Tribunal administratif N° 42453 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2019 3e chambre Audience publique du 8 juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42453 du rôle et déposée le 5 mars 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Roby SCHONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’un arrêté du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 15 novembre 2018 portant retrait de son permis de conduire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2019 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2019 par Maître Roby SCHONS, au nom de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Roby SCHONS et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 juin 2020.
Il résulte des éléments du dossier administratif que Monsieur … est titulaire d’un permis de conduire de la catégorie B depuis le 29 janvier 1988.
Par ordonnance pénale du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en chambre du conseil, du 25 février 2008, Monsieur … fut condamné à une amende de 1.000.-€ et à une interdiction de conduire de 18 mois assortie du sursis intégral pour avoir circulé, le 9 avril 2007, avec un taux d’alcool de 0,80 mg par litre d’air expiré.
Par jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 9 mars 2018, Monsieur … fut condamné à une amende de 1.000.-€ et à une interdiction de conduire de 27 mois, dont 18 mois assortis du sursis à l’exécution et 9 mois exceptés des trajets effectués dans l’intérêt prouvé de sa profession et des trajets d’aller et de retour effectué entre sa résidence principale ou tout autre lieu où il se rend de façon habituelle pour les motifs d’ordre familial et le lieu de travail, pour avoir circulé, le 7 octobre 2017, avec un taux d’alcool de 1,19 mg par litre d’air expiré et pour avoir circulé à une vitesse de 84 km/h à l’intérieur d’une agglomération.
Par arrêt de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 10 décembre 2018, Monsieur … fut encore condamné à une amende de 1.500.-€, à une interdiction de conduire de 15 mois, assortie du sursis intégral, pour avoir circulé, le 6 mars 2018, avec un taux d’alcool de 0,69 mg par litre d’air expiré, et à une interdiction de conduire de 15 mois, dont 9 mois excepté des trajets visés à l’article 13.1ter de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après la « loi du 14 février 1955 », pour avoir, en date du même jour, conduit un véhicule malgré l’interdiction de conduire judiciaire partielle du juge d’instruction du 12 octobre 2017, laquelle a été limitée aux trajets professionnels par ordonnance de la chambre du conseil du 30 octobre 2017.
Par courrier recommandé du ministre du Développement durable et des Infrastructures, ci-après désigné par le « ministre » du 28 mars 2018, Monsieur … fut invité à faire parvenir dans les trois semaines les résultats d’analyses toxicologiques des cheveux (alcool) au médecin-président de la commission médicale prévue par l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 modifié portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignés respectivement par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 » et par « la commission médicale ».
Un courrier de rappel fut envoyé à Monsieur … en date du 24 mai 2018.
Par courrier recommandé du 27 juillet 2018, Monsieur … fut convoqué devant la commission médicale pour le 6 septembre 2018.
Par courrier recommandé du 21 août 2018, Monsieur … fut convoqué devant la commission médicale pour le 18 septembre 2018, devant laquelle il déclara ne pas encore avoir fait les analyses toxicologiques des cheveux et consommer un à deux verres d’alcool lors des repas.
Par courrier recommandé du ministre du 18 septembre 2018, Monsieur … fut invité à faire parvenir pour le 15 octobre 2018 au plus tard les résultats d’analyses toxicologiques des cheveux (alcool) au médecin-président de la commission médicale.
En date du 19 octobre 2018, le ministère du Développement durable et des Infrastructures réceptionna les analyses toxicologiques des cheveux de Monsieur … du 28 septembre 2018, dont les résultats affichaient un taux d’éthyl glucuronide de 169,6 pg/mg de cheveux. Vu lesdits résultats, la personne responsable au service de toxicologie médico-légale du Laboratoire National de Santé retint que « la concentration de l’éthyl glucuronide dans les cheveux est compatible avec une consommation excessive et régulière d’alcool dans une période d’environ 3,5 mois avant le prélèvement des cheveux ».
Dans son avis du 25 octobre 2018, la commission médicale conclut au retrait du permis de conduire de Monsieur … sur base de la considération que celui-ci souffre d’éthylisme et ne satisferait pas « aux conditions minima prévues par l’article 77 sous 8.1) de l’arrêté grand-ducal [ du 23 novembre 1955 ] et qu’il est dès lors établi qu’[il] souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».
