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01/07/2020 | LUXEMBOURG | N°43021

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 juillet 2020, 43021


Tribunal administratif N° 43021 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2019 3e chambre Audience publique du 1er juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, … (Royaume-Uni), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43021 du rôle et déposée le 27 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Bernard FELTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à … (Royaume-Uni), ayan...

Tribunal administratif N° 43021 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2019 3e chambre Audience publique du 1er juillet 2020 Recours formé par Monsieur …, … (Royaume-Uni), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43021 du rôle et déposée le 27 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Bernard FELTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à … (Royaume-Uni), ayant élu domicile à l’étude de Maître Bernard FELTEN sise à L-1258 Luxembourg, 2, rue Jean-Pierre Brasseur, tendant, selon le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 18 juillet 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2019 par Maître Bernard FELTEN au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Sarah LAMM, en remplacement de Maître Bernard FELTEN et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2020.

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En date du 11 décembre 2017, Monsieur … soumit la déclaration pour l’impôt sur le revenu et la déclaration pour l’établissement du bénéfice commercial et pour l’impôt commercial de l’année 2016 à l’administration des Contributions directes, en faisant état d’un bénéfice commercial de ….-€ résultant de l’exonération des droits de propriété intellectuelle visés à l’article 50bis de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR », en raison de la création d’un programme informatique dont les droits auraient été constitués.

Par courrier du 13 juin 2018, le bureau d’imposition Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », informa Monsieur … sur le fondement du paragraphe 205 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », qu’il envisageait de refuser l’exonération suivant 1l’article 50bis LIR au motif que : « […] votre programme d’ordinateur ne constitue pas une œuvre originale.

1) En effet, votre création ne constitue qu’une simple application VBA qui est une implémentation de Microsoft Visual Basic qui est intégrée dans toutes les applications de Microsoft Office. VBA ne peut normalement qu’exécuter du code dans une application hôte Microsoft Office. (et non pas d’une application autonome, il requiert donc une licence Microsoft) 2) En examinant vos dépenses d’exploitation en relation avec la création et portés à l’actif du bilan, on se rend compte que … € du montant déclaré de … € constitue des factures de votre fiduciaire …. (soit 91,47%) et le reste sont des factures à une société … et à un citoyen de l’Afrique du Sud(probablement les vrais auteurs de l’application) […] » tout en l’invitant à formuler ses objections éventuelles dans les trois semaines.

En date du 18 juillet 2018, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur … le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, en retenant un bénéfice commercial de ….-€, tout en y indiquant : « Imposition svt. notre courrier du 13/06/2018 sub. bénéfice commercial :

l’exonération svt. les dispositions de l’art. 50Bis Lir a été refusée. ».

Par courrier du 18 septembre 2018, Monsieur … introduisit une réclamation à l’encontre du bulletin précité de l’année 2016 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».

En date du 11 janvier 2019, le directeur procéda à une mise en état sur base des paragraphes 228, 235, 243, 244 et 171 AO en invitant Monsieur … : « […] à fournir les extraits bancaires indiquant le paiement des redevances à hauteur de … euros par la société anonyme … (cf. facture du 31 mars 2017), à indiquer si le programme « … » a été déposé et enregistré en tant que droit d’auteur sur un logiciel informatique (p.ex. en tant qu’« i-dépôt » auprès de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle), à fournir l’étude prix de transfert établie par la société à responsabilité limité … et portant sur « le niveau approprié de redevance » pour l’utilisation du logiciel « … », à fournir le contrat de location de l’immeuble sis au … en vigueur en 2016, à fournir le contrat de sous-location de l’immeuble sis au … en vigueur en 2016, à expliquer si un jugement de divorce a été prononcé suite à la requête de divorce enregistrée le 16 mai 2006 au Tribunal de grande instance de Paris, à présenter l’intégralité des extraits bancaires faisant état des pensions alimentaires payées à la dame … respectivement des contributions à l’entretien et à l’éducation payées pour compte des enfants … en 2016, à renseigner tous les biens immobiliers à l’étranger dont il est propriétaire, le cas échéant, avec indication des revenus y afférents, à fournir le bulletin d’impôt émis par les autorités fiscales françaises se rapportant à l’année d’imposition 2016, […] » pour le 18 février 2019 au plus tard.

