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13/07/2020 | LUXEMBOURG | N°40623

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2020, 40623


Tribunal administratif N° 40623 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2018 2e chambre Audience publique du 13 juillet 2020 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement particulier

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40623 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018 par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Madame …, demeurant à …, tendant à l’annulation de :

« (…) 1) « la décision...

Tribunal administratif N° 40623 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2018 2e chambre Audience publique du 13 juillet 2020 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement particulier

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40623 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018 par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à …, tendant à l’annulation de :

« (…) 1) « la décision du Ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017, notifiée en date du 13 octobre 2017, approuvant sur base de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, les décisions du conseil communal de Luxembourg des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 et portant rejet de sa réclamation du 19 mai 2017, sinon la déclarant irrecevable ;

2) la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017, rejetant la réclamation du 17 juillet 2016 et approuvant le projet d’aménagement général de la Ville de Luxembourg ainsi que les projets d’aménagements particuliers « quartier existant » (PAP QE) (…) » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 17 janvier 2018, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie L-2090 Luxembourg, 42, Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2018 par Maître Anne Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2018 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son Ministre d’Etat ;

Vu la requête en prorogation des délais pour déposer le mémoire en réponse ainsi que le mémoire en duplique, présentée par Maître Albert Rodesch, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en date du 21 février 2018 ;

Vu les avis des 8 et 12 mars 2018 du tribunal administratif fixant les délais pour déposer les mémoires en réponse, réplique et duplique ;

Vu les accords de toutes les autres parties avec la mesure sollicitée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2018 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître Anne Bauler, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2018 par Maître Martine Lamesch au nom de la partie demanderesse ;

Vu le mémoire en dupplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2019 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2019 par Maître Anne Bauler, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que les décisions attaquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Martine Lamesch, Maître Jonathan Holler en remplacement de Maître Anne Bauler, et Maître Rachel Jasbinzek, en remplacement de Maître Albert Rodesch, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mai 2019.

Lors de sa séance publique du 13 juin 2016, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par le « conseil communal », se déclara d’accord, en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », « (…) pour lancer la procédure d’adoption du nouveau projet d’aménagement général (PAG) de la Ville de Luxembourg, parties écrite et graphique accompagnées des documents et annexes prescrits par la législation y relative (…) » et « (…) charge[a] le collège des bourgmestre et échevins de procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et à l’article 7 de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (…) ».

Le 14 juin 2016, le collège des bourgmestre et des échevins de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », se déclara d’accord, en vertu de l’article 30, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, pour « (…) engager la procédure d’adoption des premiers plans d’aménagement particuliers « quartiers existants » de la Ville de Luxembourg, parties écrite et graphique et de les soumettre à la procédure d’adoption en les déposant à l’inspection du public et en les transmettant pour avis à la cellule d’évaluation de la Commission d’aménagement instituée auprès du Ministère de l’Intérieur ainsi qu’au Ministère de l’environnement et à la Direction de la Santé (…) ».

Par courrier de son litismandataire du 17 juillet 2016, Madame …, déclarant agir en sa qualité de propriétaire d’un immeuble sis à …, …, situé sur la parcelle inscrite au Cadastre de la Commune de Luxembourg, section … de Hollerich, sous le numéro …, désignée ci-après « la parcelle … », et d’un immeuble sis à Luxembourg, …, sur une parcelle inscrite au Cadastre de la Commune de Luxembourg, section … de Hollerich, sous le numéro …, désignée ci-après par « la parcelle … », soumit au collège des bourgmestre et échevins des objections à l’encontre du projet d’aménagement particulier.

Lors de sa séance publique du 28 avril 2017, le conseil communal, d’une part, statua sur les objections dirigées à l’encontre du projet d’aménagement général et, d’autre part, adopta ledit projet, « (…) tel qu’il a été modifié suite aux réclamations et avis ministériels reçus (…) ».

Parallèlement et lors de la même séance publique, le conseil communal, d’une part, statua sur les objections dirigées à l’encontre des projets d’aménagement particulier « quartier existant » et, d’autre part, adopta les parties graphiques et la partie écrite de ces derniers, « (…) sous [leur] forme revue et complétée (…) ».

Par décision du 5 octobre 2017, le ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », approuva la délibération, précitée, du conseil communal du 13 juin 2016, de même que celle du 28 avril 2017 portant adoption du projet d’aménagement général, tout en statuant sur les réclamations lui soumises, en déclarant fondées une partie de celles-ci et en apportant, en conséquence, certaines modifications aux parties graphique et écrite du plan d’aménagement général, désigné ci-après par le « PAG ».

Par une seconde décision du 5 octobre 2017, le ministre, approuva la délibération, précitée, du conseil communal du 28 avril 2017 portant adoption des projets d’aménagement particulier « quartier existant » et statuant sur les objections lui soumises. Cette décision du ministre est libellée comme suit :

« (…) Par la présente, j'ai l'honneur de vous informer que j'approuve la délibération du conseil communal du 28 avril 2017 portant adoption des projets d'aménagement particulier « quartier existant » de la Ville de Luxembourg.

Or, conformément à ma décision d'approbation du projet de la refonte du plan d'aménagement général de la Ville de Luxembourg de ce jour, modifiant les délimitations des plans d'aménagement particulier « quartier existant » sur les plans de repérage et les parties graphiques afférents, je vous prie de me faire parvenir des versions coordonnées de la partie écrite et de la partie graphique des plans d'aménagement particulier « quartier existant » adaptées en conséquence.

De manière générale, je tiens encore à soulever que toutes les réclamations introduites à l'encontre du vote des plans d'aménagement particulier « quartier existant » ne sont pas recevables.

En effet, le Législateur n'a pas prévu la possibilité d'introduire une réclamation auprès du ministre de l'Intérieur contre le plan d'aménagement particulier « quartier existant » alors qu'il a uniquement prévu dans l'article 16 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain que les réclamants puissent exclusivement porter leurs objections contre le projet d'aménagement général devant le ministre de l'Intérieur.

Cette décision est basée sur l'article 30 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de « 1) (…) la décision du Ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017, notifiée en date du 13 octobre 2017, approuvant sur base de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, les décisions du conseil communal de Luxembourg des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 et portant rejet de sa réclamation du 19 mai 2017, sinon la déclarant irrecevable. 2) (…) la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017, rejetant la réclamation du 17 juillet 2016 et approuvant le projet d’aménagement général de la Ville de Luxembourg ainsi que les projets d’aménagements particuliers « quartier existant » (PAP QE). ».

Le tribunal relève, à titre liminaire, qu’à côté de la refonte globale du PAG de la Ville de Luxembourg, il a été procédé à l’adoption, non pas d’un plan d’aménagement particulier (« PAP ») unique, mais d’une pluralité de PAP « quartier existant », désigné ci-après par « PAP QE », couvrant le territoire de la Ville de Luxembourg. C’est ainsi que l’article A de la partie écrite des PAP QE prévoit, tant en sa version initiale qu’en sa version approuvée par le ministre, que « (…) Le tissu bâti existant de la Ville de Luxembourg, dénommée par la suite la Ville, est subdivisé en plans d’aménagement particulier « quartier existant », sur la base du plan d’aménagement général.

Les plans d’aménagement particulier « quartier existant », appelés par la suite PAP QE, sont subdivisés par type de zone, comme suit :

(…) - Le PAP QE du secteur protégé des Ensembles Sensibles [SPR-es] (…) ».

Selon l’article A.1 de ladite partie écrite1, non modifié quant au fond au cours de la procédure, « Les PAP QE sont localisés dans un plan de repérage et représentés par un encadré définissant le type de zone ainsi que le gabarit de la construction et autre spécificité le cas échéant. ».2 Ainsi, même s’ils partagent une partie écrite commune, comprenant, d’une part, des dispositions générales et, d’autre part, des dispositions spécifiques, les différents PAP QE adoptés par les autorités communales et de tutelle constituent néanmoins juridiquement des actes réglementaires distincts.

Il ressort des pièces versées en cause que le plan de repérage, auquel il est fait référence à l’article A.1 de la partie écrite des PAP QE, se compose de cinq plans dénommés respectivement « PAP QE – Nord », « PAP QE 2 – Centre Ouest », « PAP QE 3 – Centre Est », « PAP QE 4 – Centre Sud » et « PAP QE 5 – Sud ».

En ce qui concerne concrètement les parcelles … et … de la demanderesse, le tribunal constate d’abord qu’il ressort de la partie graphique du PAG qu’elles sont classées en « zone d’habitation 2 [HAB-2] », superposée d’un « secteur protégé de type – environnement construit © », désignée ci-

après par la « zone [HAB-2] ». Il se dégage ensuite du plan de repérage « PAP QE 4 – Centre Sud » que les parcelles litigieuses sont soumises au PAP QE du secteur protégé des Ensembles Sensibles, désigné ci-après par le « PAP QE [SPR-es] », et que les constructions situées sur la parcelle … sont marquées de deux triangles rouges, indiquant, d’après la légende dudit plan de repérage, les « immeubles pour lesquels une démolition et des nouvelles constructions principales peuvent être admises ».

Etant donné que tant dans la requête introductive d’instance que dans son mémoire en réplique, la demanderesse limite la portée de son recours aux immeubles sis aux numéros … et …, c’est-à-dire aux parcelles … et …, dont elle est le propriétaire et que dans le cadre de son mémoire en 1 Version finale.