Par décision du 15 novembre 2018, le ministre, en se ralliant à l’avis de la commission médicale du 25 octobre 2018, retira le permis de conduire un véhicule automoteur, ainsi que les permis de conduire internationaux délivrés sur le vu du susdit permis national à Monsieur …, décision basée sur les considérations suivantes :
« […] Vu les articles 2 et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la règlementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Considérant que pour la raison reprise sous 4) du paragraphe 1er de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 précitée une mesure administrative s’impose à l’égard de Monsieur …, né le … à … et demeurant à L-… ;
Considérant que l’intéressé a été entendu le 18 septembre 2018 dans ses explications par la Commission médicale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 précité ;
Vu l’avis du 25 octobre 2018 de la Commission médicale précitée ;
Considérant que Monsieur … souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2019 et inscrite sous le numéro 42453 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 15 novembre 2018.
Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
Etant donné que dans la présente matière aucune disposition légale n’instaure un recours au fond, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. En revanche, il est compétent pour connaître du recours principal en annulation, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et après avoir exposé les faits et rétroactes à la base du présent litige, Monsieur … cite l’article 2, paragraphe (1), point 4) de la loi du 14 février 1955 pour soutenir que les faits à la base de la décision déférée ne seraient pas établis à suffisance.
En effet, il ne serait pas infirme au point de ne pas pouvoir conduire et ne souffrirait ni de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire, ni d’une dépendance à l’égard de l’alcool, ni encore ne saurait-il dissocier la conduite de la consommation d’alcool.
Il donne à cet égard à considérer qu’il n’aurait jamais été « un perturbateur » sur la voie publique, ce qui démontrerait son aptitude à conduire, et qu’il participerait à la circulation depuis plus de 30 ans sans le moindre reproche, « excepté ceux retenus dans le cadre de l’enquête administrative », de sorte que la sanction du retrait administratif de son permis de conduire serait disproportionnée.
Il fait ensuite valoir que la décision ministérielle serait contradictoire dans la mesure où elle indiquerait que la demande d’analyse toxicologique des cheveux serait restée sans suite pour ensuite indiquer que l’analyse aurait été effectuée et renseignerait d’un taux d’éthyl glucuronide de 169,6 pg/mg de cheveux. Par ailleurs, le rapport des analyses toxicologiques de ses cheveux serait incomplet dans la mesure où les cases « Votre référence » et « en date du » seraient marquées par un point d’interrogation et manquerait ainsi de composantes d’individualisation requises dans le cadre de l’identification et de la spécification de l’échantillon. Le résultat de l’analyse capillaire ne saurait dès lors valoir comme fondement à une décision de retrait du permis de conduire et serait à rejeter.
Monsieur … conteste ensuite le résultat de l’analyse capillaire entreprise, alors que pendant la période concernée, il aurait travaillé en tant que contrôleur auprès de l’organisme de la sécurité sociale et qu’un état d’imprégnation alcoolique, tel que retenu par l’analyse, ne lui aurait plus permis d’exercer sa mission à la pleine satisfaction de son supérieur hiérarchique.
Le demandeur cite ensuite l’article 77, point 8.1 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, sur lequel la commission médicale se serait basée, pour souligner que ledit article viserait la « délivrance » et le « renouvellement » d’un permis de conduire mais non pas le « retrait », de sorte que le ministre ne pourrait pas se baser sur ledit avis, lequel indiquerait une fausse base légale. Dans la mesure où il ne serait pas visé par les deux hypothèses énoncées par l’article en question, qui serait d’interprétation stricte pour revêtir le caractère d’une sanction, le ministre n’aurait pas pu procéder au retrait de son permis de conduire. La décision déférée devrait dès lors encourir l’annulation.
Dans son mémoire en réplique, Monsieur … souligne encore plus particulièrement que l’analyse capillaire effectuée ne reflèterait qu’un « état photographique » relatif à une consommation d’alcool sur une période maximale de 3,5 mois et ne saurait laisser conclure à un état d’infirmité définitif dans son chef. Il indique que les faits ayant mené aux décisions judiciaires invoquées par le ministre s’expliqueraient par fait qu’il aurait consommé des boissons alcooliques le jour d’anniversaire de la mort de sa compagne, mère de ses deux enfants, et pour lesquels il aurait déjà exprimé ses regrets. Le ministre, en ayant arrêté de manière définitive son appréciation quant à son état de santé au seul examen des résultats de l’analyse capillaire, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation. Selon le demandeur, il aurait plutôt appartenu au ministre de l’inviter de s’abstenir pendant une période prolongée de toute consommation de boissons alcooliques afin d’avoir la certitude quant à l’existence, sinon la persistance, d’un état d’infirmité qui aurait pour conséquence une impossibilité de participation sans danger ni risque à la circulation sur la voie publique.