Par décision du 14 mars 2019, référencée sous le numéro …, le directeur rejeta comme non fondée la réclamation lui soumise par Monsieur … en les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite le 1er octobre 2018 par le sieur …, demeurant à UK - …, pour réclamer contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 18 juillet 2018 ;

2Vu le dossier fiscal ;

Vu la mise en état du directeur des contributions du 11 janvier 2019, en vertu des §§ 243, 244 et 171 de la loi générale des impôts (AO), restée sans réponse ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le réclamant fait grief au bureau d’imposition de lui avoir refusé l’application des dispositions prévues à l’endroit de l’article 50bis de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.), i.e. l’exonération partielle de 80% du montant net positif des revenus perçus à titre de rémunération pour l’usage ou la concession de l’usage, entre autres, d’un logiciel informatique ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que le directeur a procédé en date du 11 janvier 2019 à une mesure d’instruction du dossier afin de se procurer de plus amples détails en ce qui concerne l’imposition effectuée ; que ladite mise en état a été libellée comme suit :

- le réclamant est invité à fournir les extraits bancaires indiquant le paiement des redevances à hauteur de … euros par la société anonyme … (cf. facture du 31 mars 2017), à indiquer si le programme « … » a été déposé et enregistré en tant que droit d’auteur sur un logiciel informatique (p.ex. en tant qu’« i-dépôt » auprès de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle), à fournir l’étude prix de transfert établie par la société à responsabilité limitée … et portant sur « le niveau approprié de redevance » pour l’utilisation du logiciel « … », à fournir le contrat de location de l’immeuble sis au … en vigueur en 2016, à fournir le contrat de sous-location de l’immeuble sis au … en vigueur en 2016, à expliquer si un jugement de divorce a été prononcé suite à la requête en divorce enregistrée le 16 mai 2006 au Tribunal de grande instance de Paris, à présenter l’intégralité des extraits bancaires faisant état des pensions alimentaires payées à la dame … respectivement des contributions à l’entretien et à l’éducation payées pour compte des enfants … en 2016, à renseigner tous les biens immobiliers à l’étranger dont il est propriétaire, le cas échéant, avec indication des revenus y afférents et à fournir le bulletin d’impôt émis par les autorités fiscales françaises se rapportant à l’année d’imposition 2016 ;

Considérant que cette injonction est cependant restée sans réponse à ce jour ;

3Considérant que, partant, le directeur, se trouvant inhibé à poursuivre son instruction, se voit dans l’impossibilité de trancher, des éléments impérativement nécessaires à la base d’une perception claire et nette de la situation de fait et de droit faisant défaut ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».

Par courrier recommandé avec accusé de réception, envoyé le 22 mars 2019 et réceptionné le 25 mars 2019, Monsieur … fit parvenir, à travers son litismandataire, les documents sollicités par le directeur dans sa mise en état du 11 janvier 2019, tout en l’informant que le programme « … » n’a pas fait l’objet de dépôt ni d’enregistrement en tant que droit d’auteur sur un logiciel informatique.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 mai 2019, inscrite sous le numéro 43021 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, selon le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 18 juillet 2018.

A titre liminaire, le tribunal est amené à soulever, tel qu’indiqué à l’audience publique des plaidoiries, une incohérence quant à l’objet du recours. Si suivant la première page de la requête introductive d’instance, le recours tend à la réformation de la décision directoriale du 14 mars 2019, il ressort du dispositif de cette requête que le recours tend à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 18 juillet 2018.

A l’audience publique des plaidoiries, le litismandatire du demandeur s’est rapporté à prudence de justice, tandis que le délégué du gouvernement a indiqué qu’un problème de recevabilité pourrait résulter de cette indication au dispositif de la requête introductive d’instance.

Il est exact qu’en principe le tribunal est exclusivement saisi des demandes figurant au dispositif de la requête introductive d’instance1 et que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance et précisé, le cas échéant, à travers le dispositif du mémoire en réplique2. Néanmoins, en présence d’une contrariété entre le corps et le dispositif de la requête quant à l’objet du recours, s’il se dégage par ailleurs sans méprise possible du corps de la requête sous-tendant directement le dispositif quelle est en réalité la décision que le demandeur au recours entend attaquer, et s’il en ressort que la décision mentionnée dans le dispositif ne peut être que le résultat d’une simple erreur matérielle, le tribunal peut valablement considérer que le recours est dirigé contre la décision qui se dégage de la motivation du recours, sans mettre en cause la recevabilité du recours, si par ailleurs les droits de la défense sont garantis3.

