Tribunal administratif N°42334 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 février 2019 1re chambre Audience publique du 13 juillet 2020 Recours formé par Madame …, …, contre un arrêté grand-ducal du 19 novembre 2018, en matière de changement de nom patronymique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42334 du rôle et déposée le 8 février 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Claudine Erpelding, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à …, tendant à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 19 novembre 2018 portant refus de l’autorisation de changer le nom patronymique de sa fille mineure … de « … » en celui de « … … » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2019 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Claudine Erpelding déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2019 pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 3 juin 2020, et vu les remarques écrites de Maître Claudine Erpelding des 27 et 29 mai 2020 et du délégué du gouvernement du 27 mai 2020, produites avant l’audience, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020.
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Par un courrier daté au 25 avril 2017, Madame … s’adressa au ministre de la Justice, ci-
après désigné par « le ministre », afin de solliciter l’autorisation de changer le nom patronymique de son enfant mineur … de « … » en celui de « … … ».
Par avis séparés des 12 juillet et 10 août 2017, le procureur d’Etat et le procureur général d’Etat se prononcèrent en défaveur du changement de nom sollicité par la requérante au nom de son enfant mineur. Le Conseil d’Etat émit le 5 décembre 2017 également un avis défavorable quant au changement de nom sollicité.
Suite à ces avis, la requête en changement de prénom fut rejetée par arrêté grand-ducal du 19 novembre 2018 transmis à l’intéressée par un courrier recommandé avec accusé de réception du ministre du 26 novembre 2018. Cet arrêté grand-ducal est motivé comme suit :
« Vu la demande présentée par Madame …, sollicitant l’autorisation de changer le nom patronymique actuel de son enfant mineur …, née le …, de nationalité luxembourgeoise et demeurant à …, en celui de « … … » ;
Vu le titre II de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms ;
Vu les avis négatifs rendus par le Procureur d'État de Luxembourg et par le Procureur Général d’État ;
Vu l’avis négatif émis par le Conseil d'État ;
Considérant que le principe de la fixité du nom patronymique constitue une règle d’ordre public et social ;
Considérant qu’un changement de nom patronymique ne peut être autorisé qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes ;
Considérant que le Procureur d’État de Luxembourg considère que « l’accord des requérants à demander le changement de non résulte certes du jugement n° 116/16 du 18 octobre 2016, rendu par le juge de la jeunesse de Luxembourg, mais le principe d’immuabilité de nom s’oppose à un changement de nom de la fille des requérants, en l’absence de circonstances d’une exceptionnelle gravité. Il résulte en effet dudit jugement, que l’autorité parentale s’exercera désormais de façon conjointe, de sorte que le contact entre l’enfant et le père est intact. La seule séparation des parents, ni l’existence d’éventuelles tensions ne constituent pas un motif pour déroger au principe de la pérennité du nom » ;
Considérant que la requête en changement du nom patronymique n’est donc pas fondée ;
Sur le rapport de Notre Ministre de la Justice et après délibération du Gouvernement en Conseil ;
Arrêtons :
Art. 1er. - L'autorisation sollicitée est refusée.
Art. 2. - Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2019, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 19 novembre 2018, précité, portant refus de la demande de changement du nom patronymique de son enfant mineure.
Etant donné qu’aucune disposition de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms, ci-après désignée par « la loi modifiée du 11-21 germinal an XI », ne prévoit de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de changement de nom, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique en substance avoir été mariée à Monsieur … avec lequel elle a eu, en septembre 2012, leur fille mineure commune, ….
Elle précise qu’à l’époque, ni elle ni son ex-époux ne se seraient posé des questions quant au nom patronymique à donner à leur enfant commun, ce d’autant plus qu’eu égard à leurs origines italiennes, la transmission du nom de famille du seul père à l’enfant aurait été d’usage, de même que l’utilisation par la femme du nom de son époux.
La situation serait toutefois différente depuis son divorce en date du 21 mai 2015 et l’attribution à la demanderesse de la garde de l’enfant, Monsieur … ayant, de son côté, obtenu un droit de visite. La demanderesse explique, en effet, que du fait que son nom patronymique ne serait pas le même que celui porté par sa fille, elle aurait connu des situations « révoltantes » où elle aurait dû justifier son identité par rapport à son enfant mineure et ce, notamment à l’aéroport, auprès de la commune ou encore au moment de l’inscription de son enfant à l’école.
