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17/09/2019 | LUXEMBOURG | N°41940

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 septembre 2019, 41940


Tribunal administratif Numéro 41940 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 novembre 2018 3e chambre Audience publique du 17 septembre 2019 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41940 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2018 par Maître Faisal QURAIS

HI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Numéro 41940 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 novembre 2018 3e chambre Audience publique du 17 septembre 2019 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41940 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2018 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Ukraine) et de son épouse, Madame … …, née le … à … (Ukraine), agissant les en leur nom personnel ainsi qu’au nom de leurs enfants mineurs, …, né le … à …, et … …, née le … à …, tous de nationalité ukrainienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, …, …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 octobre 2018 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Danièle NOSBUSCH en sa plaidoirie à l’audience publique du 26 juin 2019.

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Le 28 décembre 2017, Monsieur …et son épouse, Madame … …, agissant en leurs nom personnel ainsi qu’au nom de leurs enfants mineurs … et … …, ci-après désignés « les consorts …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale en date des 20 mars, 15 mai et 20 juin 2018, son épouse, Madame …, quant à elle, fut entendue les 20 mars et 15 mai 2018.

1Par décision du 9 octobre 2018, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des consorts … comme suit :

« […] Monsieur … …, vous déclarez que vous auriez vécu avec votre conjointe … … ainsi qu’avec vos enfants … … et … … à …, au sud-est de l’Ukraine. Vous signalez avoir déposé une demande de protection internationale parce que vous ne pourriez plus vivre en Ukraine depuis le déclenchement de la crise ukrainienne. Vous expliquez que vous auriez déjà voulu quitter votre pays d’origine en 2014, lorsque « la guerre a éclaté en Ukraine. Au début on n’a pas pris au sérieux parce que la guerre était loin. Mais au moment quand on a entendu des bombardements chaque nuit, j’ai dit à ma femme, qu’il fallait quitter le pays. » (p.4/18 de votre rapport d’entretien).

Or, votre conjointe aurait refusé à l’époque d’abandonner votre maison nouvellement construite à …. Pour cette raison vous seriez resté en Ukraine. Vous évoquez néanmoins avoir vécu « une situation de peur » (p. 5/18) due au fait que la police aurait contrôlé et arrêté régulièrement des habitants, certain auraient même disparu.

Vous expliquez ensuite que vous auriez trouvé un nouveau travail à Kiev en août 2017 sur un chantier privé suite à la fermeture de la mine de …. Or, le 24 août des personnes inconnues auraient « entendu que j’ai parlé le russe et quand ils ont appris que j’étais de …, ils m’avaient battus et cassés la prothèse dentaire et cassé le nez » (p.5/18). Vous précisez que vous auriez voulu porter plainte contre vos agresseurs, mais la police vous aurait indiqué qu’elle refuserait d’ouvrir une enquête car les agresseurs feraient partie « d’organisations ultranationalistes » qui seraient sous la protection de certains députés.

Vous auriez donc décidé de ne pas porter plainte.

Un mois plus tard, en septembre 2017, des membres du groupe nationaliste dénommé « C-14 » seraient venus sur votre chantier et auraient jeté des pierres sur vous et un collègue de travail qui serait également originaire de …. Vous auriez eu le temps de vous cacher dans une camionnette et d’appeler la police. Vous n’auriez néanmoins pas porté plainte car les policiers n’auraient pas pris l’incident au sérieux. Ensuite vous seriez retourné à …. En octobre 2017 une nouvelle tentative de chercher du travail et un logement à Kiev aurait échoué. Après avoir obtenu des passeports pour vote famille, vous auriez décidé de quitter l’Ukraine avec votre femme et vos enfants.

Vous dites qu’en tant que russophones du … « nous sommes pas considérés comme des humains. Les Ukrainiens nous considèrent comme des ennemis » (p.6/18). Vous précisez que le « programme es réfugiés » à Kiev ne fonctionnerait pas. On refuserait de vous fournir un logement ou une aide sociale.

Vous évoquez finalement la crainte « d’être recruté pas l’armée ukrainienne et tuer mes compatriotes » (p.16/18).

Madame … …, vous confirmez les dires de votre conjoint en grande partie.

Vous ne présentez pas de documents pour étayer vos dires ».

