Tribunal administratif Numéro 40902 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2018 3e chambre Audience publique du 26 novembre 2019 Recours formé par la société anonyme … , …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40902 du rôle et déposée le 14 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme WILDGEN SA, établie et ayant son siège social à L-2320 Luxembourg, 69, boulevard de la Pétrusse, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 212946, représentée par Maître David MARIA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … , ayant son siège social à L-…, …, …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … , et représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 décembre 2017 prise sur réclamation dirigée contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, ainsi que le bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2014, tous les deux émis le 25 novembre 2016 par le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2018 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2018 par la société anonyme WILDGEN SA, préqualifiée, au nom et pour compte de la société anonyme … , préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître David MARIA, pour la société anonyme WILDGEN SA, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 février 2019.
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Suite au dépôt par la société anonyme … , ci-après désignée par « la société … », de sa déclaration fiscale le 29 mai 2015 pour l’année d’imposition 2014, et après un échange de courriers avec le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », ce dernier émit à son égard, le 25 novembre 2016, le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, ainsi que le bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année d’imposition 2014.
Par courrier entré au bureau d’imposition le 22 février 2017, la société … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’Administration des contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », contre ces bulletins émis le 25 novembre 2016.
Par décision n° … du 13 décembre 2017, le directeur déclara la réclamation de la société … non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 22 février 2017 par le sieur … et la dame … , de la société anonyme … , au nom de la société anonyme … , avec siège social à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l'impôt sur le revenu des collectivités de l'année 2014 et contre le bulletin de la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année 2014, tous les deux émis le 30 novembre 2016 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu'il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu'il n'y a pas lieu de la refuser en la forme ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition de lui avoir refusé la déduction de frais d'avocat et de conseils lui refacturés par une société appartenant au même groupe que la réclamante, les qualifiant ainsi de distributions cachées de bénéfices ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant qu'en date du 12 novembre 2015 le bureau d'imposition a adressé à la réclamante une lettre, conformément au § 205, alinéa 3 AO, afin de lui communiquer les divergences notables en sa défaveur par rapport à la déclaration pour l'impôt sur le revenu des collectivités et pour l'impôt commercial de l'année litigieuse, pour observation préalablement à l'imposition ;
Considérant que le § 205, alinéa 3 AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d'être entendu par le bureau d'imposition (« Recht auf Gehör ») dont le but est d'asseoir correctement l'obligation fiscale du contribuable compte tenu de sa situation patrimoniale ;
que la lettre adressée au contribuable dans le cadre de cette procédure constitue une invitation à ce dernier de faire part au bureau d'imposition de ses observations éventuelles, quant aux « wesentliche Abweichungen » que le bureau d'imposition envisage d'entreprendre, et ne constitue pas de décision exécutoire concernant ses droits et obligations ;
que la procédure du § 205, alinéa 3 AO s'inscrit en effet dans la phase d'élaboration de la décision, matérialisée moyennant l'établissement du bulletin d'impôt, de sorte qu'une information adressée aux contribuables sur cette base ne saurait faire l'objet d'un recours contentieux (TA du 23.10.2006, n° 19925) ;
Considérant qu'une réponse a été fournie par la réclamante au courrier du bureau d'imposition en date du 8 décembre 2015 tendant à justifier la déductibilité des frais litigieux ;
que cependant, le bureau d'imposition n'a pas accepté les arguments de la réclamante ; qu'en date du 12 décembre 2015 il a sollicité derechef un complément d'information afin « de fournir des explications et documents à conviction supplémentaires afin d'établir que les frais litigieux (…) sont fiscalement déductibles en tant que dépenses d'exploitation » ;
Considérant qu'une réponse a été fournie par la réclamante au courrier du bureau d'imposition en date du 5 janvier 2016 ; que, cependant, le bureau d'imposition n'a pas accepté les arguments de la réclamante et a, par la suite, émis les bulletins d'impôt litigieux ;