2 Version initiale de l’article A. 1 de la partie écrite des PAP « quartier existant » : « Les PAP QE sont localisés dans un plan de repérage et représentés par un encadré définissant le type de zone ainsi que le gabarit des constructions et une autre spécificité le cas échéant. ».

réplique elle précise (i) expressément que son recours est dirigé « explicitement que contre les décisions communales et ministérielles portant adoption des PAP QE » et que « le recours est dirigé contre les « décisions précitées en ce qu’elles portent approbation des PAP QE » », (ii) qu’un recours contentieux séparé a été introduit contre les décisions portant adoption, respectivement approbation du PAG et (iii) que la référence à l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 au lieu de l’article 30 de la même loi doit « être vue comme une simple erreur matérielle », le recours sous examen est, a priori sous réserve des développements que le tribunal fera dans le cadre de l’analyse de la recevabilité du recours, à interpréter comme visant les seules décisions communale et ministérielle portant adoption, respectivement approbation du PAP QE couvrant les fonds litigieux, à savoir, le PAP QE [SPR-es].

Toujours à titre liminaire et avant de procéder à l’analyse du recours sous examen, il échet de préciser qu’à l’audience publique des plaidoiries, sur question afférente du tribunal, les litismandataires des différentes parties en cause n’ont soulevé aucune contestation relative à la notification entre eux de l’ensemble des mémoires respectifs, par actes d’avocat à avocat, au cours de la procédure contentieuse.

I) Quant à la compétence Les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’elles concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire. Les décisions d’approbation du ministre participent au caractère réglementaire des actes approuvés3, étant précisé que le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision litigieuse du 5 octobre 2017 ayant statué sur la réclamation introduite par la demanderesse, intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.

Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.

II) Quant à la loi applicable Le tribunal précise que la procédure d’adoption d’un PAP est prévue par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017, (v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire et (vi) par la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.

Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des actes déférés et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif est amené à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation 3 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 49 et les autres références y citées.

de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise4, les modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par les lois, précitées, des 17 avril et 18 juillet 2018, adoptées et entrées en vigueur postérieurement à la prise des actes déférés, ne sont pas à prendre en considération en l’espèce.

Selon les dispositions transitoires figurant à l’article 108ter (1) de la loi du 19 juillet 2004, tel que modifié en dernier lieu par la loi précitée du 1er août 2011, « La procédure d’adoption des projets d’aménagement général, dont la refonte complète a été entamée par la saisine de la commission d’aménagement avant le 1er août 2011, peut être continuée et achevée conformément aux dispositions du Titre 3 de la présente loi qui était en vigueur avant le 1er août 2011.

La procédure d’adoption des projets d’aménagement particulier, qui a été entamée avant le 1er août 2011, peut être continuée et achevée conformément aux dispositions du Titre 4 de la présente loi qui étaient en vigueur avant le 1er août 2011. ».

Le tribunal rappelle que les PAP QE ont été adoptés parallèlement à la refonte globale du PAG de la Ville de Luxembourg et que la procédure afférente a été entamée par la délibération susvisée du collège échevinal du 14 juin 2016, soit après la date butoir du 1er août 2011, fixée par l’article 108ter (1), alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004.

Il suit de ces constats que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est – sous réserve des précisions faites ci-après – celle résultant des modifications opérées par les lois des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015 et 3 mars 2017.

S’agissant plus particulièrement de l’applicabilité de cette dernière loi, le tribunal relève que dans un arrêt du 24 septembre 2015, portant le numéro 36179C du rôle5, la Cour administrative a retenu ce qui suit : « (…) Si le droit administratif est notamment régi par le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle, celui-ci ne s’applique néanmoins en principe qu’aux situations juridiques nées postérieurement à la date normale de son entrée en vigueur après sa publication, ainsi qu’aux situations encore dépourvues de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. En outre, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les autorités compétentes sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés puissent prétendre à un droit acquis à voir leur cas traité par l’autorité désignée comme compétente par les dispositions antérieures (…). En revanche, le principe de non-rétroactivité des lois commande que ne soient pas remis en cause les actes déjà valablement accomplis (…) ».

Dès lors, si la procédure d’adoption du PAP litigieux a certes débuté avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 mars 2017, laquelle a eu lieu le 1er avril 2017, en application de l’article 76 de ladite loi, tel que relevé ci-avant, il n’en reste pas moins qu’à cette dernière date, la procédure en question était toujours en cours, de sorte à devoir être qualifiée de procédure pendante, respectivement de situation juridique dépourvue de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il s’ensuit que conformément aux principes dégagés par la Cour administrative dans l’arrêt, précité, du 24 septembre 2015, cette dernière loi doit s’appliquer à la procédure en question dès son entrée en vigueur en date du 1er avril 2017. Ainsi, le tribunal doit en tenir compte, dans le cadre de l’examen de la légalité des décisions déférées des 28 avril 2017 et 5 octobre 2017, toutes adoptées postérieurement au 1er avril 2017.

III) Quant à la recevabilité 4 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.

5 Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 81.

La partie étatique soulève l’irrecevabilité du recours sous examen au motif qu’il ne serait dirigé qu’à l’encontre de la délibération du conseil communal du 28 avril 2017 et non point contre la décision ministérielle d’approbation de ladite délibération. Or, le recours contre la seule délibération de l’autorité soumise à tutelle serait irrecevable, alors qu’à défaut d’approbation, l’acte ne serait pas susceptible de faire grief.

L’administration communale, de son côté, conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours principal en réformation au motif que la loi ne prévoirait pas de recours au fond en matière de plan d’aménagement. Elle conclut encore à l’irrecevabilité du recours pour défaut, sinon insuffisance de l’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse au motif que sous l’ancien PAG, dit « PAG Joly », les parcelles litigieuses auraient été « classées en « zone d’habitation 4 – ensemble sensible » qui n’aurait pas formulé en elle-même une interdiction de démolition, sinon une servitude de conservation, alors que sous l’égide du PAP QE [SPR-es], elles seraient intégrées dans le secteur protégé des ensembles sensibles et partiellement recouvertes de triangles rouges, de sorte qu’une démolition et une reconstruction seraient admises. Or, il serait de jurisprudence constante qu’en matière de contentieux administratif et notamment dans le domaine de l’urbanisme, l’intérêt à agir s’apprécierait in concreto et ne serait donné qu’à la condition que les décisions attaquées soient de nature à faire grief au demandeur et donc si elles affectent négativement sa situation par une aggravation concrète de sa situation de propriétaire. Dans la mesure où tel ne serait pas le cas en l’espèce, le recours serait à déclarer irrecevable.

Enfin, l’administration communale conclut à l’irrecevabilité du recours au motif qu’il viserait les décisions communales et ministérielles, tant en ce qu’elles concerneraient l’adoption, respectivement l’approbation du PAG qu’en ce qu’elles viseraient l’adoption, respectivement l’approbation du PAP QE. Ainsi, dans la mesure où lesdites décisions n’auraient pas le même objet et ne seraient pas fondées sur des considérations de base identiques et qu’il ressortirait de la jurisprudence que tout recours devrait être introduit par requête séparée, le recours devrait être déclaré irrecevable.

La demanderesse conclut au rejet de l’ensemble de ces moyens pour ne pas être fondés et donc à la recevabilité de son recours.

Le tribunal constate de prime abord que le moyen d’irrecevabilité du recours avancé par la partie étatique au motif qu’il ne serait dirigé qu’à l’encontre de la délibération du conseil communal du 28 avril 2017 et non point contre la décision ministérielle d’approbation de ladite délibération est à rejeter pour manquer en fait. En effet, qu’il ressort sans équivoque tant de la requête introductive d’instance que du mémoire en réplique de la demanderesse que le recours tend à l’annulation de la décision du conseil communal du 28 avril 2017 ayant adopté les projets d’aménagement particulier QE ainsi que la décision ministérielle du 5 octobre 2017 portant approbation de ladite décision du conseil communal du 28 avril 2017.

En ce qui concerne ensuite l’argumentation soulevée par l’administration communale selon laquelle le recours serait irrecevable au motif qu’il viserait les décisions ministérielles tant en ce qu’elles concernent le PAG que les PAP QE, alors que deux recours séparés auraient dû être introduits, l’un concernant les décisions relatives au PAG et l’autre concernant les décisions relatives aux PAP QE, le tribunal constate qu’à première vue tout porte, en effet, à croire que la requête introductive d’instance de la demanderesse vise tant la décision ministérielle portant approbation du PAG que celle visant les PAP QE, étant donné qu’elle énonce être dirigée contre : « la décision du ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017, notifiée en date du 13 octobre 2017, approuvant sur base de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, les décisions du conseil communal de Luxembourg des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 et portant rejet de sa réclamation du 19 mai 2017, sinon a déclarant irrecevable », sans autre précision. De surcroît, la demanderesse se réfère dans le cadre de l’énoncé des décisions attaquées dans la requête introductive d’instance à l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 ayant exclusivement trait à la procédure d’approbation du PAG. Il n’en demeure toutefois pas moins que les moyens avancés par la demanderesse à l’appui de son recours sont dirigés exclusivement contre le PAP QE. De surplus, tel que le tribunal vient de le préciser, la demanderesse insiste explicitement dans le cadre son mémoire en réplique sur le fait que son recours est dirigé « explicitement que contre les décisions communales et ministérielles portant adoption des PAP QE ». Elle précise en outre que « le recours est dirigé contre les « décisions précitées en ce qu’elles portent approbation des PAP QE » » et que la référence à l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 au lieu de l’article 30 de la même loi doit « être vue comme une simple erreur matérielle ». Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, ainsi qu’au fait qu’un recours contentieux séparé a été introduit par la demanderesse contre les décisions portant approbation du PAG – inscrit sous le numéro 40622 du rôle – le tribunal est amené à conclure que le recours vise les seules décisions communales et ministérielle portant adoption, respectivement, approbation du PAP QE couvrant les fonds litigieux, à savoir le PAP QE [SPR-es]. Le moyen d’irrecevabilité afférent soulevé par l’administration communale est donc à rejeter.

L’administration communale conclut encore à l’irrecevabilité du recours principal en réformation. Ce moyen d’irrecevabilité est à rejeter pour la simple raison que la demanderesse n’a pas introduit de recours principal en réformation, mais ne vise par sa requête introductive d’instance que l’annulation des décisions déférées.