Elle ajoute que nonobstant les tensions qui existeraient avec son ex-époux concernant l’exercice concret de l’autorité parentale conjointe et du fait que Monsieur … n’habite plus au Luxembourg, ils auraient convenu que leur fille mineure porte en plus du nom de son père également celui de sa mère et ce, dans un souci de faciliter non seulement toutes les démarches entreprises par elle, mais également la reconnaissance dans son chef de ses droits par rapport à son enfant et ainsi d’éviter une « intrusion intempestive » dans sa vie privée.
La demanderesse poursuit que malgré les précisions ainsi portées à la connaissance de l’autorité de décision et la production du jugement actant l’accord des parents à ajouter au nom patronymique actuel de leur enfant celui de la mère, cette demande aurait été refusée sans tenir compte des difficultés rencontrées par elle en tant que mère célibataire dans ses actes de la vie courante.
En droit, la demanderesse fait valoir que l’arrêté grand-ducal attaqué devrait être annulé pour violation, voire dénaturation, sinon fausse application de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, respectivement excès de pouvoir, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits dans le chef de l’autorité de décision, ce d’autant plus qu’en l’espèce, la demande n’aurait pas porté sur un changement de nom complet, mais sur l’adjonction du nom de la mère à celui du père, de sorte que le nom originel de l’enfant serait conservé.
Elle estime qu’un contrôle juridictionnel de l’acte litigieux permettrait de constater que, contrairement à ce qui a été retenu par l’autorité de décision, il existerait des circonstances exceptionnelles et faits graves justifiant le changement de nom demandé.
En effet, il ne faudrait tout d’abord pas perdre de vue que les deux parents auraient accepté à la suite de leur divorce d’ajouter le nom de la mère à celui du père, de sorte que le changement de nom sollicité devrait s’analyser en un acte de l’autorité parentale s’apparentant à une circonstance exceptionnelle respectivement à un fait grave justifiant ladite demande. La demande en question résulterait plus particulièrement de la modification du contexte sociologique dans lequel se seraient trouvé les parents au moment où ils auraient choisi de donner à leur enfant le seul nom du père. En effet, à l’époque, ils auraient été des jeunes mariés tous deux de coutumes italiennes et ils n’auraient pas pris en considération les conséquences résultant du choix du nom patronymique attribué à leur fille mineure commune en cas de séparation.
La demanderesse insiste sur le fait que le but du changement de nom sollicité ne serait pas celui de supprimer le nom du père ni de minimiser le rôle de celui-ci, mais de donner également à l’enfant le nom patronymique de la mère qui s’occuperait, en effet, de l’enfant dans les actes de la vie courante et qui gèrerait son quotidien, ce qui impliquerait, dans les circonstances actuelles, qu’elle doive à chaque fois produire des pièces personnelles et privées afin de justifier sa qualité de mère de l’enfant.
Elle précise que son ex-époux aurait marqué son accord et que sa demande serait, selon elle, en conformité avec la législation actuelle qui ne cesserait d’aller dans le sens d’un partage des responsabilités parentales et de la prise en compte de la réalité sociologique, à savoir de la fragilisation des liens du couple et de l’apparition de nouvelles formes familiales, à savoir les familles monoparentales.
Elle insiste sur le fait qu’il serait important pour les enfants de conserver des liens à l’égard de leurs deux parents après une séparation et que la prise en compte du nom patronymique des deux parents permettrait justement la conservation et la reconnaissance de ce lien.
Elle ajoute que l’égalité au sein de la famille à laquelle aurait aspiré la législation luxembourgeoise notamment par l’introduction de la loi du 23 décembre 2005 relative au nom des enfants, ci-après désignée par « la loi du 23 décembre 2005 », n’aurait de sens que si elle traduisait la possibilité pour chaque parent de donner son nom à son enfant, tout en soulignant que sa demande traduirait cette possibilité et la reconnaissance de ses droits de mère en tant que femme divorcée.
