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15/10/2019 | LUXEMBOURG | N°41363

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 octobre 2019, 41363


Tribunal administratif N° 41363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2018 3e chambre Audience publique du 15 octobre 2019 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41363 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Pakista

n), de nationalité pakistanaise, demeurant à L-…, ainsi que de sa mère Madame …, née le … à ...

Tribunal administratif N° 41363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2018 3e chambre Audience publique du 15 octobre 2019 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41363 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Pakistan), de nationalité pakistanaise, demeurant à L-…, ainsi que de sa mère Madame …, née le … à … (Pakistan), de nationalité pakistanaise, demeurant au Pakistan, et ayant élu domicile en l’étude de Maître Faisal QURAISHI, sise à L-1331 Luxembourg, 77, boulevard Grande-Duchesse Charlotte tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 mars 2018 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef de Madame …, ainsi que de la décision confirmative de refus du 3 avril 2018 rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2018 ;

Vu l’ordonnance du vice-président du tribunal administratif du 10 janvier 2019 déclarant irrecevable la requête en prorogation du délai légal pour déposer un mémoire en réplique présentée par Maître Faisal QURAISHI ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal QURAISHI et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2019.

Par décision du 9 juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », accorda à Monsieur … une autorisation de séjour temporaire de 90 jours à titre de travailleur salarié.

Le 12 octobre 2015, le ministre informa Monsieur … qu’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié lui sera délivré d’une validité allant du 29 juillet 2015 au 28 juillet 2016 pour une occupation définie, titre qui fut renouvelé le 3 juin 2016 pour toute profession dans tout secteur avec une validité du 3 juin 2016 au 2 juin 2019.

1 En date du 16 janvier 2018, Monsieur … introduisit auprès du ministre une demande de regroupement familial en faveur de sa mère Madame …, demande qui fut refusée par le ministre par décision du 19 mars 2018, libellée comme suit :

« […] Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration, Madame … doit être à votre charge et privée du soutien familial nécessaire au Pakistan.

Or, d’après les extraits bancaires joints à votre demande, la pension mensuelle de Madame … s’élève à … PKR. Son revenu mensuel se situe ainsi au-dessus du salaire minimum mensuel moyen du Pakistan, qui s’élève d’après mes informations à … PKR. Votre mère ne peut donc pas être à votre charge alors qu’elle peut parvenir à ses besoins essentiels par ses propres moyens.

Par ailleurs, aucun document n’a été joint afin de prouver qu’elle est privée du soutien familial nécessaire au Pakistan.

À titre subsidiaire, votre mère n’apporte pas de preuve qu’elle remplit les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d’une des autres catégories d’autorisation de séjour prévues par l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour lui est refusée sur base des articles 75, point 1. et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Suite à un recours gracieux formulé par Monsieur …, et entré au ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 20 mars 2018, le ministre confirma le 3 avril 2018 sa décision du 19 mars 2018, décision dont le libellé est le suivant :

« […] J’ai l’honneur d’accuser bonne réception de votre courrier du 20 mars et de votre courriel du 21 mars 2018 reprenant l’objet sous rubrique.

Après avoir procédé au réexamen du dossier, je suis toutefois au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 19 mars 2018, étant donné que le revenu mensuel de Madame … se situe au-dessus du salaire minimum mensuel moyen du Pakistan. Elle ne peut donc pas être à votre charge alors qu’elle peut parvenir à ses besoins essentiels par ses propres moyens.