Enfin, l’administration communale soulève encore l’irrecevabilité du recours au motif d’un défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse.

Aux termes de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, « (1) Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent.

(2) Ce recours n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’une lésion ou d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain. (…) ».

Pour justifier d’un intérêt à agir, il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle.6 Quant à la question de l’intérêt à agir en matière de PAP, il ressort d’une jurisprudence constante des juridictions administratives7 que le recours introduit devant le juge administratif contre un projet d’aménagement général communal n’est recevable qu’à condition de l’épuisement de la procédure non contentieuse de réclamation, entraînant qu’en particulier l’omission d’emprunter la voie de la réclamation à adresser au gouvernement à l’encontre de la délibération portant adoption d’un projet entraîne l’irrecevabilité omisso medio du recours devant le juge administratif. Il ressort 6 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 11 et les autres références y citées.

7 Cour adm., 17 avril 2008, n° 23846C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 258 et les autres références y citées, ainsi que trib. adm., 24 mars 2004, n° 16556 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 103 et les autres références y citées, de même que trib. adm., 8 décembre 2014, n° 33918 du rôle, confirmé par Cour. adm., 12 mai 2015, n° 35730C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 101 et les autres références y citées.

de cette même jurisprudence qu’en contrepartie, peu importe que cette réclamation ait été déclarée irrecevable ou non fondée par le ministre, le réclamant en question dispose d’un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision ministérielle prise à son encontre et, plus loin, de la délibération communale ainsi approuvée, de sorte que son recours en annulation est recevable sous l’aspect de l’intérêt à agir au-delà de toutes autres considérations, fussent-elles du domaine politique.

Sur base d’une motivation analogue, les juridictions administratives admettent que l’administré ayant introduit une réclamation à l’encontre d’un projet d’aménagement particulier auprès du collège échevinal dispose – peu importe que sa réclamation ait été déclarée irrecevable ou non fondée par le conseil communal – d’un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision de ce dernier prise à son encontre et, plus loin, de la décision ministérielle portant approbation de la décision en question, de sorte que son recours en annulation est recevable sous l’aspect de l’intérêt à agir au-

delà de toutes autres considérations – fussent-elles du domaine politique.8 En l’espèce, le tribunal relève qu’il est constant en cause que la demanderesse a formulé des objections à l’encontre du projet de PAP QE auprès du collège des bourgmestre et échevins par son courrier précité du 17 juillet 2016. Il se dégage, par ailleurs, des pièces versées en cause, notamment du tableau renseignant les réponses données par le conseil communal aux différentes réclamations lui soumises, que lors de sa délibération du 28 avril 2017, le conseil communal a partiellement fait droit à la réclamation de la demanderesse en ordonnant l’indication sur le plan de repérage des PAP QE de deux triangles rouges sur deux bâtiments situés sur la parcelle …, tout en rejetant l’objection pour le surplus. Ladite délibération du conseil communal a ensuite été approuvée par décision ministérielle du 5 octobre 2017.

Eu égard aux considérations qui précèdent, la demanderesse dispose, partant en l’espèce d’un intérêt à agir suffisant par le seul fait que ses objections dirigées contre le projet d’aménagement particulier ont été partiellement rejetées par le conseil communal, sous l’approbation du ministre.

Le moyen d’irrecevabilité afférent encourt, dès lors, à son tour, le rejet.

En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal est amené à conclure que le recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre la décision du conseil communal du 28 avril 2017 et contre la décision ministérielle du 5 octobre 2017 portant adoption, respectivement approbation du PAP QE [SPR-es], est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

IV) Quant au fond A titre liminaire, le tribunal relève qu’il lui appartient de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’inscrivent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties, l’examen des moyens tenant à la légalité externe devant précéder celui des moyens tenant à la légalité interne, étant précisé qu’après avoir jugé les qualités et intérêt à agir d’une personne comme étant vérifiés, la juridiction administrative ne vérifie pas l’intérêt au moyen9.

8 Cour adm., 29 janvier 2015, n° 35429C du rôle, trib. adm., 1er août 2018, n° 37781 du rôle, trib. adm., 4 octobre 2018, n° 39421 du rôle et trib. adm., 17 décembre 2018, n° 40897 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu ; voir aussi, pour des PAP adoptés selon la procédure en vigueur avant l’entrée en vigueur de la loi du 28 juillet 2011 : Cour. adm., 19 janvier 2012, n° 28915C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 258.

9 Cour adm., 12 février 2015, n° 34667C, 34671C et 34683C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 8 ;

voir également : trib. adm. prés., 9 novembre 2015, n° 37082 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 34 et les autres références y citées.

Le tribunal précise, encore à titre liminaire, que les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations.10 Dans ce contexte, la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi précitée du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute. Dès lors, le tribunal est amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence est vérifiée, une erreur d’appréciation étant susceptible d’être sanctionnée dans la mesure où elle est manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité11.

S’il est partant certes vrai que le choix d’entériner ou de ne pas entériner la modification d’un plan d’aménagement relève d’une dimension politique et échappe comme tel au contrôle des juridictions de l’ordre administratif saisies d’un recours en annulation, il n’en demeure pas moins que tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir et cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidées dans leur décision, le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne portant dès lors pas sur l’opportunité, mais sur la réalité et la légalité des motifs avancés12.

Quant aux objectifs devant guider les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, ainsi que l’autorité ministérielle, dans le cadre de l’exercice de son contrôle tutélaire, il y a lieu de se référer à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, aux termes duquel « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par:

(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux;

(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire;

(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables;

(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités;

(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus;

10 Trib. adm., 20 octobre 2004, n° 17604 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 172 et les autres références y citées.

11 Trib. adm., 27 décembre 2007, n° 22243 du rôle, confirmé par Cour adm., 23 juillet 2008, n° 24055C du rôle, Pas. adm.

2018, V° Urbanisme, n°189 et les autres références y citées.

12 Trib. adm., 23 mars 2005, n° 18463 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 612 et les autres références y citées.

(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. ».

A) Quant au moyen tiré d’une atteinte aux droits de la défense ainsi que d’une violation du principe du contradictoire et d’une violation de l’article 10bis de la Constitution La demanderesse fait valoir que le fait que le ministre aurait décliné sa compétence pour statuer sur la réclamation dirigée contre le PAP QE constituerait une atteinte aux droits de la défense ainsi qu’une violation du principe du contradictoire, en lui ôtant une voie de recours précontentieuse.

Elle explique que les servitudes imposées par le PAP QE seraient beaucoup plus restrictives et contraignantes que celles figurant au PAG. La superposition sur ses parcelles par le PAG d’un « secteur protégé de type – environnement construit © » aurait pu paraître acceptable, toutefois, le PAP QE [SPR-es] lui imposerait des contraintes et conditions supplémentaires démesurées, notamment en ce que la démolition et le rehaussement de son immeuble sis, …, lui seraient désormais interdits. Dès lors, les dispositions du PAP QE [SPR-es] lui causeraient préjudice, bien plus que celles du PAG. Or, la procédure d’élaboration du PAP ne serait pas entourée des mêmes garanties procédurales que celle du PAG, notamment dans la mesure où aucune réunion d’aplanissement des différends ne serait prévue en matière d’élaboration d’un PAP.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, la demanderesse ajoute que les différentes procédures d’élaboration du PAG et du PAP aboutiraient à une différence de traitement injustifiée des objections introduites contre le PAG et de celles introduites contre le PAP, différence qui serait contraire à l’article 10bis (1) de la Constitution.

Les parties défenderesses concluent au rejet de ce moyen.

En ce qui concerne d’abord l’allégation d’une atteinte aux droits de la défense ainsi que d’une violation du principe du contradictoire, il échet de constater que la partie étatique affirme à juste titre qu’aucune disproportion de la procédure d’adoption du PAP QE ni aucune violation de normes supérieures par la procédure d’adoption du PAP QE ne peuvent résulter du seul fait que la procédure d’adoption du PAG comporterait davantage de garanties que la procédure d’élaboration d’un PAP QE. En effet, même dans l’hypothèse où la procédure d’adoption d’un PAG comportait plus de garanties du droit de propriété que la procédure d’adoption d’un PAP QE – analyse qui n’a pas été opérée en l’espèce – cela ne signifierait pas pour autant que la procédure d’adoption d’un PAP QE en elle-même, en tant que procédure autonome, ne protège pas suffisamment les droits des propriétaires.

Or, la demanderesse n’avance aucun moyen visant de manière distincte la procédure d’adoption d’un PAP QE, mais uniquement des arguments tirés d’une comparaison entre la procédure d’élaboration d’un PAP QE et celle d’un PAG, de sorte que sous ce point de vue, l’argumentation de la demanderesse est d’ores et déjà à rejeter.

La demanderesse soulève, encore, une différence de traitement injustifiée entre les administrés ayant introduit une objection dans le cadre de la procédure d’élaboration d’un PAP et les administrés ayant introduit une objection dans le cadre de la procédure d’élaboration d’un PAG et conclut à une violation de l’article 10bis de la Constitution. Au vu du libellé de cette argumentation, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse a entendu inviter le tribunal à saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle relative à la conformité de l’article 30 de la loi du 19 juillet 2004 – concernant la procédure d’élaboration d’un PAP - à l’article 10bis de la Constitution.

Dans ce contexte, il échet d’abord de préciser de manière générale qu’en application de l’article 6, alinéa 1er de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, la connaissance des questions de constitutionnalité de normes législatives appartient exclusivement à la Cour constitutionnelle. Ce n'est que si une des exceptions prévues à l'article 6, alinéa 2, de la même loi est donnée qu'une juridiction peut se dispenser de poser une question de conformité à la Constitution, à savoir si elle estime a) qu'une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement, b) que la question de la constitutionnalité est dénuée de tout fondement, ou c) que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.