Considérant, à titre liminaire, qu'il semble opportun de retracer les origines des dépenses en cause ; que la réclamante appartient à un groupe de sociétés (ci-après : « le groupe … ») dont certaines ont dû faire face à une poursuite judiciaire en Irlande au cours des années 2011 et 2012 ; qu'en l'occurrence un groupe concurrent (ci-après : « le groupe … ») a déposé plainte le 6 septembre 2011 à la Haute Cour de l'Irlande (« THE HIGH COURT COMMERCIAL ») au motif que, entre autres, les cadres dirigeants du groupe … auraient rejoint le groupe … emportant des secrets commerciaux et des informations confidentielles de sorte que ce dernier aurait tenté de s'approprier d'une partie des activités et des clients du groupe … ; que, toutefois, le groupe … a renoncé aux poursuites engagées contre le paiement d'une compensation financière de la part du groupe … (i.e. … euros) ; que cet arrangement extrajudiciaire a été consigné par les parties concernées dans un « settlement agreement » en date du 13 novembre 2012 ;
Considérant que la réclamante fait partie des sociétés contre lesquelles la plainte susmentionnée a été déposée ; que lesdits frais ont été centralisés auprès d'une société du groupe … (i.e. la société anonyme …) en prenant en charge l'ensemble des frais d'avocats et de conseils se chiffrant au total à … euros ; que cette société a refacturé lesdits frais aux entités poursuivies en justice en fonction de leur chiffre d'affaires ; qu'en l'espèce, un montant de … euros a été refacturé à la réclamante en date du 31 décembre 2014 ;
Considérant que dans la présente réclamation les arguments de la réclamante ainsi que du bureau d'imposition tournent tous autour de la question de la déductibilité des frais d'avocat et de conseils en tant que dépenses d'exploitation en vertu de l'article 45 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) voire de leur qualification en tant que distributions cachées de bénéfices en vertu de l'article 164, alinéa 3 L.I.R. ; que, d'une part, le bureau d'imposition affirme que les explications fournies par la réclamante « n'élucident aucunement, à défaut de pièces justificatives probantes, le lien de la prédite poursuite judiciaire avec [s]es activités commerciales », et, d'autre part, la réclamante expose avoir prouvé à suffisance le lien causal entre les dépenses engagées et son activité commerciale ;
Considérant que force est de constater qu'une plainte à l'encontre des anciens dirigeants du groupe … et quatre sociétés du groupe … a été déposée le 6 septembre 2011 et qu'un arrangement extrajudiciaire a été consigné par les parties concernées en date du 13 novembre 2012 ; qu'il ressort du dossier fiscal que la plupart des factures d'avocat et de conseil ont été émises pendant les années 2011, 2012 et 2013, alors qu'uniquement deux factures se rapportent à l'année 2014 ; que la refacturation du montant de … euros à la réclamante a eu lieu le 31 décembre 2014, donc, à plus de trois ans depuis le dépôt de la plainte à la Haute Cour en Irlande ; que la question pertinente en l'espèce est avant tout celle de savoir si les frais litigieux sont à porter en déduction des recettes au titre de l'année 2014, dans l'hypothèse bien sûr, qu'ils seraient à considérer comme dépenses d'exploitation au sens de l'article 45 ;
qu'il y a donc lieu de toiser cette question par priorité ;
Considérant que dans la phase de l'instruction du dossier par le bureau d'imposition ce dernier a demandé des copies de toutes les factures afférentes aux poursuites judiciaires entamées voire l'arrangement extrajudiciaire ayant mis fin au procès susmentionné ; qu'il se dégage des pièces justificatives versées par la réclamante que des montants précis avaient été facturés régulièrement par des études d'avocats ou autres conseillers juridiques depuis l'année 2011 à la société anonyme … ne laissant donc aucun doute quant à la réalité des frais d'avocat et de conseils ; que les sociétés inculpées se sont fait assister conjointement par les mêmes avocats et conseillers juridiques depuis l'année 2011 ; qu'il est incontestable que lesdits frais étaient bien connus à l'avance par elles, et, partant, aussi par la réclamante vu son appartenance au même groupe … ; que lesdits frais auraient pu être refacturés par la société anonyme … aux autres sociétés, et donc aussi à la réclamante, année par année, quod non en l'espèce ; qu'au cas où une société tierce, donc, une société non apparentée et dans des conditions de marché normales, aurait pris en compte des frais pour compte d'autrui, ces frais auraient fait l'objet d'une refacturation dans l'immédiat ; qu'il a cependant fallu plus de trois ans depuis le dépôt de la plainte jusqu'à ce que la société anonyme … juge utile de refacturer, conformément au principe de la pleine concurrence, à trois sociétés concernées les frais en fonction de leur chiffre d'affaires se rapportant à l'année 2014 ; qu'il convient encore de noter que curieusement la société anonyme … , également visée par la plainte susmentionnée, n'a pas fait l'objet d'une refacturation des frais juridiques, laissant ainsi planer le doute sur l'exactitude de la méthode de répartition des frais à refacturer (les sociétés visées et la répartition en fonction du chiffre d'affaires de l'année 2014) ;
