Tribunal administratif N° 43149 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2019 3e chambre Audience publique du 8 juillet 2020 Recours formé par Monsieur … et consorts, Luxembourg contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43149 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2019 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie) et de son épouse, Madame …, née le … à … (Albanie), agissant en leur nom ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, née le … à Luxembourg et …, né le … à Luxembourg, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 mars 2019 refusant de faire droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, respectivement pour raisons privées ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2019 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2019 par Maître Edmond DAUPHIN au nom des consorts …, préqualifiés ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Arthur SCHUSTER, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2020.
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Le 20 octobre 2014, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 29 décembre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le recours introduit par les consorts … le 5 février 2015 contre la décision ministérielle du 29 décembre 2014 fut déclaré irrecevable pour avoir été introduit hors délai par un jugement du tribunal administratif du 1er avril 2015, inscrit sous le numéro 35799 du rôle.
Par courrier de leur litismandataire du 4 mars 2019, les consorts … sollicitèrent la délivrance d’une autorisation de séjour sur base de l’article 78 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », demande qui fut complétée par un courrier du 14 mars 2019 comportant une promesse d’embauche de Monsieur … de la part de la société ….
Par décision du 22 mars 2019, le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 4 mars 2019, réceptionné en date du 13 mars 2019 par lequel vous sollicitez pour le compte de vos mandants « (…) une autorisation de séjour temporaire de type vie privée, selon l'article 78 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, en son point d), sinon c) (…) », ainsi qu'au courrier de Monsieur … du 14 mars 2019.
Il y a lieu de rappeler que vos mandants ont été définitivement déboutés de leurs demandes de protection internationale en date du 20 janvier 2015 et que depuis ils sont dans l'obligation de quitter le territoire. Un recours interjeté tardivement a été déclaré irrecevable par jugement du Tribunal administratif en date du 1er avril 2015.
1) Quant à votre demande en obtention d'une autorisation de séjour selon « l'article 78 point d) » :
Il y a tout d'abord lieu de soulever que le paragraphe d) de l'article 78 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration a été abrogé par la loi du 1er juillet 2011. Votre demande concernant ce point a donc été requalifiée en demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité au sens du paragraphe (3) de l'article 78 de la loi citée.
Vous invoquez les raisons pour lesquelles vos mandants auraient quitté l'Albanie, raisons liées à une situation de …. Or, une demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité concernant cette argumentation doit être déclarée irrecevable en vertu de l'article 78(3) cité. En effet, il ressort de ce paragraphe qu'une telle demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d'une demande antérieure qui a été rejetée par le ministre. Or, les problèmes prétendus liés à la loi du … ont déjà été toisés et rejetés dans le cadre de la demande de protection internationale de vos mandants.
Par ailleurs, le fait que vos mandants « (…) vivent au Luxembourg dans des conditions précaires » ou qu'ils auraient de la famille au Luxembourg ne sauraient suffire pour être considérés comme un motif humanitaire d'une exceptionnelle gravité tel que prévu à l'article 78(3) de la loi modifiée du 29 août 2008 justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.
Vous soulevez que « cette situation et ses incertitudes, très pénibles, ne peuvent durer des années encore ». Or, force est de souligner que vos mandants savent depuis 2015 qu'ils sont dans l'obligation de quitter le territoire, situation qui a été rappelée à votre mandant lors d'une convocation au sein de la Direction de l'immigration en date du 26 novembre 2018.
Dans ce contexte, il y a lieu de soulever qu'un retour volontaire dans son pays d'origine a été rejeté par votre mandant. On ne saurait alors parler d'incertitude.
Par conséquent, une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité est refusée à votre mandant conformément à l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée.
2) Quant à votre demande en obtention d'une autorisation de séjour selon l'article 78 point c) :
Je suis au regret de vous informer que je ne suis également pas en mesure de faire droit à cette requête.
En effet, votre demande en obtention d'une autorisation de séjour est irrecevable alors que selon l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, la demande en obtention d'une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
Subsidiairement, il n'est pas prouvé que vos mandants remplissent les conditions fixées à l'article 78, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée pour bénéficier d'une autorisation de séjour pour des raisons privées.
Plus précisément, il n'est pas prouvé que vos mandants peuvent vivre de leurs seules ressources sans devoir s'adonner à une activité rémunérée sur le territoire luxembourgeois afin que l'article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008 précitée soit d'application.