En ce qui concerne plus particulièrement la violation de l’article 10bis de la Constitution soulevée par la demanderesse, il y a lieu de préciser que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent, aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but13.

En l’espèce, force est de constater que bien que le PAG ainsi que le PAP soient deux instruments de planification urbanistique et bien qu’ils interviennent tous les deux en matière d’aménagement communal, ils constituent néanmoins deux actes règlementaires distincts. En effet, le PAG se conçoit comme instrument posant le cadre général de la planification urbanistique, tandis que le PAP constitue un instrument d’exécution et de précision du PAG. Ainsi, les objectifs et missions du PAG, respectivement du PAP tels que fixés par les articles 5, 6 et 25 de la loi du 19 juillet 2004 diffèrent, dans la mesure où la fonction du PAG se résume à diviser le territoire communal en différentes zones et à arrêter l’affectation de ces zones, tandis que la fonction du PAP est de fixer les prescriptions urbanistiques applicables auxdites zones en exécution du PAG. De surcroît, tel que précisé par la Cour administrative dans le cadre de son arrêt du 29 janvier 2015, inscrit sous le numéro 35429C du rôle, en omettant, lors de la modification de la loi du 19 juillet 2004 par la loi du 28 juillet 2011, notamment, une deuxième possibilité de réclamation précontentieuse dans le cadre de l’élaboration d’un PAP, le législateur a essentiellement poursuivi un objectif de simplification et de raccourcissement de la procédure, qu’il a justifié par le fait que le PAP ne constitue que l’instrument d’exécution du PAG, auquel il est appelé à être conforme, de sorte qu’au niveau de l’adoption et de l’approbation du PAP, la personne intéressée aura déjà pu faire valoir sa prise de position à travers la procédure de participation de l’administré prévue antérieurement au niveau du PAG.

Il s’ensuit que les administrés présentant une objection dans le cadre de la procédure d’élaboration d’un PAG ne se trouvent pas dans la même situation que les administrés présentant une objection dans le cadre de la procédure d’élaboration d’un PAP. Ces administrés ne se trouvant pas dans la même situation de fait et de droit, il ne peut pas être reproché au législateur d’avoir prévu des procédures d’élaboration distinctes selon qu’il s’agit d’un PAG ou d’un PAP. En effet, le législateur peut, sans enfreindre le principe de l’égalité devant la loi, soumettre l’adoption de différents instruments juridiques à des procédures différentes.

13 trib. adm. 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 8 et les autres références y citées.

Il s’ensuit que la question préjudicielle que la demanderesse souhaite voir poser à la Cour constitutionnelle relative à la conformité de la procédure d’adoption d’un PAP QE à l’article 10bis de la Constitution est dénuée de tout fondement, de sorte que le tribunal est dispensé de l’obligation de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la conformité de l’article 30 de la loi du 19 juillet 2004 à l’article 10bis de la Constitution. Le moyen afférent est dès lors à rejeter.

B) Quant au moyen tiré d’une violation de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux La demanderesse fait valoir que le classement de ses parcelles en secteur protégé d’intérêt communal reviendrait à attribuer compétence au conseil communal de décider de ce qui appartiendrait au patrimoine culturel ou non. Or, en vertu de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments, désignée ci-après par « la loi du 18 juillet 1983 », le législateur aurait réservé la matière de la conservation et de la protection des sites et monuments nationaux au gouvernement en conseil. En vertu des articles 34 et 36 de la loi du 18 juillet 1983, il appartiendrait au ministre de la Culture de décider ce qui fait partie du patrimoine culturel ainsi que d’établir le cas échéant des secteurs sauvegardés. Il serait dès lors impossible pour une commune de prendre par le biais des instruments d’aménagement communal des décisions de classement ou des mesures de protection relevant de la compétence étatique. Il y aurait ingérence des autorités communales en la matière de classement des sites et monuments et il ne saurait être soutenu que les communes disposeraient d’une compétence spéciale pour la protection des immeubles expressément prévue par la loi du 19 juillet 2004, cette compétence appartenant indéniablement au ministre de la Culture. La demanderesse explique encore ne pas pouvoir suivre la jurisprudence du tribunal dans la mesure où elle n’arriverait pas à déceler de distinction entre deux instruments de protection du patrimoine culturel, à savoir une protection au niveau communal et une protection s’inscrivant dans un contexte plus général et national.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, la demanderesse conclut encore à une violation de l’article 10bis de la Constitution consacrant le principe de l’égalité devant la loi. Ainsi, les propriétaires de parcelles soumises à un classement en vue de la protection du patrimoine culturel, se trouvant dans une situation similaire, seraient soumis à un traitement différencié selon que leurs parcelles seraient classées sur base de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 ou selon qu’elles seraient classées sur base des articles 1er à 8, sinon 34, 35 ou 36 de la loi du 18 juillet 1983. En effet, un classement en vertu de la loi du 19 juillet 2004 n’ouvrirait droit à aucune information préalable ni à une indemnisation, tandis qu’un classement en application de la loi du 18 juillet 1983 serait précédé d’une information et ouvrirait droit à une indemnisation du préjudice subi. La demanderesse propose partant de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle relative à une éventuelle violation de l’article 10bis de la Constitution par les différences de traitement instituées pas les lois du 19 juillet 2004 et du 18 juillet 1983 entre des situations similaires.

La Ville de Luxembourg conclut de prime abord à l’irrecevabilité du moyen afférent au motif qu’il aurait d’ores et déjà été tranché par le tribunal administratif dans le cadre d’un jugement, non appelé, du 25 septembre 2017, inscrit sous le numéro 37637 du rôle.

Tant la Ville de Luxembourg que la partie étatique concluent encore au rejet du moyen pour ne pas être fondé.

Pour autant qu’à travers sa référence au jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2017, inscrit sous le numéro 37637 du rôle, la Ville de Luxembourg ait voulu invoquer l’autorité de la chose jugée, le tribunal constate que ce moyen est à rejeter, et ce, indépendamment de la question de l’admissibilité d’un argument fondé sur la recevabilité d’un moyen. En effet, conformément à l’article 1351 du Code civil, les décisions définitives des juridictions administratives sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Cela suppose une triple identité, à savoir, l’identité des parties ainsi que l’identité d’objet et de cause, l’identité des juridictions appelées à statuer n’étant pas requise14.

L’autorité de la chose jugée s’oppose à ce qu’un acte administratif ayant fait l’objet d’une décision définitive soit remis en cause par un nouveau recours15. Concrètement, en l’espèce, il échet de constater que le recours inscrit sous le numéro 37637 du rôle – ayant abouti au jugement précité du 25 septembre 2017 – était dirigé contre une modification ponctuelle de l’ancien PAG Joly, tandis que le recours sous examen est dirigé contre les décisions communale et ministérielle du 28 avril, respectivement 5 octobre 2017 portant adoption, respectivement approbation des PAP QE de la Ville de Luxembourg. L’identité d’objet entre les deux procédures contentieuses n’étant manifestement pas donnée, aucune irrecevabilité tirée d’une exception de l’autorité de chose jugée ne saurait jouer en l’espèce.

En ce qui concerne ensuite le bien-fondé de l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la protection du patrimoine culturel relèverait exclusivement de la compétence du ministre de la Culture, il échet d’abord de préciser la situation législative en matière de protection du patrimoine culturel.

Ainsi, aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 : « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par: (…) (e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ; (…) ».

L’article 1er de la loi du 18 juillet 1983 dispose que : « Les immeubles, nus ou bâtis, dont la conservation présente au point de vue archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, sont classés comme monuments nationaux en totalité ou en partie par les soins du Gouvernement, selon les distinctions établies par les articles ci-après.

Sont compris parmi les immeubles susceptibles d'être classés, aux termes de la présente loi, les monuments mégalithiques et les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques.

Il en est de même des immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement, ainsi que, d'une façon générale, des immeubles, nus ou bâtis, situés dans le périmètre de protection d'un immeuble classé ou proposé pour le classement.

Un arrêté du Gouvernement en conseil détermine les monuments auxquels s'applique cette extension et délimite le périmètre de protection propre à chaque immeuble classé. (…) ».

Le tribunal constate que le législateur a mis en place deux régimes distincts de protection du patrimoine culturel en adoptant, d’une part, la loi du 18 juillet 198316 et en insérant, d’autre part, à l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 parmi les missions mises à charge des communes le « respect du patrimoine culturel ». Force est de constater, indépendamment de toute question relative à leurs 14 Le contentieux administratif en droit luxembourgeois par Rusen Ergec, mis à jour par Francis Delaporte, in Pasicrisie administrative 2019, n°220.

15 op. cit., n°160.

16 entretemps modifiée par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus ».

effets concrets, que ces deux régimes de protection sont distincts comme relevant de la compétence d’autorités différentes et répondant à des critères spécifiques inscrits de part et d’autre dans des corps de textes différents à appliquer respectivement, chacun dans son propre contexte17. Ainsi, tandis que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 vise à assurer une protection des sites et monuments culturels et historiques au niveau communal, les dispositions de la loi du 18 juillet 1983 s’inscrivent plutôt dans un contexte général et tendent au niveau national à la protection du patrimoine culturel et historique18. Il s’ensuit que le ministre, voire le gouvernement en conseil, au niveau de la procédure prévue par la loi du 18 juillet 1983 et le conseil communal au niveau de la procédure mise en place par la loi du 19 juillet 2004, statuent chacun dans sa propre sphère de compétence19.

Force est dès lors au tribunal de constater que le conseil communal, en intégrant les parcelles de la demanderesse dans le PAP QE [SPR-es], a agi dans le cadre de sa propre sphère de compétence, lui attribuée par l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004, et n’a point, tel que soutenu par la demanderesse, contourné la procédure prescrite par la loi du 18 juillet 1983. Le moyen tiré d’un dépassement de ses compétences par le conseil communal est donc à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite l’argumentation de la demanderesse basée sur une violation du principe de l’égalité consacré par l’article 10bis de la Constitution, le tribunal rappelle qu’il vient de préciser que ledit principe de l’égalité ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, de sorte qu’il appartient aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but20.