Considérant que la réclamante ne saurait non plus se prévaloir de l'ignorance du montant des frais juridiques en relation avec l'action intentée par le groupe … au motif que parmi son objet social figure, entre autres, la fourniture de prestations de services tel le conseil économique pour n'en citer qu'un seul ; qu'en tant que professionnelle en matière de prestation de services, la réclamante était en parfaite connaissance que les conseillers juridiques n'offrent pas leurs services à titre gratuit ;
Considérant qu'il y a lieu de rappeler que la requérante a été soumise aux obligations de la tenue d'une comptabilité régulière au sens des articles 197 et 205 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, des articles 8 à 11 du Code de Commerce et du § 160 (1) AO ;
Considérant que le § 162 AO détermine entre autres les conditions à respecter par les entreprises afin que leur comptabilité soit considérée comme tenue de manière régulière ;
Considérant qu'une comptabilité régulière en la forme et au fond est la représentation des comptes d'une entreprise dans une stricte chronologie et d'après les faits réels ; qu'elle est censée avoir enregistré de manière claire, précise et ordonnée toutes les opérations de cette entreprise, qu'elle doit avoir pris en considération de façon exacte l'intégralité des faits comptables ;
Considérant qu'il ne saurait être insinué à la réclamante de ne pas disposer d'une comptabilité régulière en conformité avec le § 162 AO ; que si la société anonyme … s'est basée sur le chiffre d'affaires de chacune des sociétés inculpées afin de leur refacturer les frais juridiques, la réclamante aurait pu fournir à cette dernière les chiffres d'affaires pour chaque exercice, vu la comptabilité régulière en bonne et due forme, afin de mieux répartir les frais entre les sociétés concernées ; que la réclamante avait pleine conscience des frais supportés par la société anonyme … pour son compte, de sorte qu'elle aurait également pu contacter cette dernière afin de se procurer les factures relatives aux frais d'avocat et de conseils, ne serait-ce que pour solliciter un bref résumé des charges constatées chaque année afin de les intégrer dans sa comptabilité des années respectives ; qu'il est sans équivoque qu'elle aurait reçu ces renseignements vu les liens étroits avec la société anonyme … ;
Considérant, tel que cela a été retenu ci-avant, que la société anonyme … n'a pas refacturé les frais litigieux aux sociétés concernées sur une base annuelle ; que la réclamante ne saurait nier le fait qu'elle avait connaissance, à l'époque, au moins approximativement des frais litigieux ; qu'à cet effet, respectivement à défaut de factures émises par des fournisseurs ou prestataires de services, les sociétés sont tenues à constater à l'avance des charges de l'exercice sous forme de provisions ;
Considérant que les provisions reflètent des charges probables (et non seulement éventuelles) qu'il convient de rattacher à l'exercice comptable au cours duquel elles sont apparues afin de dégager un résultat aussi fidèle que possible ;
Considérant qu'en général, le principe comptable communément appelé « principe de prudence », destiné à permettre aux tiers de se faire une idée du patrimoine et de la situation réelle d'une entreprise en en reflétant une image fidèle, prévoit que tout événement qui risque de diminuer la valeur du patrimoine de l'entreprise doit formellement être pris en compte ;
qu'en outre, tout événement pouvant augmenter la valeur du patrimoine de l'entreprise ne peut faire l'objet d'un enregistrement comptable, de sorte qu'une entreprise doit imputer immédiatement sur son résultat les charges dès lors que leur probabilité de réalisation est importante, et, qu'inversement, elle n'enregistre ses produits que lorsqu'ils sont certains ;
Considérant ainsi que d'après le principe de prudence inscrit à l'article 51 (1) c de la loi du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et modifiant certaines autres dispositions légales en vigueur depuis le 1er janvier 2005, il doit être tenu compte lors de l'évaluation des postes figurant dans les comptes annuels de tous les risques prévisibles et pertes éventuelles qui ont pris naissance au cours de l'exercice ou d'un exercice antérieur, même si ces risques ou pertes ne sont connus qu'entre la date de clôture du bilan et la date à laquelle il est établi, ainsi que des dépréciations ;
Considérant qu'une provision pour risques enregistre une augmentation du passif exigible à plus ou moins court terme, consécutive à une charge qui n'est pas encore effective à la clôture de l'exercice, mais qui est probable et liée à des opérations engagées dans l'exercice ; que même si seulement certains de ces risques se réalisent, ils génèrent des dettes auxquelles la société ne peut échapper, de sorte que ces dettes potentielles devraient être inscrites au passif, le moyen approprié en étant la comptabilisation d'une provision pour risques ;
Considérant plus particulièrement à ce titre, que l'article 44 de la loi précitée dispose que les provisions ont pour objet de couvrir des pertes ou dettes qui sont nettement circonscrites quant à leur nature et qui, à la date de clôture du bilan, sont ou probables ou certaines, mais indéterminées quant à leur montant ou quant à la date de leur survenance ;