La demanderesse explique ensuite que depuis son divorce, elle subirait une intrusion régulière dans sa vie privée du fait que son enfant porte un nom patronymique différent du sien et ce, alors même qu’elle a la garde de sa fille. Cette intrusion se traduirait par la nécessité constante de justifier son identité pour les actes courants et par l’obligation de conserver ses papiers de divorce sur elle surtout lorsqu’elle voyagerait avec sa fille mineure.
Elle insiste ensuite sur le fait que comme la finalité sociale première du port du nom patronymique serait celle du rattachement à une famille déterminée, il serait dans l’intérêt légitime et supérieur de sa fille de porter également le nom de sa mère en ce qu’il s’agirait de sa personne de référence, tout en conservant, par ailleurs, celui de son père en premier lieu.
Elle donne encore à considérer que le changement de nom sollicité interviendrait durant la minorité de l’enfant et qu’une telle modification aurait été permise lors de l’introduction de la loi du 23 décembre 2005 pour les parents d’enfants nés avant l’introduction de ladite loi dans un souci justement de reconnaissance parentale et de conformité avec le contexte social des familles séparées.
Finalement, elle fait valoir que la demande serait en accord avec la législation luxembourgeoise sur la dévolution du nom de famille puisque le changement sollicité serait conforme à l’article 57 du Code civil qui admettrait la possibilité pour les parents d’accoler leurs deux noms de famille pour leur enfant. Elle ajoute que l’introduction de cette possibilité dans le texte légal en question résulterait d’une volonté législative forte de réduire les inégalités entre hommes et femmes, de tenir compte des réalités sociologiques différentes au sein de la structure familiale et de garantir le respect de l’autonomie familiale dans le choix du nom patronymique de l’enfant d’un couple.
Il s’ensuivrait que le refus litigieux serait contraire à ce principe égalitaire et témoignerait d’une discrimination vis-à-vis de la mère, respectivement d’un refus de tenir compte de la situation nouvelle de celle-ci.
Elle insiste enfin sur le fait qu’il serait dans l’intérêt tant de l’enfant que d’elle-même que leur vie privée soit préservée conformément à la législation nationale et européenne sur la protection des données à caractère personnel et que, pour ce faire, le changement de nom sollicité permettrait qu’elle ne soit plus systématiquement contrainte de présenter son jugement de divorce et partant de communiquer ses données à caractère personnel.
Au vu des considérations qui précèdent, il y aurait lieu d’admettre qu’elle justifie de circonstances exceptionnelles, respectivement de raisons importantes susceptibles de déroger au principe de la fixité du nom patronymique et que ce serait partant à tort que le changement de nom de son enfant mineure sollicité a été refusé.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique, après avoir mis en avant le principe de fixité du nom patronymique tel qu’il serait consacré à l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, de même que relevé les conditions dans lesquelles, suivant la jurisprudence des juridictions administratives, l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal XI permettrait de déroger à ce principe, conclut au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.
Elle fait, à cet égard, valoir que si l’accord des deux parents constituait une condition de recevabilité d’une demande en changement de nom, cet accord ne constituerait toutefois pas à lui seul une circonstance exceptionnelle de nature à justifier un changement.
Quant aux difficultés liées à l’organisation de la vie courante telles que mises en avant par la demanderesse, la partie étatique estime que la preuve de la qualité de mère pourrait être rapportée facilement par le biais des titres d’identité ou de voyage et que le fait de devoir se munir de documents officiels pour établir cette qualité ne pourrait être regardé comme une tâche insurmontable. A cela s’ajouterait que le fait de devoir révéler un divorce ne saurait pas non plus s’analyser en une intrusion excessive dans la vie privée et professionnelle de la demanderesse ce d’autant plus que de nos jours la moitié des mariages se solderaient par un divorce et que les familles monoparentales seraient une réalité sociologique.
Ce serait également à tort que la demanderesse se prévaut des dispositions de la loi du 23 décembre 2005, la partie étatique soulignant que l’article 57, alinéa 3 du Code civil, tel qu’il a été introduit par le biais de cette loi, règlerait uniquement l’attribution du nom au moment de la naissance de l’enfant, sans qu’il ne permette aux parents de revenir sur le choix ainsi opéré.