En l’espèce, force est d’abord au tribunal de constater que les propriétaires de parcelles et de constructions dignes d’être soumises à un régime de protection du patrimoine culturel se trouvent a priori dans une situation similaire que la protection envisagée soit fondée sur la loi du 18 juillet 1983 ou sur la loi du 19 juillet 2004. Toutefois, tel que la Ville de Luxembourg l’affirme à juste titre, aucune différence de traitement objective ne saurait être constatée entre la situation du propriétaire dont la construction est classée sur le fondement de la loi du 18 juillet 1983 et celui dont la construction est classée sur base de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004. En effet, si l’alinéa 3 de l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983 prévoit certes une notification individuelle de la proposition de classement au propriétaire de l’immeuble concerné, ainsi qu’un droit au paiement éventuel d'une indemnité représentative du préjudice pouvant résulter pour lui des servitudes et obligations du classement, les articles 12 à 18, 22, 30 et 33 de la loi du 19 juillet 2004 prévoient, à leur tour, d’un côté, la publication tant des projets d’aménagement général que des projets d’aménagement particulier ainsi qu’une procédure précontentieuse d’aplanissement des différends – permettant la participation active de l’intéressé dans la procédure d’élaboration du plan d’aménagement – et, de 17 Trib. adm. 26 février 2003, n° 14987 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n°313.

18 V. à ce sujet l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 18 juillet 1983, énonçant l’objectif dudit projet comme suit : « la préservation de la continuité historique dans l'environnement est essentielle pour le maintien ou la création d'un cadre de vie qui permette à l'homme de trouver son identité et d'éprouver un sentiment de sécurité face aux mutations brutales de la société : un nouvel urbanisme cherche à retrouver les espaces clos, l'échelle humaine, l'interprétation des fonctions et la diversité socio-culturelle qui caractérisent les tissus urbains anciens". (Déclaration d'Amsterdam adoptée en 1975 à l'issue du Congrès sur le patrimoine architectural européen). ». Doc. parl 2191, p.2164 19 V. en ce sens : Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28102C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Sites et monuments, n°23.

20 trib. adm. 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 8 et les autres références y citées.

l’autre côté, le droit de demander une « indemnisation résultant des servitudes découlant d’un plan d’aménagement » général respectivement particulier. Etant donné qu’aucune différence objective de traitement ne saurait être constatée entre le propriétaire dont la parcelle est classée en application de la loi du 18 juillet 1983 et celui dont la parcelle est classée en application de la loi du 19 juillet 2004, la question préjudicielle relative à la conformité à l’article 10bis de la Constitution de l'article 2 de la loi du 19 juillet 2004 est dénuée de tout fondement. Dès lors, et dans la mesure où, tel que le tribunal vient de le préciser, une juridiction peut se dispenser de saisir la Cour constitutionnelle d’une question de conformité à la Constitution, notamment si la question de la constitutionnalité est dénuée de tout fondement, le tribunal est dispensé en l’espèce de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle soulevée par les demandeurs.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses volets.

C) Quant au moyen consistant en une opposition à toute interdiction de démolition et tiré d’une illégalité de l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, désigné ci-

après par « le règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 »21 Dans la continuité de son moyen tiré d’une violation de la loi du 18 juillet 1983, la demanderesse affirme que même dans l’hypothèse où l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 poursuit l’objectif de garantir le respect du patrimoine culturel, cet article ne saurait être lu comme « conférant pouvoir d’établir et de définir des secteurs protégés dans le sens d’une interdiction de démolition d’immeubles ». Ainsi, ledit article 2 ne constituerait pas une base légale assez claire et précise pour pouvoir justifier une ingérence aussi grave dans le droit de propriété qu’une interdiction de démolition.

Dans le même contexte, la demanderesse fait encore valoir que l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 ne saurait constituer une base légale suffisante pour conférer compétence au conseil communal à travers le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune de créer des secteurs protégés et ensuite pour donner compétence au conseil communal à travers son PAG de définir des servitudes de type environnement construit affectant les propriétés. L’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, édicté sur base de l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, serait donc illégal pour défaut de base légale, sinon pour avoir dépassé la base habilitante, de sorte qu’il ne devrait pas être appliqué sur base de l’article 95 de la Constitution.

Tant l’administration communale que la partie étatique concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne d’abord l’argumentation de la demanderesse selon laquelle l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 ne saurait valoir comme base légale d’une interdiction de démolition, le tribunal rappelle qu’il vient de préciser que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 confère la compétence au conseil communal de veiller au « respect du patrimoine culturel ». Une telle mission de maintien du respect du patrimoine culturel, afin de pouvoir être efficacement exécutée et de ne pas être dénuée de tout sens, doit implicitement mais nécessairement comporter la compétence d’édicter des interdictions de démolition. L’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 peut donc valablement servir 21 entretemps abrogé par le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement d’une commune, mais applicable au recours sous examen ainsi qu’au PAG litigieux dans la mesure où les dispositions transitoires figurant à l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 précité prévoient que : « Toutefois, jusqu’au 8 août 2018, le collège des bourgmestre et échevins peut entamer la procédure d’adoption d’un projet d’aménagement général basé sur une étude préparatoire élaborée conformément aux dispositions du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 précité. ».

de base légale à une servitude urbanistique comportant une interdiction de démolir, destinée à préserver le patrimoine culturel.

Pour autant qu’à travers ses contestations selon lesquelles l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 accorderait au conseil communal la compétence pour définir le patrimoine culturel et des secteurs sauvegardés alors qu’il faudrait « au préalable que des immeubles aient été renseignés comme tel pour faire l’objet d’une protection », la demanderesse ait entendu soulever la contrariété dudit article 2 aux articles 36 et 76 de la Constitution, le tribunal relève que la question de constitutionnalité ainsi soulevée est, elle aussi, à écarter pour être dénuée de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu de saisir la Cour constitutionnelle. En effet, en vertu du principe de l’autonomie communale, consacré par l’article 107 de la Constitution, aux termes duquel « (…) Les communes forment des collectivités autonomes, à base territoriale, possédant la personnalité juridique et gérant par leurs organes leur patrimoine et leurs intérêts propres (…) », les autorités communales sont investies d’une certaine puissance de commandement, appelée pouvoir communal, par opposition au pouvoir central. Ce pouvoir communal, qui dérive de la puissance souveraine, n’existe qu’en vertu de la loi et dans les limites qu’elle détermine et il est fonction du pouvoir central en ce sens que le pouvoir central est diminué dans la proportion où la loi le décharge de certains devoirs d’intérêt purement local pour les conférer aux autorités communales.22 En d’autres termes, la loi peut charger directement les autorités communales de la mission de réglementer, en vertu de leur pouvoir réglementaire propre, certaines matières d’intérêt communal, dans les limites qu’elle détermine, sans devoir passer par un règlement grand-ducal. C’est exactement ce que le législateur a fait par le biais de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, en permettant aux autorités communales de définir elles-mêmes, par voie réglementaire, des servitudes urbanistiques destinées à protéger les sites et monuments d’un point de vue esthétique, respectivement à protéger ou à garantir l’harmonie et la cohérence architecturale d’un quartier ou d’une partie d’un quartier.

En ce qui concerne ensuite le volet du moyen tiré d’une non-conformité de l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 à l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 et donc d’une illégalité dudit article 33 du règlement grand-ducal, le tribunal constate qu’il est, à son tour, à rejeter.

Il échet d’abord de constater que le règlement grand-ducal du PAG du 28 juillet 2011 indique avoir été adopté sur base de l’article 9, paragraphe 1er de la loi du 19 juillet 2004.

Aux termes dudit article 9 « (1) Le plan d’aménagement général d’une commune se compose d’une partie écrite et d’une partie graphique qui se complètent réciproquement.

L’échelle du plan d’aménagement général, le contenu de ses parties graphique et écrite, notamment les définitions des diverses zones, le mode et degré d’utilisation du sol et le pictogramme de la légende-type correspondante, sont arrêtés par règlement grand-ducal. (…) ».

Afin de connaître les définitions et objectifs du PAG dont le règlement grand-ducal est amené à fixer l’échelle ainsi que, notamment, le contenu des parties écrites et graphiques, ledit article 9 est à lire en combinaison avec notamment les articles 2 (e), 5 et 6 de la loi du 19 juillet 2004. Ainsi, tel que le tribunal vient de le préciser, l’article 2 (e) dispose qu’une des missions des communes est d’assurer le « respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage ». L’article 5 de ladite loi prévoit que « Le plan d’aménagement général est un ensemble de prescriptions graphiques et écrites à caractère réglementaire qui se complètent réciproquement et qui couvrent l’ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones dont elles arrêtent l’utilisation du sol. (…) ».

22 P. Majerus, « L’Etat luxembourgeois », Esch-sur-Alzette, Imprimerie Editpress, 6e édition, 1990, p. 324.

L’article 6 de la même loi dispose que « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. ».

L’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011, prévoit ce qui suit : « On distingue les secteurs protégés de type « environnement construit » et les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » d’importance communale.

Les secteurs protégés de type « environnement construit » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.

Les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des espaces naturels et des paysages dignes de protection ou de sauvegarde.

Ces secteurs sont soumis à des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection définies dans le plan d’aménagement général. Les secteurs protégés de type « environnement construit » sont marqués de la surimpression « C ». Les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » sont marqués de la surimpression « N ». ».