2Le ministre informa ensuite les consorts … que leur demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre estima que si les faits invoqués par les consorts … à l’appui de leur demande de protection internationale, pourraient certes être a priori reliés à un des critères prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève », ils ne seraient toutefois pas assez graves pour pouvoir retenir dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’ils auraient uniquement fait état de deux agressions. Par ailleurs, ils n’auraient apporté aucun élément de preuve que les agresseurs de Monsieur … ont effectivement été des nationalistes ukrainiens. Le ministre retint dès lors que les raisons des agressions invoquées par les consorts … et l’identité des agresseurs seraient inconnues, de sorte qu’il ne serait pas possible de conclure à une persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause les actes en question émaneraient de personnes privées sans lien avec l’Etat, de sorte qu’ils ne pourraient fonder une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève qu’en cas de défaut de protection des autorités politiques pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève et dont l’existence devrait être suffisamment mise en valeur par le demandeur de protection internationale, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce. A cet égard, le ministre donna plus particulièrement à considérer que Monsieur … n’aurait jamais porté plainte contre ses agresseurs et il releva que même si un policier lui aurait indiqué, suite à sa première agression, qu’il refuserait d’ouvrir une enquête alors que les personnes en question seraient sous la protection de certains députés, ce comportement inapproprié, mais isolé, ne saurait être représentatif pour l’ensemble de l’institution policière ukrainienne, laquelle aurait été réformée avec succès par une loi de 2015. Il ne serait dès lors pas établi que les autorités en place n’auraient pas voulu ou pu leur venir en aide face aux agresseurs de Monsieur ….

Le ministre releva ensuite que même si Madame … aurait déclaré vivre dans la peur permanente, elle n’aurait toutefois pas fait état d’un cas précis de persécution qu’elle aurait subi en Ukraine, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure à un simple sentiment général d’insécurité dans son chef, sentiment qui ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant à la situation générale régnant en Ukraine, le ministre, en se basant sur diverses sources internationales, souligne que la très grande majorité des déplacés internes ukrainiens seraient russophones et se seraient généralement installés dans d’autres villes de l’Ukraine de l’Est, elles aussi majoritairement russophones et sous contrôle des forces ukrainiennes. En rappelant que la liberté de circulation serait garantie en Ukraine, le ministre retint dès lors qu’une fuite interne, notamment dans les villes de Kharkiv et de Bakhmout et de manière plus générale les villes de Berdiansk, Mariupol, Dnipro, Izioum, Kamianske, Kamatorsk, Lozova, Lyssytchansk, Melitopol, Pavlohrad, Pokrovsk, Sloviansk, Zaporijia ou encore Sievierodonetsk, aurait été possible dans le chef des consorts ….

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que les consorts … ne feraient état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courraient un risque réel de 3subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans leur pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour des consorts … sur le territoire luxembourgeois était illégal et leur enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2018, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 9 octobre 2018 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 9 octobre 2018, telle que déférée.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de leur recours les demandeurs reprennent tout d’abord, en substance, les faits et rétroactes de leur demande en obtention d’une protection internationale, tels que retranscrits dans les rapports d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, tout en insistant sur le fait qu’en tant que russophones de la région de … , ils seraient considérés comme « ennemis de la nation » par les ukrainiens qui les chasseraient et les agresseraient tant physiquement que moralement. Cette situation n’aurait pas changé dans leur région d’origine depuis les accords de Minsk. Les demandeurs, en insistant sur la véracité de leur récit, affirment encore ne pas pouvoir se déplacer librement dans leur pays d’origine et y risquer leur vie de sorte qu’ils n’auraient pas eu d’autre choix que de fuir, alors que toute fuite interne serait exclue.

En droit, les demandeurs font valoir que la décision ministérielle portant refus de leur accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale serait entachée d’illégalité au motif qu’ils rempliraient les conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015 pour obtenir soit le statut de réfugié, soit celui conféré par la protection subsidiaire, ce d’autant plus que leurs affirmations quant aux agissements dont ils déclarent avoir été victimes n’auraient pas été utilement critiquées par le ministre, de sorte à devoir être considérées comme étant établies.

Ensuite, ils reprochent, en substance, au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits de l’espèce, respectivement d’avoir procédé à une analyse erronée de ces mêmes faits. Ainsi, et contrairement aux conclusions retenues par le ministre, les violences, coups et blessures et tentative d’homicide dont aurait été victime Monsieur … en raison de son origine russophone établiraient à suffisance dans son chef une crainte fondée de persécution. Le ministre n’aurait plus particulièrement pas tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait que ces agissements seraient liés à leur origine ethnique, ce d’autant plus au vu de l’absence de protection de la part des autorités 4ukrainiennes face à de tels agissements. En cas de retour forcé dans leur pays d’origine ils seraient ainsi exposés, en raison de leur origine russophone, à des violences, injures, insultes, discriminations, sinon à des traitements inhumains et dégradants dans un laps de temps plus ou moins court.