Il sollicite finalement et à titre subsidiaire l’instauration d’une expertise afin de déterminer s’il souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou ses capacités de conduire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève que, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinés à protéger des intérêts privés. Confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, tel que cela est le cas en l’espèce, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité, étant relevé que la sanction d’une disproportion est limitée au cas exceptionnel où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité. Par ailleurs, il ne saurait annuler la décision prise qu’au cas où l’erreur d’appréciation reprochée au ministre, qu’il aurait commise dans le cadre de la marge d’appréciation qui lui est laissée plus particulièrement en l’espèce à travers l’article 2 de la loi du 14 février 1955, est manifeste1.
L’article 2 de la loi du 14 février 1955 dispose dans son paragraphe 1er que « Le ministre ayant les Transports dans ses attributions, désigné ci-après «le ministre», délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé: […] 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire; […] ».
Il suit de l’article 2 de la loi du 14 février 1955, précité, que le ministre peut retirer les permis de conduire civils, notamment, quand l’intéressé souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.
Si les infirmités et troubles ainsi visés ne sont certes pas clairement précisés, il convient de se référer, par analogie, en ce qui concerne l’éthylisme, au point 8.1. de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, intitulé « Alcool », article visant certes, tel que souligné par le demandeur, la délivrance et le renouvellement d’un permis de conduire, mais qui, situé dans le contexte général du point « C.- Les conditions médicales à remplir par les conducteurs » de la section II. du chapitre IV. dudit arrêté grand-ducal dans lequel s’inscrit l’article 77 précité, et lu en combinaison avec les dispositions finales, notamment de l’avant-dernier paragraphe dudit article 77, qui dispose que : « Si par ailleurs, le titulaire d’un permis de conduire ne satisfait pas aux conditions minimales précitées au présent article, le permis de conduire peut être retiré […] et sa restitution peut être refusée. […] », s’applique également au retrait et la restitution d’un permis de conduire, de sorte que les contestations du demandeur quant à l’application du point 8.1. de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 sont à rejeter.
Ledit point 8.1. de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 dispose que :
1 Trib. adm., 27 février 2013, n° 30584 du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu « Le permis de conduire n’est ni délivré ni renouvelé si l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de l’alcool ou s’il ne peut dissocier la conduite de la consommation d’alcool.
En cas de dépendance vis-à-vis de l’alcool, le permis de conduire peut être délivré ou renouvelé, sur avis motivé de la commission médicale, au terme d’une période prouvée d’abstinence et sous réserve d’un contrôle médical régulier. […] ».
Il ressort des dispositions légales précitées qu’une personne doit être considérée comme souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire si elle se trouve en état de dépendance vis-à-vis de l’alcool ou si elle ne peut pas dissocier la conduite de la consommation d’alcool.
Dès lors et dans la mesure où les conditions prévues par l’article 77, point 8.1. de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, précité, sont des conditions alternatives, le seul fait qu’une condition soit remplie dans le chef de l’intéressé est suffisant pour justifier qu’il souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.
En l’espèce et en ce qui concerne la condition ayant trait à une dépendance de Monsieur … à l’égard d’alcool, dépendance contestée par ce dernier, il ressort des pièces versées au dossier administratif, et plus précisément du rapport d’analyse toxicologique de ses cheveux effectué en date du 28 septembre 2018 que le taux d’éthyl glucuronide de 169,6 pg/mg détecté dans ses cheveux laisse conclure à une consommation excessive et régulière d’alcool sur une période de 3,5 mois avant le prélèvement des cheveux.
A cet égard, il échet de prime abord de rejeter les allégations du demandeur suivant lesquelles le rapport des analyses toxicologiques de ses cheveux serait incomplet et manquerait de composantes d’individualisation requises dans le cadre de l’identification et de la spécification de l’échantillon. En effet, il résulte dudit rapport qu’en date du 28 septembre 2018 des cheveux de couleur noire, d’une longueur de 3,5 cm appartenant à Monsieur …, né le …, ont été prélevés au Laboratoire National de Santé et ont fait l’objet d’une une analyse capillaire d’alcool, dont le résultat affichait un taux d’éthyl glucuronide de 169,6 pg/mg de cheveux. La circonstance que ledit rapport ne mentionne ni le numéro de référence du ministère du Développement durable et des Infrastructures ni la date de la demande du rapport d’expertise, éléments figurant sur les courriers recommandés du ministre des 28 mars, 24 mai et 18 septembre 2018 adressés à Monsieur … l’invitant à effectuer des analyses toxicologiques des cheveux, ne saurait laisser conclure, à défaut de tout autre élément, que l’échantillon analysé aurait appartenu à autrui, tel que l’entend suggérer le demandeur, étant encore souligné que la communication du numéro de référence dudit ministère et la date de la demande du rapport d’expertise à la personne responsable au service de toxicologie médico-
légale du Laboratoire National de Santé a appartenu au demandeur. La circonstance que Monsieur … aurait, pendant la période concernée, travaillé en tant que contrôleur auprès de l’organisme de la sécurité sociale, ne saurait pas non plus invalider le résultat de ces analyses toxicologiques des cheveux.