Considérant encore qu'il suit d'un jugement du tribunal administratif que « Pour qu'une provision puisse être valablement inscrite dans les comptes annuels se rapportant à une année fiscale déterminée, il est nécessaire que ladite provision tire sa cause de l'année fiscale en question. Les provisions pour dettes et charges ont en effet pour objectif de faire face à des dettes incertaines et à des charges d'exploitation que des événements en cours rendent probables et de rattacher ces dettes et charges à l'exercice auquel elles sont imputables du point de vue économique. » (TA 31.12.2014 n° 31806) ;
Considérant qu'en l'espèce, le recours par le groupe … à des professionnels de droit a pris naissance au cours de l'année 2011 ; que la toute première facture, émise par l'étude d'avocats « … », porte la date du 14 septembre 2011 ; que s'ensuivent six factures en 2011;
trente factures en 2012 et neuf factures en 2013 ; qu'il était fort probable voire certain que la société anonyme … , ayant payé les factures pour compte des sociétés poursuivis en justice, refacture une partie des frais litigieux à la réclamante ; qu'il en découle que la réclamante, absolument consciente des frais à venir, aurait dû comptabiliser des provisions pour risques et charges à chaque fois au 31 décembre des années 2011, 2012 et 2013 et donc en pleine conformité avec le principe de prudence énoncé ci-avant ;
Considérant qu'il ressort du relevé versé par la réclamante que deux factures auraient été émises pour un montant total de (… + … i.e.) … dollars américains par « … » ; qu'au vu de la date d'émission des deux factures (i.e. le 30 septembre 2014) les frais refacturés seraient, en principe, déductibles au motif qu'ils se rapportent à l'année litigieuse ;
Considérant que le bureau d'imposition a sollicité la réclamante à plusieurs reprises de verser toutes les pièces justificatives en relation avec les frais d'avocat et de conseils payés par la société anonyme … respectivement de prouver le lien causal exclusif entre l'activité de la réclamante et les dépenses refacturées ; qu'après contrôle par la présente instance, les factures précitées n'ont pu être dénichées parmi l'ensemble des pièces remises par la réclamante ;
Considérant qu'il s'impose dans ce contexte de rappeler en mémoire les §§ 171 et 205 AO conférant au bureau d'imposition ainsi qu'au directeur statuant au contentieux le pouvoir d'exiger de la part du contribuable la preuve de la réalité d'une situation financière ou d'une dépense spécifique et donc le droit d'exiger l'ensemble des pièces y afférentes et de solliciter par ce biais des informations complémentaires ; que ceci vaut tant qu'une telle preuve peut raisonnablement être exigée du contribuable, ce qui s'avère parfaitement le cas en l'espèce, vu d'un côté l'envergure et l'impact de la problématique sur le cas d'imposition tout en sachant que tout contribuable, et surtout tout commerçant, est contraint de disposer d'une comptabilité jugée en bonne et due forme, de sorte que la simple mise à disposition de pièces comptables devrait être parfaitement possible à tout moment, et de l'autre côté l'obligation de collaboration avec le bureau d'imposition à laquelle sont soumis d'une manière générale tous les contribuables en vertu des dispositions des §§ 170 et 171 AO ;
Considérant par ailleurs et toujours d'une manière générale que les contribuables, ne doivent s'imputer qu'à eux-mêmes les conséquences désavantageuses de l'imposition lorsque c'est par suite de leur propre comportement fautif que ni le bureau d'imposition ni le directeur n'ont pu poursuivre leur instruction ; qu'à défaut par la réclamante de fournir un quelconque élément concret probant à l'appui des deux factures se rapportant à l'année 2014, le directeur, se trouvant inhibé à poursuivre son instruction, se voit dans l'impossibilité de trancher, des éléments impérativement nécessaires à la base d'une perception claire et nette de la situation de fait et de droit ;
Considérant qu'il découle de tout ce qui précède qu'une discussion sur le lien de causalité entre les frais refacturés par la société anonyme … et les poursuites judiciaires engagées contre la réclamante est superflue dans le mesure où, d'une part, elle aurait dû comptabiliser des provisions pour risques et charges afférentes aux frais litigieux au 31 décembre des années 2011, 2012 et 2013, et, d'autre part, elle n'a pas fourni un quelconque élément concret relatif aux deux factures se rapportant à l'année 2014 et reprises au relevé des dépenses litigieuses ;
Considérant que c'est à bon escient que le bureau d'imposition a refusé la déduction de l'ensemble des frais d'avocat et de conseils refacturés à la réclamante en tant que dépenses d'exploitation au titre de l'année 2014 ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas autrement contestées ;
PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2018, la société … a fait introduire, d’après le dispositif de la requête auquel le tribunal est seul tenu, principalement un recours en réformation, et subsidiairement un recours en annulation contre la décision directoriale précitée du 13 décembre 2017.
