Tribunal administratif N° 41286 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2018 1re chambre Audience publique du 23 septembre 2019 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Environnement, en matière de protection de la nature
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41286 du rôle et déposée le 15 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Environnement du 8 mai 2018 leur interdisant la mise sur le marché du bois coupé sur la parcelle n°… inscrite au cadastre de la commune de Sanem, section … de … ;
Vu l’ordonnance du 30 août 2018, inscrite sous le numéro 41618 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 octobre 2018 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Cathy Arendt déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 novembre 2018 pour compte de Monsieur … et de son épouse, Madame …, préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 novembre 2018 ;
Vu l’avis du greffe du tribunal administratif du 14 décembre 2018 ayant autorisé les parties à déposer chacune un mémoire additionnel ;
Vu le mémoire additionnel du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 janvier 2019 ;
Vu le mémoire additionnel de Maître Cathy Arendt déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 février 2019 pour compte de Monsieur … et de son épouse, Madame …, préqualifiés ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mimouna Larbi, en remplacement de Maître Cathy Arendt, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2019.
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Il ressort des éléments en cause que Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », sont, depuis 2016, propriétaires d’une parcelle forestière n°…, inscrite au cadastre de la commune de Sanem, section … de ….
Suivant un rapport du 27 avril 2018 de l’administration de la Nature et des Forêts, direction – entité mobile, les consorts … procédèrent à des « coupe excessive d’une futaie, destruction d’un habitat 9160 et réduction d’un habitat NATURA2000 » sur leur parcelle n° ….
Par décision du 8 mai 2018, le ministre de l’Environnement, ci-après désigné par « le ministre », interdit la mise sur le marché du bois coupé sur ladite parcelle forestière et ordonna l’affichage de sa décision, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vu la loi modifiée du 30 janvier 1951 ayant pour objet la protection des bois ;
Vu la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;
Vu la loi du 21 juillet 2012 concernant certaines modalités d’application et la sanction du règlement (UE) n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché ;
Vu le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;
Vu le rapport (043 18 BC) de l’Administration de la nature et des forêts du 27 avril 2018;
Considérant que la coupe a été réalisée en violation de la législation précitée;
Considérant qu’il y a péril en la demeure ;
décide :
Art. 1er Au vu de ces faits et conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 21 juillet 2012 concernant certaines modalités d’application et la sanction du règlement (UE) n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché, la mise sur le marché du bois coupé sur la parcelle … inscrite au cadastre de la commune de Sanem, section … et appartenant à Madame … et à Monsieur … , est interdite avec effet immédiat.
Art. 2 La présente décision est affichée par les soins de l’Administration de la nature et des forêts sur le bois coupé illégalement.
Quiconque porte assistance à la mise sur le marché du bois visé nonobstant l’interdiction ministérielle est poursuivi comme coauteur de l’infraction au même titre que celui qui a entamé les travaux.
2L’Administration de la nature et des forêts est chargée de l’exécution de la présente.
Contre la présente décision, un recours en annulation peut être interjeté auprès du Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour. ».
Par requête déposée le 15 juin 2018 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 41286 du rôle, les consorts … ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la prédite décision ministérielle du 8 mai 2018. Par requête séparée déposée le 24 août 2018, inscrite sous le numéro 41618 du rôle, ils ont encore sollicité un sursis à exécution sinon des mesures de sauvegarde par rapport à la même décision, demande dont ils ont été déboutés par ordonnance du 30 août 2018.
Suivant un avis du 14 décembre 2018, le tribunal a invité les parties à prendre position par rapport à l’incidence éventuelle de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles modifiant 1° la loi modifiée du 31 mai 1999 portant institution d’un fonds pour la protection de l’environnement ; 2° la loi modifiée du 5 juin 2009 portant création de l’administration de la nature et des forêts ; 3° la loi modifiée du 3 août 2005 concernant le partenariat entre syndicats de communes et l’Etat et la restructuration de la démarche scientifique en matière de protection de la nature et des ressources naturelles, en abrégé « la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles », ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », ayant abrogé la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 19 janvier 2004 », la partie étatique, de même que les consorts … ayant chacun déposé un mémoire additionnel à cet effet.
La partie étatique n’a pas pris position sur la question de la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018. Quant à la question de savoir si le présent recours est à examiner au regard de la loi du 19 janvier 2004 ou de celle du 18 juillet 2018, la partie étatique s’est limitée à prendre position quant au bien-fondé de la décision déférée par rapport à la loi du 18 juillet 2018.
Les consorts … font, quant à eux, valoir que si l’article 83 de la loi du 18 juillet 2018 avait abrogé purement et simplement la loi du 19 janvier 2004 dans son intégralité sans prévoir de mesures transitoires autres que celles visant les roulottes et les mesures compensatoires, il serait de jurisprudence constante des juridictions de l’ordre administratif que seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise serait applicable pour apprécier le recevabilité d’un recours contentieux, dans la mesure où, s’agissant d’une règle de fond du droit judicaire, les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction devraient être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.
Comme la recevabilité du recours introduit contre une décision prise sur le fondement de la loi du 19 janvier 2004 serait dès lors à apprécier conformément aux dispositions de cette même loi, il s’agirait en l’espèce de statuer dans le cadre d’un recours en réformation.
Ils avancent que si la loi du 18 juillet 2018 entrée en vigueur le 9 septembre 2018 devait s’appliquer, celle-ci prévoyant en son article 68 un recours en annulation, ce serait uniquement par rapport aux décisions ayant été prises en application de cette même loi, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce.
3Enfin, dans l’hypothèse où le tribunal devait estimer que seul un recours en annulation était possible contre la décision déférée, les consorts … rappellent qu’ils ont sollicité la réformation sinon l’annulation de la décision déférée dans leur requête introductive.