Concernant les pièces versées en cause par le demandeur, à savoir les analyses ETG urinaires effectuées les 13, 19 et 28 juin 2019 ainsi que le 5 juillet 2019 indiquant comme résultat un taux EtG urinaire de 0,1 mg/L, 0,39 mg/L, 6,36 mg/L et « non-décelé » afin de remettre en cause le rapport d’analyse toxicologique de ses cheveux effectué en date du 28 septembre 2018, force est de souligner que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours. Il en va autrement dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question, puisqu’elle peut affecter la légalité de la décision litigieuse, qui a alors, le cas échéant, été prise sur base d’une situation de fait erronée2.
Dans la mesure où les analyses ETG urinaires effectuées les 13, 19 et 28 juin 2019 ainsi que le 5 juillet 2019 ont été établis consécutivement à la décision déférée du 15 novembre 2018 et ne tendent pas à établir la matérialité d’un fait tel qu’il existait au moment de la prise de la décision déférée, à savoir que Monsieur … souffre d’une infirmité ou d’un trouble susceptible d’entraver son aptitude à conduire, mais témoignent de l’évolution éventuelle de son aptitude à conduire suite à la décision déférée, le tribunal n’est par conséquent pas amené à les prendre en considération.
Ensuite, force est de constater que si les résultats ainsi dégagés permettent effectivement de dégager une consommation abusive et continue d’alcool, ces mêmes éléments ne permettent cependant pas, faute de pièces complémentaires, de conclure ipso facto que l’assujettissement à l’alcool du demandeur soit tel que la suppression de la consommation de l’alcool dans son chef se manifesterait effectivement par un ensemble de troubles physiques respectivement psychiques, étant encore relevé à cet égard que le docteur … du Laboratoire National de la Santé est resté muet sur un tel état de dépendance.
Il s’ensuit qu’il n’est pas avéré que la première condition inscrite au point 8.1. de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, condition ayant trait à un état de dépendance de l’intéressé à l’égard d’alcool est remplie en l’espèce.
Concernant ensuite la deuxième condition figurant au même point 8.1. de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, laquelle a trait au défaut de pouvoir dissocier la conduite de la consommation d’alcool, il résulte des éléments du dossier administratif soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur … a été condamné pour conduite sous influence d’alcool, le du 25 février 2008, pour avoir circulé le 9 avril 2007 avec un taux d’alcool de 0,80 mg par litre d’air expiré, le 9 mars 2018, pour avoir circulé le 7 octobre 2017 avec un taux d’alcool de 1,19 mg par litre d’air expiré et le 10 décembre 2018, pour avoir circule le 6 mars 2018 avec un taux d’alcool de 0,69 mg par litre d’air expiré.
Si l’infraction commise en date du 9 avril 2007 est certes trop éloigné dans le temps pour motiver à elle seule un défaut de pouvoir dissocier la conduite de la consommation d’alcool, il n’en reste pas moins que malgré cette condamnation pour laquelle il a d’ores et déjà fait l’objet d’une interdiction de conduire de plusieurs mois assortie du sursis intégral, il a repris ses habitudes en ce qui concerne sa consommation d’alcool pour avoir fait l’objet de deux condamnations judiciaires pour des infractions commises le 7 octobre 2017, respectivement le 6 mars 2018. Par ailleurs, et comme retenu ci-avant, il ressort de l’analyse capillaire du 28 septembre 2018 que la « concentration de l’éthyl glucuronide dans les cheveux est compatible avec une consommation excessive et régulière d’alcool dans une période d’environ 3,5 mois avant le prélèvement des cheveux », de sorte que, et compte tenu du comportement intransigeant du demandeur en ce qui concerne la consommation d’alcool, 2 Trib. adm., 8 juin 2015, n° 35102 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Recours en annulation n° 26, et les autres références y citées.
ainsi que de ses antécédents judiciaires, le tribunal est amené à retenir que Monsieur … n’est pas en mesure de dissocier la conduite de la consommation d’alcool, de sorte à souffrir d’une infirmité ou d’un trouble susceptible d’entraver son aptitude à conduire.