Quant à la compétence d’attribution du tribunal administratif pour statuer sur le présent recours, il résulte d’une lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif que le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre des bulletins d’imposition.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre la décision directoriale du 13 décembre 2017. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, la demanderesse, une société constituée le 11 novembre 2006 et dont l’objet est la domiciliation, la constitution et la gestion de sociétés, expose tout d’abord les faits et rétroactes à la base du présent litige. Ainsi elle fait valoir appartenir à un groupe de sociétés, le groupe … , dont certaines entités auraient fait l’objet de poursuites judiciaires en Irlande en 2011 et 2012, de la part d’un groupe concurrent dont un certain nombre de cadres dirigeants les auraient rejointes. Un arrangement extrajudiciaire en décembre 2012, pour un montant de … euros, aurait cependant mis fin au litige en Irlande. Les frais d’avocats et de conseils exposés dans le cadre dudit litige, se chiffrant à un montant total … euros, auraient été centralisés auprès d’une société du groupe …, en l’occurrence la société … , anciennement …, ci-après désignée par « la société … », qui les aurait refacturés « […] aux entités poursuivies en justice en fonction de leur chiffre d’affaire respectif […] », ce qui aurait conduit à la refacturation d’un montant de … euros à la demanderesse le 31 décembre 2014, montant qu’elle entendrait déduire, en tant que dépense d’exploitation, pour l’année d’imposition 2014, ce que l’administration fiscale lui aurait cependant refusé.
En droit, la demanderesse conclut à la réformation de la décision directoriale déférée du 13 décembre 2017 pour excès, respectivement détournement de pouvoir, sinon pour violation des articles 45 et suivants de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR ».
Elle critique, dans un premier temps, la décision litigieuse en ce que le directeur lui aurait, à tort, refusé la déduction du montant refacturé des honoraires d’avocat. Dans ce cadre, elle fait valoir que sa comptabilité aurait été régulière, tant d’un point de vue comptable que d’un point de vue fiscal, conformément aux articles 197 et 205 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, aux articles 8 à 11 du Code de commerce et aux paragraphes 160 (1) et 162 AO. La régularité formelle de sa comptabilité n’ayant pas été mise en doute, la demanderesse explique, quant au fond, que les critiques directoriales selon lesquelles la refacturation des frais d’avocats aurait dû être effectuée sur une base annuelle ne seraient pas justifiées. En effet, la centralisation de la gestion desdits frais au niveau de la société … aurait été guidée, d’une part, par un objectif de simplification, et, d’autre part, par l’objectif de permettre à la demanderesse de payer la portion des frais lui revenant dès que sa situation comptable lui aurait permis de le faire. Elle conteste encore dans ce cadre la conclusion directoriale selon laquelle la refacturation des honoraires d’avocats n’aurait pas été effectuée dans des conditions de marché normales, en donnant à considérer qu’il serait fréquent que des sociétés partenaires décideraient de retarder une facturation, respectivement une refacturation afin d’éviter que le partenaire économique concerné ne se retrouverait dans une situation financière délicate. Le fait qu’aucune refacturation des honoraires d’avocats n’aurait été effectuée à l’égard de la société … SA ne saurait par ailleurs donner lieu à une quelconque critique, dans la mesure où ladite refacturation aurait été faite dans une logique de réalité économique et dans la mesure où la société … SA aurait été une société holding sans véritable activité opérationnelle, la demanderesse expliquant encore à ce sujet que la clé de répartition des frais aurait été le chiffre d’affaires des sociétés concernées. Elle réfute ensuite l’analyse directoriale lui reprochant de ne pas avoir comptabilisé, pour les années 2011, 2012 et 2013, des provisions pour risques et charges concernant les frais d’avocat litigieux, en faisant valoir qu’aucune disposition en droit fiscal ne prévoirait une telle obligation. Le jugement du tribunal administratif du 31 décembre 2014, inscrit sous le numéro 31806 du rôle, invoqué par le directeur ne serait, par ailleurs, pas transposable à son cas pour concerner la question de la validité d’une telle provision inscrite et non pas la question de la déductibilité d’une charge pour absence d’inscription d’une provision, respectivement la question de l’obligation, pour un contribuable, d’inscrire une telle provision. A cela s’ajouterait que dès l’année 2011 la demanderesse, dans ces comptes annuels, aurait indiqué l’existence d’un litige judiciaire et l’absence de nécessité d’inscrire une provision y relative, le réviseur de ces comptes annuels pour les années 2012, 2013 et 2014 n’ayant, pour le surplus, formulé aucune réserve quant à la