Tribunal administratif N° 41391 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2018 2e chambre Audience publique du 23 septembre 2019 Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre un bulletin de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41391 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2018 par Maître Joë Lemmer, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015, émis par l’administration des Contributions directes le 29 novembre 2017 :
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2018 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 novembre 2018 par Maître Joë Lemmer au nom et pour compte de Monsieur … et de Madame … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin déféré ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Anne Klensch, en remplacement de Maître Joë Lemmer, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 janvier 2019.
Par courrier du 2 novembre 2017, le bureau d’imposition Capellen, section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », informa Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », sur le fondement du paragraphe 205 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », qu’il envisageait de redresser leur déclaration de l’année 2015, de manière suivante :
« (…) Revenus nets divers Echange de 50% de l’immeuble sis à …:
1949 : prix d’acquisition de la maison entière … + … (acte) = … Luf 50% : … Luf = … € Réévaluation : … x … = … € Plus-value dégagée : … – … = … €, avant déduction de l’abattement suivant 130(5) LIR.
L’acte d’échange du 14.12.2015 est un échange suivant article 102(1a) LIR et non un partage successoral. […] ».
Par courrier du 13 novembre 2017, les époux … formulèrent leurs objections à l’égard de l’imposition projetée auprès du bureau d’imposition.
Le 29 novembre 2017, le bureau d’imposition émit le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015 à l’égard des époux ….
Par courrier daté au 12 décembre 2017 et réceptionné le 18 décembre 2017, les époux … introduisirent une réclamation à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41391 du rôle, les époux … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015, émis par le bureau d’imposition le 29 novembre 2017.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre des bulletins de l’impôt sur le revenu si, dans un délai de six mois suite à l’introduction d’une réclamation, le directeur est resté en défaut de prendre une décision. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation.
En l’espèce, force est de constater que la réclamation introduite par les époux … en date du 18 décembre 2017 n’a pas connu de réponse de la part du directeur et qu’un délai de plus de six mois s’est écoulé entre la réclamation des époux … et le dépôt du recours sous examen en date du 6 juillet 2018, de sorte qu’ils ont valablement pu diriger leur recours directement contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015. Il s’ensuit que le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.
Il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de leurs recours, les demandeurs expliquent que par acte du 14 octobre 2015 signé pardevant Maître Alex Weber, notaire de résidence à …, ils auraient conclu avec Monsieur … et son épouse, Madame …, un acte intitulé « échange » et que par cet acte, ils auraient entendu procéder à un partage successoral de deux maisons sises à …, l’une …, et l’autre, …, avec soulte partiellement réglée en nature par l’attribution d’un terrain sis à …, et partiellement en numéraire pour la somme de …-€. Le notaire aurait cependant, de son propre chef, jugé plus opportun de qualifier l’acte « d’échange » pour diminuer les frais afférents à l’opération juridique, mais aussi pour limiter les frais d’honoraires. Ils indiquent qu’ils auraient entendu conclure uniquement un partage successoral des biens énoncés et n’auraient pas eu l’intention de conclure une opération d’échange. Les demandeurs soulignent encore que l’administration de l’Enregistrement et des Domaines aurait également qualifié cette opération de partage avec soulte et non pas d’échange.
En droit, les demandeurs estiment que ce serait à tort que l’administration des Contributions directes aurait qualifié et imposé l’opération litigieuse en tant qu’échange, alors qu’ils auraient entendu conclure un acte de partage successoral avec soulte. Le notaire aurait toutefois jugé plus opportun de qualifier l’acte d’« échange » et comme ils n’auraient eu aucune raison de mettre en doute les conseils d’un professionnel du droit, les demandeurs estiment qu’ils ne sauraient être tenus responsables de la rédaction erronée de l’acte litigieux par le notaire. Tout en soulignant qu’ils n’auraient jamais conclu un tel acte s’ils avaient connu les conséquences fiscales, ils insistent sur le fait qu’ils auraient exclusivement entendu procéder à un partage avec soulte. En vertu de l’article 24 de la loi modifiée du 27 décembre 1817 sur la perception du droit de succession - privilège du Trésor public, ci-après dénommée la « loi du 27 décembre 1817 », ils ne devraient faire l’objet d’aucune imposition directe conformément à la loi fiscale en vigueur en matière de droit de succession.
