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08/07/2020 | LUXEMBOURG | N°43005

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2020, 43005


Tribunal administratif Numéro 43005 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2019 3e chambre Audience publique du 8 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43005 du rôle et déposée le 23 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Yusuf MEYNIOGLU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F

-…, ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire sise à L-2449 Luxembourg, 49, ...

Tribunal administratif Numéro 43005 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2019 3e chambre Audience publique du 8 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43005 du rôle et déposée le 23 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Yusuf MEYNIOGLU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire sise à L-2449 Luxembourg, 49, boulevard Royal, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 20 mars 2019 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société anonyme … SA ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2019 par Maître Yusuf MEYNIOGLU, pour le compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yusuf MEYNIOGLU et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2020.

Aux termes d’un contrat du 23 octobre 2017 intitulé « Contrat de travail à durée indéterminée », Monsieur … fut engagé en qualité de « Directeur », avec effet au 1er janvier 2017, par la société anonyme … SA, société étant devenue la société … SA, ci-après désignée par « la société … », le 12 juillet 2018, en raison de 40 heures de travail hebdomadaires.

Monsieur … démissionna de son mandat d’administrateur-délégué de la société … le 12 juillet 2018 pour devenir administrateur de ladite société à partir de cette date, avant d’en démissionner finalement le 4 septembre 2018.

1 La société … fut, d’abord, déclarée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris le 18 novembre 2018, avant d’être déclarée en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du 21 décembre 2018.

En date du 15 janvier 2019, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg sa déclaration de créance définitive dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de ….- € du chef d’arriérés de salaire pour les mois d’octobre et novembre 2018, du chef des indemnités résultant de la mise en faillite de la société … et du chef d’indemnité compensatoire pour une portion du congés non pris, ainsi que l’admission d’un montant de ….- € au passif chirographaire du chef d’indemnité compensatoire pour l’autre portion du congés non pris. Lors de l’audience de vérification des créances du 18 janvier 2019, le curateur de la société …, ensemble avec le juge commissaire, ont admis la déclaration de créance de Monsieur … pour un montant de ….- € au passif privilégié et pour un montant de….- € au passif chirographaire de la société faillie.

Par décision du 20 mars 2019, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« […] Faisant suite à votre déclaration de créance dans l'affaire émargée, je me permets de vous informer que les dispositions des articles L.125-1 et L.126-1. du Code du Travail ne s'appliquent qu'aux seuls travailleurs salariés.

L'instruction du dossier a révélé que vous étiez affilié auprès du Centre commun de la sécurité sociale en tant que travailleurs intellectuel indépendant.

En outre, l'ADEM a constaté que vous réclamez des arriérés de salaire pour les mois d'octobre 2018 à décembre 2018, alors que votre affiliation auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise a pris fin en date du 4 septembre 2018.

De surcroît, vous étiez administrateur gérant et associé avec vingt-cinq pour cent des parts sociales et détenteur de l'autorisation d'établissement.

Il s'ensuit que vous ne pouvez pas être considéré comme un travailleur salarié, de sorte qu'il m'est impossible de réserver une suite favorable à votre créance salariale introduite.

[…] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 20 mars 2019 portant rejet de sa demande en paiement des sommes garanties par l’article L. 126-1 du Code du travail.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce. Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours principal en réformation, mais compétent pour toiser le recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

2 A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision directoriale du 20 mars 2019, en expliquant avoir conclu, le 23 octobre 2017, un contrat de travail à durée indéterminée avec effet au 1er janvier 2017 avec la société … en qualité de directeur. Il affirme encore ne jamais avoir détenu, directement voire indirectement, un quart des actions de la société … tout au long de la vie sociale de cette dernière et avoir démissionné de son mandat d’administrateur de ladite société en date du 4 septembre 2018, en précisant qu’à partir du 5 novembre 2018, Monsieur … aurait été l’administrateur-délégué de cette société.

