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13/07/2020 | LUXEMBOURG | N°40622

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2020, 40622


Tribunal administratif N° 40622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2018 2e chambre Audience publique du 13 juillet 2020 Madame …, …, contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40622 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018 par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, demeurant professionn

ellement à L-1651 Luxembourg, 13A, avenue Guillaume, au nom de Madame …, demeurant à … ...

Tribunal administratif N° 40622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2018 2e chambre Audience publique du 13 juillet 2020 Madame …, …, contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40622 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018 par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, demeurant professionnellement à L-1651 Luxembourg, 13A, avenue Guillaume, au nom de Madame …, demeurant à … tendant à l’annulation de : « (…) 1) « la décision du Ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017, notifiée en date du 13 octobre 2017, approuvant sur base de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, les décisions du conseil communal de Luxembourg des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 et portant rejet de sa réclamation du 19 mai 2017 ;

2) la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017, rejetant la réclamation du 17 juillet 2016 et approuvant le projet d’aménagement général de la Ville de Luxembourg (…) » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 17 janvier 2018, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie L-2090 Luxembourg, 42, Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2018 par Maître Anne Bauler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2018 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu la requête en prorogation des délais pour déposer le mémoire en réponse ainsi que le mémoire en duplique, présentée par Maître Albert Rodesch, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en date du 21 février 2018 ;

Vu les avis des 8 et 12 mars 2018 du tribunal administratif fixant les délais pour déposer les mémoires en réponse, réplique et duplique ;

Vu les accords de toutes les autres parties avec la mesure sollicitée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2018 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître Anne Bauler, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2018 par Maître Martine Lamesch au nom de la partie demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2019 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2019 par Maître Anne Bauler au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que les décisions attaquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Martine Lamesch, Maître Jonathan Holler en remplacement de Maître Anne Bauler, et Maître Rachel Jasbinzek, en remplacement de Maître Albert Rodesch, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mai 2019.

Lors de sa séance publique du 13 juin 2016, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par le « conseil communal », se déclara d’accord, en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », « (…) pour lancer la procédure d’adoption du nouveau projet d’aménagement général (PAG) de la Ville de Luxembourg, parties écrite et graphique accompagnées des documents et annexes prescrits par la législation y relative (…) » et « (…) charge[a] le collège des bourgmestre et échevins de procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et à l’article 7 de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (…) ».

Par courrier du 17 juillet 2016, Madame …, déclarant agir en sa qualité de propriétaire d’un immeuble sis à …, situé sur la parcelle inscrite au Cadastre de la Commune de Luxembourg, section … de Hollerich, sous le numéro …, désignée ci-après « la parcelle … », et d’un immeuble sis à …, sur une parcelle inscrite au Cadastre de la Commune de Luxembourg, section … de Hollerich, sous le numéro …, désignée ci-après par « la parcelle … », soumit au collège des bourgmestre et échevins des objections à l’encontre du projet d’aménagement général.

Lors de sa séance publique du 28 avril 2017, le conseil communal, d’une part, statua sur les objections dirigées à l’encontre du projet d’aménagement général et, d’autre part, adopta ledit projet, « (…) tel qu’il a été modifié suite aux réclamations et avis ministériels reçus (…) ».

Par décision du 5 octobre 2017, le ministre approuva la délibération, précitée, du conseil communal du 13 juin 2016, de même que celle du 28 avril 2017 portant adoption du projet d’aménagement général, tout en statuant sur les réclamations lui soumises, en déclarant fondées une partie de celles-ci et en apportant, en conséquence, certaines modifications aux parties graphique et écrite du plan d’aménagement général (« PAG »), la réclamation introduite par Madame … ayant, cependant, été déclarée non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Par la présente, j’ai l’honneur de vous informer que j’approuve les délibérations du conseil communal des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 portant adoption de la refonte du plan d’aménagement général (dénommé ci-après « PAG ») de la Ville de Luxembourg, présenté par les autorités communales.

Conformément à l’article 18 de loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain (dénommée ci-après « Loi ») j’ai fait droit à certaines objections et observations formulées par les réclamants à l’encontre du projet d’aménagement général.

La procédure d’adoption du projet d’aménagement général s’est déroulée conformément aux exigences des articles 10 et suivants de la Loi.

Les modifications ainsi apportées à la partie graphique et à la partie écrite du PAG sont illustrées dans la présente décision et en font partie intégrante. Il est laissé le soin aux autorités communales d’adapter les délimitations des plans d’aménagement particulier « quartier existant » sur les plans de repérage et les parties graphiques afférents et ce conformément aux modifications résultant de la décision ministérielle. Les autorités communales sont ainsi tenues de me faire parvenir des versions coordonnées de la partie écrite et de la partie graphique du PAG ainsi que des plans d’aménagement particulier « quartier existant » adaptés en conséquence.

Il est statué sur les réclamations émanant (…) de Maître Martine Lamesch au nom et pour le compte de Madame … (…) :

Ad réclamation … (rec …) La réclamante conteste le classement de fonds sis… et …, quartier de la Gare, en « secteur protégé d'intérêt communal "environnement construit" ».

Or, la réclamation est non fondée.

Effectivement, le classement de la maison principale, sise au … , comme « bâtiment protégé » est justifié, étant donné qu'il remplit, conformément à la jurisprudence constante en la matière (cf.

notamment un jugement du Tribunal administratif rendu en date du 9 juin 2016, n° 35751 du rôle), au moins un des critères fixés à l'article 33, alinéa 2, du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d'aménagement général, article qui dispose que « les secteurs protégés de type environnement construit » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d'immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l'immeuble pour l'histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle ».

En effet, le classement en « secteur protégé d'intérêt communal "environnement construit"© » est justifié du fait que la parcelle fait partie d'un ensemble protégé cohérent en ces endroits.

Subsidiairement, il y a lieu de constater que les bâtisses implantées au … sont classées en tant que « Immeubles pour lesquels une démolition et des nouvelles constructions principales peuvent être admises ».

En outre, les doléances formulées par la réclamante quant aux dispositions du plan d'aménagement particulier « quartier existant » (PAP QE) couvrant les fonds litigieux ne sont pas recevables dans le présent contexte. En effet, le Législateur n'a pas prévu la possibilité d'introduire une réclamation auprès du ministre de l'Intérieur contre le plan d'aménagement particulier « quartier existant » (PAP QE) alors qu'il a uniquement prévu dans l'article 16 de la Loi que les réclamants puissent exclusivement porter leurs objections contre le PAG devant le ministre de l'Intérieur. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de « 1) (…) la décision du Ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017, notifiée en date du 13 octobre 2017, approuvant sur base de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, les décisions du conseil communal de Luxembourg des 13 juin 2016 et 28 avril 2017 et portant rejet de sa réclamation du 19 mai 2017.

2) (…) la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017, rejetant la réclamation du 17 juillet 2016 et approuvant le projet d’aménagement général de la Ville de Luxembourg. ».

A titre liminaire et avant de procéder à l’analyse du recours sous examen, il échet de préciser qu’à l’audience publique des plaidoiries, sur question afférente du tribunal, les litismandataires des différentes parties en cause n’ont soulevé aucune contestation relative à la notification entre eux de l’ensemble des mémoires respectifs, par actes d’avocat à avocat, au cours de la procédure contentieuse.

I) Quant à la compétence Les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’elles concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire. Les décisions d’approbation du ministre participent au caractère réglementaire des actes approuvés1, étant précisé que le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision litigieuse du 5 octobre 2017 ayant statué sur la réclamation introduite par la demanderesse, intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.

Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation sous examen.

II) Quant à la loi applicable Le tribunal précise que la procédure d’adoption d’un PAG est prévue par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 49 et les autres références y citées.

2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017, (v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire et (vi) par la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.

Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des actes déférés et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif est amené à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise2, les modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par les lois, précitées, des 17 avril et 18 juillet 2018, adoptées et entrées en vigueur postérieurement à la prise des actes déférés, ne sont pas à prendre en considération en l’espèce.

Selon les dispositions transitoires figurant à l’article 108ter (1) de la loi du 19 juillet 2004, tel que modifié en dernier lieu par la loi précitée du 1er août 2011, « La procédure d’adoption des projets d’aménagement général, dont la refonte complète a été entamée par la saisine de la commission d’aménagement avant le 1er août 2011, peut être continuée et achevée conformément aux dispositions du Titre 3 de la présente loi qui était en vigueur avant le 1er août 2011. (…) ».