Or, en l’espèce, les parents auraient choisi de donner à leur enfant exclusivement le nom du père. Il s’ensuivrait qu’ils pourraient uniquement avoir recours à la procédure de changement de nom prévue par la loi, procédure exigeant toutefois la preuve de circonstances exceptionnelles qui, en l’espèce, ferait défaut.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait valoir que sa demande ne s’opposerait pas au principe de fixité du nom patronymique, au motif qu’il ne s’agirait non pas de supprimer le nom actuel de son enfant pour le remplacer par un autre, mais seulement d’y ajouter le nom patronymique de la mère et donc, en l’espèce, de la personne de référence de l’enfant auprès notamment de toutes les administrations et des écoles.
Elle ajoute qu’il n’existerait pas de définition figée des termes « circonstances exceptionnelles » et « raisons importantes » permettant de considérer que les motifs qu’elle a invoqués ne peuvent pas s’analyser en tant que tels.
Elle met ensuite en avant que l’ordre public luxembourgeois ne se heurterait pas à ce que le nom patronymique de la mère soit également attribué à un enfant né pendant le mariage, tout en précisant que d’un point de vue objectif et social, l’accolement du nom de la mère à celui du père correspondrait, en l’espèce, à une réalité sociale, ce d’autant plus que la demande aurait été formulée lorsque l’enfant n’était âgée que de 4 ans.
Elle insiste sur le fait que l’ajout et non pas le remplacement du nom de la mère correspondrait davantage à la finalité sociale de rattachement de l’enfant à sa famille monoparentale actuelle que celle ayant existé pendant le mariage au moment du choix du nom à lui attribuer, en donnant à considérer qu’en choisissant de ne donner que le nom du père à leur enfant pendant leur mariage, elle et son ex-époux n’auraient pas envisagé les conséquences d’un tel choix en cas de divorce, ce d’autant plus qu’elle-même aurait également utilisé le nom de son ex-époux.
Elle estime en tout état de cause que le divorce devrait s’analyser en une circonstance exceptionnelle et en un évènement important en ce qu’il modifierait profondément les caractéristiques de la famille et de la vie de chacun, tout en ajoutant que le fait d’accoler le nom patronymique de la mère permettrait, selon elle, non seulement de reconnaître les liens de rattachement forts entre celle-ci et son enfant, mais également de faire correspondre le nom de sa fille à une réalité sociale dans toutes les démarches à effectuer.
La demanderesse souligne, par ailleurs, qu’au vu de son jeune âge, sa fille ne ressentirait aucun changement pouvant lui nuire alors qu’elle conserverait in fine le même nom qui serait toujours prononcé en premier lieu.
Elle donne encore à considérer que la circonstance que de nombreux mariages se solderaient par un divorce n’affecterait en rien le motif exceptionnel et important de sa demande, alors que l’absence du nom de la mère sur les papiers d’identité de l’enfant aurait incontestablement des conséquences sur les actes de leur vie courante et que personne ne devrait être obligé, tel que ce serait son cas, de justifier de sa vie privée sous prétexte de porter un nom différent de celui de son enfant, la demanderesse estimant qu’une telle ingérence ne devrait plus exister eu égard à la multiplication des règlements communautaires sur la protection des données privées ainsi qu’à l’égalité des droits parentaux.
Finalement, elle insiste sur le fait que si les familles monoparentales étaient une réalité sociologique, le fait d’accoler en second rang le nom patronymique du deuxième parent suite à un changement profond dans la relation familiale permettrait justement de reconnaître cette réalité, ce d’autant plus lorsque les deux parents se seraient mis d’accord à ce sujet après leur divorce et à un moment où l’enfant était encore en bas âge.
Afin d’éviter toute discrimination, il faudrait considérer que le divorce et la fixation de la résidence principale de l’enfant mineure commune auprès de sa mère sont une raison importante justifiant d’ajouter le nom de celle-ci à celui de sa fille.
Il y aurait dès lors lieu de conclure à une violation, voire dénaturation, sinon fausse application de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, respectivement à un excès de pouvoir, sinon une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait.