Dans la mesure où l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 porte exclusivement sur le contenu du PAG et donne compétence au règlement grand-ducal de fixer l’échelle du PAG, ainsi que le contenu de ses parties graphique et écrite, dont notamment les définitions des diverses zones, le mode et le degré d’utilisation du sol et, dans la mesure où les secteurs protégés d’intérêt communal de type « environnement construit » instaurés par l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 participent directement à la réglementation, à travers le PAG, de l’utilisation du sol et sont destinés à protéger le patrimoine culturel, ledit article 33 est valablement fondé sur l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, de sorte que son application n’est pas à écarter pour défaut de base légale en vertu de l’article 95 de la Constitution.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses volets.

D) Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 16 de la Constitution La demanderesse fait valoir que le PAP litigieux poserait des restrictions importantes au droit de propriété et toucherait à une matière réservée par la Constitution à la loi. Le droit de propriété serait constitutionnellement protégé et toute entrave à son égard devrait être prévue par la loi. L’Etat conserverait le droit de réglementer la propriété et d’en restreindre l’usage dans l’intérêt général.

Dans la mesure où les dispositions du PAP interdiraient, notamment, la démolition de l’immeuble sis à …, suivie d’une reconstruction, les trois prérogatives du droit de propriété – l’usus, le fructus et l’abusus – auraient été enlevées, sinon fortement limitées par les servitudes imposées par le PAP QE. La demanderesse explique encore que les dispositions du PAP QE [SPR-es] l’empêcheraient d’adapter ses immeubles aux normes de sécurité et de standard actuels. Ainsi, le fructus, s’en trouverait fortement diminué, puisqu’en raison de la vétusté des immeubles et de leur configuration une location s’avérerait très difficile. De même, en cas de vente, un prix dérisoire lui serait offert, de sorte qu’elle ne pourrait plus librement disposer de sa propriété. Même la destruction et la réalisation d’un nouvel immeuble au numéro … ne serait pas aisée en raison du fait que cet immeuble devrait s’adapter aux immeubles avoisinants. Or, une limitation de l’usage du droit de propriété qui aboutirait à supprimer l’intérêt légitime de la possession équivaudrait à une expropriation. De surcroît, le principe de la sécurité juridique et des droits acquis ne serait pas respecté puisque les droits essentiels du droit de propriété lui seraient enlevés par le PAP.

La demanderesse fait encore valoir que les matières réservées à la loi ne pourraient pas faire l’objet d’une exécution générale par voie de règlement grand-ducal et a fortiori non plus par règlement communal. Le principe de l’autonomie communale ne saurait pas non plus justifier cette absence de base légale.

La demanderesse conclut en affirmant que le tribunal devrait retenir que la disposition réglementaire figurant à l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 ne disposerait pas de base légale suffisante, sinon qu’elle aurait dépassé sa base légale habilitante sinon qu’il y aurait violation de la « disposition qu’il ne peut y avoir d’habilitation générale dans les matières réservées à la loi par la Constitution ». A titre subsidiaire, ils concluent que les limitations au droit de propriété imposées par le PAP équivaudraient à une expropriation et, à titre plus subsidiaire encore, que les servitudes imposées restreindraient leur droit de propriété de telle manière qu’au titre de l’article 22 de la loi du 19 juillet 2004, une action en indemnisation leur serait ouverte pour le préjudice subi.

Tant l’administration communale que la partie étatique concluent au rejet du moyen afférent pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 16 de la Constitution « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de manière établis par la loi. » Force est en l’espèce en premier lieu de constater qu’aucun transfert de propriété des parcelles de la demanderesse n’a été décidé ou ne s’est opéré, de sorte qu’en principe, aucune expropriation au sens de l’article 16 de la Constitution ne peut être constatée.

Le tribunal constate ensuite qu’il est vrai que l’article D. 10 de la partie écrite des PAP QE intitulé : « Dispositions et conditions esthétiques pour les PAP QE « secteur protégé des Ensembles Sensibles » », limite l’usage de la propriété de la demanderesse, notamment, en ce qu’il impose le respect du style de l'immeuble en cas de travaux aux parties extérieures des immeubles, ainsi que l’utilisation de matériaux qui ne doivent pas s'écarter des matériaux naturels utilisés traditionnellement dans la région et qui sont en concordance avec le style de l'immeuble et déterminées de concert avec la Ville de Luxembourg.

Dans le contexte de telles servitudes d’urbanisme imposées par les plans d’aménagement, la Cour constitutionnelle, par un arrêt rendu en date du 4 octobre 201323, tout en consacrant le principe de la mutabilité des plans d’aménagement général et en soulignant que le juge administratif n’était pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, mais que les propriétaires concernés pouvaient se pourvoir, le cas échéant, devant le juge judiciaire en vue de l’allocation d’une indemnité éventuelle, a déclaré contraires à l’article 16 de la Constitution les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 posant en principe que les servitudes résultant d’un PAG n’ouvrent droit à aucune indemnité et prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du 23 Cour constitutionnelle, 4 octobre 2013, n° … du registre.

terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l’utilité publique. Dans le même arrêt, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la considération qu’elle avait retenue dans son arrêt du 26 septembre 200824, selon laquelle un changement dans les attributs de la propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation.

Deux conclusions s’imposent donc. D’une part l’article 16 de la Constitution n’érige pas de manière générale le droit de propriété en matière réservée à la loi, mais se limite à interdire l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique, moyennant juste indemnité et dans les cas et de la manière établis par la loi, de sorte que seule l’expropriation constitue une matière réservée à la loi, étant précisé, dans ce contexte, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point essentiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation.25 Cependant, étant donné que les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 n’autorisent pas les autorités communales à prendre des règlements en matière d’expropriation, mais seulement à réglementer l’usage des biens, par le biais de mesures destinées à protéger les sites et monuments, respectivement le caractère harmonieux d’un quartier ou d’une partie de quartier, et que la réglementation de l’usage des biens n’est pas une matière réservée à la loi par la Constitution, ces dispositions légales ne se heurtent manifestement pas à l’article 16 de la Constitution, ni d’ailleurs à l’article 32 (3) de la Constitution.

D’autre part, la Cour constitutionnelle n’a pas retenu que de manière générale, toute servitude d’urbanisme constituait une expropriation, mais elle a en revanche retenu de manière nuancée que seul un changement dans les attributs de la propriété à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation. Cette nuance a, d’ailleurs, bien été relevée par le Conseil d’Etat dans son avis du 18 novembre 2014 par rapport au projet de loi relatif à la modification de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire26.

En l’espèce, si l’obligation de respecter le style de l’immeuble et d’utiliser certains matériaux en cas de travaux affecte certes le droit de propriété de la demanderesse, dans le sens où elle n’est pas tout à fait libre, par exemple de transformer, voire de démolir ses constructions et de les reconstruire à sa guise, elle n’est toutefois pas privée de sa propriété et ladite servitude n’apporte que certaines limitations au droit de propriété, sans pour autant affecter un des trois attributs classiques du droit de propriété dans sa substance. L’« usus », l’ « abusus » et le « fructus » restent, en effet, dans leur substance intacts. Il s’ensuit que le classement des parcelles en PAP [SPR-es] n’entrave pas les attributs du droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation. Les servitudes frappant les immeubles de la demanderesse ne sont dès lors pas à considérer comme expropriation et ne tombent par conséquent pas dans le champ d’application de l’article 16 de la Constitution. L’argumentation afférente est partant à rejeter.

Pour ces mêmes motifs, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle « (…) le principe de la sécurité juridique et des droits acquis (…) » n’aurait pas été respecté, au motif que des attributs essentiels du droit de propriété lui auraient été enlevés, est également à rejeter, étant encore précisé que la mutabilité des plans d’aménagement relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné, de sorte que les parties intéressées, dont les propriétaires d’immeubles, n’ont pas un droit acquis au maintien d’une réglementation communale d’urbanisme donnée.27 24 inscrit sous le numéro … du registre.

25 Cour const., 26 septembre 2008, n°… du registre et Cour const., 4 octobre 2013, numéro … du registre.

26 Conseil d’Etat, avis n° 50.683, disponible sur http://www.conseil-etat.public.lu/fr.

27 Trib. adm., 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm., 20 décembre 2001, n° 13291C du rôle, Pas. adm.

2018, V° Urbanisme, n° 184 et les autres références y citées.

Le moyen tiré d’une violation de l’article 16 de la Constitution est donc rejeté dans son intégralité pour n’être fondé dans aucun de ses volets.

E) Quant au moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation La demanderesse soutient que le classement de ses parcelles en PAP QE [SPR-es] lui serait hautement préjudiciable et non conforme aux objectifs recherchés par la Ville de Luxembourg. Selon l’article 29 de la partie écrite du PAG, les immeubles classés en secteur protégé devraient répondre aux critères d’authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, de sa rareté, de l’exemplarité du type de bâtiment, de l’importance architecturale, du témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle. Or, ses immeubles ne rempliraient aucun desdits critères et aucune évaluation ou expertise n’aurait été menée à ce sujet par la Ville de Luxembourg. La rue … ne présenterait aucune harmonie ni aucune typologie des constructions y présentes et aucune composition urbaine digne de protection. D’ailleurs, l’article D.10.2 de la partie écrite des PAP QE parlerait de parties ou tronçons de rue qui constituent de par leur caractère harmonieux et de par leur composition urbaine des ensembles cohérents, dignes d’être conservés dans leur ensemble. Selon la demanderesse, à suivre cette considération, ses immeubles, de même que le tronçon de la rue …, n’auraient pas dû faire l’objet du classement critiqué puisque « assurément cette rue [ne serait] pas caractérisée par une composition urbaine cohérente ». De plus, en parlant de « partie du territoire » ou de « tronçons de rue », le classement d’immeubles situés que d’un côté d’une rue serait exclu. Il ne suffirait pas non plus que dans un quartier seuls deux immeubles, en l’occurrence les numéros … et …, présentent un aspect similaire pour pouvoir soutenir qu’il existe une cohérence dans l’image urbaine. L’immeuble en face des immeubles litigieux comporterait cinq étages et s’étalerait sur plusieurs parcelles. L’immeuble sis au numéro … de la rue …, de l’avis même de la Ville de Luxembourg, ne serait pas digne de protection. Les immeubles situés aux numéros … à … de la rue … se caractériseraient par une « laideur exemplaire » et ne sauraient être qualifiés de dignes de protection. Enfin, il résulterait d’une délibération du conseil communal du 26 janvier 2015 relative à une modification ponctuelle du PAG Joly, que la Ville de Luxembourg entendrait classer des parties ou tronçons de rue qui constitueraient des « ensembles » dignes de protection. Ce critère ferait toutefois défaut en l’espèce, selon la demanderesse. La demanderesse ajoute qu’il ne s’agirait pas, en l’espèce, de critiquer un choix politique, mais de vérifier si les autorités communales et étatiques ont fait la balance entre les enjeux en cause.