régularité de sa comptabilité. Elle précise encore que, d’une part, le montant des frais d’avocat aurait été très important, de sorte que l’absence de refacturation d’une partie des montants aurait été particulièrement injuste et aurait pu être considéré comme un avantage indu lui alloué par la société … , et, d’autre part, normalement l’administration des Contributions directes contesterait l’inscription de provisions, dans la mesure où celles-ci permettraient de réduire généralement la base d’imposition d’un contribuable. Même si la constitution d’une provision constituerait une faculté pour le contribuable concernée, l’administration fiscale devrait, selon la doctrine, rectifier d’office une déclaration fiscale, afin de tenir compte d’une provision manquante, au cas où sa comptabilisation serait obligatoire. Sur base du constat que l’absence d’inscription comptable d’une provision ne devrait pas avoir d’impact sur la déductibilité des frais concernés, la demanderesse fait valoir que les frais d’avocat seraient déductibles comme dépense d’exploitation, au sens des articles 45, 12, 48 et 168 LIR, pour présenter un lien causal exclusif avec son activité, en l’occurrence un « settlement agreement » en raison de son assignation devant des juridictions irlandaises, et en raison du fait que leur réalité économique serait clairement documentée à travers les factures versées en cause, lesquelles, d’une part, prouveraient la centralisation des frais d’avocats par la société … et leur refacturation, en partie, à la demanderesse, et, d’autre part, réfuteraient encore l’analyse directoriale se rapportant aux seules factures concernant l’année 2014. Finalement, la société … relève que le bureau d’imposition aurait remis en cause le caractère déductible des frais d’avocats refacturés en les qualifiant de distribution cachée de bénéfices, qualification dont le directeur aurait également fait état sans cependant la retenir. A toutes fins utiles, elle fait valoir qu’il n’y aurait pas eu de distribution cachée de bénéfices, à travers la refacturation litigieuse, dans la mesure où la société … ne se serait vue accorder un quelconque avantage au sens de l’article 164, paragraphe (3), LIR, les frais refacturés ayant correspondu à sa quote-part dans la participation aux frais d’avocat liés au litige ayant donné lieu au « settlement agreement ».
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, conclut au rejet du recours sous examen pour ne pas être fondé. Il soutient, tout d’abord, que la refacturation des frais d’avocat pour un montant de … euros n’aurait pas été opérée dans des conditions normales de marché. Ainsi, d’une part, une telle refacturation aurait dû être effectuée sur une base annuelle, en l’occurrence au fur et à mesure des années 2011, 2012 et 2013, et, d’autre part, la demanderesse aurait dû, pour chaque année comptabiliser une provision relative auxdits frais, conformément à l’article 51 de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises, ci-
après désignée par « la loi du 19 décembre 2002 », ce qu’elle aurait cependant omis de faire.
La partie étatique conteste encore la clé de répartition des frais d’avocats entre les différentes sociétés du … en fonction de leurs chiffres d’affaires respectifs, dans la mesure où certaines sociétés ne se seraient pas vu refacturer un quelconque montant, le délégué du gouvernement argumentant que la refacturation litigieuse s’inscrirait « […] en réalité dans une planification fiscale intra groupe faisant fi des exigences légales notamment en matière de comptabilisation des provisions […] », le but poursuivi ayant été de faire baisser indûment le bénéfice imposable de la société concernée.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse réitère en substance son argumentation juridique concernant le caractère déductible des frais d’avocats lui refacturés par la société … en 2014, tout en contestant l’affirmation du délégué du gouvernement que le montant desdits frais serait trop important pour être pris en considération alors qu’il ne correspondrait pas à des conditions de marché normales. La demanderesse souligne, dans ce contexte, le montant total des frais d’avocat engagés pour la procédure judiciaire irlandaise, à savoir … euros, ainsi que la répartition dudit montant entre les différentes sociétés concernées en fonction de leurs chiffres d’affaires respectifs, pour en conclure que ladite opération aurait été effectuée dans des conditions de marché normales. Elle insiste finalement sur l’absence d’obligation préalable quant à l’inscription comptable de provisions pour risques et charges, conformément aux articles 44 et 51 de la loi du 19 décembre 2002, en ce qui concerne la déductibilité fiscale desdits frais au sens de l’article 45 LIR, tout en rappelant le contexte factuel du litige sous examen marqué par la refacturation de frais d’avocat dont le lien causal avec son activité ne saurait être remis en cause, ainsi que par la régularité de sa comptabilité, telle que confirmée par des réviseurs de renom.