À titre subsidiaire, votre mère n’apporte pas de preuve qu’elle remplit les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d’une des autres catégories d’autorisation de séjour prévues par l’article 38 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juin 2018, Monsieur …, ainsi que sa mère Madame … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 19 mars et 3 avril 2018.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la 2matière, le tribunal administratif doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent que Monsieur … serait employé au Grand-Duché du Luxembourg en qualité d’expert-comptable depuis le mois d’août 2015, période à laquelle il aurait obtenu une autorisation de séjour pour travailleur qualifié. Il serait actuellement au service de la « State Street Bank Luxembourg » et ce depuis le mois de février 2017 en qualité de « Fund Accounting Specialist » avec une rémunération mensuelle d’environ … euros. Sa mère, Madame …, âgée de 67 ans, quant à elle, vivrait seule au Pakistan, alors que ses deux filles vivraient en Californie, respectivement à Londres. Ils donnent à considérer que Madame … souffrirait de plusieurs pathologies tant physiques que psychologiques, de sorte qu’elle se trouverait dans un état de dépendance envers un tiers. La tradition pakistanaise voudrait qu’en tant que seul fils de Madame …, Monsieur … s’occupe d’elle étant donné qu’elle se trouverait tant dans le besoin matériel que physique. L’idée-même de placer ses parents dans une maison de retraite pour personnes âgées serait socialement rejetée au Pakistan et l’enfant serait considéré comme indigne d’un « vrai enfant ». Ils donnent encore à considérer, dans ce même contexte, que des infractions telles que le « délaissement d’une personne hors d’état de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique » ou celle de « non-assistance à personne en péril » seraient susceptibles d’être retenues à l’encontre de Monsieur … dans son pays d’origine. Il existerait, d’ailleurs, à la charge de l’enfant majeur, outre un devoir à portée essentiellement symbolique d’« honneur et respect à ses père et mère », un « devoir d’aliments » envers ses parents ou autres ascendants se trouvant dans le besoin.

Les demandeurs regrettent que cette obligation, malgré son champ théoriquement très large, se réduirait, dans presque tous les cas, à une obligation de payer. Tel serait également le cas dans l’appréciation ministérielle, de sorte que le ministre apprécierait uniquement des chiffres qui ne correspondraient pas à la réalité. Ils précisent, à cet égard, que même si Madame … avait une pension mensuelle de … PKR soit de … euros, ce qui serait le double du salaire minimum au Pakistan, celle-ci ne lui permettrait pas de couvrir l’ensemble de ses dépenses nécessaires incompressibles. Depuis plus de deux ans, Monsieur … lui enverrait un montant minimal mensuel de … euros afin de lui permettre de couvrir ses besoins matériels, circonstance que le ministre n’aurait pas prise en compte malgré les preuves qui lui auraient été fournies. Les demandeurs sont d’avis qu’au lieu de se limiter aux seules données théoriques, le ministre aurait dû apprécier les revenus de Madame … par rapport à ses dépenses et les mettre en parallèle avec ses besoins matériels.

En droit, les demandeurs font plaider qu’en omettant de vérifier au préalable le rapport entre les revenus mensuels et les dépenses de Madame …, le ministre aurait pris une décision qui ne serait pas, respectivement mal motivée.

En ce qui concerne ensuite les conditions inscrites au point a) du paragraphe (5) de l’article 70 de la loi du 20 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », et plus particulièrement la notion d’être à charge, les demandeurs font plaider que l’interprétation de la notion « à charge » par le ministre serait trop éloignée de la réalité des faits d’espèce, ainsi que des relations humaines en général. Ils mettent, plus particulièrement, en avant qu’en se fixant comme seul point d’évaluation la différence entre les revenus du bénéficiaire du regroupement et le salaire moyen dans le pays d’origine de la personne en question, le ministre aurait modifié le texte légal qui devrait s’étendre à la situation in concreto de Madame …. Ils précisent, à cet 3 3 6égard, qu’il n’existerait au Pakistan aucun système d’aide sociale, ni d’aide à la dépendance et aucune assurance médicale. Or, Madame … souffrirait de problèmes physiques et psychiques qui nécessiteraient des visites médicales régulières, ainsi qu’une prise médicamenteuse sans qu’elle ne puisse avoir recours à un système de santé public au Pakistan, situation qui impliquerait qu’elle ne puisse pas faire face seule à cette charge financière et ne pourrait dès lors couvrir ses besoins. Ainsi, les dépenses mensuelles incompressibles de Madame … seraient supérieures à sa retraite, de sorte qu’il importerait de prendre en considération sa situation personnelle concrète et non pas des chiffres théoriques.