Les demandeurs estiment dès lors que les faits qu’ils ont invoqués devraient être assimilés à des actes de menace, de violence et de persécutions au sens de la Convention de Genève, de sorte que le ministre aurait dû leur octroyer soit le statut de réfugié, soit le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », 5 et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que les demandeurs ne sauraient bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque d’être persécutés qu’ils encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.

6Il y a, par ailleurs, lieu de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, si les faits invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande de protection internationale peuvent certes s’inscrire sur une toile de fond ethnique, de sorte à tomber a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins que l’instruction de la demande sous analyse ne permet pas de conclure que les demandeurs puissent être exposés à des persécutions dans le cas d’un retour en Ukraine.

En effet, et indépendamment de la question de savoir si les actes invoqués par les demandeurs à la base de leur demande de protection internationale sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, étant précisé à cet égard que les seuls éléments concrets mis en avant par les demandeurs à travers leur recours pour justifier leur demande de protection internationale se résument à deux agressions dont Monsieur … a été victime au cours de l’année 2017, il y a lieu de relever que les agressions en question ont été commises par des personnes privées sans lien avec l’Etat.

Il ressort en effet des déclarations du demandeur lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration que les deux agressions ont été perpétrées par des personnes dont il ignore l’identité1 et pour lesquelles il suppose qu’elles font partie de groupes ultranationalistes compte tenu de leurs barbes et tatouages ainsi que d’un emblème sur leurs bras en ce qui concerne les auteurs de la deuxième agression dont il aurait fait l’objet en septembre 20172.

Les auteurs étant des personnes privées, les demandeurs ne peuvent faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités ukrainiennes ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre les agissements dont ils font état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’ils ont de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de leur pays d’origine.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale2. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut3.

L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de l’atteinte grave infligée.

1 Pages 5 et 6/18 du rapport d’entretien.

2 Pages 6 et 12/18 du rapport d’entretien.

3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

7 Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, il ne ressort pas des déclarations des demandeurs, ni des pièces produites en cause que les autorités ukrainiennes compétentes refuseraient ou seraient dans l’incapacité de leur fournir une protection quelconque contre les auteurs des deux agressions dont Monsieur … affirme avoir été victime.

En effet, si le demandeur affirme certes avoir essayé en vain de déposer plainte contre les auteurs de la première agression dont il a été victime et qui a eu lieu en août 2017, alors que le policier auquel il s’était adressé aurait refusé d’ouvrir une enquête contre les personnes en question au motif qu’elles seraient sous la protection de certains députés, cette circonstance certes fortement condamnable, ne laisse toutefois pas conclure ipso facto à un défaut de protection de la part des autorités ukrainiennes, alors qu’il s’agit d’un seul agent de police qui ne saurait être représentatif pour la police ukrainienne en général. Le demandeur aurait dès lors pu s’adresser à un autre membre de la police afin de voir enregistrer sa plainte et voir poursuivre ses agresseurs, ce qu’il a toutefois omis de faire. A cet égard, il convient plus particulièrement de relever, tel qu’il ressort des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique, basées sur des sources internationales4, que la police ukrainienne a fait l’objet d’une réforme à travers une loi de juillet 2015 et que cette institution est perçue comme un acteur de protection fiable sur les territoires ukrainiens contrôlés par les forces gouvernementales.

Quant à la deuxième agression dont le demandeur affirme avoir fait l’objet en septembre 2017, il convient de relever qu’il ressort des déclarations du demandeur même qu’il n’a pas essayé de porter plainte contre ses agresseurs et ce en dépit du fait que les membres de la police venus sur place lui ont expressément proposé de venir au bureau de police pour porter plainte contre les individus en question5.

4 UNHCR, Report on the human rights situation in Ukraine, 15 May to 15 August 5 Page 6/18 du rapport d’entretien de Monsieur ….

8Or, à défaut d’avoir au moins tenté de dénoncer les faits et d’avoir tenté de porter plainte auprès de la police, ou d’avoir sollicité une forme quelconque d’aide auprès d’une autorité étatique ukrainienne, les demandeurs ne sauraient leur reprocher de ne pas avoir pu ou voulu les aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection.

Dans ces circonstances, le tribunal retient qu’il n’est pas établi que les autorités ukrainiennes seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas accorder aux demandeurs une protection appropriée.