En deuxième lieu, les demandeurs font valoir que l’administration de l’Enregistrement et des Domaines aurait qualifié l’opération litigieuse de partage avec soulte, tandis que l’administration des Contributions directes l’aurait qualifié d’échange, de sorte que ces deux administrations se contrediraient au détriment d’un seul contribuable. Il serait ainsi de principe en droit que « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui », ce qui constituerait une déclinaison de la bonne foi et l’expression objective d’une certaine loyauté procédurale. L’estoppel serait encore une fin de non-recevoir fondée sur l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, autrement qualifié d’exception d’indignité ou principe de cohérence. Ce principe s’opposerait ainsi à ce qu’une partie puisse invoquer une argumentation contraire à celle qu’elle aurait avancée auparavant. Dans la mesure où, en l’espèce, les deux administrations fiscales précitées se contrediraient sur l’imposition de l’opération litigieuse, et partant sur l’assiette de l’impôt de l’opération litigieuse, cette contradiction interviendrait à leur détriment, de sorte qu’ils ne sauraient payer les sommes exigées par l’administration des Contributions directes.
Il y aurait dès lors lieu de réformer le bulletin de l’impôt litigieux et d’exonérer l’opération litigieuse de toute imposition directe en application de l’article 24 de la loi du 27 décembre 1817 ou, le cas échéant, de réduire le montant de l’impôt litigieux à zéro euros ou tout autre montant, même inférieur, à arbitrer par un expert nommé par le tribunal.
Le délégué du gouvernement explique que par l’acte notarié du 14 décembre 2015 intitulé « échange », les demandeurs auraient cédé à titre d’échange un terrain à bâtir leur appartenant en propre à … et la moitié indivise d’un immeuble situé … à …, et auraient obtenu en contrepartie la moitié indivise de l’immeuble situé … à …. Ils auraient encore réglé à Monsieur … et à Madame … un montant en espèces de …-€ en indemnisation d’une différence de valeur entre les immeubles échangés. Le bureau d’imposition aurait soumis à l’impôt sur le revenu les plus-values inhérentes à l’immeuble situé … à … et au terrain situé à …, l’échange de biens équivalant, en matière d’impôt sur le revenu, à la cession à titre onéreux du bien donné en échange, suivi de l’acquisition à titre onéreux du bien reçu en échange. Le délégué du gouvernement fait valoir qu’en vertu d’une lecture combinée des articles 99 et 102, alinéa 1a de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR », l’échange de biens serait à considérer comme cession à titre onéreux du bien donné en échange, suivie de l’acquisition à titre onéreux du bien reçu en échange et serait imposable en tant que bénéfice de cession. Si en vertu de l’article 883 du Code civil, l’effet déclaratif du partage s’appliquerait à tout acte ayant pour effet de faire cesser une indivision, l’application de l’effet déclaratif du partage en matière d’impôt sur le revenu se limiterait aux actes portant transmission de biens à titre gratuit, le délégué du gouvernement se basant à cet égard sur le commentaire des articles à la base de l’article 102 LIR. Ainsi, un acte à titre gratuit serait susceptible d’avoir un effet déclaratif, notamment lorsqu’il s’agirait d’un acte de partage. En revanche, un acte à titre onéreux, auquel s’appliqueraient les dispositions des articles 99ter, alinéa 1er et 102, alinéa 1a LIR, n’aurait jamais un tel effet. Le délégué du gouvernement se base encore sur les articles 711, 718, 724, 883, 1101 et 1702 du Code civil pour en déduire que la succession aurait un effet déclaratif, alors qu’un échange ou une cession auraient un effet translatif. En matière d’impôt sur le revenu, la règle de l’effet déclaratif du partage s’imposerait de manière générale et serait réservée aux actes qualifiés de « partage ». Les actes à titre onéreux, même au cas où ils feraient cesser une indivision, ne seraient pas visés par ces dispositions légales. Afin de sortir de l’indivision, le Code civil prévoirait que les cohéritiers procèdent selon convenance, soit à la vente de leurs parts indivises respectives, soit au partage.