Les demandeurs mettent encore en exergue que dans sa demande du 16 janvier 2018, ainsi que dans ses deux courriers des 20 mars 2018 et 3 avril 2018, Monsieur … aurait exposé au ministre sa volonté de s’occuper de sa mère et lui aurait soumis l’ensemble des pièces renseignant de ses capacités de s’occuper d’elle. Plus particulièrement, Monsieur … assumerait régulièrement son obligation légale de subvenir aux besoins de sa mère par le biais de versements réguliers d’argent, ainsi qu’en nature, en l’accueillant à son domicile lors des visites de Madame … au Grand-Duché du Luxembourg.

Par ailleurs, les demandeurs font plaider que Madame … dépendrait non seulement matériellement de Monsieur … eu égard à sa situation, mais se trouverait, de surcroît, dans l’impossibilité d’assumer son quotidien sans l’aide de tiers. Il y aurait, dès lors, lieu de prendre également en compte l’état de santé physique et mentale de Madame … et non pas exclusivement la charge « financière » qu’elle représenterait. Ainsi, les besoins personnels de Madame … ne se réduiraient pas uniquement à une aide financière mensuelle sous forme de virements, mais eu égard à son âge, elle nécessiterait une aide et assistance à son domicile qui pourrait et devrait dans les circonstances présentes être assumée par son fils.

Les demandeurs font ensuite valoir qu’ils auraient également prouvé que Madame … ne disposerait d’aucun soutien familial au Pakistan, alors qu’en tant que veuve, elle s’y retrouverait seule, ses enfants résidant tous à l’étranger. Dès lors, malgré cette composante essentiellement financière de l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008, il appartiendrait à la juridiction saisie de rétablir un minimum d’équilibre entre « l’argent et les sentiments ». A cet égard et en se basant sur une étude du mois de décembre 2017 parue dans le « Journal of the Research Society of Pakistan », les demandeurs font valoir qu’il serait impossible pour Madame …, vu son âge avancé, de vivre au Pakistan, alors qu’il n’existerait ni de structures adaptées - pour lesquelles elle n’aurait, en tout état de cause, pas les moyens -, ni de système d’assurance santé dont elle aurait besoin.

Les demandeurs concluent que le lien de dépendance serait suffisant pour considérer que Madame … est à la charge effective de son fils sans qu’elle ne puisse recourir à un soutien familial au Pakistan, de sorte qu’il conviendrait de lui accorder un visa « long séjour » en vue du regroupement familial, respectivement une autorisation de séjour en qualité de membre de famille de Monsieur …, sinon « toute autre autorisation de séjour tel que de droit » sur base de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008.

Les décisions entreprises seraient encore disproportionnées et encourraient la réformation, sinon l’annulation pour défaut de motivation, erreur ou absence manifeste d’appréciation, sinon pour excès et détournement de pouvoir de la part du ministre, sinon pour violation de la loi ou des formes destinés à protéger les intérêts privés, sinon pour tout autre motivation à retenir.

4 5En ordre subsidiaire, les demandeurs concluent à l’annulation des décisions entreprises au motif que le ministre aurait manqué de vérifier si Madame … remplit ou non les conditions inscrites à l’article 38 de la loi du 29 août 2008, respectivement celles inscrites aux points c) et d) du paragraphe (1) de l’article 78 de la loi du 29 août 2008. Ils reprochent, plus particulièrement, au ministre un défaut, voire une mauvaise motivation. Ainsi, la décision attaquée du 19 mars 2018, confirmée par celle du 3 avril 2018 renseignerait du fait que le ministre refuserait également le bénéfice d’une autorisation de séjour de plus de trois mois au sens de l’article 38 de la loi du 29 août 2008 sans vérifier si Madame … remplit les conditions d’une des catégories y visées. Ils reprochent, plus précisément, au ministre de ne pas avoir motivé en quoi Madame … ne remplirait pas les conditions d’obtention d’une autorisation de séjour de plus de trois mois en qualité de membre de famille sur base de l’article 38, point f), de la loi du 29 août 2008, sinon pour des raisons d’ordre privé ou particulier conformément au point g) de l’article 38 de la loi du 29 août 2008. En citant ensuite le libellé du point c) de l’article 78, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, les demandeurs mettent encore en exergue qu’à supposer que Madame … ne remplisse pas les conditions d’un regroupement familial au sens de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008, elle aurait dû se voir octroyer une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la même loi. Compte tenu des relations intenses entre Monsieur … et sa mère, le refus d’une autorisation de séjour au profit de Madame … porterait atteinte à leur vie familiale et privée. La décision serait dès lors entachée de disproportionnalité et devrait être réformée sinon annulée.