Il échet encore de relever que la décision ministérielle est proportionnelle par rapport aux faits en cause, dans la mesure où le demandeur a, de manière répétitive, conduit un véhicule sous l’influence d’alcool et l’analyse capillaire a encore relevé en date du 28 septembre 2018 une concentration de l’éthyl glucuronide dans les cheveux compatible avec une consommation excessive et régulière d’alcool dans une période d’environ 3,5 mois avant le prélèvement des cheveux. L’affirmation du demandeur, suivant laquelle il aurait consommé des boissons alcooliques uniquement le jour d’anniversaire de la mort de sa compagne étant encore contredite par les dates des infractions à la réglementation routière, les infractions ayant, en effet, eu lieu le 7 octobre 2017 et le 6 mars 2018, à savoir à différentes saisons de l’année.
Il s’ensuit que le ministre a, à juste titre, pu se baser sur l’article 2, paragraphe (1), point 4) de la loi du 14 février 1955 pour retirer le permis de conduire à Monsieur ….
Cette constatation n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur, suivant laquelle les résultats de l’analyse capillaire ne sauraient laisser conclure à un état d’infirmité définitif dans son chef, dans la mesure où ces analyses, conjuguées avec les condamnations judiciaires de l’intéressé en matière d’alcoolisme, témoignent uniquement d’une incapacité de Monsieur … de dissocier la conduite de la consommation d’alcool permettant au ministre de procéder au retrait de son permis de conduire et non pas d’une quelconque infirmité permanente dans son chef.
A cet égard, il convient de relever, à l’instar de la partie étatique, que le demandeur a, à tout moment, la possibilité de solliciter le réexamen de son dossier, et pourra à ce moment prétendre à la restitution de son permis de conduire. Ainsi, et si le retrait du permis du demandeur n’est a priori pas limité dans le de temps et ne prévoit pas de conditions particulières en vue du recouvrement du permis, le recouvrement de son droit de conduire n’étant en effet conditionné que par une demande en ce sens à introduire par ses soins auprès du ministre et par le fait qu’il respecte les conditions légales et réglementaires applicables et plus particulièrement qu’il ne présente plus d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes de conduire.
Elle n’est pas non plus énervée par l’affirmation du demandeur, suivant laquelle, le ministre aurait dû l’inviter de s’abstenir pendant une période prolongée de toute consommation de boissons alcooliques, dans la mesure où, (i) aucune disposition légale oblige le ministre de procéder de la sorte, (ii) entre la première invitation du ministre de procéder à des analyses toxicologiques des cheveux le 28 mars 2018 et la date effective du prélèvement de l’échantillon chez le demandeur le 28 septembre 2018, 6 mois se sont écoulés, de sorte que le demandeur a eu suffisamment de temps pour réduire sa consommation d’alcool, ce qu’il n’a toutefois pas fait, et (iii) et tel que relevé déjà ci-avant, le demandeur a, à tout moment la possibilité de solliciter la restitution de son permis de conduire et de démontrer qu’il ne présente plus d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes de conduire.
Il y a finalement lieu de rejeter la demande en institution d’une expertise formulée par le demandeur, celle-ci n’étant, au vu des développements qui précèdent, pas concluante. Par ailleurs aux termes de l’article 351 du Nouveau code de procédure civile, applicable dans le cadre du présent litige, alors que dans la mesure où le règlement de procédure applicable devant les juridictions administratives n’y déroge pas, les prescriptions du Nouveau code de procédure civile sont à suivre en la matière3, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, une mesure d’instruction ne pouvant en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.
Or, en l’espèce l’offre de preuve telle que formulée par le demandeur tend à suppléer à son défaut de produire des pièces attestant l’absence d’infirmités ou de troubles, au moment de la prise de la décision litigieuse, susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur, de sorte qu’il y a lieu de la rejeter.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Monsieur … sollicite encore la condamnation de l’Etat à lui payer une indemnité de procédure de 2.500.-€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est cependant à rejeter compte tenu de l’issue du présent litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation :
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
rejette la demande en institution d’une expertise ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2020 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
3 Trib. adm., 30 octobre 1997, n° 8936 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 702 et les autres références y citées.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 10