Tant le délégué du gouvernement que l’administration communale concluent au rejet du moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

Le tribunal précise d’abord qu’aux termes de l’article 29 de la partie écrite du PAG : « Les secteurs protégés d'intérêt communal de type «environnement construit» constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d'immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l'immeuble pour l'histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.

Ces secteurs couvrent des quartiers ou parties de quartiers qu'il s'agit de préserver pour conserver l'identité et l'histoire urbanistique de la Ville (…) ».

L’article D.10.2 de la partie écrite des PAP dispose quant lui que : « Les PAP QE « secteur protégé des ensembles sensibles » comprennent certaines parties ou tronçons de rue du territoire de la Ville qui constituent, de par leur caractère harmonieux et de par leur composition urbaine, des ensembles cohérents, dignes d'être conservés dans leur ensemble. ».

Au vu des photographies versées en cause par la Ville de Luxembourg, le tribunal constate que compte tenu de leur aspect extérieur et, notamment, de leurs gabarits analogues, de leur alignement et de leur architecture similaire, les immeubles situés aux numéros … et … de la rue … forment un tronçon de rue constituant, de par son caractère harmonieux et de par sa composition urbaine, un ensemble cohérent digne d’être conservé dans son ensemble au sens de l’article D.10.2 de la partie écrite des PAP QE. Compte tenu de ces mêmes éléments, ainsi que des explications de la partie étatique selon lesquelles le principe de la mutabilité des PAG permet aux autorités d’éviter à l’avenir des erreurs urbanistiques commises dans le passé et de maintenir un tissu urbain digne de protection et qui renvoie dans ce contexte à un jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2017, inscrit sous le numéro 37637 du rôle, ayant d’ores et déjà conclu au caractère harmonieux des immeubles sis aux numéros … et … de la rue … le tribunal retient que les autorités communales et de tutelle ont valablement, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation et conformément aux objectifs d’intérêt général d’un développement harmonieux des structures urbaines et de la protection du patrimoine culturel, au sens de l’article 2 (b) et (e) de la loi du 19 juillet 2004, pu classer les parcelles de la demanderesse en PAP QE [SPR-es], afin de protéger la cohérence de cet ensemble et l’image urbaine qui en découle.

S’il est exact que les constructions érigées sur la parcelle sise au numéro … ne présentent aucune caractéristique digne de protection, le classement de cette parcelle en « zone protégée – ensembles sensibles » ainsi qu’en PAP QE [SPR-es] se justifie néanmoins afin de garantir que d’éventuelles constructions futures y érigées n’auront pas pour effet de porter atteinte à la cohérence de l’ensemble formé par les bâtiments sis aux numéros … et … de la rue …, mais s’y intégreront de façon harmonieuse, conformément aux susdits objectifs d’intérêt général.

Même à supposer qu’eu égard aux contraintes en résultant, ce classement des immeubles de la demanderesse devrait entraîner une perte de surfaces pouvant potentiellement servir à la location tel que soutenu par Madame …, l’argumentation afférente de l’intéressée revient à critiquer un choix politique de la part des autorités communales et de tutelle, à savoir celui de privilégier les objectifs d’intérêt général de la protection du patrimoine culturel et du développement harmonieux des structures urbaines à celui de la création ou du maintien de logements. Or, dans la mesure où le tribunal vient de préciser que la mission du juge de la légalité lui conférée à travers l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, l’argumentation en question encourt le rejet. Pour le même motif, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne les développements de la demanderesse quant à l’existence de solutions alternatives au classement litigieux.

Il suit de l’ensemble des considérations que le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, respectivement d’une atteinte à l’intérêt général est à rejeter pour ne pas être fondé.

F) Quant au moyen tiré d’une violation l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH », ci-après désigné par « le premier Protocole » La demanderesse soutient ensuite que l’intégration de ses parcelles en PAP QE [SPR-es] aurait pour effet de porter une atteinte à ce point substantielle à l’exercice des attributs de ses droits de propriété qu’il y aurait non seulement violation de l’article 16 de la Constitution mais également de l’article 1er du premier Protocole. Elle soutient que le respect de cette disposition exigerait que toute restriction portée au droit de propriété, même s’il s’agissait de la limitation de l’usage d’un bien, devrait résulter d’une loi, qui devrait être accessible et précise. En second lieu, la restriction, qui devrait être d’interprétation stricte, devrait être dictée par l’intérêt général. En présence d’une restriction apportée au droit de propriété, les juridictions nationales devraient vérifier le respect du principe de proportionnalité, plus particulièrement l’existence d’un juste équilibre entre les exigences d’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits de l’individu. La demanderesse fait valoir qu’en l’espèce, l’intégration de ses immeubles dans le PAP QE [SPR-es] et donc l’interdiction de démolition et le respect de critères esthétiques ne résulteraient pas d’une loi, mais d’une délibération du conseil communal.

Par ailleurs, la nature et l’étendue de la restriction ne seraient définies nulle part de manière précise et dépendraient « du bon vouloir de l’administration communale ». Dès lors, la restriction de son droit de propriété ne résulterait pas d’un texte d’application générale accessible et précis, contrairement aux exigences découlant de l’article 1er du premier Protocole.

Par ailleurs, ladite restriction ne serait pas justifiée par des considérations d’intérêt général.

N’importe quel objectif ne pourrait pas justifier une restriction aux droits et libertés. Les restrictions devraient être définies par référence aux intérêts de la collectivité ou des droits d’autrui au sein de la société et seraient d’interprétation stricte. Selon la demanderesse, les autorités communales et ministérielle justifieraient en l’espèce l’intérêt général par le souci de préserver un ensemble cohérent formé par les immeubles situés aux numéros … et … de la rue …. Or, tout ensemble cohérent ferait défaut en l’espèce et l’homogénéité entre les immeubles sis aux numéros … et … de la rue … pourrait être maintenues par d’autres moyens, notamment, en imposant aux propriétaires des critères esthétiques.

Enfin, la demanderesse fait valoir qu’en présence d’une restriction du droit de propriété, le principe de proportionnalité devrait être respecté entre les moyens employés et le but visé.

Ainsi, l’impératif de l’existence d’un juste équilibre entre la poursuite de l’intérêt général et la sauvegarde du droit de propriété n’aurait pas été respecté en l’espèce. Elle ajoute qu’elle ne pourrait pas utiliser le potentiel et le degré de constructibilité qui aurait été en principe admissible dans la rue ….

Tant la partie étatique que l’administration communale concluent au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH intitulé : « Protection de la propriété » « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition prévoit deux types de limites au droit de propriété, à savoir, en son alinéa 1er, l’expropriation et, en son alinéa 2, la réglementation de l’usage des biens.

Etant donné que le tribunal vient de retenir, dans le cadre de l’analyse du moyen tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution, que le classement des parcelles de la demanderesse en PAP QE [SPR-es] n’équivalait pas à une expropriation, le moyen sous analyse encourt le rejet pour autant qu’il a trait à une privation de propriété contraire à l’alinéa 1er du premier Protocole.

Dans la mesure où, tel que le tribunal vient de le constater, le classement en PAP QE [SPR-

es] correspond à une limitation de l’usage des biens immobiliers en question, il y a lieu d’analyser si cette limitation est conforme aux exigences de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH ».

Il ressort du libellé même de l’article 1er, alinéa 2 du premier Protocole qu’une restriction de l’usage de la propriété doit être prévue par la loi, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, d’après la demandeuesse.

Il se dégage de la jurisprudence constante de la CourEDH, que la « loi », au sens de la CEDH, ne vise pas une loi au sens formel du terme, tel que suggéré par la demanderesse, mais englobe le droit écrit et le droit non écrit et qu’une ingérence est « prévue par la loi », si elle a une base en droit interne. Il faut encore que la « loi » soit suffisamment accessible : le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite. En s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé.28 Le tribunal ne partage pas l’argumentation de la demanderesse selon laquelle, en l’espèce, les restrictions portées à son droit de propriété ne seraient pas prévues par la « loi », au sens de la jurisprudence de la CourEDH, au motif que leur nature et leur étendue ne seraient définies nulle part.