En ce qui concerne les affirmations générales des demandeurs selon lesquelles ils vivraient « dans la peur permanente »6 vis-à-vis des nationalistes, il y a lieu de relever qu’outre les deux agressions susmentionnées, ils n’ont pas fait état d’un incident concret. Par ailleurs, il ressort des explications circonstanciées de la partie étatique et non autrement énervées par les demandeurs, fondées sur des rapports d’organisations internationales, que les nationalistes n’occupent qu’une place marginale dans la société et le monde politique ukrainien, de sorte que ces craintes se résument à un sentiment général d’insécurité, lequel ne saurait toutefois justifier l’octroi d’une protection internationale.

Au vu des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi du statut de réfugié aux demandeurs.

Pour être tout à fait complet, il convient encore de relever que la partie étatique a en outre fait valoir que les demandeurs auraient pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne, aux termes de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015.

Il échet à cet égard de rappeler qu’aux termes de l’article 41, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Dans le cadre de l’évaluation de la demande de protection internationale, le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine :

a) il n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves; ou b) il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 40 et qu’il peut, en toute sécurité et en toute légalité, effectuer le voyage vers cette partie du pays et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse. ».

Il s’ensuit que la zone envisagée par le ministre pour la fuite interne doit remplir trois conditions cumulatives : premièrement, le demandeur n’y court pas le risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves, ou, le cas échéant, peut y bénéficier d’une protection de la part des autorités, deuxièmement, la zone doit être accessible tant sur un plan pratique que juridique, et troisièmement, il doit être « raisonnable » d’attendre du demandeur qu’il s’y installe. Il appartient donc au tribunal d’examiner si c’est à bon droit que le ministre a 6 Page 4/12 du rapport d’entretien de Madame ….

9notamment identifié les villes de Kharkiv et de Bakhmout comme zones de l’Ukraine dans lesquelles les demandeurs pourraient bénéficier d’une possibilité de fuite interne au sens de l’article 41, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne la ville de Bakhmout, située dans l’oblast de …, région dont les demandeurs sont originaires, il ressort des explications non remises en cause de la partie étatique, sources internationales l’appui, que des dizaines de milliers de déplacés internes, dont la plus grande majorité est russophone et qui ont dû quitter leurs régions d’origine situées en zone de conflit, ou dans les Républiques populaires autoproclamées de … et de …, ont trouvé refuge dans cette ville.

Quant à la ville de Kharkiv, laquelle est la deuxième plus grande ville d’Ukraine et la capitale administrative de l’oblast de Kharkiv, il résulte des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique, sources internationales à l’appui, que cette ville est devenue l’une des principales destinations pour les déplacés internes qui ont pu y trouver refuge.

Il convient en outre de relever que les demandeurs n’ont pas fait état de problèmes personnels concrets qu’ils auraient pu rencontrer dans les villes en question, les demandeurs a ayant au contraire souligné qu’ils n’ont pas essayé de s’installer dans une autre ville de leur pays d’origine et ce en raison de simples suppositions, le demandeur ayant en effet déclaré lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration qu’ils n’ont pas essayé de recourir à une fuite interne au motif du « manque de volonté ou de l’impossibilité du gouvernement actuel de nous aider de nous installer dans une autre région de l’Ukraine et de trouver un travail, d’être affilié aux sécurités sociaux, de scolariser mes enfants et aussi de nous aider en question de santé »7, la demanderesse ayant, quant à elle, déclaré que ses « connaissances qui essayai[ent] de déménager dans une autre région de l’Ukraine, sont, en majorité, retournés, suite aux problèmes liés au travail, des problèmes financiers et des problèmes d’argent »8.

Le tribunal déduit des considérations qui précèdent qu’une fuite à Kharkiv ou à Bakhmout n’expose pas les demandeurs à un risque de persécution.

Il échet par ailleurs de souligner qu’en application du principe de non-refoulement, tel qu’il découle de plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme auxquels le Luxembourg est partie, et notamment de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et libertés fondamentales, la fuite interne ne peut être envisagée si elle expose le demandeur à un risque de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Ainsi, il ressort des principes directeurs sur la protection internationale du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désigné par « HCR », que le risque d’atteintes graves doit également être examiné à ce stade. Le HCR le précise en effet :

« […] on ne peut demander à une personne dont il a été établi qu’elle craint des persécutions dans une partie du pays, pour l’un des motifs prévus par la Convention de 1951, de se réinstaller dans une autre zone où il existe de graves menaces. Si le demandeur devait être exposé à un nouveau risque, notamment à un risque grave pour sa vie, sa sécurité, sa liberté, 7 Page 15/18 du rapport d’entretien de Monsieur ….