Le délégué du gouvernement fait valoir qu’en l’espèce, il résulterait de l’intitulé de l’acte notarié litigieux que les demandeurs auraient choisi de procéder à l’aliénation de leur part dans l’indivision par voie d’un échange et non de procéder à un partage. Tout en admettant que les deux opérations auraient abouti au même résultat, le délégué du gouvernement souligne qu’ils produiraient cependant des effets différents en ce qu’un échange représenterait un acte à titre onéreux et un partage un acte à titre gratuit. La commune volonté des demandeurs et des époux, Monsieur … et Madame …, de conclure un acte de vente serait établie du seul intitulé de l’acte notarié et du prix des biens échangés convenu entre eux, le délégué du gouvernement donnant à cet égard à considérer que les raisons ayant amenés les demandeurs à conclure un acte sous cette forme, plutôt que sous une autre, ne pourraient être prises en compte par l’administration qui ne saurait juger de l’opportunité que peuvent représenter les avantages ou désavantages découlant des nombreux effets, droits, taxes et autres obligations en rapport avec ce genre de transaction, étrangers à la matière de l’impôt sur le revenu. Il en découlerait que les dispositions de l’article 102, alinéa 1a LIR seraient applicables à l’ensemble des immeubles donnés en échange et que la transmission des parts indivises et du terrain à bâtir à … des demandeurs aux époux, Monsieur … et Madame …, aurait eu lieu au moyen d’un acte à titre onéreux auquel la règle de droit civil de l’effet déclaratif du partage ne serait pas applicable.
Concernant la décision de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ayant requalifié les transactions en cause en partage successoral, la partie étatique fait valoir qu’il ne serait ni de l’esprit de la loi, ni prévu par le Code civil, de contraindre un indivisaire à procéder obligatoirement, pour toute aliénation entre cohéritiers, à un partage successoral, de sorte que l’interprétation de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ne saurait lier l’administration des Contributions directes qui ne pourrait faire dépendre le traitement fiscal de la transaction en cause que de la situation de fait et de droit à sa base.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs estiment que l’article 102, alinéa 1a LIR ne saurait s’appliquer en l’espèce, étant donné que les parties auraient entendu conclure un partage successoral. Ils soulignent qu’ils n’auraient jamais eu l’intention de procéder à une opération d’échange, mais seulement de procéder à un partage successoral avec soulte. Ils mettent plus particulièrement en exergue que dans la mesure où les biens litigieux résulteraient d’une indivision successorale et n’auraient jamais été partagés, ils auraient souhaité mettre fin à cette indivision en attribuant un bien à l’un des co-indivisaires, moyennant le paiement d’une soulte au moins prenant. Cette soulte aurait été compensée moyennant attribution au moins prenant d’un terrain sis à …, et le paiement d’une soulte en numéraire de ….-€. Ils n’auraient jamais voulu procéder à une quelconque opération d’échange, mais se seraient fiés au conseils du notaire, les demandeurs répétant que s’ils avaient eu connaissance des conséquences fiscales qu’un tel acte engendrait, ils n’auraient jamais conclu l’acte litigieux. Ils reprochent ainsi à la partie étatique de ne pas avoir analysé les faits, mais de s’être limitée à la qualification formelle donnée à l’acte litigieux par le notaire, les demandeurs soulignant à cet égard qu’ils auraient, à plusieurs reprises, sollicité de la part du notaire des explications quant au choix d’une telle qualification de l’acte, mais que ce dernier n’aurait pas répondu à leurs courriers, de sorte qu’ils seraient lésés par la faute professionnelle dudit notaire. Ils indiquent encore avoir l’intention d’assigner le notaire en justice afin d’obtenir la nullité de l’acte.