Vos mandants n'ont jamais bénéficié d'une autorisation de séjour en qualité de membre de famille qui pourrait vous permettre de tomber dans le champ d'application de l'article 78, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008 précitée.
Vos mandants ne témoignent non plus de liens stables, intenses et anciens avec quiconque qui réside au Luxembourg conformément à l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée. Il est à noter que « l'article 8 de la CEDH garantit seulement l'exercice du droit au respect d'une vie familiale « existante ». Ainsi, la notion vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres et existante, voire préexistante, à l'entrée sur le territoire national. D'ailleurs une vie familiale n'existe pas du seul fait du soutien financier apporté par une personne à une autre sans qu'aucun autre rapport ne lie les deux personnes. De plus, une personne adulte voulant rejoindre sa famille dans le pays de résidence de celle-ci ne saurait être admise au bénéfice de l'article 8 de la CEDH que lorsqu'il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ».
À titre tout à fait subsidiaire, vous n'apportez pas de preuve que vos mandants remplissent les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une autorisation de séjour dont les différentes catégories sont prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base de l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. Le recours n'est pas suspensif.
Vos mandants restent donc dans l'obligation de quitter le territoire luxembourgeois.
Quant au contrat de travail établi au nom de Monsieur … versé par courrier du 14 mars 2019, il y a lieu de souligner à titre purement informatif que toute demande en obtention d'une autorisation de séjour sur l'article 42 de la loi du 29 août 2008 doit être déclarée irrecevable qu'au vu de l'article 39 de la même loi alors que votre mandant se trouve actuellement sur le territoire luxembourgeois. L'article 39 de la loi prévoit en effet que « la demande en obtention d'une autorisation de séjour visée à l'article 38, point 1 doit être introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d'irrecevabilité être introduite avant l'entrée sur le territoire du ressortissant d'un pays tiers ». Votre mandant est bien entendu libre d'introduire une demande en bonne et due forme depuis son pays d'origine sur base des articles 39 et 42 précités de la loi. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2019, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 22 mars 2019.
Aucune disposition légale n’instaurant de recours au fond en matière d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle du 22 mars 2019 qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs, de nationalité albanaise, exposent, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base du litige sous examen en faisant état de leur demande de protection internationale du 20 octobre 2014 dont ils furent déboutés par décision ministérielle du 29 décembre 2014, intervenue dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006. Dans la mesure où le recours contentieux introduit contre ladite décision aurait été déclaré irrecevable pour cause de tardivité, le tribunal administratif n’aurait pas eu à connaître du fond de leur demande de protection internationale, laquelle aurait cependant dû être accueillie favorablement pour avoir été basée sur les mêmes motifs que celle du frère de Monsieur …, à savoir une affaire de vengeance familiale fondée sur la loi du … les exposant à faire l’objet d’une atteinte à leur vie, ce dernier s’étant en effet vu attribuer la protection subsidiaire par un jugement du tribunal administratif du 19 mars 2007, inscrit sous le numéro 22329 du rôle.
En droit, les demandeurs sollicitent, tout d’abord, l’annulation de la décision ministérielle quant au rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, en donnant à considérer que les motifs à la base de leur demande de protection internationale n’auraient été toisés au fond que par le ministre, dans le cadre d’une procédure accélérée, en non pas par le tribunal administratif. Ils donnent encore à considérer, dans ce contexte, que le fait de vivre au Luxembourg dans la précarité depuis plusieurs années n’aurait été invoqué de leur part que pour démontrer la gravité de la situation régnant, pour eux, dans leur pays d’origine, le retour de Monsieur … en Albanie l’exposant à y être tué dans le cadre d’une vendetta fondée sur la loi du ….
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé en concluant que le ministre aurait, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d’une exceptionnelle gravité en ce que les demandeurs seraient restés en défaut de mettre en avant d’autres faits que ceux présentés à l’appui de leur demande de protection internationale.
Il y a, tout d’abord, lieu de relever qu’aux termes de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 : « A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. La demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d’une demande antérieure qui a été rejetée par le ministre. […] ».