1 Trib. adm., 17 décembre 2001, n° 12830 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 331 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 13 juin 2005, n° 19368 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 332 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 17 décembre 2008, n° 24406 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Procédure contentieuse, n° 331 et les autres références y citées.

4 En l’espèce, il ressort sans aucun doute de la motivation de la requête, que le demandeur a entendu diriger le recours contre la décision du directeur du 14 mars 2019 rendue sur réclamation. En effet, la première page de la requête introductive d’instance indiquant la décision entreprise, fait état de la décision directoriale du 14 mars 2019 et dans le corps de ladite requête, il est fait référence à l’article 8, paragraphe (3), point 1 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après la « loi du 7 novembre 1996 », suivant lequel le tribunal connaît comme juge du fond des recours dirigés contre les décisions du directeur. A cela s’ajoute que dans le dispositif de sa requête introductive d’instance, le demandeur sollicite encore le renvoi de l’affaire devant le directeur, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le fait d’avoir également fait référence dans le dispositif de la requête introductive d’instance au bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 18 juillet 2018 est le résultat d’une erreur matérielle. D’ailleurs, le délégué du gouvernement, dans ses mémoires en réponse et en duplique, a valablement pu cerner l’objet du recours et prendre utilement position, dans la mesure où il a considéré le recours comme étant dirigé contre la décision directoriale du 14 mars 2019, de sorte que le tribunal constate qu’aucune lésion des droits de la défense ne peut être retenue. Dans ces conditions, le recours sera analysé comme ayant été dirigé contre la décision sur réclamation du directeur du 14 mars 2019.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), 1 de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre les bulletins de l’impôt sur le revenu.

Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, tout en expliquant que ses revenus commerciaux résulteraient de l’exploitation d’un logiciel d’aide à la sélection d’investissements « … » mis au point par lui, pour son propre compte et durant de longues années. Il aurait, par la suite, accordé une licence d’exploitation à la société anonyme … SA, ci-après la société « … » au sein de laquelle il exercerait, par ailleurs, une fonction d’administrateur délégué et de salarié. Grâce aux redevances payées par la société … en vue de l’exploitation du logiciel « … », le fond de cette dernière, à savoir … aurait performé et aurait été classé sur la base de référence de l’analyse de fonds « … ». L’étude « … » au 30 septembre 2018 aurait, en effet, mis en avant ledit fond comme étant le 2ème fonds ayant le mieux performé sur l’année, avec un « Sharpe » supérieur à 1. Le fond aurait encore été classé, pour 2018, 2ème dans le « Top 3 » des performances sur un an et un des deux seuls fonds à avoir une performance positive sur un an.

Il aurait encore été mis en avant par « … ».

En droit, et après avoir cité les dispositions de l’article 50bis LIR, le demandeur fait en premier lieu valoir qu’il ne serait pas contesté en cause que les trois conditions cumulatives prévues audit article seraient remplis en l’espèce.

En deuxième lieu, et concernant son logiciel « … », il indique avoir décidé de faire réaliser une étude préalable de « transfer pricing » par « … », qui aurait au préalable sollicité un avis de l’étude « … », rendu le 17 novembre 2016. Concernant plus particulièrement la qualité d’œuvre protégée du logiciel développé par lui, le demandeur cite ledit avis de l’étude « … », lequel arrive à la conclusion que le logiciel « … » constituerait une œuvre protégée par les droits d’auteur au sens de la loi modifiée du 18 avril 2011 sur les droits d’auteur, les droits voisins et 5les bases de données, ci-après la « loi du 18 avril 2011 », le demandeur ajoutant encore que son œuvre serait protégée dès sa création sans qu’aucune formalité ne serait nécessaire et que l’usage du langage VBA, intégré à Excel n’enlèverait pas le caractère original audit logiciel, alors qu’il disposerait d’un code source propre, permettant des sélections d’investissements, propres à son expérience professionnelle résultant d’une carrière de 25 années dans la finance, ainsi que dans le domaine du développement de logiciels. Le logiciel « … » répondrait ainsi bien aux exigences requises en matière de droits d’auteur, contrairement aux allégations de l’administration des Contributions directes.