Les demandeurs sont encore d’avis que les raisons ayant conduit les parties à conclure cet acte sous une forme, plutôt que sous une autre, devraient être prises en considération par l’administration des Contributions directes pour procéder à une imposition.
Ils font encore valoir qu’ils n’auraient de toute façon pas pu procéder à une opération d’échange des maisons litigieuses, étant donné qu’ils n’en avaient pas la pleine propriété au jour de la conclusion de l’acte litigieux.
En soulignant que les différentes administrations seraient censées coopérer et adopter une position similaire dans un souci de sécurité et de prévisibilité juridique pour le contribuable, ils estiment encore que l’Etat ne saurait en aucun cas faire abstraction de la divergence de position entre l’administration des Contributions directes et l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, faute de quoi il violerait le principe de sécurité juridique. En effet, l’Etat ne saurait imposer les parties sans prendre en considération la divergence de position des deux administrations en vertu du principe « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ».
Force est au tribunal de constater que la question opposant les parties en l’espèce est la détermination de la qualification juridique de l’acte notarié du 14 décembre 2015 intitulé « échange », ainsi que les effets fiscaux entrainés par cette opération, le régime fiscal applicable à l’opération litigieuse dépendant de la qualification juridique de cette opération. Pour ce faire, il convient de se référer aux principes du droit civil pour déterminer si l’acte litigieux s’analyse en un transfert de propriété ou n’a qu’un effet déclaratif1.
1 Trib. adm., 1er octobre 2013, n° 28180 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.
Il échet ensuite de souligner que si la nature d’un acte ne se dégage pas forcément de son intitulé, mais qu’il faut encore rechercher la commune intention des parties, il n’en reste pas moins qu’indépendamment de la commune volonté des parties, certaines situations sont encadrées par des règles juridiques qui ne sont pas à la libre disposition des intervenants, tant en ce qui concerne le choix de la nature des actes qu’en ce qui concerne le traitement fiscal qui en découle2.
Aux termes de l’article 1702 du Code civil : « L’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre ». A la différence de la vente, l’échange ne comporte pas de prix. Alors que la vente implique une chose et un prix, formant réciproquement la contrepartie, l’échange ne porte que sur deux choses, formant réciproquement la contrepartie l’une de l’autre3.
En matière fiscale, l’article 102, alinéa 1a LIR dispose que : « L’échange de biens est à considérer comme cession à titre onéreux du bien donné en échange, suivie de l’acquisition à titre onéreux du bien reçu en échange. Le prix de réalisation du bien donné en échange correspond à sa valeur estimée de réalisation. ». L’alinéa 1a précité consacre le principe que l’échange d’un bien est à assimiler à une vente suivie d’une acquisition et conduit, par conséquent, à la réalisation de la plus-value ou de la moins-value inhérente au bien donné en échange4.
En ce qui concerne le partage successoral, l’article 883 du Code civil dispose que :
« Chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, et n’avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession.
Il en est de même des biens qui lui sont advenus par tout autre acte ayant pour effet de faire cesser l’indivision. Il n’est pas distingué selon que l’acte fait cesser l’indivision en tout ou en partie, à l’égard de certains biens ou de certains héritiers seulement.
Les actes valablement accomplis soit en vertu d’un mandat des coïndivisaires, soit en vertu d’une autorisation judiciaire, conservent leur effet quelle que soit, lors du partage, l’attribution des biens qui en fait l’objet. ».
L’effet déclaratif du partage ainsi exprimé s’applique pour tous les effets compris dans le lot d’un copartageant et inclut ainsi également l’hypothèse d’un partage avec soulte5.
L’effet déclaratif du partage doit encore être recherché dans la nature même du partage et reflète le souci du législateur de rattacher directement les biens recueillis par les héritiers dans la succession à l’auteur dont ils proviennent, sans intermédiaire, suivant le principe général, énoncé par l’article 724 du Code civil, statuant au-delà de la saisine des héritiers du fait du décès de leur 2 Idem.