Il ressort de la disposition légale qui précède que dans l’hypothèse où, à l’appui de sa demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires, un étranger n’invoque pas d’autres motifs de persécution ou de discrimination mettant en péril sa vie dans son pays d’origine, que ceux ayant déjà fait l’objet de décisions ministérielle, respectivement juridictionnelle ayant force de chose décidée, voire jugée en matière de protection internationale, sa demande en délivrance d’une autorisation de séjour est valablement rejetée1.
Force est au tribunal de constater qu’afin d’établir l’existence dans leur chef de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, les demandeurs se prévalent exclusivement et en substance des faits survenus, voire risquant de survenir en Albanie, à savoir que Monsieur … soit tué dans le cadre d’une vendetta fondée sur la loi du …. Or, ce motif a déjà été analysé dans le cadre de leur demande en obtention d’une protection internationale présentée aux autorités compétentes le 20 octobre 2014, laquelle a été rejetée par une décision ministérielle du 29 décembre 2014 intervenue dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006. Le recours contentieux introduit le 5 février 2015 contre la prédite décision ministérielle du 29 décembre 2014 a été déclaré irrecevable en raison de la tardiveté de l’introduction dudit recours par un jugement du tribunal administratif du 1er avril 2015, inscrit sous le numéro 35799 du rôle. La demande de protection internationale des consorts … au cours de laquelle ils ont fait valoir les mêmes motifs que ceux à la base de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d’une exceptionnelle gravité a partant fait l’objet d’une décision ministérielle revêtue de l’autorité de la chose décidée et d’une décision de justice ayant acquis autorité de chose jugée, étant encore relevé que les demandeurs n’ont présenté aucun élément factuel nouveau postérieur aux prédites décisions ministérielle et juridictionnelle.
1 Trib. adm., 5 mars 2003, n° 15147 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Etrangers, n° 542 et les autres références y citées.
Il s’ensuit qu’à défaut par les demandeurs d’invoquer d’autres circonstances susceptibles de justifier l’existence de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, le ministre pouvait valablement rejeter leur demande en obtention d’une autorisation de séjour basée sur l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008. Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé, sans que cette conclusion ne soit infirmée par l’argumentation des demandeurs que leur demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse au fond par le tribunal de céans, l’irrecevabilité du recours contentieux, d’une part, étant sans incidence sur le bien-fondé de la décision de rejet de la demande de protection internationale et, d’autre part, n’étant à imputer qu’aux seuls demandeurs.
Quant au rejet de leur demande d’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées, prévue à l’article 78, paragraphe (1), c) de la loi du 29 août 2008, les consorts … soutiennent que le ministre aurait, à tort, conclu à l’irrecevabilité de ladite demande au motif qu’elle aurait été présentée alors qu’ils se seraient déjà trouvés sur le territoire luxembourgeois. Ils s’emparent ainsi de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 qui devrait être applicable « dans son esprit » à leur situation. Par ailleurs et contrairement à la conclusion ministérielle, ils estiment remplir les conditions de l’article 78, paragraphe (1), c) de la loi du 29 août 2008 au regard de l’intensité, de l’ancienneté et de la stabilité des liens familiaux entre les deux frères … et … en raison des événements ayant conduit à l’éclatement de leur famille en Albanie. Ainsi Monsieur … subviendrait seul aux besoins de toute la famille … se trouvant au Luxembourg depuis plus de quatre ans, à savoir huit personnes au moment de la prise de la décision ministérielle. Une rupture de ces liens familiaux constituerait une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale.
Le délégué conclut au rejet de ce moyen pour manquer de fondement.
Aux termes de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, « (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :
a) au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources ;
b) aux membres de la famille visés à l’article 76 ;
c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;
(2) Les personnes visées aux points b), c) et d) du paragraphe (1) qui précède, doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal. ».
Cet article permet ainsi au ministre, sous certaines conditions, d’accorder une autorisation de séjour aux catégories de personnes y énumérées, et plus particulièrement aux personnes, n’ayant pas de liens familiaux mais des liens intenses, stables et anciens avec une personne habitant, de manière régulière, sur le territoire luxembourgeois. L’application de l’article 78, paragraphe (1), point c) présuppose que le ressortissant d’un pays tiers entretienne des liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, - ces trois critères, non-exhaustifs, devant être considérés comme étant cumulatifs - tels que le refus d’une autorisation de séjour porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des motifs de refus.