Troisièmement, le demandeur fait valoir qu’il serait, contrairement aux doutes émis par l’administration des Contributions directes, bien l’auteur du logiciel « … », dans la mesure où ledit logiciel serait le résultat de toute son expérience professionnelle. A cet égard, il indique être actif dans le milieu financier depuis 1994 et avoir mis en place un outil Excel de suivi du risque. En 1995, il aurait mis en place un premier logiciel d’analyses de stratégies d’options de change et aurait été chef de projet du logiciel « … ». Entre 1997 et 2013, il aurait été fondateur et président d’une société de développement de progiciels sur les options, au sein de laquelle il aurait écrit en VBA le logiciel « … » qui serait un outil conçu pour l’analyse et la gestion de stratégies d’options de change. Cet outil aurait été largement reconnu dans le domaine, et sur un large territoire, alors qu’il aurait notamment été sollicité par « … » à Londres, la « … » à Genève, la « … », la « … », « … », « … » à Amsterdam, « … », « … » en Suède, « … » ou « … ». Il aurait ainsi la compétence nécessaire dans le domaine de la finance ainsi que dans la conception et l’écriture de logiciels, lui permettant l’écriture du logiciel « … ». Le demandeur conteste encore l’affirmation de l’administration des Contributions directes basée sur les factures versées en expliquant que la facture de la société à responsabilité limitée … SARL, ci-

après la « société … » correspondrait à la prestation « VB code review and beautifuling », dont la revue du code VB nécessiterait l’existence de ce code qui n’aurait donc pas été écrit par la société …. A cela s’ajouterait qu’un programme ayant dès sa première année généré le versement de ….-€ de redevances et ayant permis un classement sur le base de référence de l’analyse de fonds « … », n’aurait pas pu être mis au point en un laps de temps si court, le demandeur soulignant à cet égard que l’offre et la facture adressées à la société … datent de décembre 2015, respectivement de janvier 2016. La facture « … » concernerait des travaux de « Research, UAT and document preparation », de sorte que la conception et l’écriture du logiciel ne ferait ainsi pas partie des prestations effectuées. Par ailleurs, le nom du logiciel « … » serait déjà cité dans cette facture, de sorte qu’il en aurait été préexistant. Dans un contexte plus global, le demandeur explique encore qu’il aurait fait appel à la société … suite à une réunion qu’il aurait pu avoir avec « … » pour préparer son dossier. « … » lui aurait, à ce moment, suggéré de faire revoir le logiciel par une société tierce pour avoir une appréciation externe du logiciel. La mission de la société … se serait ainsi limitée à cette appréciation externe du logiciel.

« … » pour sa part, serait un développeur « free-lance » qui n’aurait aucune connaissance financière.

Si le tribunal venait à considérer que l’œuvre en cause ne serait pas la sienne, le demandeur estime que les concepts de l’œuvre dirigée au sens de l’article 6 alinéa 1er de la loi du 18 avril 2011 devraient s’appliquer, dont les conditions cumulatives d’antériorité du concept d’ensemble, de direction effective, de divulgation sous son nom et de pluralité d’auteurs seraient réunies en l’espèce, de sorte qu’il serait, suivant ledit article, investi à titre originaire des droits patrimoniaux et moraux d’auteur sur l’œuvre.

Le demandeur conclut dès lors à la réformation de la décision directoriale sous analyse.

6Le délégué du gouvernement, après avoir rappelé que la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartiendrait au contribuable, fait valoir que les compétences alléguées de Monsieur … ne seraient pas appuyées par des éléments probants permettant de corroborer ses dires, la partie étatique critiquant plus particulièrement ses compétences de codage nécessaires pour développer le logiciel dénommé « … ». Les postes de gestionnaire de projet et de fondateur ou gérant, desquels se prévaut le demandeur, ne seraient pas des tâches qui présupposeraient ou nécessiteraient des compétences professionnelles en codage informatique, mais relèveraient de la gestion d’entreprise ou du management d’équipe.

Concernant l’avis de l’étude « … », le délégué du gouvernement critique le manque de plusieurs pages de cet avis et l’absence de signature et donne à considérer que ledit avis serait fondé sur une présentation du logiciel « … » du 15 septembre 2015 effectuée par le demandeur, ainsi que sur les rapports de revue technique du 14 décembre 2015 émanant de « … » et du 29 décembre 2015 émanant de la société …, qui n’auraient toutefois pas été versés en cause.