En droit, Monsieur … conclut à l’annulation de la décision directoriale déférée du 20 mars 2019 pour violation des articles L. 125-1 et L. 126-1 du Code du travail en se prévalant, tout d’abord, du fait qu’il aurait été obligé, en tant qu’administrateur, titulaire de l’autorisation d’établissement, de s’affilier en tant que travailleur intellectuel indépendant. Nonobstant cette circonstance, le directeur aurait dû tenir compte du fait qu’il aurait démissionné de son mandat d’administrateur de la société … le 4 septembre 2018, qu’il aurait conclu un contrat de travail avec ladite société le 23 octobre 2017 et que sa déclaration de créance salariale aurait été admise par le juge commissaire et par le curateur, de sorte à revêtir l’autorité de la chose jugée, le demandeur précisant, dans ce cadre, qu’il appartiendrait à la partie étatique, en présence d’un contrat de travail, de rapporter la preuve de l’absence de lien de subordination. Le demandeur rajoute que son employeur, la société …, en raison de son contrat de travail, aurait dû l’affilier en tant que salarié, manquement qui ne lui serait pas imputable, son affiliation en tant que travailleur intellectuel indépendant n’étant plus justifiée suite à sa démission le 4 septembre 2018. De plus, il n’aurait jamais détenu, tel que l’ADEM l’aurait erronément retenu, 25% des actions de la société …, Monsieur … faisant finalement encore valoir que l’autorisation d’établissement aurait dû être annulée suite à sa démission en tant qu’administrateur le 4 septembre 2018, tout en précisant que ses revendications salariales, véhiculées à travers sa déclaration de créance litigieuse, concerneraient la période du 1er octobre au 31 décembre 2018.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur met en avant la régularisation de sa situation auprès du Centre commun de la Sécurité sociale par le curateur, telle qu’elle ressortirait de la déclaration d’entrée pour salarié du secteur privé du 28 octobre 2019, de son certificat de salaire, de retenue d’impôt et de crédits d’impôt bonifiés du 12 juin 2019, de ses fiches de salaires de septembre à décembre 2018, ainsi que des courriers du Centre commun de la Sécurité sociale, tous les deux datés au 29 octobre 2019, concernant une déclaration d’entrée, respectivement de sortie, pour faire valoir qu’il serait à considérer pour la période litigieuse, en tant que salarié de la société ….

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. La partie étatique se prévaut, tout d’abord, de la circonstance que Monsieur … aurait été affilié, depuis 2013, en tant que travailleur intellectuel indépendant, conformément à l’article 1er du Code de la Sécurité sociale, et qu’il n’existerait aucune affiliation en tant que salarié auprès de la société …, malgré le fait d’avoir signé un contrat de travail avec ladite société en 2017. Par ailleurs, le demandeur aurait été un membre du conseil d’administration de ladite société de 2013 à septembre 2018, tout en étant titulaire de l’autorisation d’établissement, de sorte à avoir disposé, d’après la partie étatique, du pouvoir d’engager celle-ci par signature conjointe avec un autre administrateur.

Ces éléments démontreraient qu’aucun lien de subordination n’aurait existé entre Monsieur … et la société …, de sorte que la décision directoriale litigieuse serait justifiée.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement conteste encore que l’affiliation ex post de Monsieur … auprès du Centre commun de la Sécurité sociale, en tant 3 que travailleur salarié, pourrait démontrer l’existence d’un lien de subordination, et partant l’existence d’une relation de travail entre ce dernier et la société …. La partie étatique questionne ainsi à partir de quel moment Monsieur … devrait être considéré en tant que travailleur salarié, dans la mesure où son contrat de travail aurait été signé le 23 octobre 2017, l’entrée en fonction y aurait été prévue avec effet au 1er janvier 2017 et dans la mesure où l’affiliation en tant que travailleur salarié n’aurait été effectuée qu’à compter du 5 septembre 2018. A cela s’ajouterait que Monsieur … n’aurait été affilié que pour une activité d’employé administratif, alors même que son contrat de travail aurait précisé que sa fonction aurait été celle de directeur pour un revenu brut d’environ … euros. Le délégué du gouvernement conclut de l’ensemble de ces éléments que la simple affiliation, pour le surplus rétroactive, en tant que travailleur salarié serait insufffisante pour considérer que Monsieur … aurait été dans un lien de subordination salariale à l’égard de la société … justifiant l’application de l’article L.126-1 du Code du travail.

Aux termes de l’article L.126-1 du Code du travail :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.

(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.

Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, 4 à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). […] ».

Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

Il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM.

Dans ce contexte, le tribunal relève de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée1.

Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir de manière générale que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises. En revanche, dans l’hypothèse de refus par l'ADEM du paiement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen, par le juge administratif, de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement2. Il découle encore des considérations qui précèdent que l’argumentation du demandeur selon laquelle sa déclaration de créance, et plus particulièrement la reconnaissance de sa qualité de travailleur salariée, serait revêtue de l’autorité de la chose jugée pour avoir été acceptée par le curateur et le juge-commissaire, est à rejeter pour ne pas être fondée Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1 du Code du Travail, paragraphe (1), disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ».

Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

Le tribunal précise ensuite que le contrat de travail s’analyse en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité 1 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Travail, n° 20 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.

5 de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats.

L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination ou de la qualification qu’elles ont données à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité de la personne concernée. Ainsi, la preuve du contrat de travail peut résulter d’un ensemble d’éléments qui constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination3.

Le critère essentiel du contrat de travail est le lien de subordination – élément litigieux en l’espèce –, qui est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements d’un subordonné. Le lien de subordination n’exige cependant pas que l’employeur exerce sur le salarié une direction étroite et permanente, mais il suffit que le premier ait le droit de donner au second des instructions pour l’organisation et l’exécution du travail convenu. La qualification donnée par les parties à leur convention ou l’affiliation à la Sécurité Sociale peuvent constituer des présomptions en faveur de l’existence d’un contrat de travail, à moins d’être contredites par les autres éléments du dossier4.

Quant aux motifs de refus étatiques, il ressort des éléments du dossier que le demandeur a signé en date du 23 octobre 2017 un contrat de travail à durée indéterminée, avec effet rétroactif au 1er janvier 2017, précisant qu’il a été engagé en qualité de directeur.

Il n’est pas non plus contesté, et cela résulte d’ailleurs des pièces soumises par le demandeur et du dossier administratif, que la déclaration de créance du demandeur a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, tant en ce qui concerne le montant privilégié qu’en ce qui concerne le montant réclamé à titre chirographaire, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.

Cependant, en cas de refus par l'ADEM du paiement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, il appartient à l’Etat de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, l’Etat fait état d’une situation excluant un lien de subordination tiré du fait (i) que l’autorisation d’établissement de la société … aurait été établie au nom du demandeur, (ii) que le demandeur détenait 25% des actions de ladite société, et (iii) qu’il n’aurait été affilié qu’en tant que travailleur intellectuel indépendant, respectivement que son affiliation rétroactive en tant que travailleur salarié serait questionnable.

La partie étatique doit partant, d’une part, établir la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’elle allègue, et, d’autre part, justifier que celle-ci est de nature à conclure que, vu les circonstances de l’espèce, le demandeur aurait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société et n’aurait pas accompli de fonction distincte de son mandat social, de sorte que l’existence d’un lien de subordination, respectivement d’une convention de travail salarié serait inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient cependant au demandeur d’établir que malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant a priori l’existence d’un lien de subordination, qu’il se trouve en réalité 3 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Travail, n° 10 et les autres références y citées.

4 Cour d’appel, 20 mars 2014, Pas. 37, p. 246.

6 lié à la société par un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination et correspondant à une convention réelle et sérieuse.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier, et plus particulièrement des extraits publiés au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, que Monsieur … fut un des administrateurs de la société … jusqu’au 4 septembre 2018, date de sa démission. Il est encore constant en cause que les créances litigieuses ont trait à la période du 1er octobre 2018 jusqu’au 31 décembre 2018, sauf en ce qui concerne le montant réclamé à titre chirographaire qui se rapporte à une période de six mois antérieure à la mise en faillite de la société … et qui est, de cette sorte, exclu de toute façon du champ d’application de l’article L.126-1 du Code du travail.

Au regard, d’une part, de la démission de Monsieur … de son mandat social en date du 4 septembre 2018, et, d’autre part, de la circonstance que les montants réclamés par le biais de la déclaration de créance litigieuse se rapportent exclusivement à la période du 1er octobre au 31 décembre 2018, l’argumentation étatique selon laquelle Monsieur … ne pourrait pas être considéré comme travailleur salarié à partir du 4 septembre 2018 en raison de l’existence d’un mandat social, voire en raison de sa qualité de détenteur d’une autorisation d’établissement tombe à faux.