Le tribunal relève que le conseil communal a émis son vote positif, au sens de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004, en date du 13 juin 2016, de sorte que la saisine de la commission d’aménagement en application de l’article 11 de la même loi s’est a fortiori opérée après la date butoir du 1er août 2011, fixée par l’article 108ter (1), alinéa 1er de la loi du 19 juillet 2004.

Il suit de ces constats que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est – sous réserve des précisions faites ci-après – celle résultant des modifications opérées par les lois des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015 et 3 mars 2017.

S’agissant plus particulièrement de l’applicabilité de cette dernière loi, le tribunal relève que dans un arrêt du 24 septembre 2015, portant le numéro 36179C du rôle3, la Cour administrative a retenu ce qui suit : « (…) Si le droit administratif est notamment régi par le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle, celui-ci ne s’applique néanmoins en principe qu’aux situations juridiques nées postérieurement à la date normale de son entrée en vigueur après sa publication, ainsi qu’aux situations encore dépourvues de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. En outre, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les autorités compétentes sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés puissent prétendre à un droit acquis à voir leur cas traité par l’autorité désignée comme compétente par les dispositions antérieures (…). En revanche, le principe de non-rétroactivité des lois commande que ne soient pas remis en cause les actes déjà valablement accomplis (…) ».

Dès lors, si la procédure d’adoption du PAG litigieux a certes débuté avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 mars 2017, laquelle a eu lieu le 1er avril 2017, en application de l’article 76 de ladite loi, tel que relevé ci-avant, il n’en reste pas moins qu’à cette dernière date, la procédure en question était toujours en cours, de sorte à devoir être qualifiée de procédure pendante, respectivement de situation juridique dépourvue de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Il s’ensuit que conformément aux principes dégagés par la Cour administrative dans l’arrêt, précité, du 24 septembre 2015, cette dernière loi doit s’appliquer à la procédure en question dès son entrée en vigueur en date du 1er avril 2017. Ainsi, le tribunal doit en tenir compte, dans le cadre de l’examen 2 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.

3 Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 81.

de la légalité des décisions déférées des 28 avril 2017 et 5 octobre 2017, toutes adoptées postérieurement au 1er avril 2017.

III) Quant à la recevabilité a) Quant au moyen visant l’ « irrecevabilité du recours principal en réformation » L’administration communale de la Ville de Luxembourg, désignée ci-après par l’« administration communale », explique que la loi ne prévoirait pas la possibilité pour les juridictions administratives de statuer « en la présente matière » comme juge du fond, de sorte que le tribunal devrait se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation, sinon le déclarer irrecevable.

Cet argumentaire de l’administration communale encourt le rejet pour manquer en fait.

En effet, il ressort sans équivoque du libellé tant du corps que du dispositif de la requête introductive d’instance que la demanderesse ne vise que l’annulation des décisions déférées et n’a pas introduit à titre principal un recours au fond.

b) Quant au moyen d’irrecevabilité ayant trait à un défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse L’administration communale soulève encore l’irrecevabilité du recours, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Madame …. Elle soutient que sous l’ancien PAG, dit « PAG Joly », les parcelles … et … de la demanderesse auraient été classées en « zone d’habitation 4 – ensemble sensible », qui ne formulerait pas en elle-même une interdiction de démolition ou une servitude de conservation, voire une quelconque autre servitude urbanistique, tandis que le PAG refondu classerait lesdites parcelles en « zone d’habitation 2 [HAB-2] », désignée ci-après par la « zone [HAB-2] », superposée d’un « secteur protégé de type – environnement construit © ». Le plan d’aménagement particulier, désigné ci-après par le « PAP », « quartier existent », désigné ci-après par « QE », intégrerait, par ailleurs, les parcelles en question en « secteur protégé des ensembles sensibles [SPR-es] », désigné ci-après par le « secteur [SPR-es] », « avec partiellement triangles rouges – immeubles pour lesquels une démolition et des nouvelles constructions principales sont admises ».

Le statut urbanistique conféré aux parcelles précitées par le PAG refondu serait partant identique, sinon similaire au statut prévu par l’ancien PAG Joly.

Or, il serait de jurisprudence constante qu’en matière de contentieux administratif et notamment dans le domaine de l’urbanisme, l’intérêt à agir s’apprécierait in concreto et ne serait donné qu’à la condition que les décisions attaquées soient de nature à faire grief au demandeur et donc si elles affectent négativement sa situation par une aggravation concrète de sa situation de propriétaire. Dans la mesure où tel ne serait pas le cas en l’espèce, le recours serait à déclarer irrecevable.

La demanderesse conclut au rejet de ce moyen d’irrecevabilité.

Quant à la question de l’intérêt à agir en matière de PAG, le tribunal rappelle qu’il ressort d’une jurisprudence constante des juridictions administratives4 que le recours introduit devant le juge administratif contre un projet d’aménagement général communal n’est recevable qu’à condition de 4 Cour adm., 17 avril 2008, n° 23846C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 258 et les autres références y citées, ainsi que trib. adm., 24 mars 2004, n° 16556 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 103 et les autres références y citées, de même que trib. adm., 8 décembre 2014, n° 33918 du rôle, confirmé par Cour. adm., 12 mai 2015, n° 35730C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 101 et les autres références y citées.

l’épuisement de la procédure non contentieuse de réclamation, entraînant qu’en particulier l’omission d’emprunter la voie de la réclamation à adresser au gouvernement à l’encontre de la délibération portant adoption d’un projet entraîne l’irrecevabilité omisso medio du recours devant le juge administratif. Il ressort de cette même jurisprudence qu’en contrepartie, peu importe que cette réclamation ait été déclarée irrecevable ou non fondée par le ministre, le réclamant en question dispose d’un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision ministérielle prise à son encontre et, plus loin, de la délibération communale ainsi approuvée, de sorte que son recours en annulation est recevable sous l’aspect de l’intérêt à agir au-delà de toutes autres considérations, fussent-elles du domaine politique.

En l’espèce, il est constant que par courrier de son litismandataire du 17 juillet 2016, Madame … avait introduit une objection auprès du collège des bourgmestre et échevins contre le projet de refonte du PAG et il se dégage des pièces versées en cause, notamment du tableau renseignant les réponses données par le conseil communal aux différentes réclamations lui soumises, que dans le cadre de la prise de la décision d’adoption dudit projet, approuvée par le ministre, le conseil communal a fait droit à certains points de l’objection, tout en rejetant la réclamation pour le surplus.

Il est encore constant en cause que par courrier de son litismandataire du 19 mai 2017, la demanderesse avait introduit une réclamation auprès du ministre contre le projet d’aménagement général. Par la suite, le ministre a, à travers sa décision déférée du 5 octobre 2017, approuvé la délibération du conseil communal du 28 avril 2017 portant adoption du projet d’aménagement général, tout en déclarant la réclamation afférente de la demanderesse non fondée.

Eu égard aux considérations qui précèdent, Madame … dispose partant en l’espèce d’un intérêt à agir suffisant par le seul fait que sa réclamation dirigée contre le projet d’aménagement général a été rejetée par le ministre, respectivement par le conseil communal, avec l’approbation du ministre.

Le moyen d’irrecevabilité afférent encourt, dès lors, le rejet.

En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal est amené à conclure que le recours en annulation, en ce qu’il est dirigé contre la décision du conseil communal du 28 avril 2017 et contre la décision ministérielle du 5 octobre 2017, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

IV) Quant au fond A titre liminaire, le tribunal relève qu’il lui appartient de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’inscrivent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties, l’examen des moyens tenant à la légalité externe devant précéder celui des moyens tenant à la légalité interne, étant précisé qu’après avoir jugé les qualités et intérêt à agir d’une personne comme étant vérifiés, la juridiction administrative ne vérifie pas l’intérêt au moyen5.