Les demandeurs en concluent qu’il conviendrait d’accorder à Madame … un visa de plus de trois mois, respectivement une autorisation de séjour sur base de l’article 38, point f), de la loi du 29 août 2008, sinon sur le point g) du même article, sinon encore sur l’article 78, paragraphe (1), point c), sinon d) de la loi du 29 août 2008.

Les demandeurs reprochent finalement au ministre d’avoir violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », en faisant plaider que dans la mesure où Madame … aurait seule élevée son fils au Pakistan, leurs liens seraient à qualifier d’intenses et stables, de sorte que le refus du regroupement familial, sinon celui d’une autorisation de séjour serait à considérer comme étant contraire au droit au respect de la vie privée et familiale. Il ne se passerait pas un jour sans que Madame … et Monsieur … ne se parleraient, ce dernier règlerait, en outre, l’ensemble des affaires courantes en lieu et place de sa mère, et ce même à plus de 7.000 km de distance.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

L’analyse de la légalité externe de la décision devant précéder celle de la légalité interne, le tribunal est amené à examiner de prime abord le moyen des demandeurs tiré d’un défaut de motivation des décisions déférées.

Il est vrai que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes impose la motivation d’une décision par l’indication au moins sommaire de la cause juridique et des circonstances de fait à sa base notamment lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

5 8A la lecture de la décision initiale de refus du 19 mars 2018, ainsi que de la décision confirmative du 3 avril 2018, décisions dont le libellé a été repris ci-avant, il échet de constater que le ministre a indiqué de manière succincte, mais suffisante, dispositions légales à l’appui, les motifs qui l’ont amené à refuser un regroupement familial dans le chef de Madame …, à savoir qu’il n’est pas prouvé qu’elle serait à la charge de son fils et privée du soutien familial nécessaire au Pakistan. Le ministre ayant plus particulièrement relevé que le revenu mensuel de Madame … se situerait au-dessus du salaire minimum moyen du Pakistan et qu’aucun document ne lui aurait été remis afin de prouver qu’elle serait privé du soutien familial nécessaire au Pakistan, de sorte qu’elle ne remplirait pas les conditions légales.

En ce qui concerne plus particulièrement le défaut de motivation invoqué concernant le refus d’octroi d’une autorisation de séjour temporaire sur base de l’article 38 de la loi du 29 août 2008, il convient de relever qu’il résulte des décisions ministérielles déférées des 19 mars et 3 avril 2018 que le refus d’octroi à Madame … d’une des autres catégories d’autorisation de séjour prévues par ledit article est motivé par le fait qu’elle ne remplirait pas les conditions requises pour en bénéficier.

Il s’ensuit que la décision du 19 mars 2018, de même que celle du 3 avril 2018, contiennent l’indication tant des circonstances de fait que de la cause juridique à leur base, de sorte qu’elles sont motivées à suffisance de droit, étant encore précisé que l’indication des motifs au regard des exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne doit être que sommaire et qu’aucune disposition légale ne prévoit l’exigence d’une motivation renforcée dans le chef du ministre en la matière.