Concernant le logiciel « … », la partie étatique fait valoir que le « software license agreement » conclu en date du 7 décembre 2016 entre Monsieur … et la société anonyme … décrirait ledit programme comme un « Excel based spreadsheet which, by a connection through Reuters and usage of Visual Basic for Application code » et que la facture du 22 décembre 2015 de la société … indiquerait que le programme constituerait des « Visual basic macros ». Or, Microsoft définirait « macros » dans Excel comme « une action ou un ensemble d’actions que vous pouvez exécuter autant de fois que vous le souhaitez. Lorsque vous créez une macro, vous enregistrez vos clics de souris et vos frappes de touche ». Excel disposerait également d’un onglet « développeur » permettant de créer facilement des macros pour automatiser certains « clics de souris » et « frappes de touches » par le biais de simples « scripts » en langage VBA, de sorte que tout utilisateur d’Excel pourrait s’emparer de cette fonctionnalité afin d’automatiser certains traitements manuels sans devoir être un programmeur avancé. Ces macros VBA seraient, par ailleurs, librement disponibles sur internet et pourraient être téléchargées sous forme de modules et intégrés dans Excel selon le besoin de son utilisateur.

Contrairement aux affirmations du demandeur, le logiciel « … » ne serait pas un programme d’ordinateur protégé en soi, étant donné qu’il se limiterait à l’utilisation d’une fonctionnalité avancée d’Excel qui lui-même serait à qualifier de programme d’ordinateur protégé par Microsoft.

Le logiciel en question ne répondrait pas non plus à l’exigence de l’originalité, le délégué du gouvernement citant à cet égard la jurisprudence des juridictions judiciaires en la matière, tout en soulignant que l’avis de l’étude « … », versé en cause par le demandeur, serait assez sommaire à cet égard, mais indiquerait, en revanche, que le critère d’originalité ne serait pas donné à ce stade puisqu’il ne serait pas à exclure que le logiciel en question serait une copie d’autres macros ou que des macros librement disponibles y auraient été intégrées.

La partie étatique conteste ensuite la qualité d’auteur de Monsieur …, dans la mesure où Monsieur …, la société …, et la société … seraient intervenus dans l’élaboration des macros Visual Basic.

Elle conteste finalement la qualification d’œuvre dirigée donnée à titre subsidiaire, étant donné que les factures du 14 décembre 2015 et du 28 janvier 2016 se situeraient à une date postérieure à la date de la création du 15 septembre 2015 du logiciel.

L’article 50bis LIR ne trouverait donc pas application en l’espèce.

7Dans son mémoire en réplique, Monsieur … se base encore sur une attestation testimoniale, suivant laquelle il serait bien l’auteur de la rédaction VBA qui aurait été faite à un niveau de codage qu’un utilisateur moyen d’Excel n’aurait pas pu faire, le demandeur soulignant encore que toute création de logiciel présupposerait un codage au travers d’un langage et que les écritures développées par lui intègreraient des données propres, développées directement par lui et qualifiant ainsi cet ensemble de logiciel, le demandeur estimant encore que la preuve d’un fait négatif ne serait pas possible, de sorte qu’il appartiendrait à la partie étatique de prouver que son œuvre constituerait une copie.

Le demandeur conteste encore la lecture faite par l’Etat de l’avis de l’étude « … » en ce qui concerne le critère d’originalité de l’œuvre qui serait, en matière de programmes d’ordinateur, relatif plutôt qu’absolu, dans la mesure où ce serait de façon comparative que le critère d’originalité d’un programme d’ordinateur pourrait être vérifié. L’évaluation intégrale, et donc la validation définitive du critère d’originalité, ne saurait partant être possible qu’après naissance d’un contentieux opposant l’auteur d’un programme à celui d’un logiciel tiers. Or, l’Etat n’apporterait pas la preuve, et ne prétendrait même pas, que le logiciel développé par lui serait effectivement la copie d’un autre programme d’ordinateur, mais se limiterait à contester l’originalité du logiciel, ce qui reviendrait à priver tous les logiciels de la protection qui leur est accordée par la loi sur les droits d’auteur. Le demandeur souligne encore l’absence de litige avec un tiers contestant l’originalité de son logiciel et engendrant une analyse comparative, de sorte qu’il conviendrait de présumer cette originalité, acceptée, d’ailleurs, par la concurrence.