Le tribunal précise, encore à titre liminaire, que les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de 5 Cour adm., 12 février 2015, n° 34667C, 34671C et 34683C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 8 ;

voir également : trib. adm. prés., 9 novembre 2015, n° 37082 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 34 et les autres références y citées.

l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations.6 Dans ce contexte, la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi précitée du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute. Dès lors, le tribunal est amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence est vérifiée, une erreur d’appréciation étant susceptible d’être sanctionnée dans la mesure où elle est manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité7.

S’il est partant certes vrai que le choix d’entériner ou de ne pas entériner la modification d’un plan d’aménagement relève d’une dimension politique et échappe comme tel au contrôle des juridictions de l’ordre administratif saisies d’un recours en annulation, il n’en demeure pas moins que tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir et cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidées dans leur décision, le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne portant dès lors pas sur l’opportunité, mais sur la réalité et la légalité des motifs avancés8.

Quant aux objectifs devant guider les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, ainsi que l’autorité ministérielle, dans le cadre de l’exercice de son contrôle tutélaire, il y a lieu de se référer à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, aux termes duquel « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par:

(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux;

(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire;

(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables;

(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités;

(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus;

(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. ».

A) Quant au moyen tiré d’une violation de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux 6 Trib. adm., 20 octobre 2004, n° 17604 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 172 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 27 décembre 2007, n° 22243 du rôle, confirmé par Cour adm., 23 juillet 2008, n° 24055C du rôle, Pas. adm.

2018, V° Urbanisme, n°189 et les autres références y citées.

8 Trib. adm., 23 mars 2005, n° 18463 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 612 et les autres références y citées.

La demanderesse fait valoir que le classement de ses parcelles en secteur protégé d’intérêt communal reviendrait à attribuer compétence au conseil communal de décider ce qui appartiendrait au patrimoine culturel ou non. Or, en vertu de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments, désignée ci-après par « la loi du 18 juillet 1983 », le législateur aurait réservé la matière de la conservation et de la protection des sites et monuments nationaux au gouvernement en conseil. En vertu des articles 34 et 36 de la loi du 18 juillet 1983, il appartiendrait au ministre de la Culture de déterminer ce qui fait partie du patrimoine culturel ainsi que d’établir le cas échéant des secteurs sauvegardés. Il serait dès lors impossible pour une commune de prendre par le biais des instruments d’aménagement communal des décisions de classement ou des mesures de protection relevant de la compétence étatique. Il y aurait ingérence des autorités communales en la matière de classement des sites et monuments et il ne saurait être soutenu que les communes disposeraient d’une compétence spéciale pour la protection des immeubles expressément prévue par la loi du 19 juillet 2004, cette compétence appartenant indéniablement au ministre de la Culture. La demanderesse explique encore ne pas pouvoir suivre la jurisprudence du tribunal dans la mesure où elle n’arriverait pas à déceler de distinction entre deux instruments de protection du patrimoine culturel, à savoir une protection au niveau communal et une protection s’inscrivant dans un contexte plus général et national.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, la demanderesse conclut encore à une violation de l’article 10bis de la Constitution consacrant le principe de l’égalité devant la loi. Ainsi, les propriétaires de parcelles soumises à un classement en vue de la protection du patrimoine culturel, se trouvant dans une situation similaire, seraient soumis à un traitement différencié selon que leurs parcelles seraient classées sur base de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 ou selon qu’elles seraient classées sur base des articles 1er à 8, sinon 34, 35 ou 36 de la loi du 18 juillet 1983. En effet, un classement en vertu de la loi du 19 juillet 2004 n’ouvrirait droit à aucune information préalable ni à une indemnisation, tandis qu’un classement en application de la loi du 18 juillet 1983 serait précédé d’une information et ouvrirait droit à une indemnisation du préjudice subi. La demanderesse propose partant de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle relative à une éventuelle violation de l’article 10bis de la Constitution en raison des différences de traitement instituées pas les lois du 19 juillet 2004 et du 18 juillet 1983 entre des situations similaires.

La Ville de Luxembourg ainsi que la partie étatique relèvent d’abord que la demanderesse n’aurait pas invoqué le moyen relatif à une rupture de l’égalité dans le cadre de son recours introductif d’instance. Or, étant donné qu’un demandeur ne pourrait pas avancer de nouveaux moyens ou de nouvelles demandes en cours de procédure contentieuse à l’exception des moyens d’ordre public, le moyen afférent devrait être déclaré irrecevable.

Quant au bien-fondé du moyen afférent, tant la Ville de Luxembourg que la partie étatique concluent à son rejet.

En ce qui concerne de prime abord l’irrecevabilité du moyen tiré d’une rupture de l’égalité au motif que ce moyen n’aurait été soulevé qu’une première fois dans le mémoire en réplique et non pas dans la requête introductive d’instance, le tribunal constate qu’il est certes vrai que la demanderesse n’a pas fait valoir de violation de l’article 10bis de la Constitution en raison du traitement inégalitaire injustifié des propriétaires de parcelles faisant l’objet d’un classement en vue de la protection du patrimoine culturel soit sur base de la loi du 19 juillet 2004, soit sur base de la loi du 18 juillet 1983.

En revanche, la demanderesse a bien soulevé dans le cadre de sa requête introductive d’instance qu’en matière de protection du patrimoine culturel, la création de secteurs sauvegardés relèverait en vertu de la loi du 18 juillet 1983 de la compétence du ministre de la Culture et non point en vertu des dispositions de la loi du 19 juillet 2004 de la compétence du ministre de l’Intérieur, de sorte à avoir fait valoir un moyen tiré de l’existence de compétences concurrentes en la même matière. Le tribunal est partant amené à constater que la demanderesse ayant au départ d’ores et déjà soulevé des incompatibilités entre les lois du 18 juillet 1983 respectivement 19 juillet 2004, n’a point soulevé de nouveau moyen dans son mémoire en réplique, mais a développé davantage son moyen initial en concluant à une violation de l’article 10bis de la Constitution en raison de l’application des dispositions de deux lois distinctes dans la même matière. L’argument tiré d’une irrecevabilité du moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Au-delà des considérations qui précèdent et à titre superfétatoire, le tribunal ajoute que selon la jurisprudence des juridictions administratives, aucune disposition légale n'interdit de présenter un moyen à l'appui d'une demande en annulation pour la première fois dans un mémoire en réplique, d'autant plus que le défendeur peut prendre position par rapport au moyen soulevé à travers son mémoire en duplique, de sorte que ses droits de la défense ne sont pas lésés sous cet aspect9.

En ce qui concerne ensuite le bien-fondé de l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la protection du patrimoine culturel relèverait exclusivement de la compétence du ministre de la Culture, il échet d’abord de préciser la situation législative en matière de protection du patrimoine culturel.

Ainsi, aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 : « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par: (…) (e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ; (…) ».

L’article 1er de la loi du 18 juillet 1983 dispose que : « Les immeubles, nus ou bâtis, dont la conservation présente au point de vue archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, sont classés comme monuments nationaux en totalité ou en partie par les soins du Gouvernement, selon les distinctions établies par les articles ci-après.

Sont compris parmi les immeubles susceptibles d'être classés, aux termes de la présente loi, les monuments mégalithiques et les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques.

Il en est de même des immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement, ainsi que, d'une façon générale, des immeubles, nus ou bâtis, situés dans le périmètre de protection d'un immeuble classé ou proposé pour le classement.

Un arrêté du Gouvernement en conseil détermine les monuments auxquels s'applique cette extension et délimite le périmètre de protection propre à chaque immeuble classé. (…) ».

Le tribunal constate que le législateur a mis en place deux régimes distincts de protection du patrimoine culturel en adoptant, d’une part, la loi du 18 juillet 198310 et en insérant, d’autre part, à l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 parmi les missions mises à charge des communes le « respect du patrimoine culturel ». Force est de constater, indépendamment de toute question relative à leurs effets concrets, que ces deux régimes de protection sont distincts comme relevant de la compétence d’autorités différentes et répondant à des critères spécifiques inscrits de part et d’autre dans des corps 9 Cour adm. 29 mai 2008, n°23891 du rôle, Pas. adm. 2018 V° Procédure contentieuse, n° 778 et les autres références y citées.