En effet, l’article 29 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit expressément que les prescriptions d’un PAP QE visent notamment à garantir l’intégration des constructions et aménagements dans les zones urbanisées. Par ailleurs, l’article D.10.2 de la partie écrite des PAP QE, applicable au PAP QE [SPR-es] et limité exclusivement aux « Dispositions spécifiques et conditions esthétiques » dudit PAP QE, énumère les dispositions et servitudes applicables dans ledit secteur. Un tel PAP QE constitue un acte à caractère normatif adopté conformément au cadre juridique tracé, notamment, par la Constitution et par la loi du 19 juillet 2004. L’ingérence dans le droit de propriété dispose donc bien d’une base en droit interne. Par ailleurs, la disposition normative qui prévoit les restrictions litigieuses au droit de propriété est suffisamment accessible, compte tenu, d’une part, de la publication au Mémorial de l’ensemble des textes normatifs sur base desquels le PAP QE, en ce compris lesdites « dispositions spécifiques », ont été adoptés, et, d’autre part, du fait qu’en vertu de l’article 82 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, le texte des règlements du conseil communal ou du collège échevinal, tels que le PAG et le PAP QE « (…) est à la disposition du public, à la maison communale, où il peut en être pris copie sans déplacement, le cas échéant contre remboursement (…) ». Quant au critère de précision, s’il est exact que le libellé dudit article D.10.2. peut susciter un besoin d’interprétation quant aux notions de « parties ou tronçons de rue », « caractère harmonieux », « composition urbaine » ou encore « ensembles cohérents, dignes d'être conservés dans leur ensemble », cette seule circonstance n’est pas de nature à emporter une violation de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, étant donné que ce libellé n’est pas d’une imprécision telle qu’une interprétation par l’administré, assisté, le cas échéant, d’un professionnel du droit, s’avérerait impossible. Le tribunal déduit de ces considérations que les restrictions litigieuses portées au droit de 28 Voir, entre autres : CourEDH, 2 août 1984, affaire Malone c. Royaume-Uni, Requête n° 8691/79, n° 66.

propriété de la demanderesse résultent d’une « loi », au sens de disposition normative, suffisamment précise et accessible, conformément aux exigences se dégageant de la jurisprudence de la CourEDH.

Par ailleurs, la condition selon laquelle une réglementation de l’usage des biens doit être conforme à l’intérêt général, telle qu’inscrite à l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, est également remplie en l’espèce, le tribunal venant de retenir que les décisions déférées répondent à une finalité d’intérêt général, à savoir la protection du patrimoine culturel et la poursuite d’un développement harmonieux des structures urbaines, de sorte que les contestations afférentes de la demanderesse sont à rejeter.

Il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que c’est à juste titre que la demanderesse soutiennt qu’à l’instar d’une privation de la propriété, une restriction de l’usage des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Ainsi, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la CourEDH reconnaît à l’Etat concerné une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause.29 La demanderesse fait valoir que ce « juste équilibre » ferait défaut en l’espèce, compte tenu du préjudice financier lui causé par les décisions déférées et de l’absence de compensation de la perte ainsi subie.

Le tribunal relève en premier lieu qu’en principe, l’existence d’une compensation financière n’est une condition au respect du « juste équilibre » requis entre l’intérêt général de la collectivité et l’intérêt individuel que pour la seule privation de biens et non en cas de réglementation de l’usage des biens. L’absence d’indemnisation ne saurait constituer à elle seule une mesure disproportionnée.30 S’il est exact que les contraintes résultant de l’article D.10.2 de la partie écrite des PAP QE limitent indéniablement la liberté de la demanderesse dans le choix du projet immobilier à réaliser, elle peut toutefois toujours user de ses biens et les mettre en valeur, de sorte que le tribunal ne saurait constater de rupture du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu.

Il n’y a, dès lors, pas eu de violation des exigences de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, contrairement à ce que soutient la demanderesse.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation de l’article 1er du premier Protocole est à rejeter dans chacune de ses branches.

H) Quant à une rupture de l’égalité devant les charges publiques La demanderesse fait encore valoir que l’intégration de ses immeubles dans le PAP QE [SPR-

es] entraînerait une rupture de l’égalité devant les charges publiques. A l’appui de ce moyen, elle fait valoir que tous les immeubles de la rue …, à l’exception de l’immeuble sis au numéro …, présenteraient des volumes beaucoup plus importants et écraseraient littéralement la maison sise au numéro …. Conformément à la réglementation antérieure, elle aurait eu le droit de réaliser une construction de quatre étages ainsi qu’un retrait. Or, ce droit lui serait désormais dénié et elle devrait 29 CourEDH, Grande Chambre, 29 avril 1999, Affaire Chassagnou et autres c. France, Requêtes nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, n° 75.

30 JurisClasseur Europe Traité, Fasc. 6523 : CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME - Droits garantis - Droit de propriété et droit à la non-discrimination, à jour au 29 Février 2016, n° 80 et les jurisprudences y citées.

payer pour les erreurs commises dans le passé. Elle ajoute que lesdites charges seraient disproportionnées par rapport à l’utilité publique à la base des servitudes. Il s’agirait d’une décision incisive par rapport à son droit d’user pleinement de sa propriété par rapport aux immeubles voisins, de sorte que le principe d’une compensation indemnitaire devrait être acquis. Les dispositions du PAP QE litigieux, même si, par impossible, elles étaient légales, lui causeraient de façon inattendue et involontaire un préjudice excédant la charge incombant normalement aux autres individus de la collectivité, de sorte qu’il y aurait rupture de l’égalité devant les charges publiques.

L’administration communale et la partie étatique concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

Le principe de l’égalité devant les charges publiques fait partie de la légalité et doit partant être observé par l’autorité administrative dans son action. Les règlements communaux doivent être pris à la fois dans l’intérêt général et dans l’intérêt communal, de même qu’ils sont appelés à respecter la loi considérée non seulement dans ses dispositions législatives proprement dites, mais également dans les textes et principes de la Constitution. Lorsque le pouvoir réglementaire communal, à l’instar de la loi, poursuit un objectif d’intérêt général, il peut arriver qu’il soit amené à édicter des mesures susceptibles de poser à un ou plusieurs citoyens, se trouvant entre eux dans la même situation, un préjudice spécial et grave. Le pouvoir réglementaire communal peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes réglementaires différents à la condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.31 En l’espèce, la demanderesse ne soutient pas que le PAP QE [SPR-es] traiterait, sans motif légitime, de façon différente des catégories de personnes se trouvant dans une situation identique ou comparable. Ainsi, elle ne fait pas valoir que d’autres immeubles comparables à ses propres immeubles n’auraient pas été intégrés dans le PAP QE [SPR-es]. Pour autant qu’à travers ses développements, selon lesquels d’autres immeubles situés dans la rue … présenteraient des volumes beaucoup plus importants, alors que le droit de réaliser de pareils constructions lui serait désormais dénié, la demanderesse ait entendu se prévaloir d’une inégalité de traitement résidant dans le principe même du changement de la réglementation urbanistique applicable aux immeubles de la rue …, les développements en question sont à écarter, étant donné que si le principe constitutionnel d’égalité interdit le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, il n’interdit néanmoins pas le changement, pour le futur, du traitement réservé à un type de situation. Admettre le contraire reviendrait à empêcher toute modification de la réglementation existante et, au niveau de l’urbanisme, à mettre à néant le principe de la mutabilité des PAG, expressément reconnu par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 4 octobre 2013, portant le numéro … du registre.

Il s’ensuit que le fait que, dans le passé, les immeubles situés dans la rue … n’aient pas été soumis aux servitudes applicables aux immeubles classés en PAP QE [SPR-es] n’est pas de nature à justifier l’annulation des décisions déférées, pour méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité. Le moyen tiré d’une violation de ce principe encourt, dès lors, le rejet.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse ayant trait au dommage excessif que lui causerait le classement litigieux de ses immeubles. A cet égard, le tribunal rappelle qu’il vient de conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée au droit de propriété de la demanderesse, de sorte que sous cet angle, l’argumentation sous analyse encourt le rejet. Par ailleurs, 31 Trib. adm., 8 octobre 2001, n° 13445 du rôle, confirmé par Cour adm., 7 mai 2002, n° 14197C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 77.

le tribunal relève que dans le susdit arrêt du 4 octobre 2013, la Cour constitutionnelle, saisie de la question de la conformité à l’article 16 de la Constitution de la loi du 19 juillet 2004, dans la mesure où elle permet, par la modification du PAG, le reclassement sans indemnisation de terrains d’une zone constructible en terrains d’une zone non constructible, a expressément reconnu le droit des pouvoirs publics d’instaurer des servitudes d’urbanisme dans un but d’utilité publique, ainsi que le principe de la mutabilité des PAG et a précisé que le juge administratif n’est pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, tout en relevant que « (…) les propriétaires touchés peuvent en revanche, conformément au droit commun, suivant la situation concrète du cas d’espèce, le cas échéant faire valoir devant le juge judiciaire un droit à indemnisation dépendant, notamment, de la situation du terrain, du caractère contraignant de la servitude et des projets concrets de viabilisation du terrain (…) ».

Il se dégage de cet arrêt que le tribunal ne saurait sanctionner le classement litigieux des immeubles de la demanderesse, au motif de l’absence d’indemnisation de ses conséquences pécuniaires, et qu’il est loisible à la demanderesse de faire valoir ses prétentions indemnitaires devant le juge judiciaire, seul compétent en la matière, auquel il appartiendra alors de faire la balance entre les servitudes imposées et l’utilité publique à leur base32.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

I) Quant aux demandes en allocation d’une indemnité de procédure ainsi qu’en distraction des frais La demande formulée par la demanderesse sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros est à rejeter au vue de l’issue du litige.

Enfin, la demande formulée par la partie étatique tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros est à rejeter, étant donné qu’elle omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie étatique.

Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire de la partie étatique qui la sollicite, affirmant en avoir fait l'avance, il convient de rappeler qu'il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le mandataire d'une partie, pareille façon de procéder n'étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative33.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours recevable ;

quant au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

32 Voir, sur ce dernier point : Cour adm., 18 décembre 2014, n° 34916C du rôle, cité in R. Ergec et F. Delaporte, Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2018, n° 274bis.

33 Trib. adm. 14 février 2001, n°11607 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n°1094 et les autres références y citées.

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros formulée par Madame … ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros formulée par la partie étatique ;

rejette la demande de distraction des frais au profit du mandataire de la partie étatique ;

condamne Madame … aux frais et dépens.

Ainsi jugé par:

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 13 juillet 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 28


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 40623
Date de la décision : 13/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-13;40623 ?

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