Force est cependant encore au tribunal de relever que l’octroi de l’autorisation de séjour pour des raisons privées est soumis au respect des conditions de l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 aux termes duquel « La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 […] doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d’irrecevabilité être introduite avant l’entrée sur le territoire du ressortissant d’un pays tiers. L’autorisation ministérielle doit être utilisée dans les quatre-vingt-dix jours de sa délivrance […] », l’article 38, point 1 y cité visant notamment l’autorisation de séjour pour des raisons privées, telle que sollicitée par les demandeurs.
Il y a d’abord lieu de souligner d’une manière générale que si l’exigence imposée par l’article 39 de la loi du 29 août 2008 précitée peut sembler éventuellement inopportune dans certains cas d’espèce, compte tenu des antécédents d’un demandeur et notamment de son entrée régulière au Luxembourg, il n’en demeure pas moins que ledit article reflète la volonté du législateur d’établir le principe selon lequel le ressortissant de pays tiers qui a l’intention de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois doit disposer d’une autorisation de séjour avant son entrée au Grand-Duché de Luxembourg, un ressortissant de pays tiers qui se trouve déjà sur le territoire ne pouvant que dans certains cas exceptionnels, indiqués aux paragraphes (2) et (3) de cet article, solliciter une autorisation de séjour, le souci du législateur ayant précisément été d’éviter que le ministre soit placé devant le fait accompli2, étant d’emblée précisé que les demandeurs n’ont pas affirmé et partant a fortiori établi que l’exception du paragraphe (3) de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 aurait dû leur être appliquée.
Il y a encore lieu de relever que le paragraphe (2) de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 prévoit les cas où un ressortissant d’un pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu’à trois mois peut être autorisé à introduire une demande d’autorisation de séjour en lieu et place de l’introduction d’une autorisation de séjour temporaire sollicitée avant son entrée sur le territoire, telle que prévue au paragraphe (1) de l’article 39 précité, en disposant que : « Dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique ».
Il ressort de la disposition légale qui précède que les conditions pour pouvoir introduire une demande en obtention d’une autorisation de séjour, tout en séjournant déjà de manière régulière sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, sont cumulatives et non point alternatives puisqu’il s’agit, premièrement, d’introduire la demande dans les trois mois de son entrée sur le territoire luxembourgeois, deuxièmement, de rapporter la preuve du respect des conditions exigées pour la catégorie d’autorisation de séjour visée, en l’occurrence celles fixées à l’article 42 de la loi du 29 août 2008, et, troisièmement, de démontrer que le retour dans son pays d’origine constitue une charge inique.
2 Projet de loi 58021 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, Avis du Conseil d'Etat, 20 mai 2008, p.20.
Force est de constater qu’il ressort des documents soumis au tribunal que les demandeurs ont introduit la demande d’autorisation de séjour litigieuse en date du 4 mars 2019, donc plus de quatre années après leur entrée sur le territoire luxembourgeois et le dépôt de leur demande de protection internationale en date du 20 octobre 2014, de sorte à ne pas remplir la première condition de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008. Le ministre pouvait partant a priori valablement déclarer la demande d’octroi d’une autorisation de séjour pour des raisons privées des consorts … irrecevable, sans avoir à analyser, d’une part, si ces derniers avaient rapporté la preuve que le retour dans leur pays d’origine constituerait pour eux une charge inique et, d’autre part, s’il rempliraient les conditions imposées par l’article 78, paragraphe (1), c) de la loi du 29 août 2008 pour se voir octroyer l’autorisation de séjour sollicitée.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs s’emparent finalement des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et 3 de la Convention internationale aux droits de l’Enfant pour conclure à l’annulation de la décision déférée en reprenant leur argumentation quant à l’intensité et à stabilité des liens entre les frères … et …. Les demandeurs, en se prévalant encore d’attestations testimoniales versées en cause, affirment que l’union des deux frères irait au-delà d’un simple soutien financier, alors que Monsieur … hébergerait et subviendrait seul aux besoins des consorts … qui n’auraient, par ailleurs, plus de famille dans leur pays d’origine. Dans ce contexte, ils font finalement état d’un jugement du tribunal administratif du 5 mars 2003, inscrit sous le numéro 15074 du rôle.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, conteste l’existence de relations familiales au Luxembourg dans le chef des consorts … au sens de l’article 8 de la CEDH ayant pu justifier l’octroi d’une autorisation de séjour. La partie étatique fait valoir que les liens ayant pu se tisser entre Monsieur … et les demandeurs auraient quasi-exclusivement résulté du fait du maintien en séjour irrégulier de ces derniers sur le territoire luxembourgeois.