10 entretemps modifiée par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus » de textes différents à appliquer respectivement, chacun dans son propre contexte11. Ainsi, tandis que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 vise à assurer une protection des sites et monuments culturels et historiques au niveau communal, les dispositions de la loi du 18 juillet 1983 s’inscrivent plutôt dans un contexte général et tendent au niveau national à la protection du patrimoine culturel et historique12. Il s’ensuit que le ministre, voire le gouvernement en conseil, au niveau de la procédure prévue par la loi du 18 juillet 1983 et le conseil communal au niveau de la procédure mise en place par la loi du 19 juillet 2004, statuent chacun dans sa propre sphère de compétence13.

Force est dès lors au tribunal de constater que le conseil communal, en superposant le classement des parcelles de la demanderesse de la zone de protection « secteur protégé de type – environnement construit © », a agi dans le cadre de sa propre sphère de compétence, lui attribuée par l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004, et n’a point, tel que soutenu par la société demanderesse, contourné la procédure prescrite par la loi du 18 juillet 1983. Le moyen tiré d’un dépassement de ses compétences par le conseil communal est donc à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite l’argumentation de la demanderesse basée sur une violation du principe de l’égalité consacré par l’article 10bis de la Constitution, il échet d’abord de préciser de manière générale qu’en application de l’article 6, alinéa 1er de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, la connaissance des questions de constitutionnalité de normes législatives appartient exclusivement à la Cour constitutionnelle. Ce n'est que si une des exceptions prévues à l'article 6, alinéa 2, de la même loi est donnée qu'une juridiction peut se dispenser de poser une question de conformité à la Constitution, à savoir si elle estime a) qu'une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement, b) que la question de la constitutionnalité est dénuée de tout fondement, ou c) que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.

Concernant plus particulièrement la violation de l’article 10bis de la Constitution soulevée par la demanderesse, le tribunal rappelle que le principe de l’égalité ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, de sorte qu’il appartient aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but14.

En l’espèce, force est d’abord au tribunal de constater que les propriétaires de parcelles et de constructions dignes d’être soumises à un régime de protection du patrimoine culturel se trouvent a priori dans une situation similaire que la protection envisagée soit fondée sur la loi du 18 juillet 1983 ou sur la loi du 19 juillet 2004. Toutefois, tel que la Ville de Luxembourg l’affirme à juste titre, 11 Trib. adm. 26 février 2003, n° 14987 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n°313.

12 V. à ce sujet l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 18 juillet 1983, énonçant l’objectif dudit projet comme suit : « la préservation de la continuité historique dans l'environnement est essentielle pour le maintien ou la création d'un cadre de vie qui permette à l'homme de trouver son identité et d'éprouver un sentiment de sécurité face aux mutations brutales de la société : un nouvel urbanisme cherche à retrouver les espaces clos, l'échelle humaine, l'interprétation des fonctions et la diversité socio-culturelle qui caractérisent les tissus urbains anciens". (Déclaration d'Amsterdam adoptée en 1975 à l'issue du Congrès sur le patrimoine architectural européen). ». Doc. parl 2191, p.2164 13 V. en ce sens : Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28102C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Sites et monuments, n°23.

14 trib. adm. 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 8 et les autres références y citées.

aucune différence de traitement objective ne saurait être constatée entre la situation du propriétaire dont la construction est classée sur le fondement de la loi du 18 juillet 1983 et celui dont la construction est classée sur base de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004. En effet, si l’alinéa 3 de l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983 prévoit certes une notification individuelle de la proposition de classement au propriétaire de l’immeuble concerné, ainsi qu’un droit au paiement éventuel d'une indemnité représentative du préjudice pouvant résulter pour lui des servitudes et obligations du classement, les articles 12 à 18, 22, 30 et 33 de la loi du 19 juillet 2004 prévoient, à leur tour, d’un côté, la publication tant des projets d’aménagement général que des projets d’aménagement particulier ainsi qu’une procédure précontentieuse d’aplanissement des différends – permettant la participation active de l’intéressé dans la procédure d’élaboration du plan d’aménagement – et, de l’autre côté, le droit de demander une « indemnisation résultant des servitudes découlant d’un plan d’aménagement » général respectivement particulier. Etant donné qu’aucune différence objective de traitement ne saurait être constatée entre le propriétaire dont la parcelle est classée en application de la loi du 18 juillet 1983 et celui dont la parcelle est classée en application de la loi du 19 juillet 2004, la question préjudicielle relative à la conformité à l’article 10bis de la Constitution de l'article 2 de la loi du 19 juillet 2004 est dénuée de tout fondement. Dès lors, et dans la mesure où, tel que le tribunal vient de le préciser, une juridiction peut se dispenser de saisir la Cour constitutionnelle d’une question de conformité à la Constitution, notamment si la question de la constitutionnalité est dénuée de tout fondement, le tribunal est dispensé en l’espèce de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle soulevée par la demanderesse.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses volets.

B) Quant au moyen tiré d’une illégalité de l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 Dans la continuité de son moyen tiré d’une violation de la loi du 18 juillet 1983, la demanderesse affirme que même dans l’hypothèse où l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 poursuit l’objectif de garantir le respect du patrimoine culturel, cet article ne saurait être lu comme « conférant pouvoir d’établir et de définir des secteurs protégés dans le sens d’une interdiction de démolition d’immeubles ». Ainsi, ledit article 2 ne constituerait pas une base légale assez claire et précise pour pouvoir justifier une ingérence aussi grave dans le droit de propriété qu’une interdiction de démolition.

Dans le même contexte, la demanderesse fait encore valoir que l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 ne saurait constituer une base légale suffisante pour conférer compétence au conseil communal à travers le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, désigné ci-après « le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 »15 de créer des secteurs protégés et ensuite pour donner compétence au conseil communal à travers son PAG de définir des servitudes de type environnement construit affectant les propriétés. L’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, édicté sur base de l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, serait donc illégal pour défaut de base légale, sinon pour avoir dépassé la base habilitante, de sorte qu’il ne devrait pas être appliqué en application de l’article 95 de la Constitution.

15 entretemps abrogé par le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement d’une commune, mais applicable au recours sous examen ainsi qu’au PAG litigieux dans la mesure où les dispositions transitoires figurant à l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 précité prévoient que : « Toutefois, jusqu’au 8 août 2018, le collège des bourgmestre et échevins peut entamer la procédure d’adoption d’un projet d’aménagement général basé sur une étude préparatoire élaborée conformément aux dispositions du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 précité. ».

Tant l’administration communale que la partie étatique concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne d’abord l’argumentation de la demanderesse selon laquelle l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 ne saurait pas valoir comme base légale d’une interdiction de construction, le tribunal rappelle qu’il vient de préciser que l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004 confère la compétence au conseil communal de veiller au « respect du patrimoine culturel ». Une telle mission de maintien du respect du patrimoine culturel, afin de pouvoir être efficacement exécutée et de ne pas être dénuée de tout sens, doit implicitement mais nécessairement comporter la compétence d’édicter des interdictions de démolition. L’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 peut donc valablement servir de base légale à une servitude urbanistique comportant une interdiction de démolir, destinée à préserver le patrimoine culturel.

Pour autant qu’à travers ses contestations selon lesquelles l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 accorderait au conseil communal la compétence pour définir le patrimoine culturel et des secteurs sauvegardés alors qu’il faudrait « au préalable que des immeubles aient été renseignés comme tel pour faire l’objet d’une protection », la demanderesse ait entendu soulever la contrariété dudit article 2 aux articles 36 et 76 de la Constitution, le tribunal relève que la question de constitutionnalité ainsi soulevée est, elle aussi, à écarter pour être dénuée de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu de saisir la Cour constitutionnelle. En effet, en vertu du principe de l’autonomie communale, consacré par l’article 107 de la Constitution, aux termes duquel « (…) Les communes forment des collectivités autonomes, à base territoriale, possédant la personnalité juridique et gérant par leurs organes leur patrimoine et leurs intérêts propres (…) », les autorités communales sont investies d’une certaine puissance de commandement, appelée pouvoir communal, par opposition au pouvoir central. Ce pouvoir communal, qui dérive de la puissance souveraine, n’existe qu’en vertu de la loi et dans les limites qu’elle détermine et il est fonction du pouvoir central en ce sens que le pouvoir central est diminué dans la proportion où la loi le décharge de certains devoirs d’intérêt purement local pour les conférer aux autorités communales.16 En d’autres termes, la loi peut charger directement les autorités communales de la mission de réglementer, en vertu de leur pouvoir réglementaire propre, certaines matières d’intérêt communal, dans les limites qu’elle détermine, sans devoir passer par un règlement grand-ducal. C’est exactement ce que le législateur a fait par le biais de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, en permettant aux autorités communales de définir elles-

mêmes, par voie réglementaire, des servitudes urbanistiques destinées à protéger les sites et monuments d’un point de vue esthétique, respectivement à protéger ou à garantir l’harmonie et la cohérence architecturale d’un quartier ou d’une partie d’un quartier.