En tout état de cause, il échet de rappeler qu’une imprécision de la motivation, même à la supposer établie, ne constitue pas un vice susceptible d’entraîner l’annulation de la décision affectée, mais est tout au plus de nature à entraîner la suspension des délais de recours, à moins que ce vice subsiste jusqu’au moment où l’affaire est prise en délibéré1. Or, il convient de relever, tel que retenu ci-avant, que la motivation des décisions ministérielles déférées répond aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et, qu’en ce qui concerne le refus de la demande de regroupement familial, le délégué du gouvernement a, de surcroît, complété la motivation se trouvant à la base des décisions ministérielles déférées à travers son mémoire en réponse en précisant que, d’une part, il ne résulterait pas des éléments du dossier que les transferts d’argents opérés par Monsieur … en faveur de Madame … seraient nécessaires afin qu’elle puisse subvenir à ses besoins essentiels et que, d’autre part, elle bénéficierait d’une pension de vieillesse étant supérieure au salaire social minimum pakistanais, de sorte qu’ils seraient restés en défaut de prouver que Madame … serait « à charge » de Monsieur …. Le délégué du gouvernement a finalement précisé que dans la mesure où les conditions inscrites à l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008 seraient cumulatives et que la première ne serait pas remplie en l’espèce, il n’y aurait pas lieu de procéder à l’analyse de la deuxième condition inscrite audit article.

Par ailleurs, il convient de relever que le délégué du gouvernement a encore, à travers son mémoire en réponse, complété la motivation se trouvant à la base du refus d’octroi d’une autorisation de séjour temporaire sur base de l’article 38 de la loi du 29 août 2008 en énonçant que ledit refus trouverait plus particulièrement son fondement dans l’absence de preuves rapportées par les demandeurs permettant d’établir que Madame … remplit les conditions lui 1 Trib. adm., 23 décembre 2004, n° 18236 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 74 et l’autre référence y citée.

6permettant de bénéficier d’une des autorisations de séjour prévues à l’article 38 de la loi du 29 août 2008.

Il s’ensuit que le moyen tendant à l’annulation des décisions sous analyse pour défaut de motivation, respectivement pour motivation insuffisante laisse d’être fondé.

En ce qui concerne la légalité interne des décisions ministérielles déférées, il convient de relever qu’aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

L’article 70 de cette même loi dispose quant à lui : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants : […] (5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre : a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;[…] ».

Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 de la loi du 29 août 2008 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 de la même loi définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille susceptible de faire l’objet d’un regroupement familial.

En l’espèce, le ministre a refusé la demande de regroupement familial litigieuse au motif qu’il ne serait pas avéré que Madame … est à charge de Monsieur … et est dépourvue de soutien familial au Pakistan.

7 Si la partie étatique ne conteste pas que Madame … est la mère de Monsieur …, de sorte qu’elle doit être qualifiée d’ascendant en ligne directe au premier degré du regroupant, au sens dudit article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008 et s’il n’est pas allégué qu’elle constituerait une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, les parties sont en effet en désaccord quant à la question de savoir si l’intéressée remplit les conditions cumulatives d’être à charge du regroupant et d’être privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.

A cet égard et en ce qui concerne la première condition d’être « à charge » du regroupant, il convient de préciser que l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer que l’ascendant y visé soit « à charge », sans autrement préciser la portée exacte de cette notion que ce soit quant au degré de dépendance requis ou encore quant à l’époque à laquelle l’intéressé doit être à charge. Afin de pouvoir déterminer le sens de ladite notion, il y a lieu de se référer aux travaux parlementaires se trouvant à la base de l’élaboration de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement au commentaire de l’article 12 de cette loi concernant le regroupement familial avec un ressortissant communautaire où les auteurs de la loi ont relevé qu’on entend par « être à charge », « le fait pour le membre de la famille […] de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant […]. La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (arrêt CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1/05). »2.

Il s’ensuit que la notion d’être « à charge » est à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial doit nécessiter le soutien matériel du regroupant à un tel point que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé, respectivement que l’absence de ce soutien aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels3. L’exigence de la situation d’être « à charge », définie par la jurisprudence de l’Union européenne ne se heurte en apparence pas autrement aux dispositions européennes pointées par les demandeurs de la Charte, respectivement de la CEDH en présence d’un regroupant réfugié reconnu4.

La deuxième condition encore posée par l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008 rajoute qu’au-delà de la prise en charge par le regroupant déclaré, le bénéficiaire doit encore se trouver sans possibilité concrète de trouver un soutien familial adéquat au sein même de son pays d’origine.

En d’autres termes, il se dégage de la combinaison des deux conditions que les conditions légales d’un regroupement familial ne sont données que par la preuve à rapporter par les intéressés de l’existence d’une situation de dépendance effective vis-à-vis du regroupant5.