S’agissant de la loi applicable, ils donnent à considérer qu’en se basant sur les principes généralement applicables, ce serait la nouvelle loi qui devrait s’appliquer aux situations juridiques nées après son entrée en vigueur. Or, comme il s’agirait, en l’espèce, d’une situation juridique définitivement constatée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, la prétendue destruction d’un biotope constituant, en effet, un acte achevé ayant donné lieu à une situation dotée d’un caractère définitif, ce serait la loi du 19 janvier 2004 qui devrait être appliquée.
Quant à la nature du recours et quant à la recevabilité Aux termes de l’article 2, paragraphe (3), de la loi du 21 juillet 2012 concernant certaines modalités d’application et la sanction du règlement (UE) n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché, ci-après désignée par « la loi du 21 juillet 2012 », sur base duquel l’interdiction de mise sur le marché du bois récolté a été prise : « Les mesures prises par le membre du Gouvernement ayant l'Environnement dans ses attributions en vertu du paragraphe 1er sont susceptibles d'un recours devant le tribunal administratif qui statue comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans les quarante jours de la notification de la décision. ».
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre l’acte lui déféré qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Quant au fond Il convient de prime abord au tribunal de déterminer la loi applicable à l’examen du bien-fondé de la décision litigieuse dans la mesure celle-ci est motivée notamment par le renvoi à la loi du 19 janvier 2004, laquelle a pourtant été abrogée par la loi du 18 juillet 2018, précitée.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise1, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2.
Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal, saisi d’un recours en réformation, sera, en principe, amené à examiner le bien-fondé de la décision déférée au regard de la loi du 18 juillet 2018, en vigueur au moment où il statue3.
1 Trib. adm. , 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en reformation, n° 18 et l’autre référence y citée.
3 Cour adm.,13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
4Le tribunal est cependant amené à relever qu’il se dégage des enseignements de la Cour administrative dans un arrêt du 13 décembre 2018, n°41111C du rôle, que lorsque la juridiction administrative saisie se trouve confrontée à une situation de fait qui s’est cristallisée à un moment donné, tel que c’est notamment le cas en l’espèce dans la mesure où il est reproché au demandeur d’avoir détruit un habitat en ayant procédé à une coupe rase d’une futaie, composée de vieux chênes et de charmes, classée comme habitat du type 9160 « chênaie du Stellario-
Carpinetum », sur une parcelle se trouvant à l’intérieur d’une zone spéciale de conservation, tel que cela relève du rapport précité de l’administration de la Nature et des Forêts du 27 avril 2018, le tout sans avoir sollicité préalablement une autorisation pour ces travaux, - l’invocation du concept d’habitat ne faisant de sens que tant que les arbres appartenant à la futaie étaient encore existants -, il ne fait pas de sens, ni en fait, ni en droit, d’analyser dans le cadre d’un recours en réformation la situation par rapport à la futaie en question - qui précisément n’existe plus à l’heure actuelle - en se référant à la législation en vigueur au jour où le juge statue.
Force est de constater qu’en l’espèce, au regard des motifs fournis dans la décision déférée, ensemble les explications fournies par la partie étatique en cours de procédure, le litige sous analyse comporte la question d’une situation de fait qui s’est figée dans le passé ou qui a cessé d’exister comme telle à un moment antérieur, à savoir le reproche selon lequel un habitat aurait été détruit, en l’espèce, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, cette question devant dès lors être tranchée, suivant les enseignements de la Cour administrative, dans un souci de cohérence et par exception à la règle d’applicabilité des éléments de droit tels qu’ils se présentent au jour où le tribunal est amené à statuer en tant que juge de la réformation, par rapport à la loi antérieure du 19 janvier 2004.
Les dispositions de la loi du 19 janvier 2004 sont dès lors applicables pour analyser le bien-fondé de la décision déférée.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs font tout d’abord valoir que la parcelle forestière n° … leur appartenant n’aurait été que très peu entretenue par le précédent propriétaire, qu’elle aurait été peu lumineuse, qu’il y aurait eu peu de végétation au sol et que ses arbres auraient été en mauvais état.
Ils expliquent que ce serait sur instruction d’un garde forestier qu’ils auraient contacté eux-mêmes, qu’ils auraient procédé, dans une première phase, à l’installation de quelques clairières destinées à être reboisées ultérieurement. Dans une deuxième phase, un nettoyage de la forêt aurait été effectué et il aurait été procédé à un abattage d’arbres qui se seraient trouvés en mauvais état, le tout pour assainir la forêt.
Ils relatent que les travaux auraient été réalisés au mois de mars 2018 sur environ 5 jours, jusqu’au moment où ils auraient été contactés par Monsieur …, chef d’arrondissement de l’administration de la Nature et des Forêts, et où les travaux auraient été arrêtés.
S’il leur était reproché d’avoir contrevenu aux dispositions légales et notamment d’avoir détruit un biotope, les demandeurs insistent sur le fait qu’à aucun moment, il n’aurait été porté à leur connaissance que la parcelle en question tombait sous l’application de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004.
Ils précisent que les troncs des arbres coupés se trouveraient toujours sur les lieux et qu’ils longeraient un chemin d’accès vers la forêt, sans autre protection. Par ailleurs, les 5branches coupées se trouveraient entassées sur les clairières qui ont été établies suite aux travaux entamés, ne pouvant être déplacées ou utilisées, et empêchant ainsi un reboisement.