A cela s’ajoute que contrairement aux conclusions étatiques et face aux contestations du demandeur, il n’est pas établi en cause que Monsieur … ait directement ou indirectement détenu des actions dans la société …. Il ressort en effet du dossier administratif et plus particulièrement des différents extraits publiés au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, tels que versés en cause, que la société … a initialement été créée le 13 décembre 2011 sous la dénomination sociale « … SA », avec comme actionnaire unique la société … SA, laquelle fusionna le 1er août 2013 avec la société … SA, société également créée le 13 décembre 2011 et ayant également comme actionnaire unique la … SA, pour devenir à partir du 1er août 2013 la société … SA, laquelle absorba, le 16 juillet 2014 la société … SA, avant d’être renommée, à la même date « … SA », puis, le 12 juillet 2018, « … ». Il ressort encore du procès-

verbal de l’assemblée générale extraordinaire du 26 mars 2015 de la société … SA, lors de laquelle une augmentation de capital fut décidée, que les nouvelles actions ainsi créées ont été attribuées à l’actionnaire unique, à savoir la société … LTD.

Il suit des considérations qui précèdent qu’il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur … ait détenu directement ou indirectement 25 % des actions de la société …, cette conclusion n’étant pas remise en cause par les inscriptions manuscrites figurant sur différents extraits du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg communiqués par la partie étatique dans le dossier administratif, alors que de telles inscriptions sont dépourvues, à défaut de tout élément concret les corroborant, de toute valeur probante.

Ainsi il doit être retenu, d’une part, que pour la période à laquelle se rapporte la déclaration de créance litigieuse, soit du 1er octobre au 31 décembre 2018, Monsieur … n’était ni actionnaire ni mandataire social de la société …, de sorte que l’argumentation étatique y relative est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne finalement l’affiliation de Monsieur … en tant que travailleur salarié auprès du Centre commun de la Sécurité sociale, il y a, à titre liminaire, lieu de relever que ladite affiliation a été effectuée de manière rétroactive et postérieurement à la décision directoriale sous examen, étant rappelé que dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la 7 situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours. Il en va autrement dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question, puisqu’elle peut affecter la légalité de la décision litigieuse, qui a alors, le cas échéant, été prise sur base d’une situation de fait erronée5.

Dans la mesure où les documents versés en cause par le demandeur, et plus particulièrement la déclaration d’entrée pour salarié du secteur privé du 28 octobre 2019, son certificat de salaire, de retenue d’impôt et de crédits d’impôt bonifiés du 12 juin 2019, ses fiches de salaires de septembre à décembre 2018, ainsi que les courriers du Centre commun de la Sécurité sociale, tous les deux datés au 29 octobre 2019, concernant une déclaration d’entrée, respectivement de sortie ont trait à la situation ayant existé antérieurement à la prise de la décision directoriale déférée du 20 mars 2019, le tribunal de céans doit les prendre en considération dans le cadre de son analyse de la légalité de cette dernière. Il ressort desdits documents que Monsieur … a été affilié et aurait dû être rémunéré, par la société …, en tant que travailleurs salarié, au moins à partir du 5 septembre 2018, soit pendant la période à laquelle se rapportent les montants réclamés par le biais de la déclaration de créance litigieuse. Ce constat n’est pas remis en cause par les interrogations de la partie étatique, d’une part, quant à la régularité de l’affiliation du demandeur, dans la mesure où celle-ci a été régulièrement acceptée par l’organisme social compétent, et, d’autre part, quant à la réalité de son contrat de travail de directeur, étant donné que la partie étatique se limite à formuler des allégations lesquelles ne sont corroborées par un quelconque élément concret soumis à l’examen du tribunal de céans.

Le tribunal est partant amené à retenir que le demandeur a à suffisance fourni des éléments permettant de conclure à l’existence d’une convention réelle, sans que la partie étatique n’ait, au-delà de son argumentation fondée sur la détention de parts sociales, l’émission de l’autorisation d’établissement au nom du demandeur, l’existence d’un contrat de travail de directeur et l’absence d’affiliation en tant que travailleur salarié, arguments que le tribunal vient de retenir comme n’étant pas fondés, soumis des éléments permettant de mettre en doute l’existence d’un tel contrat de travail.

Il s’ensuit que c’est à tort que le directeur a refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société …, au motif de l’absence d’une relation de travail caractérisée par un lien de subordination. Par conséquent, la décision directoriale du 20 mars 2019 encourt l’annulation.

La demande de Monsieur … tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure, au sens de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, d’un montant de 1.500.- € est à rejeter, au motif que le demandeur ne prouve pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à sa charge.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

5 Trib. adm., 8 juin 2015, n° 35102 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Recours en annulation, n° 26 et les autres références y citées.

8 se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 20 mars 2019 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société anonyme … SA et renvoie l’affaire devant le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi ;

rejette la demande de Monsieur … tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure au sens de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2020 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43005
Date de la décision : 08/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-08;43005 ?

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