3 Cour d’appel, 7 janvier 2009, Pas. 34, page 367.
4 Doc. parl. n° 4855, ad article 1er, 15°, page 105.
5 Trib. adm., 19 janvier 2000, n° 11394 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Impôts, n° 275 et les autres références y citées.
auteur en disposant que « Par le seul effet de l’ouverture de la succession tous les biens du défunt sont transmis à ses héritiers, qui sont tenus de toutes ses dettes et charges. ».
En matière fiscale, le législateur a, par une loi du 27 juillet 1978 complétant le régime d’imposition des plus-values réalisées lors de la cession de biens du patrimoine privé et modifiant le système d’imposition des revenus extraordinaires, à travers l’article 102, alinéa (3) LIR, confirmé de façon expresse l’option prise, du moins concernant les biens du patrimoine privé, pour une application générale du principe déclaratif du partage.
L’article 102, alinéa (3) LIR, dans la version applicable à l’année d’imposition sous revue, dispose que « Lorsqu’un bien a été acquis à titre gratuit par le cédant, le prix d’acquisition à mettre en compte est celui payé par le détenteur ayant acquis le bien en dernier lieu à titre onéreux. Il en est de même lorsque le bien a été attribué au cédant comme lot à l’occasion d’un partage successoral, même en cas de paiement d’une soulte par l’alloti. Un règlement grand-ducal peut prévoir, pour des cas particuliers des dérogations à la phrase qui précède », étant entendu que pour l’exercice fiscal en question, aucun règlement grand-ducal n’a été pris.
Il se dégage encore du commentaire des articles à la base de l’article 102 LIR que l’entérinement en matière fiscale de l’effet déclaratif du partage, du moins concernant les biens du patrimoine privé du contribuable, est à considérer de façon générale, au-delà des questions d’imposition des plus-values en matières immobilière et mobilière y plus spécifiquement réglées et ce notamment en raison des motifs ayant guidé le choix du législateur, tels qu’ils résultent plus particulièrement in fine dudit commentaire des articles relatif à la disposition sous discussion relaté ci-après en large extrait, comme détaillant au mieux l’intention des auteurs du texte6 :
« L’alinéa 3, première phrase ne comporte également que la confirmation de la pratique administrative actuelle confirmée formellement par la jurisprudence, en ce qui concerne notamment les participations importantes.
Comme cependant, suivant le projet, la solution faisant l’objet de la jurisprudence trouvera une application beaucoup plus fréquente à l’endroit des terrains il échet néanmoins d’examiner quelles autres solutions seraient possibles et quelle solution se présente comme la plus appropriée.
Lorsqu’un bien est transmis à titre gratuit et que ce bien a déjà acquis une plus-value par rapport à son prix d’acquisition, cette plus-value peut, techniquement, être traitée de trois manières différentes.
En premier lieu elle peut être définitivement exonérée. Cette solution implique que l’acquéreur aura pour prix d’acquisition la valeur estimée de réalisation du bien au jour de la transmission.
En second lieu la plus-value peut être imposée lors de la transmission, comme si le bien était aliéné au prix de sa valeur estimée de réalisation.
6 Doc. parl. n° 2078, ad. article 102, pages 1471.
La troisième solution consiste à reporter la plus-value sur l’acquéreur du bien, en prévoyant que l’acquéreur sera traité, lors de l’aliénation ultérieure du bien, comme s’il avait acquis le terrain au prix exposé par son auteur.
La première solution manquerait d’équité, puisqu’elle exonérerait définitivement les plus-values au hasard des successions. D’autre part elle nécessiterait l’évaluation de la valeur vénale des biens à la date de l’ouverture des successions, parce que la valeur vénale à cette époque tiendrait lieu de prix d’acquisition pour le calcul de la plus-value réalisée ultérieurement par l’héritier. De plus cette solution ne pourrait pas être appliquée en cas de donation, parce qu’elle provoquerait des donations faites dans le seul but d’obtenir l’exonération des plus-
values.