En droit, ils se prévalent d’abord d’une violation de la Constitution, en ce que la Cour constitutionnelle aurait, dans son arrêt du 6 juin 2018 n° 00138 du registre, déclaré l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 19 janvier 2004 contraire à l’article 14 de la Constitution pour les lieux de vie y non énumérés en tant qu’exemples de biotopes. Or, dans la mesure où il leur serait reproché d’avoir coupé des arbres faisant partie d’un habitat tel qu’indiqué à l’annexe 1 de la loi du 19 janvier 2004 à laquelle l’article 17 se référerait expressément, mais que ledit article 17, paragraphe 1er, de la même loi aurait été jugé inconstitutionnel, la décision litigieuse serait illégale.
Ils soulèvent ensuite une absence de motivation de la décision litigieuse, alors que le ministre, pour justifier sa décision, se contenterait de faire référence à certains textes de loi et à un rapport de l’administration de la Nature et des Forêts du 27 avril 2018 dont ils n’auraient jamais eu connaissance.
Les demandeurs se prévalent encore d’une violation du principe de participation du public tel que prévu par l’article 8 de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, faite à Aarhus (Danemark), le 25 juin 1998, ci-après désignée par « la Convention d’Aarhus », transposé en droit luxembourgeois par la loi du 31 juillet 2005 portant approbation de la Convention d’Aarhus. Ils donnent à considérer que dans la mesure où les citoyens auraient le droit de s’impliquer de façon concrète et utile dans le processus d’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, la loi du 19 janvier 2004, en ce qu’elle ne prévoirait pas de participation du public lors de la désignation des zones de protection spéciale par acte réglementaire violerait ladite Convention.
Ils précisent, à cet égard, ne jamais avoir eu connaissance et ne jamais avoir été invités à participer à l’élaboration du projet de texte portant désignation de leur parcelle en zone de protection spéciale, tout en faisant valoir qu’ils n’auraient dès lors pas eu la possibilité de formuler des observations écrites ou orales à ce sujet.
Subsidiairement, les demandeurs invoquent une erreur de fait, sinon une erreur de droit, sinon encore une erreur d’appréciation manifeste dans le chef du ministre. A cet égard, ils contestent l’existence d’un « habitat naturel » ou d’un « biotope » sur leur propriété privée, dont les critères de désignation seraient contestés et seraient en tout état de cause non conformes à la Constitution, dans la mesure où l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 19 janvier 2004 ne permettrait pas d’identifier de façon claire et précise les biotopes et les habitats susceptibles de tomber sous le régime de protection en ne donnant aucun ordre de grandeur, notamment de surface minimale nécessaire, ni une énonciation précise des plantes à protéger.
Ils ajoutent que s’ils avaient certes été entendus par l’Entité mobile du ministère du Développement durable et des Infrastructures, ils bénéficieraient toujours de la présomption d’innocence, surtout eu égard au fait que le dossier n’aurait pas encore été transmis au Parquet et qu’aucune infraction ne serait établie à leur encontre. Au vu du caractère inconstitutionnel de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, il ne serait, à ce stade, pas clair comment ils pourraient subir de condamnation. Ils précisent qu’ils n’auraient pas agi de mauvaise foi et qu’en qualifiant le bois coupé comme ayant été illégalement récolté, le ministre aurait préjugé sur l’issue de leur affaire en cours.
6 Finalement, les demandeurs reprochent au ministre un excès, sinon un détournement de pouvoir, dans la mesure où il aurait décidé arbitrairement et sans motivation aucune d’interdire la mise sur le marché et le retrait du bois en question, tout en lui reprochant ne pas avoir fait preuve d’impartialité. Ils donnent à considérer que les arbres en question auraient été abimés et qu’ils auraient risqué de tomber, tout en soulignant qu’ils auraient eu l’intention de reboiser la parcelle en question et que le but des travaux aurait été de procéder à la renaturation de la forêt. Ils expliquent qu’ils se seraient, dans ce contexte, remis à l’avis d’un professionnel, à savoir un garde forestier, et qu’ils seraient partis ainsi du principe que les travaux proposés par celui-ci respecteraient les lois en vigueur. Ils précisent que le garde forestier aurait d’ailleurs confirmé au responsable de l’entreprise en charge des travaux que tout se faisait dans le cadre de la loi, les demandeurs insistant plus particulièrement sur leur bonne foi en s’étant entouré de conseils de la part de professionnels.
Ils avancent, enfin, que le ministre aurait pu leur accorder une dérogation à l’interdiction litigieuse ou imposer des mesures compensatoires en vertu de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004.
Ils concluent que la mesure prise par le biais de la décision ministérielle du 8 mai 2018 serait, compte tenu de la situation spécifique décrite ci-avant, excessive.
Dans son mémoire en réponse et en fait, le délégué du gouvernement expose qu’au cours de la première semaine du mois de mai 2018, l'entité mobile de l'administration de la Nature et des Forêts aurait fait parvenir un rapport au ministre concernant une coupe excessive d'une futaie, la destruction d'un habitat 9160 et la réduction d'un habitat Natura 2000 sur la parcelle appartenant aux époux …-…, lesquels auraient partant détruit un total de 1,6 hectares de forêt bénéficiant d'un triple statut de protection. Il précise que Madame … serait colocataire aussi bien du lot de chasse numéro … couvrant cette parcelle que du lot de chasse adjacent portant le numéro … et pour lequel son mari, Monsieur …, ainsi que leurs deux fils seraient colocataires.
En droit, il signale que, contrairement aux énonciations des demandeurs, il ne pourrait être question de « clairières », mais il aurait été procédé à plusieurs coupes rases à l'intérieur d'un massif forestier.
S’agissant de la violation de l’article 14 de la Constitution, telle qu’invoquée par les demandeurs, il avance que s'il était vrai que l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 a été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle pour les lieux de vie y non énumérés en tant qu'exemples de biotopes, il ne l'aurait pas été dans son intégralité. Plus précisément, dans la présente affaire, il s'agirait d'un habitat de l'annexe 1, habitats expressément énumérés par ledit article 17.
