nouveau emprisonné et que les conditions de sa détention relèveraient d’un traitement inhumain et dégradant. Il se retrouverait, en effet, incarcéré en dehors de tout cadre légal et sans possibilité de se défendre et cela dans des conditions de détention totalement indigne et de nature à causer la mort. L’auteur de ces atteintes serait l’Etat guinéen qui serait responsable du comportement de ses agents de police et des conditions de détention imposées aux prisonniers et qui, d’ailleurs, n’aurait jamais pris des mesures suffisantes pour remédier à cette situation.

Le demandeur donne à considérer que son récit serait établi de façon suffisamment crédible pour être admis dans sa globalité, y compris l’emprisonnement de ses parents. Dans la mesure où lui-même habiterait l’endroit convoité par ses voisins peuls, à l’origine du conflit foncier, et qu’il appartiendrait à la famille qui en est le propriétaire, ce serait à tort que le ministre a estimé qu’il ne pourrait pas suivre le même sort que ses parents, cela d’autant plus que lui-même aurait également été emprisonné, lorsqu’il s’était informé quant aux raisons de l’emprisonnement de sa mère. Le demandeur est ainsi d’avis que tous les membres de sa famille seraient concernés par la menace provenant de ses voisins peuls et cela pour la seule raison qu’ils occupent le terrain convoité par ceux-ci.

Enfin, le demandeur conteste la possibilité d’une fuite interne.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le demandeur ayant renoncé à sa demande en obtention du statut de réfugié, il y a uniquement lieu d’examiner s’il est en droit de prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire.

Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point b), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g), de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que la notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » implique nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins un risque d’atteintes graves dans le pays d’origine.

L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit les atteintes graves comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Par ailleurs, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de conféré par la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués répondent à la qualification d’atteinte grave au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire. Plus particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des atteintes graves, la demande de protection subsidiaire ne saurait aboutir compte tenu des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015.

Force est encore de relever que l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que cette disposition vise des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est de constater que les craintes dont fait état le demandeur sont liées à un conflit foncier avec des voisins, qui aurait eu pour conséquence que tant son père, que sa mère, que lui-même auraient été emprisonnés, le demandeur attribuant ces emprisonnements à la corruption de la police, qui aurait collaboré avec les voisins qui convoiteraient le terrain familial.

Il convient de prime abord de relever que le demandeur ne fait pas état d’un risque de subir la peine de mort, l’exécution ou encore la torture. Il ne fait pas non plus état d’un conflit armé interne au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il convient dès lors uniquement d’examiner s’il est fondé à faire état d’une crainte de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) de l’article 48, précité, étant relevé que les faits relatés, respectivement les craintes invoquées à cet égard doivent atteindre un certain seuil de gravité, ceci au regard de la jurisprudence de la CourEDH en rapport avec l’article 3 de la CEDH, qui a retenu que les « mauvais traitements » doivent atteindre un minimum de gravité et impliquer des lésions corporelles effectives ou une souffrance physique ou mentale intense1. Suivant la CourEDH, un traitement peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction de l’article 3 de la CEDH s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique2.

Le tribunal est toutefois amené à retenir qu’en l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui sa demande de protection internationale dans le cadre des auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, l’amène à conclure que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de subir des atteintes graves au sens de la loi en cas de retour en Guinée.

En effet, si le demandeur fait état de son propre emprisonnement et de ce que son père aurait été emprisonné à trois reprises et d’un emprisonnement de sa mère par des policiers corrompus par les voisins pour que ceux-ci puissent continuer à construire sur le terrain familial en toute impunité, le tribunal constate, de concert avec la partie étatique, que le lien entre ces emprisonnements de ses parents et le conflit foncier, d’une part, et l’emprisonnement du demandeur lui-même, d’autre part, reste douteux, dans la mesure où le demandeur a déclaré à d’itératives reprises lors de son entretien qu’il ne s’est pas vu expliquer les raisons de son emprisonnement et qu’il n’a fait que supposer le lien avec le conflit foncier. En conséquence, 1 Arrêts Irlande c. Royaume-Uni, p. 66, § 167, et V. c. Royaume-Uni, no 24888/94, § 71.

2 Arrêts Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, §§ 24-30, et Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117.

il reste purement hypothétique que le demandeur, en tant que personne adulte, indépendante de sa mère, puisse subir le même sort que celle-ci en raison d’une dispute à propos d’un terrain appartenant à ses parents.

Au-delà de ce constat, et même à admettre que l’emprisonnement du demandeur soit en lien avec le conflit foncier entre ses parents et les voisins peuls, et encore que cet emprisonnement, intervenu sans explication pendant une, voire deux semaines -le demandeur restant vague quant à la durée exacte de l’emprisonnement-, est certes condamnable comme constituant une atteinte grave à la liberté de mouvement, force est de constater qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments du dossier, à défaut aussi par le demandeur de fournir des explications convaincantes à ce sujet, permettant de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur risque de subir encore des faits répondant au seuil de gravité requis pour qu’ils puissent être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, étant encore relevé que le demandeur n’a fait état d’aucune blessure physique, ni même d’une souffrance psychique intense qu’il aurait subies pendant son emprisonnement.

En tout cas, tel que cela se dégage du rapport de l’Office français de Protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de novembre 2017 invoqué par la partie étatique, le demandeur aurait la possibilité de régler le conflit foncier dont il fait état par la voie judiciaire, respectivement en ayant recours aux mécanismes traditionnels de gestion des conflits, par exemple au niveau du conseil des sages3, ce rapport précisant, en effet, que les conflits fonciers sont fréquents en Guinée et que lorsqu’un tel conflit survient, les habitants s’adressent, par ordre de priorité, aux autorités locales (autorités traditionnelles : conseil des sages), ensuite à la police, à la gendarmerie et puis à la justice, les gendarmes n’intervenant toutefois qu’en cas d’affrontements physiques. Dès lors, encore que la famille du demandeur a, le cas échéant, eu des mauvaises expériences avec des policiers corrompus, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que le demandeur soit démuni de toute possibilité d’obtenir une quelconque aide et protection en cas de retour en Guinée si jamais les voisins convoitant le terrain familial allaient s’en prendre à lui.