En ce qui concerne ensuite le volet du moyen tiré d’une non-conformité de l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 à l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 et donc d’une illégalité dudit article 33 du règlement grand-ducal, le tribunal constate qu’il est, à son tour, à rejeter.

Il échet d’abord de constater que le règlement grand-ducal du PAG du 28 juillet 2011 indique avoir été adopté sur base de l’article 9, paragraphe 1er de la loi du 19 juillet 2004.

Aux termes dudit article 9 « (1) Le plan d’aménagement général d’une commune se compose d’une partie écrite et d’une partie graphique qui se complètent réciproquement.

L’échelle du plan d’aménagement général, le contenu de ses parties graphique et écrite, notamment les définitions des diverses zones, le mode et degré d’utilisation du sol et le pictogramme de la légende-type correspondante, sont arrêtés par règlement grand-ducal. (…) ».

16 P. Majerus, « L’Etat luxembourgeois », Esch-sur-Alzette, Imprimerie Editpress, 6e édition, 1990, p. 324.

Afin de connaître les définitions et objectifs du PAG dont le règlement grand-ducal est amené à fixer l’échelle ainsi que, notamment, le contenu des parties écrites et graphiques, ledit article 9 est à lire en combinaison avec notamment les articles 2 (e), 5 et 6 de la loi du 19 juillet 2004. Ainsi, tel que le tribunal vient de le préciser, l’article 2 (e) dispose qu’une des missions des communes est d’assurer le « respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage ». L’article 5 de ladite loi prévoit que « Le plan d’aménagement général est un ensemble de prescriptions graphiques et écrites à caractère réglementaire qui se complètent réciproquement et qui couvrent l’ensemble du territoire communal qu’elles divisent en diverses zones dont elles arrêtent l’utilisation du sol. (…) ».

L’article 6 de la même loi dispose que « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. ».

L’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011, prévoit ce qui suit : « On distingue les secteurs protégés de type « environnement construit » et les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » d’importance communale.

Les secteurs protégés de type « environnement construit » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.

Les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » constituent les parties du territoire communal qui comprennent des espaces naturels et des paysages dignes de protection ou de sauvegarde.

Ces secteurs sont soumis à des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection définies dans le plan d’aménagement général. Les secteurs protégés de type « environnement construit » sont marqués de la surimpression « C ». Les secteurs protégés de type « environnement naturel et paysage » sont marqués de la surimpression « N ». ».

Dans la mesure où l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 porte exclusivement sur le contenu du PAG et donne compétence au règlement grand-ducal de fixer l’échelle du PAG, ainsi que le contenu de ses parties graphique et écrite, dont notamment les définitions des diverses zones, le mode et le degré d’utilisation du sol et, dans la mesure où les secteurs protégés d’intérêt communal de type « environnement construit » instaurés par l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 participent directement à la réglementation, à travers le PAG, de l’utilisation du sol et sont destinés à protéger le patrimoine culturel, ledit article 33 est valablement fondé sur l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, de sorte que son application n’est pas à écarter pour défaut de base légale en vertu de l’article 95 de la Constitution.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses volets.

C) Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 16 de la Constitution La demanderesse fait valoir que le PAG litigieux poserait des restrictions importantes au droit de propriété et toucherait à une matière réservée par la Constitution à la loi. Le droit de propriété serait constitutionnellement protégé et toute entrave à son égard devrait être prévue par la loi. L’Etat conserverait le droit de réglementer la propriété et d’en restreindre l’usage dans l’intérêt général.

Dans la mesure où les dispositions du PAG interdiraient la démolition des immeubles concernés, suivie d’une reconstruction, les trois prérogatives du droit de propriété – l’usus, le fructus et l’abusus – auraient été enlevées, sinon fortement limitées par les servitudes imposées. Ainsi, la demanderesse argumente qu’elle serait empêchée de faire un usage de ses immeubles conforme aux règles d’urbanisme de la zone [HAB-2] du fait de leur vétusté et de leur configuration, ainsi que du fait qu’ils ne correspondraient pas aux normes de sécurité et de standard modernes. Toute location s’avérerait ainsi difficile et en cas de vente, elle ne pourrait obtenir qu’un prix dérisoire puisque les immeubles ne pourraient pas être rehaussés ou démolis.

Selon la demanderesse, le principe de la sécurité juridique et des droits acquis ne serait pas respecté puisque les droits essentiels du droit de propriété lui seraient enlevés par le PAG.

La demanderesse fait encore valoir que les matières réservées à la loi ne pourraient pas faire l’objet d’une exécution générale par voie de règlement grand-ducal et a fortiori non plus par règlement communal. Le principe de l’autonomie communale ne saurait pas non plus justifier cette absence de base légale. Il ne s’agirait en l’espèce pas d’une limitation de l’usage du droit de propriété, mais d’une restriction qui enlèverait un des attributs essentiels du droit de propriété qui serait celui de démolir un immeuble.

La demanderesse conclut en affirmant que le tribunal devrait retenir que la disposition réglementaire figurant à l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 ne disposerait pas de base légale suffisante, sinon qu’elle aurait dépassé sa base légale habilitante sinon qu’il y aurait violation de la « disposition qu’il ne peut y avoir d’habilitation générale dans les matières réservées à la loi par la Constitution ». A titre subsidiaire, elle conclut que les limitations au droit de propriété imposées par le PAG équivaudraient à une expropriation et, à titre plus subsidiaire encore, que les servitudes imposées restreindraient son droit de propriété de telle manière qu’au titre de l’article 22 de la loi du 19 juillet 2004, une action en indemnisation lui serait ouverte pour le préjudice subi.

Tant l’administration communale que la partie étatique concluent au rejet du moyen afférent pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 16 de la Constitution « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de manière établis par la loi. » Force est en l’espèce en premier lieu de constater qu’aucun transfert de propriété des parcelles de la demanderesse n’a été décidé ou ne s’est opéré, de sorte qu’en principe, aucune expropriation au sens de l’article 16 de la Constitution ne peut être constatée.

Le tribunal constate ensuite qu’il est vrai que l’article 29 de la partie écrite du PAG relatif au « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » », limite l’usage de la propriété de la demanderesse en ce qu’il impose différentes servitudes spéciales, allant d’une interdiction de démolition de certaines parties de l’immeuble concerné, à des mesures à respecter en cas de transformation ou rénovation de l’immeuble concerné. Dans le contexte de telles servitudes d’urbanisme imposées par les plans d’aménagement, la Cour constitutionnelle, par un arrêt rendu en date du 4 octobre 201317, tout en consacrant le principe de la mutabilité des plans d’aménagement 17 Cour constitutionnelle, 4 octobre 2013, n° … du registre général et en soulignant que le juge administratif n’était pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, mais que les propriétaires concernés pouvaient se pourvoir, le cas échéant, devant le juge judiciaire en vue de l’allocation d’une indemnité éventuelle, a déclaré contraires à l’article 16 de la Constitution les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 posant en principe que les servitudes résultant d’un PAG n’ouvrent droit à aucune indemnité et prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l’utilité publique. Dans le même arrêt, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la considération qu’elle avait retenue dans son arrêt du 26 septembre 200818, selon laquelle un changement dans les attributs de la propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation.

Deux conclusions s’imposent donc. D’une part, l’article 16 de la Constitution n’érige pas de manière générale le droit de propriété en matière réservée à la loi, mais se limite à interdire l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique, moyennant juste indemnité et dans les cas et de la manière établis par la loi, de sorte que seule l’expropriation constitue une matière réservée à la loi, étant précisé, dans ce contexte, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point essentiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation.19 Cependant, étant donné que les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 n’autorisent pas les autorités communales à prendre des règlements en matière d’expropriation, mais seulement à réglementer l’usage des biens, notamment, par le biais de mesures destinées à protéger les sites et monuments, respectivement le caractère harmonieux d’un quartier ou d’une partie de quartier, et que la réglementation de l’usage des biens n’est pas une matière réservée à la loi par la Constitution, ces dispositions légales ne se heurtent manifestement pas à l’article 16 de la Constitution, ni d’ailleurs à l’article 32 (3) de la Constitution.