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique renvoie, en substance, à ses développements antérieurs, en insistant plus particulièrement sur le fait que, contrairement à ce que soutient la demanderesse, le divorce ne pourrait pas s’analyser en une circonstance exceptionnelle en ce qu’il s’agirait d’un évènement normal de la vie.
Elle insiste encore sur le fait que l’autorité de décision n’aurait pas pris à la légère son refus d’autorisation qui aurait, en effet, été pris sur le fondement de trois avis négatifs.
Il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance, l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI dérogeant, quant à lui, au principe de la fixité des noms et prénoms en disposant que toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au gouvernement.
En vertu de l’article 5 de la même loi, le gouvernement se prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.
Suivant la jurisprudence constante des juridictions administratives en la matière, les textes de loi précités sont à lire en ce sens que le principe de la fixité du nom patronymique tel qu’inscrit dans l’acte de naissance est une règle d’ordre public. Quelle qu’ait été l’évolution sociétale quant au choix du nom à transmettre à l’enfant à la naissance, en cas de reconnaissance ou lors de l’adoption, la fixité est la règle et le changement l’exception. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé1.
Dans la mesure où la demanderesse entend changer le nom patronymique actuel de son enfant mineure tel que repris dans son acte de naissance en y ajoutant son propre nom patronymique de sorte à en faire un nom à deux composantes, il s’agit, contrairement à ce que semble soutenir la demanderesse, indéniablement d’un changement de nom tombant dans le champ d’application des dispositions de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI.
Ensuite, il échet de relever que suivant la règle de la fixité, sinon de la pérennité du nom patronymique, laquelle participe à l’ordre public, les raisons devant justifier le changement de nom patronymique sont appelées à s’analyser en des circonstances exceptionnelles à énoncer dès la demande adressée au gouvernement, qui doit être dûment motivée. Cette exigence d’une motivation spécifique dès la demande formulée auprès du gouvernement se justifie, d’une part, en raison des circonstances exceptionnelles pouvant seules sous-tendre valablement un changement de nom patronymique et, d’autre part, par le caractère nécessairement éclairé non seulement de l’autorité de décision à travers les avis rendus à son escient par le Conseil d’Etat, ainsi que le procureur d’Etat compétent ensemble le procureur général d’Etat, mais encore dans le chef de ces derniers mêmes2.
1 Cour adm. 26 janvier 2017, n°38371C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Noms-Prénoms-Domicile-Etat civil, n°12 et l’autre référence y citée.
2 Trib. adm. 12 mai 2005, n° 20084 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Noms-Prénoms-Domicile-Etat civil, n°5 et les autres références y citées.
Au vu des considérations qui précèdent, aucun reproche ne saurait être adressé à l’autorité de décision pour avoir conditionné le changement de nom sollicité par la preuve à fournir par la demanderesse de l’existence dans le chef de son enfant mineure de circonstances exceptionnelles, respectivement de raisons importantes justifiant qu’il soit dérogé, en l’espèce, au principe de fixité du nom patronymique tel qu’indiqué dans son acte de naissance.
La partie étatique estime, pour sa part, que la demanderesse reste en défaut d’avancer des motifs pouvant s’analyser en des circonstances exceptionnelles ou en des raisons importantes pouvant justifier le changement de nom tel que sollicité.
Le tribunal est amené à constater que la demanderesse n’a fourni aucun motif en relation avec le nom patronymique actuel de sa fille qui serait de nature à s’opposer au maintien de celui-ci, Madame … insistant, au contraire, sur le fait qu’elle souhaite que le nom de son ex-
époux continue à être placé en premier rang, tout en ajoutant son propre nom en deuxième rang.
Elle motive plus spécifiquement le changement de nom sollicité par son souhait de faciliter l’organisation de sa propre vie courante et plus particulièrement les démarches administratives qu’elle serait amenée à entreprendre en sa qualité de mère divorcée ayant la garde de son enfant et s’en occupant au quotidien, de même que par son désir de faire correspondre le nom de sa fille à une réalité sociale, à savoir celle de son appartenance à une famille monoparentale par opposition à la situation familiale ayant existé au moment où la demanderesse et son ex-époux ont choisi d’attribuer à leur fille le seul nom de son père.