2 Documents parlementaires n° 5802, commentaire des articles, p.61.

3 Trib. adm., 25 septembre 2013, n °31593 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

4 Cour adm., 27 mars 2018, n° 40516C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

5 Cour adm., 5 décembre 2017, n° 39776C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8Or, en l’espèce, force est de constater que les demandeurs restent en défaut de rapporter la preuve d’une telle dépendance matérielle. En effet, et s’il ressort des éléments du dossier que des transferts d’argent ont été opérés de la part de Monsieur … au profit de sa mère, Madame …, ceux-ci ne permettent pas à eux seuls de retenir que ces transferts sont nécessaires afin que Madame … puisse subvenir à ses besoins essentiels. Il résulte, en effet, des pièces versées en cause, que Madame … est bénéficiaire d’une pension vieillesse à hauteur de … roupies pakistanaises, ce qui équivalait au moment de la prise des décisions litigieuses, tel qu’il résulte des affirmations non contestées du délégué du gouvernement, à … euros. Dans la mesure où le salaire social minimum pakistanais s’élevait au moment de la prise des décisions litigieuses à … roupies pakistanaises, soit à … euros, tel qu’il ressort, ici encore, des déclarations non contestées du délégué du gouvernement, il y a lieu de retenir que les demandeurs restent ainsi en défaut de rapporter la preuve que l’absence du soutien de la part de Monsieur … aurait pour conséquence de priver Madame … des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels, de sorte que cette dernière n’est pas à considérer comme étant à charge de son fils. De surcroît, il convient de relever que, d’une part, Madame … n’a pas établi qu’elle consulte régulièrement un médecin et nécessite une prise régulière et conséquente de médicaments compte tenu de son état de santé et que, d’autre part, elle est restée en défaut de prouver que sa pension est insuffisante afin de subvenir auxdits besoins, Madame … n’ayant, en effet, pas versé le moindre document, voire des ordonnances ou des factures permettant de corroborer ses déclarations.

Force est dès lors de constater que les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve que l’absence du soutien de Monsieur … aurait pour conséquence de priver sa mère des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels, de sorte que cette dernière n’est pas à considérer comme étant à charge de son fils.

La première condition de l’article 70, précité, étant rappelé que les conditions y inscrites sont cumulatives, ne se trouvant partant pas remplie en l’espèce, l’analyse de la question de savoir si Madame … se trouve privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine est surabondante.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement rejeter la demande en vue d’un regroupement familial basée sur les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne ensuite les développements des demandeurs selon lesquels Madame … aurait dû se voir octroyer une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, il convient de relever qu’aux termes dudit article : « A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :

[…] c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus.

[…] 9 (2) Les personnes visées aux points b), c) et d) du paragraphe (1) qui précède, doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal ».

Il ressort de l’article précité qu’afin de pouvoir prétendre à une autorisation de séjour pour raisons privées, un demandeur doit tout d’abord remplir les conditions énumérées de manière générale au premier alinéa de l’article 78, paragraphe (1) et à l’article 78, paragraphe (2), de la loi du 29 août 2008, c’est-à-dire ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, ainsi que de ressources suffisantes. Par ailleurs, le demandeur doit faire valoir des liens personnels ou familiaux, intenses, anciens et stables tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus au sens de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 pour pouvoir prétendre à une autorisation de séjour pour des raisons privées.

Or, en l’espèce le tribunal est amené à retenir que les demandeurs ne rapportent aucune preuve permettant d’établir que les conditions de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 sont remplies dans le chef de Madame …. Il ne résulte, en effet, d’aucun élément du dossier qu’il existerait entre Monsieur … et sa mère des liens personnels ou familiaux intenses, anciens et stables permettant de justifier l’octroi d’une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008.

Ce constat n’est pas énervé par les quatre attestations testimoniales versées au dossier par les demandeurs. En effet, force est au tribunal de constater que lesdites attestations testimoniales se limitent à faire état des difficultés rencontrées par Madame … dans l’exécution de ses tâches journalières en raison de son âge avancé et de son état de santé sans, néanmoins, fournir d’indications quant à l’existence de liens personnels ou familiaux, intenses, anciens et stables entre Monsieur … et sa mère, Madame …, allant au-delà des liens d’affectation normaux entre mère et fils.