D’autre part, la Cour constitutionnelle n’a pas retenu que de manière générale, toute servitude d’urbanisme constituait une expropriation, mais elle a en revanche retenu de manière nuancée que seul un changement dans les attributs de la propriété à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation. Cette nuance a, d’ailleurs, bien été relevée par le Conseil d’Etat dans son avis du 18 novembre 2014 par rapport au projet de loi relatif à la modification de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire20.

En l’espèce, il échet de constater de prime abord que si selon la partie graphique du PAG les parcelles de la demanderesse sont certes classées en zone [HAB-2], superposée d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » », et que l’article 29 de la partie écrite du PAG énumère différentes servitudes pouvant être appliquées aux parcelles superposées du secteur protégé en question, le PAG n’indique pas concrètement le type de servitude applicable aux parcelles de la demanderesse. En effet, la mission d’intégrer les parcelles de la demanderesse dans une des catégories de servitudes énumérées par le PAG revient au PAP. Il s’ensuit que ni la partie graphique ni la partie écrite du PAG ne permettent de déterminer la servitude concrètement applicable aux immeubles concernés par le recours sous examen. Toujours-est-il qu’il peut en tout état de cause être constaté qu’aucune des servitudes énumérées par la partie écrite du PAG n’impose une interdiction générale de démolition de tout un immeuble, mais que ladite partie écrite impose tout au plus des interdictions de démolition des parties extérieures des immeubles, de sorte à admettre la démolition et la reconstruction des parties intérieures des immeubles. Sans connaître au stade du classement opéré par le PAG l’exact type de servitude auquel les immeubles de la demanderesse sont soumis, il peut néanmoins être constaté que même dans l’hypothèse de la soumission à l’obligation de conserver les 18 inscrit sous le numéro … du registre 19 Cour const., 26 septembre 2008, n° … du registre et Cour const., 4 octobre 2013, numéro … du registre.

20 Conseil d’Etat, avis n° 50.683, disponible sur http://www.conseil-etat.public.lu/fr.

parties extérieures des immeubles, le droit de propriété de la demanderesse est certes affecté - dans le sens qu’elle n’est pas libre de démolir ses constructions dans leur intégralité et de les reconstruire selon sa guise et que toute transformation s’accompagne de complications techniques – mais elle n’est toutefois pas privée de sa propriété et la servitude n’apporte que des limitations au droit de propriété, sans pour autant affecter une des trois attributs classiques du droit de propriété dans sa substance. L’« usus », l’ « abusus » et le « fructus » restent, en effet, dans leur substance intact. Il s’ensuit que la superposition par le PAG d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » n’affecte pas les attributs du droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation. Aucune des servitudes énumérées par l’article 29 de la partie écrite du PAG, pouvant frapper les immeubles de la demanderesse, n’est dès lors à considérer comme expropriation et ne tombe par conséquent pas dans le champ d’application de l’article 16 de la Constitution. L’argumentation afférente est partant à rejeter.

Pour ces mêmes motifs, l’affirmation de la demanderesses selon laquelle « (…) le principe de la sécurité juridique et des droits acquis (…) » n’aurait pas été respecté, au motif que des attributs essentiels du droit de propriété lui auraient été enlevés, est également à rejeter, étant encore précisé que la mutabilité des plans d’aménagement relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné, de sorte que les parties intéressées, dont les propriétaires d’immeubles, n’ont pas un droit acquis au maintien d’une réglementation communale d’urbanisme donnée.21 Le moyen tiré d’une violation de l’article 16 de la Constitution est donc rejeté dans son intégralité pour n’être fondé dans aucun de ses volets.

D) Quant au moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation La demanderesse soutient que la superposition d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » sur ses parcelles lui serait hautement préjudiciable et non conforme aux objectifs recherchés par la Ville de Luxembourg. Selon l’article 29 de la partie écrite du PAG, les immeubles classés en secteur protégé devraient répondre aux critères d’authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, de sa rareté, de l’exemplarité du type de bâtiment, de l’importance architecturale, du témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle. Or, ses immeubles ne rempliraient aucun desdits critères et aucune évaluation ou expertise n’aurait été menée à ce sujet par la Ville de Luxembourg. La … ne présenterait aucune harmonie ni aucune typologie des constructions y présentes et aucune composition urbaine digne de protection. D’ailleurs, l’article 29 de la partie écrite du PAG parlerait de quartier ou parties de quartiers qu’il s’agirait de préserver excluant ainsi le classement d’immeubles situés d’un côté seulement d’une rue. Il ne suffirait pas non plus que dans un quartier seuls deux immeubles, en l’occurrence les numéros … et …, présentent un aspect similaire pour pouvoir soutenir qu’il existe une cohérence dans l’image urbaine. L’immeuble en face des immeubles litigieux comporterait cinq étages et s’étalerait sur plusieurs parcelles. L’immeuble sis au numéro …, de l’avis même de la Ville de Luxembourg ne serait pas digne de protection. Les immeubles situés aux numéros … à … de la … se caractériseraient par une « laideur exemplaire » et ne sauraient être qualifiés de dignes de protection. La rue en question ne comporterait donc en tout que deux immeubles présentant un style similaire mais qui, à eux seuls, ne justifieraient pas la superposition d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » ». Enfin, il résulterait d’une délibération du conseil communal du 26 janvier 2015 relative à une modification ponctuelle du PAG Joly, que la Ville de Luxembourg entendrait classer des parties ou tronçons de rue qui 21 Trib. adm., 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm., 20 décembre 2001, n° 13291C du rôle, Pas. adm.

2018, V° Urbanisme, n° 184 et les autres références y citées.

constitueraient des « ensembles » dignes de protection. Ce critère ferait toutefois défaut en l’espèce, selon la demanderesse.

Tant le délégué du gouvernement que l’administration communale concluent au rejet du moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

Le tribunal précise d’abord qu’aux termes de l’article 29 de la partie écrite du PAG : « Les secteurs protégés d'intérêt communal de type «environnement construit» constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d'immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l'immeuble pour l'histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.

Ces secteurs couvrent des quartiers ou parties de quartiers qu'il s'agit de préserver pour conserver l'identité et l'histoire urbanistique de la Ville (…) ».

Au vu des photographies versées en cause par l’administration communale, le tribunal partage l’appréciation de l’administration communale selon laquelle compte tenu de leurs gabarits analogues, de leur alignement et de leur architecture similaire, les immeubles situés aux numéros … et … forment une partie de quartier présentant une architecture raffinée, recherchée, riche et soignée au sens de l’article 29 de la partie écrite du PAG. Dans ces circonstances, le tribunal retient que les autorités communales et de tutelle ont valablement, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation et conformément aux objectifs d’intérêt général d’un développement harmonieux des structures urbaines et de la protection du patrimoine culturel, au sens de l’article 2 (b) et (e) de la loi du 19 juillet 2004, pu superposer l’immeuble de la demanderesse sis au numéro … d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » », afin de protéger la cohérence de cet ensemble et l’image urbaine qui en découle.

S’il est exact que les constructions érigées sur la parcelle sise au numéro … ne présentent de surplus aucune caractéristique digne de protection, le classement de cette parcelle en « zone protégée – ensembles sensibles » se justifie néanmoins afin de garantir que d’éventuelles constructions futures y érigées n’auront pas pour effet de porter atteinte à la cohérence de l’ensemble formé par les bâtiments sis aux numéros … et …, mais s’y intégreront de façon harmonieuse, conformément aux susdits objectifs d’intérêt général.