Par ailleurs, le soutien financier de la part de Monsieur …, outre la circonstance qu’il ne serait pas prouvé, ne serait pas un élément de nature à prouver l’existence d’une vie familiale digne de protection conformément à l’article 8 de la CEDH.
Aux termes de l’article 8 de la CEDH « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
L’article 8 de la CEDH est applicable en cas de refus de délivrance d’une autorisation de séjour dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté de procéder au refus de délivrance d’une autorisation de séjour, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH. Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
Il y a, dans ce contexte, lieu de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.
Force est encore au tribunal administratif de rappeler que dans le cadre du recours en annulation l'analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu'à la situation de fait et de droit telle qu'elle s'est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l'annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise3. Il s’ensuit que le tribunal de céans ne peut pas prendre en considération les pièces produites par la partie étatique et ayant trait à l’intervention des forces de l’ordre en date du 21 novembre 2019 au domicile de Monsieur … pour concerner une situation factuelle postérieure à la décision ministérielle déférée du 22 mars 2019, contrairement aux attestations testimoniales versées en cause par les demandeurs.
Force est ensuite au tribunal de constater que les demandeurs se limitent à invoquer l’existence d’une vie familiale au Luxembourg avec le frère de Monsieur …, en mettant en avant la circonstance qu’ils cohabiteraient ensemble et que celui-ci subviendrait seul à leurs besoins financiers. Face aux contestations de la partie étatique sur ce point, les demandeurs sont cependant restés en défaut de soumettre au tribunal des documents probants étayant leurs affirmations quant à l’existence d’une vie familiale réelle et effective sur le territoire luxembourgeois, étant relevé qu’il ressort, au contraire, du dossier administratif que la cohabitation des consorts … avec Monsieur …, tout comme le soutien financier de ce dernier, ne sont pas aussi larges et généraux que les demandeurs l’affirment. Monsieur … a, en effet affirmé, lors de son rendez-vous auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, le 29 novembre 2018, tel que cela ressort d’une note manuscrite du dossier administratif du même jour, qu’il ne serait plus avec sa femme qui n’habiterait, par ailleurs, plus à la même adresse que lui. Par ailleurs, dans son attestation testimoniale du 7 juin 2020, Monsieur … affirme ne pas hésiter à subvenir aux besoins de son frère et de la famille de ce dernier, sans autre précision, de sorte que son soutien matériel doit être considéré comme étant plutôt ponctuel, aucun autre élément n’étant fourni par les demandeurs pour documenter l’ampleur du soutien familial. A cela s’ajoute, tel que la partie étatique l’a étayé dans son mémoire en réponse, - éléments non-contredits par les demandeurs, respectivement par les pièces soumises à l’analyse du tribunal de céans de leur part -, que ce n’est que tout au plus à partir de 2014 que les frères … sont à nouveau en contact l’un avec l’autre, après une période de plus de dix ans où les deux habitaient dans des pays différents, Monsieur … ayant quitté son pays d’origine de 2003 à 2010, pour aller vivre notamment en Grèce, avant de retourner en Albanie pour venir au Luxembourg en 2014, tandis que Monsieur … réside au Luxembourg depuis 2006.
Il suit partant de l’ensemble des considérations qui précèdent et au regard de l’absence de preuves d’une vie familiale réelle et effective sur le territoire luxembourgeois des consorts 3 Trib. adm., 23 mars 2005, n° 19061 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Recours en annulation, n° 21 et les autres références y citées.
… avec Monsieur …, que le ministre a valablement pu refuser l’octroi des autorisations de séjour sollicités par les demandeurs, sans violer l’article 8 de la CEDH.
Quant à la violation alléguée de l’article 3 de la Convention Internationale aux Droits de l’Enfant lequel dispose que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », ce moyen est à rejeter pour être simplement suggéré, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de céans de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques à l’appui de leurs conclusions, étant donné que les demandeurs ne fournissent aucune argumentation quant à la manière dont la décision ministérielle déférée du 22 mars 2019 contredirait le prédit article.
Le recours sous examen, en l’absence d’autres moyens, est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2020 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 10