En ce qui concerne sa qualité d’auteur, Monsieur … critique encore l’argumentation étatique qu’il qualifie d’incohérent, et demande acte de l’aveu judicaire de l’Etat admettant que les factures « du 14 décembre 2015 de la part de Monsieur … et du 28 janvier 2016 de la part de la prédite société se situent à une date postérieure à la date de la création 15 septembre 2015 telle qu’indiquée dans le formulaire 750 de sa déclaration d’impôt. ».

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement, outre de mettre en exergue le non-respect formel de l’attestation testimoniale versée par le demandeur ainsi que la partialité manifeste de son auteur, soutient qu’il en ressortirait que le logiciel « … » constituerait uniquement de simples « macros » Excel permettant d’automatiser des clics de souris et frappes de touches de clavier, dénudés de toute originalité, qu’un utilisateur Excel moyennement averti pourrait créer sans difficultés majeures à l’aide des ressources disponibles en ligne. Les faibles frais d’intervention facturés par Monsieur … ainsi que la société … permettraient également de soutenir cet argument.

L’exigence d’originalité ferait encore défaut, dans la mesure où la création de simples « macros » Excel ne constituerait pas une activité suffisamment inventive et créative et ne reflèterait pas le travail d’un homme de l’art, l’affirmation de Monsieur … que le programme résulterait de son travail personnel durant de nombreuses années ne serait pas appuyée par une quelconque preuve permettant d’apprécier si le logiciel « … » était réellement le fruit d’un processus de recherche et de développement long et coûteux, et donc, d’une réflexion créative propre à son auteur, tel qu’il serait requis par le jurisprudence en la matière.

Le tribunal constate que la décision du directeur repose sur le constat que, malgré une mise en état du dossier du 11 janvier 2019 adressée par le directeur au demandeur afin de se procurer, entre autres, de plus amples détails en ce qui concerne le logiciel « … » litigieux, et dont le libellé a été repris dans la décision du directeur du 14 mars 2019 retranscrite ci-avant, le demandeur n’a fourni aucune réponse à cette injonction dans le délai imparti, de sorte que le 8directeur avait été inhibé à poursuivre son instruction et se voyait dans l’impossibilité de trancher la réclamation, au motif que des éléments impérativement nécessaires à la base d’une perception claire et nette de la situation de fait et de droit faisaient défaut. En conclusion, le directeur a rejeté la réclamation comme non fondée.

La décision directoriale litigieuse se limite dès lors au seul constat que le demandeur a mis le directeur dans l’impossibilité de procéder à un réexamen du dossier conformément aux dispositions du paragraphe 243 (1) AO, sans que le directeur n’ait toutefois pris position sur le bien-fondé des critiques soulevées par le demandeur à propos de l’imposition.

Le tribunal relève qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le 11 janvier 2019, le directeur avait adressé une mise en état au demandeur, par laquelle celui-ci avait été invité à fournir un certain nombre de pièces parmi lesquelles figurent également les extraits bancaires indiquant le paiement des redevances à hauteur de ….-€ par la société …, l’étude concernant le prix de transfert établie par « … » portant sur « le niveau approprié de redevance » pour l’utilisation du logiciel « … », et des renseignements, à savoir, si le programme « … » avait été déposé et enregistré en tant que droit d’auteur sur un logiciel informatique, pour le 18 février 2019 au plus tard. Force est encore de constater que par cette mise en état du 11 janvier 2019, le directeur a encore invité le demandeur à fournir des pièces ne concernant a priori pas le logiciel « … » actuellement litigieux, mais concernant d’autres éléments de sa déclaration de l’impôt, à savoir, les contrats de location et de sous-location d’un immeuble au …, le bulletin d’impôt de 2016 émis par les autorités fiscales françaises, les pièces concernant les pensions alimentaires payées à son épouse et à ses enfants, ainsi que des renseignements sur l’état de sa procédure de divorce en France et sur ses biens immobiliers à l’étranger.

Il n’est pas non plus contesté que, malgré cette invitation, le demandeur n’a pas fourni les renseignements demandés endéans le délai lui imparti, à savoir pour le 18 février 2019 au plus tard, et qu’il n’a pas sollicité un délai supplémentaire auprès du directeur afin de déposer les pièces et renseignements demandés.