A titre liminaire, il y a lieu de relever qu’en vertu du paragraphe 208, alinéa 1 AO « Bücher und Aufzeichnungen, die den Vorschriften des § 162 entsprechen, haben die Vermutung ordnungsmässiger Führung für sich und sind, wenn nach den Umständen des Falls kein Anlaß ist, ihre sachliche Richtigkeit zu beanstanden, der Besteuerung zugrunden zu legen ». Il s’ensuit que la comptabilité qui est régulière d’un point de vue formel bénéficie d’une présomption de régularité quant au fond. En revanche, à défaut de respecter les conditions de régularité formelle, la comptabilité perd sa force probante, l’article 18 du Code de commerce énonçant notamment à cet égard que « Les livres que les entreprises faisant le commerce sont obligées de tenir, et pour lesquels elles n’ont pas observé les formalités ci-dessus prescrites ne peuvent être représentés ni faire foi en justice, au profit de celles qui les ont tenus […] ». Ceci s’explique par le fait que lorsque la régularité d'une comptabilité ne peut matériellement plus être vérifiée, la présomption de régularité éditée par le paragraphe 208 AO ne saurait produire aucun effet, étant donné que le support matériel indispensable à la prémisse d'une conformité de la comptabilité aux conditions prévues par le paragraphe 162 AO fait défaut.
Les paragraphes 162 à 165 AO imposent la tenue d’une comptabilité régulière et complète quant à la forme et quant au fond. Ainsi, la comptabilité est régulière quant à la forme lorsqu’elle est agencée de façon claire et ordonnée, de façon à faciliter toute recherche et tout contrôle. Elle est régulière quant au fond lorsqu’elle renvoie une image fidèle et complète de la situation financière de l’entreprise. A cette fin, elle doit respecter les principes généraux comptables tels que le principe de continuité, de constance, de spécificité des exercices, de non compensation, de comptabilisation des charges et produits et de prudence.
Le paragraphe 160 AO, quant à lui, impose le respect des règles comptables contenues dans les lois non fiscales.
Force est au tribunal de constater que la régularité formelle de la comptabilité de la société … n’est pas remise en cause par la partie étatique, les contestations des autorités fiscales se limitant à reprocher à la demanderesse l’absence d’inscription de provisions pour risques et charges pour les années d’imposition 2011, 2012 et 2013 pour les frais d’avocats qu’elle aurait potentiellement dû exposer pour la procédure judiciaire irlandaise, frais qui ont été centralisés par la société … et refacturés par cette dernière à la demanderesse en 2014 pour un montant de … euros, ces éléments étant constant en cause.
En ce qui concerne la question de l’obligation ou non d’inscrire dans ses comptes annuels des provisions pour risques et charges, étant rappelé que pour qu’une provision puisse être valablement inscrite dans les comptes annuels se rapportant à une année fiscale déterminée, il est nécessaire que ladite provision tire sa cause de l’année fiscale en question. Les provisions pour risques et charges ont en effet pour objectif de faire face à des dettes incertaines et à des charges d’exploitation que des événements en cours rendent probables et de rattacher ces dettes et charges à l’exercice auquel elles sont imputables du point de vue économique1, il échet de constater que l’argumentation étatique se focalise sur les années fiscales, et comptables, 2011, 2012 et 2013, alors que le litige sous examen porte sur la question de la déductible de frais d’avocats refacturés à la société demanderesse en 2014. Or, d’une part, la partie étatique n’a pas soumis au tribunal de céans un quelconque élément de nature à remettre en question la régularité tant formelle que quant au fond de la comptabilité de la société demanderesse pour l’année d’imposition litigieuse, et, d’autre part, le débat quant à l’obligation d’inscrire ou non une provision pour risques et charges est dépourvu de pertinence, en ce qui concerne l’année d’imposition 2014, dans la mesure où il est question, pour ladite année, de la déductibilité de frais expressément facturés à la société … .
Il s’ensuit que l’argumentation étatique quant à l’absence de comptabilisation de provisions pour l’année, respectivement les années antérieures à l’année de réalisation des charges en question n’est pas de nature à laisser conclure ipso facto au caractère non déductible de ces frais, la partie étatique restant, par ailleurs, en défaut d’invoquer une quelconque disposition légale soutenant son argumentation juridique afférente.
En ce qui concerne la question de la déductibilité des frais d’avocats refacturés par la société … à la demanderesse le 31 décembre 2014, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 45, paragraphe (1), LIR « Sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise ».
Par ailleurs, en ce qui concerne la charge de la preuve au cours de la procédure contentieuse se déroulant devant le tribunal administratif, conformément à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 », la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable.
Dès lors, en ce qui concerne plus particulièrement la question de la déductibilité des dépenses d’exploitation, il appartient non seulement au contribuable de rapporter la preuve de l’existence matérielle de ces dépenses, c’est-à-dire que les dépenses alléguées ont causé une diminution effective de son patrimoine, mais encore la preuve, ainsi que le relève à bon droit le délégué du gouvernement, de la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu choisie.
Il appartient dès lors au contribuable qui entend déduire des frais de ses recettes provenant de l’exercice d’exploitation de son entreprise de rapporter la preuve que les frais mis en avant se rapportent exclusivement à l’exploitation de son entreprise.