Or, de telles raisons, en ce qu’elles ne traduisent en fin de compte que la recherche par la demanderesse d’une simplification de sa propre vie quotidienne ne sauraient s’analyser en une véritable nécessité de modifier le nom de famille actuel de l’enfant en y ajoutant le nom patronymique de la mère pour ne pas suffire au regard des critères jurisprudentiels précités exigeant des circonstances exceptionnelles ou des raisons importantes, mais constituent plutôt une simple convenance personnelle. Plus particulièrement, le fait pour la demanderesse d’être obligée de se munir de documents officiels afin d’établir sa qualité de mère ne saurait s’analyser en une tâche insurmontable, d’autant plus que les situations dans lesquelles une telle preuve doit être rapportée ne se présentent pas quotidiennement. Il est, par ailleurs, difficilement concevable dans quelle mesure le fait de devoir, dans certaines situations, établir sa qualité de mère en présentant son jugement de divorce soit constitutif d’une intrusion à ce point grave dans sa vie privée qu’elle puisse s’analyser en une circonstance exceptionnelle ou raison importante justifiant qu’il soit dérogé au principe de fixité du nom patronymique.
Ensuite et pour être tout à fait complet, il y a lieu de relever que dans la mesure où il est constant en cause que les relations et le contact entre l’enfant et son père sont intacts, le seul divorce des parents, respectivement d’éventuelles tensions entre les ex-époux ne sauraient pas non plus s’analyser en une circonstance exceptionnelle ou raison importante justifiant le changement du nom qui a été attribué à l’enfant à sa naissance.
Les conclusions qui précèdent ne sont pas ébranlées par l’invocation par la demanderesse des dispositions de la loi du 23 décembre 2005 et de l’article 57 du Code civil.
Le tribunal est, à cet égard, tout d’abord amené à relever que le législateur, par le biais de la loi du 23 décembre 2005, a effectivement mis le nom patronymique de la mère et du père sur un pied d’égalité, l’article 57, alinéa 3, du Code civil introduit par ladite loi précisant, en effet, que l’enfant peut acquérir soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms, de sorte que le droit de choisir le nom qui est dévolu à l’enfant appartient aux parents, au moment de la naissance de l’enfant, lorsque la filiation d’un enfant est établie simultanément à l’égard de ses deux parents, comme cela a été le cas en l’espèce.
Il résulte, en effet, des travaux parlementaires relatifs à la prédite loi du 23 décembre 2005, que le législateur, en modifiant l’article 57 du Code civil, permettant ainsi aux parents de choisir le nom qu’ils souhaitent attribuer à leurs enfants, a entendu parfaire l’égalité entre les hommes et les femmes en accordant aux deux parents des droits égaux. Le libellé de l’article 57, alinéa 3, en ce qu’il prévoit « lorsque la filiation d’un enfant est établie simultanément à l’égard de ses parents, au plus tard le jour de la déclaration de la naissance, ces derniers choisissent le nom qui lui est dévolu », relate d’ailleurs expressément cette liberté de choix accordée désormais aux parents.
Force est toutefois de relever que l’article 57, alinéa 3, du Code civil traite uniquement de l’attribution du nom de l’enfant par les parents au moment de la naissance, de sorte que cet article ne remet pas en cause la fixité et la pérennité du nom, une fois celui-ci attribué, impliquant que, conformément à l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II et de l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal an IX, précités, un changement du nom attribué au moment de la naissance ne peut être autorisé qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes, circonstances et raisons qui, tel que le tribunal l’a retenu ci-avant, ne sont en l’occurrence pas données.
Le moyen tenant à une violation par la décision attaquée du principe égalitaire inscrit à l’article 57 du Code civil est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
En conclusion, l’arrêté grand-ducal du 19 novembre 2018 n’encourt aucune critique en ce qu’il y a été retenu que la demanderesse n’avait fait état ni de circonstances exceptionnelles, ni de raisons importantes justifiant le changement de nom sollicité dans le chef de son enfant mineur.
Au vu de ce qui précède, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de l’arrêté grand-ducal déféré.
Eu égard à l’issue du litige, la demande de Madame … visant à se voir allouer une indemnité de procédure de … euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute, rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
met les frais et dépens de l’instance à charge de la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 juillet 2020 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 10