Quant au reproche adressé au ministre de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision, il donne à considérer que non seulement la décision litigieuse se référerait explicitement à un rapport complet, à savoir celui de l’administration de la Nature et des Forêts du 27 avril 2018, mais celle-ci préciserait encore les textes légaux sur lesquels elle se base, tout en constatant, par ailleurs, que « la coupe rase a été réalisée en violation de la législation précitée», de sorte à avoir motivé à suffisance l'interdiction de mettre sur le marché le bois récolté telle que prononcée en son article 1er.
7En ce qui concerne le moyen des demandeurs fondé sur une violation du principe de participation du public, il met en exergue que les consorts … auraient erronément fait l'amalgame entre habitat de l'annexe 1 et zone spéciale de conservation. En effet, en ce qui concerne l'habitat de l'annexe 1, il ne s'agirait pas de la désignation d'une zone d'habitat, mais d'une simple constatation de l'existence d'un certain type d'habitat pour laquelle le public n'aurait pas à être consulté. Pour ce qui est de la désignation de la zone spéciale de conservation Natura 2000, ainsi que de l'obligation en découlant de « maintenir dans un état de conservation favorable des chênaies du Stellario-Carpinetum (9160) », obligation non respectée par les demandeurs, celles-ci découleraient de l’article 4, paragraphe (22), point b), du règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 portant désignation des zones spéciales de conservation, ci-
après désigné par « le règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 », de sorte que dans la mesure où les demandeurs auraient acquis la forêt litigieuse seulement en 2016, donc longtemps après l’achèvement de la procédure de désignation de la parcelle litigieuse en zone spéciale de conservation, ils n’auraient de toute façon pas pu faire valoir leurs observations au moment de l’acquisition dudit terrain, de sorte que leur moyen manquerait de pertinence.
Il ajoute que si la Convention d'Aarhus avait pour objectif la conservation de la nature pour les générations actuelles et futures en incluant la participation du public, il s'agirait là de lui donner la possibilité de fournir ses observations en vue d’une meilleure protection de l'environnement, et non pas en vue de sauvegarder un quelconque droit de propriété d'un individu que ce dernier jugerait menacé.
Il soutient que ce serait encore à tort que les demandeurs prétendent qu’ils auraient été privés de la possibilité de connaitre le statut particulier de la forêt litigieuse, en soulignant que le site « geoportail.lu », librement accessible au public, mentionnerait précisément tous les statuts dont bénéficie une parcelle.
S’agissant de la prétendue erreur d’appréciation du ministre telle que reprochée par les demandeurs, le délégué du gouvernement donne à considérer que la loi du 21 juillet 2012, précitée, n'exigerait pas que les demandeurs aient été jugés au pénal avant que le ministre puisse prononcer à leur encontre une interdiction de mise sur le marché du bois, respectivement ordonner son retrait. Cette loi serait justement conçue pour permettre une réaction rapide de l’administration afin d'éviter les graves conséquences qu'aurait la mise sur le marché et éventuellement la transformation du bois illégalement récolté. Or, exiger une condamnation pénale reviendrait, selon lui, de facto à priver le ministre compétent de la possibilité d'interdire la mise sur le marché du bois, la procédure en vue d'une condamnation pénale étant beaucoup plus longue que la vente et l'évacuation du bois. Il souligne, à cet égard, que l’affaire aurait été transmise au Parquet, tout en insistant sur le fait qu'un acte administratif n'aurait pas d'effet suspensif et continuerait à sortir ses effets tant qu'il n'a pas été annulé ou réformé par une décision définitive.
Il soutient que ce serait encore à tort que les demandeurs estiment que « l'existence d'un biotope ou d'un habitat naturel n'est pas vérifiée », alors qu'il ressortirait sans ambiguïté aucune de la fiche d'évaluation établie par un bureau d'études dûment agréé en date du 1er juin 2016 qu'il s'agissait en l’espèce d'un « habitat 9160 », soit un « Stieleichen-Hainbuchenwald », celui-ci précisant même sous « Erhalt und Förderung » que le « Alt-und Totholz » devrait être conservé et promu.
Il conteste ensuite l’affirmation des demandeurs selon laquelle la forêt se serait trouvée en mauvais état et qu’elle ne contiendrait que très peu de végétation au sol, en se référant à la 8fiche d'évaluation précitée du 1er juin 2016 indiquant une « Gesamtbewertung B» pour l’habitat en question, tout en précisant que la forêt disposerait d’un «Lebensraumtypisches Arteninventar : Arteninventar : A ».
Il conclut que les coupes rases auraient été complètement inutiles et même hautement contreproductives d'un point de vue écologique. De même l'invocation d'une prétendue «renaturation de la forêt » serait tout à fait absurde, alors que si une aire goudronnée pouvait être renaturée, tel ne serait pas le cas d’une forêt.
Quant au moyen des demandeurs ayant trait à un excès, sinon détournement de pouvoir en ce que le ministre aurait arbitrairement et sans motivation aucune interdit la mise sur le marché du bois récolté, le délégué du gouvernement souligne que le ministre aurait, sur base du rapport complet de l'entité mobile et en indiquant clairement les bases légales, pris la décision que la loi du 21 juillet 2012 ainsi que le droit européen s’imposeraient.
Il fait valoir que le chef d'arrondissement contesterait avec véhémence la prétention des demandeurs selon laquelle les arbres coupés auraient été abimés et menaceraient de tomber. Il suffirait à cette fin de les comparer aux arbres avoisinants toujours en place pour prouver le contraire.