Même à supposer qu’eu égard aux contraintes en résultant, ce classement des immeubles de la demanderesse devrait entraîner une perte de surfaces potentiellement exploitables à des fins de logement, tel que soutenu par Madame …, l’argumentation afférente de l’intéressée revient à critiquer un choix politique de la part des autorités communales et de tutelle, à savoir celui de privilégier les objectifs d’intérêt général de la protection du patrimoine culturel et du développement harmonieux des structures urbaines à celui de la création ou du maintien de logements. Or, dans la mesure où le tribunal vient de préciser que la mission du juge de la légalité lui conférée à travers l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, l’argumentation en question encourt le rejet. Pour le même motif, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne les développements de la demanderesse quant à l’existence de solutions alternatives au classement litigieux.

Quant aux conséquences préjudiciables résultant d’un état de délabrement progressif des bâtiments en question, le tribunal précise qu’il incombe au propriétaire d’un immeuble de veiller à l’entretien de son bien, de sorte que pareille considération est étrangère à la légalité des décisions déférées.

Il suit de l’ensemble des considérations que le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, respectivement d’une atteinte à l’intérêt général est à rejeter pour ne pas être fondé.

E) Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH », ci-après désigné par « le premier Protocole » La demanderesse soutient que la superposition sur ses parcelles d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » aurait pour effet de porter une atteinte à ce point substantielle à l’exercice des attributs de son droit de propriété qu’il y aurait non seulement violation de l’article 16 de la Constitution mais également de l’article 1er du premier Protocole. Elle soutient que le respect de cette disposition exigerait que toute restriction portée au droit de propriété, même s’il s’agissait de la limitation de l’usage d’un bien, devrait résulter d’une loi, qui devrait être accessible et précise. En second lieu, la restriction, qui devrait être d’interprétation stricte, devrait être dictée par l’intérêt général. En présence d’une restriction apportée au droit de propriété, les juridictions nationales devraient vérifier le respect du principe de proportionnalité, plus particulièrement l’existence d’un juste équilibre entre les exigences d’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits de l’individu. La demanderesse fait valoir qu’en l’espèce, la superposition sur ses parcelles d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » ne résulterait pas d’une loi, mais d’une délibération du conseil communal.

Par ailleurs, la nature et l’étendue de la restriction ne seraient définies nulle part de manière précise et dépendraient « du bon vouloir de l’administration communale ». Dès lors, la restriction de son droit de propriété ne résulterait pas d’un texte d’application générale accessible et précis, contrairement aux exigences découlant de l’article 1er du premier Protocole.

Par ailleurs, ladite restriction ne serait pas justifiée par des considérations d’intérêt général.

N’importe quel objectif ne pourrait pas justifier une restriction aux droits et libertés. Les restrictions devraient être définies par référence aux intérêts de la collectivité ou des droits d’autrui au sein de la société et seraient d’interprétation stricte. La demanderesse conteste que ses immeubles fassent l’objet d’un ensemble protégé cohérent en ces endroits. D’ailleurs une image urbaine pourrait être conservée par d’autres mesures de protection.

Enfin, la demanderesse fait valoir qu’en présence d’une restriction du droit de propriété, le principe de proportionnalité devrait être respecté entre les moyens employés et le but visé.

Ainsi, l’impératif de l’existence d’un juste équilibre entre la poursuite de l’intérêt général et la sauvegarde du droit de propriété n’aurait pas été respecté en l’espèce. Elle ajoute que les immeubles sis aux numéros … et … ne pourraient pas exploiter le potentiel et le degré de constructibilité qui serait en principe admissible dans cette rue, alors même que tous les autres immeubles de la rue dépasseraient de loin le volume qui serait désormais autorisé pour ses propres constructions.

Tant le délégué du gouvernement que l’administration communale concluent au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 1er du premier protocole intitulé : « Protection de la propriété » « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition prévoit deux types de limites au droit de propriété, à savoir, en son alinéa 1er, l’expropriation et, en son alinéa 2, la réglementation de l’usage des biens.

Etant donné que le tribunal vient de retenir, dans le cadre de l’analyse du moyen tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution, que la superposition sur les parcelles de la demanderesse d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » n’est pas équivalente à une expropriation, le moyen sous analyse encourt le rejet pour autant qu’il a trait à une privation de propriété contraire à l’alinéa 1er du premier Protocole.

Dans la mesure où, tel que le tribunal vient de la constater, ladite superposition d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » correspond à une limitation de l’usage des biens immobiliers en question, il y a lieu d’analyser si cette limitation est conforme aux exigences de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par la « CourEDH ».

Il ressort du libellé même de l’article 1er, alinéa 2 du premier Protocole qu’une restriction de l’usage de la propriété doit être prévue par la loi, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, d’après la demanderesse. Il se dégage de la jurisprudence constante de la CourEDH, que la « loi », au sens de la CEDH, ne vise pas une loi au sens formel du terme, tel que suggéré par la demanderesse, mais englobe le droit écrit et le droit non écrit et qu’une ingérence est « prévue par la loi », si elle a une base en droit interne. Il faut encore que la « loi » soit suffisamment accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite. En s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé.22 Le tribunal ne partage pas l’argumentation de la demanderesse selon laquelle, en l’espèce, les restrictions portées à son droit de propriété ne seraient pas prévues par la « loi », au sens de la jurisprudence de la CourEDH, au motif que leur nature et leur étendue ne seraient définies nulle part.

En effet, tel que le tribunal vient de le retenir que les secteurs protégés d’intérêt communal de type « environnement construit » sont instaurés par l’article 33 du règlement grand-ducal PAG du 28 juillet 2011 et participent directement à la réglementation, à travers le PAG, de l’utilisation du sol.

Ledit article 33, de son côté, est valablement fondé sur l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 qui porte exclusivement sur le contenu du PAG et donne compétence au règlement grand-ducal de fixer l’échelle du PAG, ainsi que le contenu de ses parties graphique et écrite, dont notamment les définitions des diverses zones, le mode et le degré d’utilisation du sol.

22 Voir, entre autres : CourEDH, 2 août 1984, affaire Malone c. Royaume-Uni, Requête n° 8691/79, n° 66.

Par ailleurs, l’article 29 de la partie écrite du PAG est limité exclusivement aux « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit — © » » et énumère les servitudes applicables dans ledit secteur. Un PAG constitue un acte à caractère normatif adopté conformément au cadre juridique tracé, notamment, par la Constitution et par la loi du 19 juillet 2004. L’ingérence dans le droit de propriété dispose donc bien d’une base en droit interne. Par ailleurs, la disposition normative qui prévoit les restrictions litigieuses au droit de propriété est suffisamment accessible, compte tenu, d’une part, de la publication au Mémorial de l’ensemble des textes normatifs sur base desquels le PAG a été élaboré et, d’autre part, du fait qu’en vertu de l’article 82 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, le texte des règlements du conseil communal ou du collège échevinal, tels que le PAG « (…) est à la disposition du public, à la maison communale, où il peut en être pris copie sans déplacement, le cas échéant contre remboursement (…) ». Quant au critère de précision, force est au tribunal de constater que le libellé de l’article 29 de la partie écrite du PAG est sans équivoque en ce qu’il consacre la notion de « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit — © » » ainsi que sa définition et énumère sept différentes servitudes spéciales de sauvegarde et de protection.

Le simple fait que cet article peut être sujet à interprétation en ce qui concerne la définition de la notion d’ « immeuble digne de protection » n’est pas non plus de nature à violer l’article 1er, alinéa 2 du premier Protocole, étant donné que les critères permettant de procéder à la détermination desdits immeubles ne sont pas imprécis à tel point que l’administré, assisté, le cas échéant d’un conseil éclairé, ne pourrait pas prévoir, à un degré raisonnable, leur incidence sur un projet de construction Par ailleurs, une prévisibilité absolue n’est pas requise par la jurisprudence de la CourEDH. Le tribunal déduit de ces considérations que les restrictions litigieuses portées au droit de propriété de la demanderesse résultent d’une « loi », au sens de disposition normative, suffisamment précise et accessible, conformément aux exigences se dégageant de la jurisprudence de la CourEDH.

Par ailleurs, la condition selon laquelle une réglementation de l’usage des biens doit être conforme à l’intérêt général, telle qu’inscrite à l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, est également remplie en l’espèce, le tribunal venant de retenir que les décisions déférées répondent à une finalité d’intérêt général, à savoir la protection du patrimoine culturel et la poursuite d’un développement harmonieux des structures urbaines, de sorte que les contestations afférentes de la demanderesse est à rejeter.