Si le tribunal ne met pas en doute la situation émotionnelle des demandeurs, il n’en reste pas moins que les explications de ceux-ci, ensemble avec les pièces versées au dossier ne permettent pas au tribunal de retenir que les conditions inscrites à l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 sont remplies en l’espèce et que le refus d’autoriser le séjour à Madame … soit de nature à porter atteinte à son droit au respect de sa vie familiale.

En ce qui concerne ensuite l’octroi d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, telle que prévue par l’article 78, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 - et non pas par le paragraphe (1), point d), de l’article 78 de ladite loi, tel qu’erronément invoqué par les demandeurs, paragraphe ayant été abrogé par la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection -, il convient de relever qu’aux termes dudit article : « A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. La demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d’une demande antérieure qui a été rejetée par le ministre. En cas d’octroi d’une autorisation de séjour telle que visée ci-dessus, une décision de retour prise antérieurement est annulée. ».

10Cette disposition permet au ministre, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publique, d’accorder un droit de séjour au ressortissant d’un pays tiers, s’il estime que ce dernier a fait état de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

Le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, ce qui ne doit cependant pas l’empêcher de respecter le principe général de proportionnalité. En effet, le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis. Au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait dès lors entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision6.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 78, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 est le fruit de la transposition de l’article 6, paragraphe 4, de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d’accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d’espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l’Homme.

Or, en l’espèce force est au tribunal de constater que les demandeurs se limitent à affirmer que Madame … devrait bénéficier d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité sans cependant étayer leurs déclarations par un quelconque exemple concret et sans soumettre au tribunal le moindre élément probant permettant de corroborer leurs affirmations. Dans ces circonstances, eu égard aux déclarations vagues et imprécises des demandeurs et à défaut du moindre indice d’un risque individualisé, concret et actuel quant à l’existence, dans le chef de Madame …, de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, le tribunal est amené à retenir que l’existence de tels motifs conformément à l’article 78, paragraphe (3), de la loi du 29 août 20008 n’est pas établie en l’espèce.

Quant au moyen ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH, invoqué par les demandeurs, en ce que la décision litigieuse les priverait de l’unité familiale à laquelle ils pourraient prétendre sur base dudit article, force est au tribunal de relever qu’aux termes de l’article 8 précité :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

6 Trib. adm., 27 février 2013, n°30584 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 112. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

L’article 8 de la CEDH, précité, est applicable en cas de refus de délivrance d’une autorisation de séjour dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté de procéder au refus de délivrance d’une autorisation de séjour, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH. Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Il convient dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère toutefois pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, mais que, pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.

Il y a encore lieu de rappeler qu’en matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur pays d’origine.

Cependant, l’article 8 de la CEDH ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays7. En effet, l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et il faut des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition8.

Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre un membre de leur famille dans le pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 de la CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine9.

Or, mis à part les liens affectifs normaux entre Monsieur … et sa mère, le tribunal constate que les demandeurs restent en défaut d’invoquer des éléments supplémentaires de dépendance tels que requis par la jurisprudence communautaire.

7 CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, req. n° 9214/80;9473/81;9474/81;

CEDH, 19 février 1996, Gül c. Suisse, req. n° 23218/94 ; CEDH, 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, Aff.

C540/03. ; Cour adm. 27 octobre 2016, n° 28265C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

8 Cour adm., 27 octobre 2016, n° 38265C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

9 Cour adm., 13 octobre 2015, n° 36420C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Etrangers, n° 458 et les autres références y citées.

12 Etant donné que les demandeurs ne soumettent pas d’éléments de nature à retenir qu’il existe entre eux, au-delà de ces liens affectifs normaux, des liens de dépendance indispensables justifiant la protection prévue à travers l’article 8 de la CEDH, le moyen afférent est à rejeter.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé des décisions déférées. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 octobre 2019 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 octobre 2019 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 41363
Date de la décision : 15/10/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-10-15;41363 ?

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