Quant à l’argumentation des demandeurs que le ministre aurait pu accorder une dérogation à l'interdiction de couper lesdits arbres, respectivement leur imposer des boisements compensatoires, il avance que l'article 17 de la loi du 19 janvier 2004 ne permettrait le déboisement, suivi d'un boisement compensatoire, que pour des motifs d'intérêt général lequel n'existerait pas en l'espèce.
Il conclut qu’en procédant à des coupes rases qui seraient indéniablement à qualifier de coupes excessives illégales, les demandeurs auraient contrevenu aux articles 17 de la loi du 19 janvier 2004 en ce qu’il interdirait la destruction d'habitats de l'annexe 1, 4 du règlement grand-
ducal du 6 novembre 2009 et 1er et 2 de la loi modifiée du 30 janvier 1951 ayant pour objet la protection des bois, ci-après désignée par « la loi du 30 janvier 1951 ».
Il avance, enfin, que le règlement (UE) n°995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché, ci-après désigné par « le règlement n° 995/2010 », énumérerait notamment dans son article 4 les obligations des opérateurs dont découlerait l'interdiction de mettre sur le marché du bois illégalement récolté, tel que défini à l’article 2, point g), dudit règlement, c'est-à -dire récolté en violation de la législation applicable dans le pays de récolte, tel que cela serait le cas en l'espèce.
Il s’ensuivrait que ce serait à bon droit que le ministre a fait application de l’article 2 de la loi du 21 juillet 2012 qui lui accorderait la possibilité d'interdire la mise sur le marché du bois illégalement récolté, cette interdiction de mettre sur le marché le bois illégalement récolté étant d’ailleurs, selon le délégué du gouvernement, de droit.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs contestent les faits tels que présentés par le délégué du gouvernement qui laisseraient entendre qu’ils auraient coupé le bois litigieux dans l’unique but de pratiquer la chasse. Ils insistent sur le fait que leur seule intention aurait été celle d’entretenir la forêt, alors qu’il n’y aurait eu que très peu de végétation au sol et que les arbres auraient été en mauvais état.
9 Ils précisent ensuite que le Parquet leur aurait confirmé que l’affaire aurait été classée sans suite, ce qui permettrait de conclure à l’absence de toute infraction punissable dans leur chef.
Ainsi, si la légalité de la décision administrative était subordonnée à la condition que les faits litigieux lui servant de fondement constituent une infraction, tel ne serait pas le cas en l’espèce, les demandeurs insistant sur le fait que les coupes rases litigieuses n’auraient pas été jugées illégales, de sorte que la décision ministérielle ne serait pas fondée.
Ils réitèrent ensuite leur moyen fondé sur une absence de motivation de la décision déférée. A cet égard, ils donnent à considérer que le ministre se référerait certes à un rapport établi par l’administration de la Nature et des Forêts pour fonder sa décision, mais que dans la mesure où ils n’en auraient pas eu connaissance avant d'introduire le présent recours, il leur aurait été impossible de savoir ce qui leur était concrètement reproché.
Selon eux, le terme de « coupe rase » employé dans la décision querellée serait inadéquat et contraire à la réalité, alors qu'il se définirait comme « l'abattage de la totalité des arbres d'une parcelle d’une exploitation forestière », ce qui ne correspondrait pas au cas en l’espèce.
Ils contestent ensuite la légalité et la validité du classement de leur terrain dans une zone Natura 2000, tout en soulignant qu’ils n’auraient pas connaissance d'un règlement grand-
ducal qui aurait procédé au classement de leur terrain dans une telle zone.
Dans ce contexte, ils réitèrent qu’ils auraient été dans l'ignorance totale d’un classement en zone spéciale de conservation de leur terrain et de l'existence d’un habitat de l'annexe 1 sur celui-ci. En se référant à une attestation testimoniale du garde forestier M. G., ils soutiennent qu’il n’aurait pas été nécessaire de faire une déclaration au ministre avant de couper lesdits arbres, celui-ci leur ayant en effet indiqué que les travaux ne devraient être déclarés au ministre en vertu de la loi du 30 janvier 1951, précitée, qu’en cas de défrichement « d’un terrain boisé de plus de 2 ha », ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, de sorte que la coupe excessive, telle qu’elle leur serait reprochée en l’espèce, ne serait pas établie.
Ils donnent, enfin, à considérer qu’ils se seraient engagés à planter de nouveaux arbres afin de conserver la forêt dans un meilleur état.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement soutient que les demandeurs resteraient en défaut d'expliquer en quoi les coupes rases litigieuses auraient été bénéfiques à la nature, si ce n'est leur argument réitéré, mais réfuté dans son mémoire en réponse, ainsi que par l'évaluation faite par des experts, que les coupes rases effectuées devaient contrevenir au fait qu'il y aurait eu « très peu de végétation au sol et que les arbres étaient en mauvais état ». Il renvoie, à cet égard, à son mémoire en réponse en attirant l'attention sur les images aériennes datant de l'année 2018 qui aideraient à visualiser l'ampleur de ces coupes rases et l'absurdité de l'argument adverse tenant à une soi-disant amélioration de la nature par le biais desdites coupes rases.
Si les demandeurs estiment qu'une surface défrichée puisse être renaturée par la plantation d'arbres, donc par « plus de nature », le délégué du gouvernement avance qu’il serait 10pourtant intriguant qu’ils prétendent avoir voulu renaturer une forêt existante en la détruisant puis en la replantant, tout en insistant sur le fait que celle-ci se serait trouvée en parfait état.