En France la première solution est appliquée à l’endroit des successions et à l’endroit des donations pratiquées avant l’introduction de l’imposition des plus-values. Or, en France, les successions en ligne directe sont soumises à un droit de succession très sensible et les autres successions sont soumises à un droit beaucoup plus élevé que le droit correspondant luxembourgeois. Il ne se recommande pas d’adopter la solution française du moment que le législateur n’envisage pas la modification correspondante des droits de successions.
La deuxième solution est inacceptable, parce qu’elle serait contraire au principe général que l’impôt sur le revenu ne doit frapper que des revenus réalisés.
C’est pour ces raisons que la troisième solution se recommande. Cette solution correspond par ailleurs aux principes appliqués actuellement aussi à l’endroit des transmissions à titre gratuit d’exploitations et d’entreprises.
Comme il vient d’être relevé la solution implique que le prix d’acquisition payé lors de la dernière acquisition à titre onéreux soit mis en compte lorsque le terrain a été acquis à titre gratuit.
La solution adoptée soulève un problème en rapport avec le partage successoral qui comporte à son tour deux solutions théoriquement admissibles.
Dans la première solution le partage est considéré comme translatif. Il en résulte que l’attributaire d’un bien ne doit mettre en compte le prix d’acquisition du de cujus qu’à concurrence de sa quote-part héréditaire. Pour le reste il est censé avoir acquis le terrain au prix de ses quotes-parts héréditaires auxquelles il renonce, compte tenu d’une soulte éventuelle. En contrepartie de ce principe les copartageants sont réputés avoir réalisé leurs quotes-parts dans le bien et sont immédiatement imposables du chef de la fraction correspondante de la plus-value.
Dans la deuxième solution le partage est considéré comme déclaratif. L’attributaire du bien est réputé avoir acquis ce bien entièrement du de cujus et le prix d’acquisition entier payé par ce dernier est à mettre en compte ultérieurement par l’attributaire. Aucun des cohéritiers n’est imposé à la suite du partage.
En ce qui concerne les transmissions d’exploitations et d’entreprises, l’une ou l’autre conception du partage est actuellement applicable selon les circonstances.
L’exécution de la solution basée sur la conception translative du partage est cependant compliquée et son exécution pratique n’est possible, à l’endroit des exploitations et des entreprises, que parce que les écritures normalement tenues par les exploitants analysent et enregistrent de toute façon les modifications de valeurs comptables résultant des transferts de propriété en raison de l’effet translatif du partage.
En ce qui concerne, par contre, les biens dépendant du patrimoine privé, le calcul et l’enregistrement comptable du prix d’acquisition se dégageant du partage pour l’attributaire du bien devraient être faits par l’administration.
Eu égard à la fréquence des partages et aux circonstances compliquées dans lesquelles ils s’accomplissent souvent, cette solution ne saurait être envisagée à l’endroit des biens du patrimoine privé.
Il importe donc d’imposer par la loi la solution basée sur l’effet déclaratif du partage, parce qu’elle ne comporte pas de complications et est de ce fait préférable pour le contribuable et l’administration. ».
La solution basée sur l’effet déclaratif du partage ainsi imposée par le projet de l’article 102, alinéa (3) devenu loi est encore corroborée par la considération des auteurs du texte suivant laquelle « actuellement, dans les cas de transmission d’entreprise ou d’exploitation où les contribuables ont le choix entre la conception translative et la conception déclarative, ils choisissent presque régulièrement la conception déclarative pour la raison qu’elle ne déclenche pas d’imposition immédiate7 ».
La commission des Finances et du Budget de la Chambre des Députés s’est expressément ralliée à la façon de voir des auteurs du projet en ce qu’elle « pose moins de problèmes sur le plan d’exécution pratique et qu’elle ne déclenche pas d’imposition immédiate8 ».
Il ressort des considérations qui précèdent qu’en matière fiscale, à l’instar du droit civil, le partage a un effet déclaratif.