Force est de constater qu’en l’espèce, la demanderesse a versé des pièces dans le but d’établir le caractère exhaustif des frais d’avocats facturés dans le cadre du litige devant les juridictions irlandaises et centralisés par la société … qui lui a refacturé un montant de … euros, 1 Trib. adm. 25 mars 2013, n°24342, Pas. adm. 2018, V° Impôts, n° 165 et les autres références y citées.
de sorte que le tribunal est amené à procéder à l’analyse de la véracité des frais ci-dessus, étant entendu qu’au regard des principes retenus ci-avant, la demanderesse a la charge de la preuve de la déductibilité des frais.
Dans ce contexte, il convient encore de relever que si le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond et qu’il est ainsi investi du pouvoir de substituer à une décision administrative jugée illégale sa propre décision, il n’en demeure pas moins que s'il est saisi d’un recours contentieux contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer s’effectue en principe dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les points spécifiques de l’acte déféré faisant grief, sans que son contrôle ne consiste à procéder à un réexamen général et global de la situation fiscale du contribuable. Il s’ensuit qu’il incombe au demandeur en réformation de fournir à l’appui de sa requête des éléments suffisamment précis pour permettre, le cas échéant, l’exercice utile de ce pouvoir de réformation2.
En l’espèce, il échet de relever que le directeur a refusé en bloc les frais d’avocat pour un montant de … euros que la demanderesse s’est vu refacturer le 31 décembre 2014 de la part de la société …, correspondant à une quote-part des frais payés par cette dernière pendant les années 2011 à 2014. Si le caractère professionnel desdits frais n’a pas été remis en cause, l’intégralité des frais d’avocats, à savoir … euros, ayant été payé pour une procédure judiciaire engagée à l’encontre de différentes sociétés du … par un … concurrent au motif que certains cadres dirigeants de ce dernier auraient rejoints le … en emportant des secrets commerciaux et des informations confidentielles, la partie étatique a contesté la relation économique de la quote-part refacturée à la demanderesse avec l’activité de celle-ci en donnant à considérer que le montant litigieux aurait été déterminé dans une optique de planification fiscale intragroupe dans le but de faire baisser indûment le bénéfice imposable des sociétés concernées, parmi lesquels figurerait la demanderesse. Ainsi dans des conditions normales de marché, une telle opération que celle sous examen n’aurait pas été acceptée par la société s’étant vu refacturer de tels frais.
Force est, à cet égard, tout d’abord au tribunal de constater que le principe de la déduction de frais ayant fait l’objet d’une refacturation n’a pas été utilement remis en cause par la partie étatique à défaut d’invocation d’une quelconque disposition légale fiscale prohibant une telle manière de faire. D’un autre côté, il y a lieu de relever que la partie demanderesse se borne à affirmer le caractère économiquement en lien avec son activité de l’intégralité de ces frais, en ne faisant état, sans autre élément probant, que d’une clé de répartition en fonction du chiffre d’affaires des sociétés concernées, affirmation qui n’est pas de nature à établir que l’intégralité du montant lui refacturé a trait à la procédure judiciaire intentée à son encontre en Irlande et ne concerne pas les autres sociétés du … également concernées par ladite procédure.
Cependant il ressort des pièces soumises à l’analyse du tribunal et plus particulièrement des factures d’avocats adressées par les différents litismandataires des sociétés du … que la demanderesse s’est vu directement facturer, par les avocats irlandais « … » un montant total de … euros à travers 5 factures des 29 septembre 2011, 31 janvier, 23 avril et 29 juin 2012, ces factures devant partant être considérées comme économiquement directement liées à la demanderesse, de sorte que la refacturation dudit montant par la société … à la demanderesse répond aux conditions de l’article 45, paragraphe (1), LIR.
2 Trib. adm. 31 mai 2006, n° 20705 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Impôts, n° 1009 et les autres références y citées.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est partiellement à accueillir en ce que c’est à tort que les autorités fiscales n’ont pas admis la déduction des frais d’avocats directement facturés à la société … pour un montant de … euros au sens de l’article 45, paragraphe (1), LIR.
La société … sollicite encore la condamnation de l’Etat à une indemnité de procédure de ….-€ sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999. Cette demande est toutefois à rejeter dans la mesure où la partie étatique conteste tant le principe que le montant de cette demande et où la demanderesse omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à sa charge.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond le déclare justifié ;
partant, par réformation de la décision directoriale du 13 décembre 2017 retient que la société anonyme … est en droit de déduire un montant de … euros en tant que dépense d’exploitation au sens de l’article 45, paragraphe (1), LIR pour l’année d’imposition 2014 et renvoie le dossier en prosécution de cause au directeur de l’administration des Contribution directes ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse ;
condamne l’Etat aux frais ;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 novembre 2019 par :
Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 novembre 2019 Le greffier du tribunal administratif 13