Il affirme ensuite qu’il ignorerait si le volet pénal de l'affaire avait été classé sans suite par le Parquet, tout en donnant à considérer qu'aucune pièce probatoire en ce sens n'aurait jusqu'alors été versée et en insistant sur le fait qu’un classement sans suite de l’affaire au niveau pénal pourrait tout à fait avoir d'autres raisons que l'absence d'une infraction dans le chef des demandeurs, telle notamment l'impossibilité de prouver l'élément moral, c'est-à -dire l'intention de commettre l'infraction. Par ailleurs, une décision de classement sans suites par le Parquet ne constituerait pas une décision d’acquittement d’un tribunal pour absence d’infraction. Il souligne qu’en tout état de cause, le volet administratif n'exigerait pas d’élément moral et que la violation du règlement européen serait constituée dès lors que les faits prévus par la loi auraient été commis, que cela ait eu lieu de manière intentionnelle ou non.
Il met en exergue qu’en l'espèce la décision querellée n’impliquerait pas de sanctions pénales, mais une sanction administrative, puisqu’il s’agirait d'une décision ministérielle interdisant la vente du bois illégalement recueilli, imposé par ledit règlement européen.
En ce qui concerne la définition citée par les demandeurs d'une coupe rase comme étant «l'abattage de la totalité des arbres d'une parcelle d'une exploitation forestière », le délégué du gouvernement fait valoir que cette définition, dont la source ne serait d’ailleurs pas référencée, ne pourrait être prise en compte en l’espèce, alors que la parcelle litigieuse s'étendrait sur une contenance de 26 hectares 28 ares et que, selon cette définition, une coupe rase n'existerait pas si les demandeurs avaient laissé subsister un demi are de forêt tout en abattant les 26 hectares restants. En outre, une telle définition ne devrait pas dépendre d'une variable complètement gratuite, soit la taille de la parcelle, qui aurait été déterminée suivant une logique sans lien aucun avec la protection de la nature et des ressources naturelles, le délégué du gouvernement ajoutant qu’une coupe rase existerait dès qu'un bout de forêt aurait été complètement défriché, laissant ainsi un espace nu là où se trouvaient auparavant des arbres.
Il soutient, qu’en l’espèce, il s’agirait d’une coupe rase telle qu’elle serait explicitement interdite sous l’égide de la loi du 18 juillet 2018 et telle qu’elle entraînerait, sous l’égide de la loi du 19 janvier 2004, ainsi que de la nouvelle loi du 18 juillet 2018, l’obligation de reconstituer les peuplements forestiers.
Il réitère que les travaux effectués auraient entraîné une violation tant de l'article 17 de la loi de 2004 que de l’article 2 de la loi du 30 janvier 1951, précitées.
Selon lui, le calcul avancé à ce sujet par le préposé forestier consistant à mettre en relation la surface défrichée et la surface totale de la parcelle pour en déduire la surface de défrichement moyenne serait pour le moins artificiel et ne pourrait en aucun cas être retenu en l’espèce, alors que, tout comme pour la coupe excessive, une telle méthode de calcul ouvrirait la porte à d'inacceptables abus pouvant résulter dans le défrichement d'une grande partie de la forêt sous condition de l'effectuer sur une parcelle dont la surface totale est suffisante, ce qui n’aurait en aucun cas pu être la volonté du législateur qui aurait justement voulu protéger la forêt.
Il avance qu’il faudrait comprendre par « ne laissant pas sur pied par are » que, dans un carré d'un are, le minimum indiqué du prédit matériel soit maintenu, tout en insistant sur le fait qu’il s’agirait justement de maintenir la surface en état de forêt, de sorte qu’il serait 11important de suivre cette méthode de calcul plutôt que celle avancée par le préposé forestier qui aboutirait à créer des espaces ne constituant plus une forêt.
En ce qui concerne les arguments avancés par les demandeurs quant à leur prétendue ignorance du règlement grand-ducal classant la forêt litigieuse en zone Natura 2000, le délégué du gouvernement renvoie à ses développements y relatifs contenus dans son mémoire en réponse, tout en insistant sur le fait que non seulement cette information serait librement accessible sur internet, mais également que la mesure administrative prise à leur encontre, soit la décision d'interdire la mise sur le marché, ne serait pas énervée par un quelconque élément moral consistant en l'intention de défricher une forêt classée en zone Natura 2000, mais par le simple constat que le bois aurait été récolté illégalement.
Il conclut, finalement, que l'illégalité de la récolte aurait été démontrée à suffisance dans son mémoire en réponse et qu’il aurait ainsi en l’espèce été contrevenu aux articles 1er et 2 de la loi du 30 janvier 1951 et 13 et 17 de la loi du 19 janvier 2004, de sorte que le ministre aurait pris l’unique décision possible, à savoir l’interdiction de mise sur le marché du bois illégalement récolté conformément au règlement n° 995/2010 et à la loi du 21 juillet 2012, précités.
S'il est de principe que la juridiction administrative n'est pas tenue de suivre l'ordre dans lequel plusieurs moyens au fond lui ont été proposés, il n'en reste pas moins que la logique juridique impose que les questions de légalité externe soient traitées avant celles de légalité interne4.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen des demandeurs ayant trait à un défaut de motivation de la décision ministérielle déférée, le tribunal est amené à conclure que s’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et que les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, le cas d’espèce ne tombe cependant dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, de sorte que l’obligation inscrite à l’article 6, alinéa 2, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, d’ailleurs non invoqué par les demandeurs, ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision d’interdiction de mise sur le marché de bois récolté illégalement, et sans demande expresse des intéressés en ce sens, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit être rejeté pour être non fondé.
Par ailleurs, à titre superfétatoire, le tribunal est amené à relever qu’en renvoyant expressément au rapport établi par l’administration de la Nature et des Forêts, précité, du 27 avril 2018 à disposition des demandeurs au plus tard au cours de la présente procédure, et en indiquant les bases légales sur lesquelles la décision se fonde pour finalement conclure que «la coupe rase a été réalisée en violation de la législation précitée», la décision ministérielle est motivée à suffisance en fait et en droit. A cela s’ajoute que la motivation a été complétée par 4 Cour adm. 12 octobre 2006, n° 20513C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n°865 et les autres références y citées.