En l’espèce, il se dégage de l’acte notarié litigieux du 14 décembre 2015, que les demandeurs ont attribué aux époux Monsieur … et Madame … la moitié indivise de la maison d’habitation sise à …, …, et ont obtenu de la part des époux Monsieur … et Madame … la moitié indivise de la maison d’habitation avec terrain agricole sise à …, …. Il ressort encore de l’acte notarié en question que ces deux maisons d’habitations ont dépendu des successions confondues de feu Madame … et Monsieur …, laissant comme héritiers à parts égales leurs deux enfants Madame … et Monsieur … et que tant la part de la demanderesse, que la part de son frère sont tombées dans les communautés de biens universelle existant entre eux et leurs conjoints respectifs.
7 Idem.
8 Idem, page 494.
Il s’ensuit que les demandeurs et les époux Monsieur … et Madame … étaient en indivision successorale par rapport aux deux immeubles sis à … et que par acte notarié du 14 décembre 2015, il a été procédé au partage des biens dépendant de la succession des parents de Madame … et Monsieur …. En effet, et en ce qui concerne les deux immeubles sis à …, aucun échange de propriété n’a eu lieu en l’espèce, étant donné que les parties en cause se trouvaient en indivision par rapport à ces immeubles. Ils n’ont procédé qu’au partage entre eux des différents biens dépendant de la succession de feu Madame … et Monsieur ….
Il y a encore lieu de constater que par le même acte notarié du 14 décembre 2015, et en raison de l’inégalité de valeur des différents lots résultant du partage successoral - la maison d’habitation avec terrain agricole sise à …, rue de …, ayant une valeur évaluée à ….-€, tandis que la maison d’habitation sise à …, … a été évaluée à …-€ -, il a été procédé au paiement d’une soulte au moins prenant consistant dans le paiement par les demandeurs aux époux Monsieur … et Madame … d’une somme d’argent de …-€, ainsi que dans l’attribution d’un terrain sis à ….
Il échet dès lors de constater que par l’acte notarié du 14 décembre 2015, il a été procédé au partage des maisons d’habitation sises à …, … et … moyennant le paiement d’une soulte au moins prenant.
Cette constatation n’est pas énervée par les affirmations étatiques, suivant lesquelles la commune volonté des demandeurs et des époux Monsieur … et Madame … de conclure un acte de vente serait établie du seul intitulé de l’acte notarié et du prix des biens échangés convenu entre eux, étant donné que, d’un côté, et tel que souligné ci-avant, la nature d’un acte ne se dégage pas forcément de son intitulé, et, de l’autre côté, l’évaluation des biens en question est nécessaire lors d’un partage successoral afin de déterminer s’il y a inégalité des lots et, dans l’affirmative, de déterminer le montant de la soulte à payer au moins prenant conformément à l’article 833 du Code civil, lequel dispose que : « L’inégalité des lots en nature se compense par un retour, soit en rente soit en argent ».
Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater qu’en l’espèce, c’est à tort que le bureau d’imposition a fait application des dispositions de l’article 102, alinéa 1a LIR et a soumis à l’impôt sur le revenu les plus-values inhérentes à l’immeuble situé … à …, de sorte que le bulletin de l’impôt sur le revenu déféré, est à réformer en ce sens, sans qu’il n’y a lieu de statuer plus en avant. Le dossier est partant renvoyé devant le bureau d’imposition compétent afin de procéder aux calculs tout en tenant compte des principes retenus dans le présent jugement.
Les demandeurs réclament encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de …-€, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est toutefois à rejeter étant donné qu’ils omettent de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et ne précisent pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à leur charge, la simple référence à l’article de la loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours principal en réformation recevable en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant réforme le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015, émis par le bureau d’imposition Capellen, section des personnes physiques, de l’administration des Contributions directes le 29 novembre 2017 à l’égard de Monsieur … et de son épouse, Madame …, en ce sens qu’il n’y a pas lieu de soumettre à l’impôt sur le revenu les plus-values inhérentes à l’immeuble sis à …, en application de l’article 102, alinéa 1a LIR ;
renvoie le dossier au bureau d’imposition compétent afin qu’il procède à l’exécution du présent jugement ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les demandeurs ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 23 septembre 2019, par le vice-président, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2019 Le greffier du tribunal administratif 11