Il est également constant en cause qu’à la date de la décision directoriale litigieuse, à savoir le 14 mars 2019, soit environ un mois après l’expiration du délai indiqué dans la mise en état du 11 janvier 2019 pour fournir les pièces et renseignements demandés, lesdites informations n’avaient pas encore été fournies au directeur par le demandeur.

Ce n’est que par courrier recommandé avec accusé de réception, envoyé le 22 mars 2019 et réceptionné par l’administration des Contributions directes le 25 mars 2019, donc postérieurement à l’émission de la décision directoriale du 14 mars 2019, que Monsieur … a fait parvenir au directeur les documents et informations sollicités dans la mise en état du 11 janvier 2019.

Dans ces conditions, la décision du directeur, limitée au seul constat qu’il est dans l’impossibilité de trancher la réclamation à défaut de pièces et renseignements supplémentaires, n’est pas sujette à critiques.

Il échet ensuite de constater que les pièces produites pour la première fois postérieurement à la décision du directeur refusant de faire droit à la réclamation du demandeur du 14 mars 2019 et ainsi versées au tribunal de céans dans le cadre de la procédure contentieuse, répondent a priori à l’ensemble des informations demandées par le directeur dans la mise en 9état du 11 janvier 2019, de sorte que le dossier soumis actuellement au tribunal est plus fourni que celui à la disposition du directeur au moment où il a statué sur la réclamation lui adressée.

Si dès lors, tel que cela a été retenu ci-avant, aucun reproche ne peut être fait au directeur lorsque, au moment de la prise de sa décision, il a retenu que malgré la mise en état adressée au demandeur, aucuns des pièces et renseignements demandés ne lui avaient été fournis et que, de ce fait, il a été mis dans l’impossibilité de trancher la réclamation, la situation est différente actuellement devant le tribunal.

Or, en l’espèce, le tribunal siège en tant que juge de la réformation, compétence qui s’entend comme l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés4 : aussi, il incombe au juge de la réformation de trancher le litige lui soumis sur base de tous les éléments de fait pertinents même postérieurs à l’acte décisionnel lui déféré, mais invoqués en cause par les parties, de sorte à devoir prendre en compte des éléments lui soumis postérieurement à la décision directoriale.

D’autre part, le tribunal relève que, contrairement au directeur saisi d’une réclamation, qui conformément au paragraphe 243 (1) AO, procède à un réexamen global du dossier, impliquant, le cas échéant, une réformation in pejus, le tribunal, dans le cadre du recours en réformation dont il est saisi, ne procède pas à un réexamen global de l’imposition, la réformation ne pouvant en l’occurrence pas aboutir à une réformation in pejus.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’au regard des pièces supplémentaires fournies par le demandeur au cours de la procédure contentieuse, non encore à la disposition du directeur au moment de la prise de sa décision, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision du directeur et de lui renvoyer le dossier pour qu’il puisse examiner la réclamation au regard des pièces ainsi produites.

Admettre que le tribunal procède à l’examen des moyens visant l’imposition tels que présentés à l’appui du recours du demandeur, sans que le directeur ne se soit prononcé sur l’imposition en tant que telle, impliquerait non seulement que la réclamation est examinée pour la première fois devant le tribunal administratif, de sorte que le contribuable perd son droit de voir examiné sa réclamation à un stade précontentieux, mais encore que le tribunal donne l’aval à l’attitude d’un contribuable ayant omis de fournir les renseignements demandés par le directeur et évitant de la sorte une réformation in pejus en ne produisant les informations demandées que postérieurement à la décision directoriale et ainsi, pour la première fois devant le tribunal administratif5.

4 Cour adm., 22 janvier 2009, n° 24751C du rôle, Pas. adm. 2019, V° Recours en réformation, n° 12, et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 4 juin 2018, n° 38662 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

10Le demandeur sollicite encore l’attribution d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000.-€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, qu’il y a lieu de rejeter, étant donné qu’il omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’il ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à sa charge.

Bien que le tribunal ait annulé la décision du directeur, et dans la mesure où la décision du directeur n’est, au regard des éléments que le directeur avait à sa disposition au moment où il a statué, pas sujette à critiques, il convient de laisser les frais et dépens de l’instance à charge du demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

le déclare fondé, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 14 mars 2019 et renvoie le dossier devant le directeur en prosécution de cause ;

rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

laisse les frais et dépens à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er juillet 2020 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juillet 2020 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43021
Date de la décision : 01/07/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-07-01;43021 ?

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