12la partie étatique avec les explications données en cours de procédure contentieuse, ensemble le dossier administratif versé en cause dans lequel figure, notamment, ledit rapport du 27 avril 2018.
S’agissant ensuite du moyen fondé sur une violation de la Convention d’Aarhus en ce que les demandeurs n’auraient pas été invités à participer à l’élaboration du projet de texte portant désignation de leur parcelle en zone de protection spéciale et qu’ils n’auraient pas non plus eu la possibilité de formuler des observations écrites ou orales à cet égard, force est au tribunal de relever qu’il résulte des explications non contestées de la partie étatique que le fonds litigieux, à savoir la parcelle forestière n°…, inscrite au cadastre de la commune de Sanem, section … de …, et appartenant aux consorts … depuis 2016, a été classé en zone spéciale de conservation Natura 2000 par le règlement grand-ducal du 6 novembre 2009, précité.
Or, dans la mesure où les demandeurs ont acquis la parcelle litigieuse seulement en 2016, donc longtemps après l’achèvement de la procédure de désignation de leur parcelle en zone spéciale de conservation, ils ne sont en tout état de cause pas fondés à invoquer à ce jour ne pas avoir pu faire valoir leurs observations en temps utile, de sorte que le moyen afférent est rejeté.
Il en est de même en ce qui concerne leur argumentation selon laquelle ils n’auraient pas eu connaissance de ladite procédure ni auraient-ils eu la possibilité d’intervenir dans le cadre de la procédure ayant constaté l’existence d’un habitat au sens de la loi du 19 janvier 2004 sur leur parcelle. Il échet, en effet, de rappeler que les demandeurs ont acquis leur parcelle forestière en 2016, soit environ 7 ans après qu’un habitat a été constaté sur leur parcelle, le règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 énonçant en effet expressément en son article 4, paragraphe (22), point b) que la zone … « …-… » dispose d’un habitat 9160 destiné à être conservé.
S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision, le tribunal relève tout d’abord que la décision déférée portant interdiction de mise sur le marché du bois récolté prise sur le fondement de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 21 juillet 2012 est motivée par le fait que les demandeurs auraient procédé à une coupe de bois en violation des dispositions de la loi du 30 janvier 1951 et de celles de la loi du 19 janvier 2004, les faits leur étant reprochés ayant été retenus dans le rapport, précité, de l’administration de la Nature et des Forêts, direction – entité mobile, du 27 avril 2018, auquel la décision se réfère expressément.
Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 21 juillet 2012 : « En cas de non-
respect des dispositions de l'article 4 ou 5 du règlement UE n° 995/2010, le membre du Gouvernement ayant l'Environnement dans ses attributions peut interdire la mise sur le marché ou imposer le retrait du marché du bois et des produits dérivés visés par le règlement UE n° 995/2010 ».
Suivant l’article 4, paragraphe (1), du règlement n° 995/2010 du 20 octobre 2010 : « La mise sur le marché de bois issus d’une récolte illégale ou de produits dérivés de ces bois est interdite. ». Au point g) de l’article 2 du même règlement il est précisé qu’il faut entendre par « issu d’une récolte illégale », les bois et les produits dérivés « récolté[s] en violation de la législation applicable dans le pays de récolte ».
Il se dégage de ces dispositions que la mise sur le marché de bois issus d’une récolte illégale ou de produits dérivés de ces bois est interdite et que le ministre, en application de 13l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 21 juillet 2012, peut interdire la mise sur le marché ou imposer le retrait du marché des bois issus d’une récolte illégale, c’est-à -dire des bois qui sont récoltés en violation de la législation applicable dans le pays de récolte, en l’occurrence le Luxembourg.
Il appartient dès lors au tribunal d’examiner si, en l’espèce, il y a eu récolte illégale au sens du point g) de l’article 2 règlement n° 995/2010 du 20 octobre 2010, c’est-à -dire d’analyser si les bois litigieux ont été récoltés en violation de la législation luxembourgeoise, en l’occurrence, en violation de la loi du 19 janvier 2004 et la loi du 30 janvier 1951.
En ce qui concerne tout d’abord le bien-fondé de la décision en ce qu’elle retient une violation de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, aux termes duquel : « Il est interdit de réduire, de détruire ou de changer les biotopes tels que mares, marécages, marais, sources, pelouses sèches, landes, tourbières, couvertures végétales constituées par des roseaux ou des joncs, haies, broussailles ou bosquets. Sont également interdites la destruction ou la détérioration des habitats de l’annexe 1 et des habitats d’espèces des annexes 2 et 3. (…) Le Ministre peut exceptionnellement déroger à ces interdictions pour des motifs d’intérêt général.
Le Ministre imposera des mesures compensatoires comprenant, si possible, des restitutions de biotopes et d’habitats quantitativement et qualitativement au moins équivalentes aux biotopes et habitats supprimés ou endommagés. », force est de constater, tel que cela a été retenu ci-avant, que le règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 prévoit le classement de la parcelle forestière litigieuse en zone spéciale de conservation, à savoir la zone … « …-… », et que suivant l’article 4, paragraphe (22), point b), du même règlement grand-ducal, l’objectif de conservation principal à atteindre pour cette zone est « [le] maintien dans un état de conservation favorable des chênaies du Stellario-Carpinetum (9160) et des hêtraies du Asperulo-Fagetum (9130) ». Il ressort ensuite de l’annexe 1 de la loi du 19 janvier 2004 reprenant une liste des types d’habitats naturels de l’annexe 1 de la directive 92/43/CEE présents au Luxembourg, que les chênaies du Stellario-Carpinetum, tels qu’ils existaient sur la parcelle litigieuse, constituent un type d’habitat 9160, de sorte que les contestations des demandeurs selon lesquelles il ne serait pas établi que leur parcelle constituerait un habitat à conserver sont d’ores et déjà rejetées.