A cet égard, il convient de rappeler qu’au regard des principes retenus ci-avant, en cas de craintes d’atteintes graves de la part de personnes privées, en l’occurrence des voisins peuls, - étant relevé que, contrairement à ce qui est avancé par le demandeur, ce n’est pas l’Etat guinéen qui est à l’origine des actes qu’il craint, mais ce sont des personnes privées, à savoir les voisins peuls convoitant le terrain familial, qui certes auraient, d’après le demandeur, trouvé le soutien de policiers corrompus, dont le comportement n’est toutefois pas à considérer comme étant orchestré ou soutenu par l’Etat guinéen, mais qui est à qualifier d’écarts de policiers individuels -, le demandeur ne peut se prévaloir de la protection d’un Etat tiers que pour autant que les autorités de son pays d’origine ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

3 « Selon le ministre de la Justice et garde des Sceaux, les conflits fonciers représentent entre 60 à 70% des affaires qui sont portées devant la justice guinéenne. Pourtant, d’après les associations de la société civile et le conseil des sages de Boké, les mécanismes traditionnels de gestion des conflits sont très sollicités sur ces sujets, notamment en dehors de Conakry, où les chefs communautaires représentent les premiers interlocuteurs. ».

« Lorsqu’un conflit survient entre deux familles, le conseil des sages indique dépêcher une commission, qui se rend sur le terrain litigieux. Celle-ci commence par déterminer l’historique du domaine et pose les questions essentielles : - Comment les villages ont-ils été délimités ? - Quelle famille travaille la terre actuellement et depuis quand ? Après cette évaluation, le chef appelle les deux parties, les interroge, puis prend une décision ».

Rapport de l’OFPRA pages 69 et 72.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale4. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut5.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, le demandeur a admis ne pas avoir déposé plainte, mais que seul son père aurait déposé plainte à une reprise en 2017. Or, au regard des mécanismes à sa disposition en Guinée et permettant de régler un conflit foncier et à défaut d’avoir usé de ces possibilités, voire à défaut d’avoir lui-même recherché une quelconque aide étatique de son Etat d’origine, le demandeur n’est pas fondé à se prévaloir de la protection de l’Etat luxembourgeois.

Enfin, les extraits de rapports internationaux et articles cités par le demandeur à l’appui de son recours ne permettent pas de conclure dans son chef à un risque particulier de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des traitements inhumains et dégradants. En effet, ces extraits font essentiellement état de faits sans lien avec la situation particulière du demandeur, alors qu’il y est fait référence à des vindictes populaires à l’égard de personnes supposées avoir commis des crimes et qui auraient été libérées avant d’avoir purgé leur peine, à des cas de recours par la police à la torture pour obtenir des aveux ou des renseignements, au cas d’un 4 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

5 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

commandant à la préfecture de Mali dont le comportement a suscité des émeutes et à des violences commises par des soldats lors d’un incident à la préfecture de Mali.

Si ces rapports font encore état d’un problème général de corruption en Guinée, tant au niveau des fonctionnaires et agents publics qu’au niveau du sommet de l’Etat, se traduisant au niveau de l’accès aux services de santé, à l’éducation, à des services gratuits de l’Etat, tels la délivrance d’actes de naissance, au niveau de l’attribution des marchés publics, par la petite corruption lors de contrôles de la circulation, par l’annulation de mises en examen, par la réduction des peines de prison, ou encore par l’amélioration des conditions de détention ou des libérations sur caution, le demandeur n’est toutefois pas fondé à en déduire ipso facto pour lui-

même une crainte justifiée pour sa vie ou son intégrité physique. Si le demandeur a certes été détenu dans des conditions non expliquées, il n’a pas fait état d’atteintes à son intégrité physique, étant encore rappelé que son affirmation que sa détention aurait été provoquée par la corruption organisée par les voisins de ses parents repose sur des simples suppositions.

Par ailleurs, si le rapport intitulé « Guinée : violations de droits de l’homme en région » de janvier 2017, fait certes état de cas de torture au sens très large, le demandeur, qui n’a pas déclaré avoir été torturé ou subi des atteintes à son intégrité physique, n’explique pas en quoi il serait fondé de déduire de ce rapport un risque particulier pour sa propre vie ou son intégrité physique en cas de retour en Guinée.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur risque de subir la peine de mort, l’exécution, la torture, des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a rejeté sa demande d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Le demandeur se prévaut du principe de non-refoulement prévu à l’article 54, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’en conséquence de la reconnaissance de la protection internationale, il conviendrait de réformer l’ordre de quitter le territoire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur le statuts conféré par la protection subsidiaire, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause, le tribunal ayant conclu ci-avant que la crainte invoquée par le demandeur de subir ou d’être exposé à des atteintes graves n’était pas fondée et qu’il ne saurait dès lors prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal ne saurait actuellement pas se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle portant rejet d’un statut de protection internationale ;

donne acte au demandeur qu’il renonce à sa demande en obtention du statut de réfugié ;

au fond, dit le recours en réformation non justifié pour autant qu’il est dirigé contre le refus d’octroi d’une protection subsidiaire et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 22 juillet 2020 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43037
Date de la décision : 22/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-22;43037 ?

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