Il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que c’est à juste titre que la demanderesse soutient qu’à l’instar d’une privation de la propriété, une restriction de l’usage des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Ainsi, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la CourEDH reconnaît à l’Etat concerné une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause.23 La demanderesse fait valoir que ce « juste équilibre » ferait défaut en l’espèce, compte tenu du préjudice financier lui causé par les décisions déférées et de l’absence de compensation de la perte ainsi subie.

Le tribunal relève en premier lieu qu’en principe, l’existence d’une compensation financière n’est une condition au respect du « juste équilibre » requis entre l’intérêt général de la collectivité et 23 CourEDH, Grande Chambre, 29 avril 1999, Affaire Chassagnou et autres c. France, Requêtes nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, n° 75.

l’intérêt individuel que pour la seule privation de biens et non en cas de réglementation de l’usage des biens. L’absence d’indemnisation ne saurait constituer à elle seule une mesure disproportionnée.24 S’il est exact que les contraintes résultant des servitudes instaurées par l’article 29 de la partie écrite du PAG limitent indéniablement la liberté de la demanderesse dans le choix du projet immobilier à réaliser, elle peut toutefois toujours user de ses biens et les mettre en valeur, de sorte que le tribunal ne saurait constater de rupture du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu.

Il n’y a, dès lors, pas eu de violation des exigences de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, contrairement à ce que soutient la demanderesse.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation de l’article 1er du premier Protocole est à rejeter dans chacune de ses branches.

H) Quant à une rupture de l’égalité devant les charges publiques La demanderesse fait encore valoir que la superposition sur ses parcelles d’un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » » entraînerait une rupture de l’égalité devant les charges publiques. A l’appui de ce moyen, elle fait valoir que les autres bâtiments situés dans la … présenteraient jusqu’à cinq étages, des volumes beaucoup plus importants et littéralement écraseraient la maison sise au numéro … Conformément à la réglementation antérieurement en vigueur, elle aurait eu le droit de réaliser une construction de quatre étages ainsi qu’un retrait. Or, ce droit lui serait désormais dénié et elle devrait payer pour les erreurs commises dans le passé. Elle ajoute que lesdites charges ne seraient imposées qu’à certains immeubles de la … et qu’elles seraient disproportionnées par rapport à l’utilité publique à la base des servitudes. Il s’agirait d’une décision incisive par rapport à son droit d’user pleinement de sa propriété par rapport aux immeubles voisins, de sorte que le principe d’une compensation indemnitaire devrait être acquis. Le classement litigieux, même si, par impossible, il était légal, lui causerait de façon inattendue et involontaire un préjudice excédant la charge incombant normalement aux autres individus de la collectivité, de sorte qu’il y aurait rupture de l’égalité devant les charges publiques. Ce classement impliquerait une perte de chance de réaliser un projet immobilier et ce préjudice devrait être indemnisé.

L’administration communale et la partie étatique concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

Le principe de l’égalité devant les charges publiques fait partie de la légalité et doit partant être observé par l’autorité administrative dans son action. Les règlements communaux doivent être pris à la fois dans l’intérêt général et dans l’intérêt communal, de même qu’ils sont appelés à respecter la loi considérée non seulement dans ses dispositions législatives proprement dites, mais également dans les textes et principes de la Constitution. Lorsque le pouvoir réglementaire communal, à l’instar de la loi, poursuit un objectif d’intérêt général, il peut arriver qu’il soit amené à édicter des mesures susceptibles de poser à un ou plusieurs citoyens, se trouvant entre eux dans la même situation, un préjudice spécial et grave. Le pouvoir réglementaire communal peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes réglementaires différents à la condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.25 24 JurisClasseur Europe Traité, Fasc. 6523 : CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME - Droits garantis - Droit de propriété et droit à la non-discrimination, à jour au 29 Février 2016, n° 80 et les jurisprudences y citées.

25 Trib. adm., 8 octobre 2001, n° 13445 du rôle, confirmé par Cour adm., 7 mai 2002, n° 14197C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 77.

En l’espèce, la demanderesse ne soutient pas que le PAG traiterait, sans motif légitime, de façon différente des catégories de personnes se trouvant dans une situation identique ou comparable.

Ainsi, elle ne fait pas valoir que d’autres immeubles comparables à ses propres immeubles ne se seraient pas vu superposer un « secteur protégé d'intérêt communal « environnement construit - © » ».

Pour autant qu’à travers ses développements, selon lesquels d’autres immeubles situés dans la … présenteraient des volumes beaucoup plus importants que ses immeubles et que le droit de réaliser quatre étages et un retrait lui serait désormais dénié, l’intéressée ait entendu se prévaloir d’une inégalité de traitement résidant dans le principe même du changement de la réglementation urbanistique applicable aux immeubles …, les développements en question sont à écarter, étant donné que si le principe constitutionnel d’égalité interdit le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, il n’interdit néanmoins pas le changement, pour le futur, du traitement réservé à un type de situation. Admettre le contraire reviendrait à empêcher toute modification de la réglementation existante et, au niveau de l’urbanisme, à mettre à néant le principe de la mutabilité des PAG, expressément reconnu par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 4 octobre 2013, portant le numéro … du registre.

Il s’ensuit que le fait que, dans le passé, les immeubles situés dans la … n’aient pas été soumis aux servitudes applicables en vertu de l’article 29 de la partie écrite du PAG, n’est pas de nature à justifier l’annulation des décisions déférées, pour méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité. Le moyen tiré d’une violation de ce principe encourt, dès lors, le rejet.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse ayant trait au dommage excessif que lui causerait le classement litigieux de ses immeubles. A cet égard, le tribunal rappelle qu’il vient de conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée au droit de propriété de la demanderesse, de sorte que sous cet angle, l’argumentation sous analyse encourt le rejet. Par ailleurs, le tribunal relève que dans le susdit arrêt du 4 octobre 2013, la Cour constitutionnelle, saisie de la question de la conformité à l’article 16 de la Constitution de la loi du 19 juillet 2004, dans la mesure où elle permet, par la modification du PAG, le reclassement sans indemnisation de terrains d’une zone constructible en terrains d’une zone non constructible, a expressément reconnu le droit des pouvoirs publics d’instaurer des servitudes d’urbanisme dans un but d’utilité publique, ainsi que le principe de la mutabilité des PAG et a précisé que le juge administratif n’est pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, tout en relevant que « (…) les propriétaires touchés peuvent en revanche, conformément au droit commun, suivant la situation concrète du cas d’espèce, le cas échéant faire valoir devant le juge judiciaire un droit à indemnisation dépendant, notamment, de la situation du terrain, du caractère contraignant de la servitude et des projets concrets de viabilisation du terrain (…) ».

Il se dégage de cet arrêt que le tribunal ne saurait sanctionner le classement litigieux des immeubles de la demanderesse, au motif de l’absence d’indemnisation de ses conséquences pécuniaires, et qu’il est loisible à la demanderesse de faire valoir ses prétentions indemnitaires devant le juge judiciaire, seul compétent en la matière, auquel il appartiendra alors de faire la balance entre les servitudes imposées et l’utilité publique à leur base26.

I) Quant aux demandes en allocation d’une indemnité de procédure ainsi qu’en distraction des frais 26 Voir, sur ce dernier point : Cour adm., 18 décembre 2014, n° 34916C du rôle, cité in R. Ergec et F. Delaporte, Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2018, n° 274bis.

La demande formulée par les demandeurs tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter au vue de l’issue du litige.

Enfin, la demande formulée par la partie étatique tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros est à rejeter étant donné qu’elle omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie étatique.

Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire de la partie étatique qui la sollicite, affirmant en avoir fait l'avance, il convient de rappeler qu'il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le mandataire d'une partie, pareille façon de procéder n'étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative27.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours recevable ;

quant au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros formulée par Madame … ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … euros formulée par la partie étatique ;

rejette la demande de distraction des frais au profit du mandataire de la partie étatique ;

condamne Madame … aux frais et dépens.

Ainsi jugé par:

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 13 juillet 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 27 Trib. adm. 14 février 2001, n°11607 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n°1094 et les autres références y citées.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 40622
Date de la décision : 13/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-13;40622 ?

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