Par conséquent, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que la parcelle litigieuse constitue un habitat et qu’il n’est pas contesté, en l’espèce, que les consorts … ont procédé au mois de mars 2018 à l’abattage d’arbres implantés sur leur parcelle sur une surface totale de 1 hectare 6 ares sans avoir disposé d’une autorisation de la part du ministre pour ce faire, c’est à bon droit que le ministre a retenu une violation de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 dans leur chef.
Ce constat ne saurait être ébranlé par le moyen des demandeurs fondé sur une violation de l’article 14 de la Constitution en ce que la décision déférée se baserait sur l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 ayant été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle. En effet, si dans son arrêt du 6 juin 2018, la Cour constitutionnelle a effectivement retenu que l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 est contraire à l’article 14 de la Constitution, le tribunal relève que ceci concerne uniquement l’alinéa 1er, première phrase dudit article 17 pour les lieux de vie y non énumérés en tant qu’exemples de biotope, et non pas l’interdiction de destruction des habitats expressément visée à l’article 17, alinéa 1er, deuxième phrase, de la loi du 19 janvier 142004. Ainsi, dans la mesure où l’abattage des arbres litigieux n’a, en l’espèce, pas pour effet de détruire un biotope visé par l’alinéa 1er, première phrase, de l’article 17, mais un habitat de l’annexe 1 de la loi du 19 janvier 2004 explicitement cité à travers la deuxième phrase de l’alinéa 1er de l’article 17, précité, et non visé par ledit arrêt, c’est à tort que les demandeurs invoquent une violation de l’article 14 de la Constitution, de sorte que le moyen afférent est rejeté.
Il en est de même en ce qui concerne les contestations des demandeurs consistant à soutenir que le ministre aurait pu accorder une dérogation à l’interdiction de destruction ou imposer des mesures compensatoires. En effet, si l’article 17, alinéa 3, de la loi du 19 janvier 2004 permet au ministre de déroger exceptionnellement aux interdictions de destructions telles que visées en son alinéa 1er, cette dérogation n’est toutefois possible que pour autant qu’il existe des motifs d’intérêt général, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les demandeurs n’invoquant d’ailleurs eux-mêmes aucun tel motif d’intérêt général dans leur argumentation.
S’agissant, par ailleurs, du reproche au ministre d’avoir commis une erreur de fait, de droit ou d’appréciation en ce que celui-ci aurait qualifié, de manière prématurée et sans aucune condamnation pénale dans le chef des demandeurs, le bois coupé comme ayant été illégalement récolté, et ce, en violation du principe de la présomption d’innocence, il échet au tribunal de relever que ni la loi du 30 janvier 1951, ni celle du 19 janvier 2004, ni encore celle du 21 juillet 2012 n’imposent une condamnation pénale coulée en force de chose jugée comme condition sine qua non avant que le ministre ne puisse prononcer une interdiction de mise sur le marché du bois récolté illégalement, respectivement ordonner son retrait.
En effet, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, une sanction administrative ne saurait dépendre de la condamnation pénale préalable dans le chef d’une personne. Admettre le contraire reviendrait, en effet, à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs. Le moyen afférent est partant rejeté.
La conclusion retenue ci-avant n’est pas non plus ébranlée par l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils se seraient remis à l’avis d’un professionnel ayant les connaissances nécessaires, leur bonne ou mauvaise foi n’étant en effet pas susceptible de changer la situation factuelle et juridique en l’espèce.
Si les demandeurs essaient encore de justifier leur action en prétendant que la forêt se serait trouvée dans un mauvais état, il échet de constater qu’il ressort de la fiche d’évaluation du 1er juin 2016 versée en cause par la partie étatique que la forêt en question a une « Gesamtwertung B », ce qui correspond, suivant les explications non autrement contestées du délégué du gouvernement, à un bon état. C’est encore à tort que les demandeurs prétendent que la forêt ne contiendrait que très peu de végétation au sol, alors que, suivant la même fiche d’évaluation, tant la partie de forêt enregistrée sous le numéro 2 que celle enregistrée sous le numéro 90 ont une « Lebensraumtypisches Arteninventar : Arteninventar : A ». A cela s’ajoute que les demandeurs restent en défaut de démontrer que l’abattage des arbres aurait été bénéfique à la nature, la seule affirmation qu’il y avait « très peu de végétation » et que « les arbres étaient en mauvais état », sans aucun autre élément probant en ce sens, étant en tout cas insuffisant pour convaincre le tribunal.
Au vu de ce qui précède, et dans la mesure où le tribunal a retenu que l’abattage des arbres sur la parcelle des demandeurs d’une surface totale de 1 hectare 6 ares a été effectuée en violation de l’article 17, alinéa 1er, deuxième phrase, de la loi du 19 janvier 2004, il est amené 15à conclure que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur de fait, de droit ou d’appréciation que le ministre a, en application des articles 2 de la loi du 21 juillet 2012 et 4 du règlement n° 995/2010, interdit la mise sur le marché des bois récoltés irrégulièrement, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur le reproche de la partie étatique tenant à ce qu’en procédant à la coupe de bois litigieux sur leur parcelle, les demandeurs auraient violé la loi du 30 janvier 1951, cette analyse devenant surabondante.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours principal en réformation recevable en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 septembre 2019 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.9.2019 Le greffier du tribunal administratif 16