8 Page 9/11 du rapport d’entretien de Madame ….

10sa santé, ou à une autre forme de graves discriminations, l’éventualité de fuite ou de réinstallation internes n’est pas envisageable, que ce risque se rattache ou pas à l’un des motifs prévus par la Convention. L’appréciation de risques nouveaux doit donc également prendre en compte la menace grave, généralement couverte par des formes complémentaires de protection.9 ».

Il appartient dès lors au tribunal d’examiner si la fuite interne n’expose pas les demandeurs à un risque de subir des atteintes graves énumérées à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Sur la base des éléments soumis à l’appréciation du tribunal et en l’absence de conflit armé à Kharkiv et à Bakhmout, rien ne permet de supposer, au regard de ce qui a été retenu ci-avant, que les demandeurs courraient un risque d’être condamnés à la peine de mort ou exécutés, ou de subir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants dans le cas où ils s’installeraient dans une des deux villes.

S’agissant du caractère « raisonnable » de la fuite interne proposée par la partie étatique, les principes directeurs du HCR précisent qu’il doit être apprécié au regard « de la situation personnelle du demandeur, de l’existence de persécutions antérieures, des conditions de sûreté et de sécurité, de respect des droits de l’homme et des conditions économiques de subsistance. »10.

Sur ces points, il convient de relever qu’il ressort des explications de la partie étatique, basées sur des rapports d’organisations internationales, qu’environ un million d’Ukrainiens passent chaque mois les points de contrôle entre les territoires occupés par les séparatistes et les forces ukrainiennes, de sorte que c’est à tort que les demandeurs affirment, d’ailleurs de manière non autrement circonstanciée, ne pas pouvoir librement circuler dans leur pays d’origine. Etant donné que leur liberté de circulation est garantie, qu’ils n’ont pas subis de persécutions antérieurs dans les villes de Kharkiv et à Bakhmout et que le tribunal vient de retenir qu’ils ne risquent pas d’y faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves, la fuite interne dans une de ces deux villes doit être considérée comme raisonnable, ces villes étant matériellement et juridiquement accessibles aux demandeurs.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre doit en l’espèce être suivi dans son appréciation selon laquelle il n’y a pas lieu d’accorder le statut de réfugié aux demandeurs puisqu’ils pourraient bénéficier d’une possibilité de fuite interne en Ukraine, eu égard à leur situation personnelle et aux conditions qui prévalent à Kharkiv et à Bakhmout.

C’est donc à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le statut de réfugié aux consorts ….

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un 9 HCR, Principes directeurs sur la protection internationale : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne » dans le cadre de l’application de l’Article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, 23 juillet 2003, § 20.

10 HCR, Ibid., § 24.

11réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Plus particulièrement, lorsque les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la même loi ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les atteintes graves persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Force est encore de relever que l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte à viser des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque de subir des atteintes graves qu’ils encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, le tribunal vient de retenir au sujet de la demande d’octroi du statut de réfugié, qu’il n’est pas établi en cause que les demandeurs ne peuvent pas réclamer la protection des autorités ukrainiennes, respectivement que celles-ci ne seraient pas disposées ou pas capables de leur accorder une protection contre les personnes dont ils affirment avoir été victimes.

12Par ailleurs, il échet de relever que, dans le cadre de l’examen des conditions d’octroi du statut de réfugié mené ci-avant, le tribunal a encore retenu la possibilité, dans le chef des demandeurs, de bénéficier d’une fuite interne à Kharkiv ou à Bakhmout, et qu’il a, dans ce contexte, aussi étendu son examen à une appréciation du risque de subir des atteintes graves dans ces deux villes, au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que la même conclusion s’impose en ce qui concerne les éventuels risques d’atteintes graves dans ces deux villes.

Le tribunal ayant ainsi conclu à une protection de la part des autorités ukrainiennes dans le chef des demandeurs et ayant par ailleurs reconnu la possibilité de fuite interne au sens de l’article 41 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, au motif que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs s’établissent de Kharkiv et à Bakhmout où ils n’ont pas de crainte fondée d’être persécutés ni de subir des atteintes graves, c’est également à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection subsidiaire.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par les demandeurs.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Les demandeurs concluent à la réformation sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation du refus de leur accorder une protection internationale. Par ailleurs, ils invoquent le principe de précaution.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la décision déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité de la loi du 18 décembre 2015, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

13Il s’ensuit, en l’absence d’autres moyens invoqués dans ce contexte, que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 9 octobre 2018 portant refus d’une protection internationale ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle 9 octobre 2018 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 septembre 2019 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 septembre 2019 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 41940
Date de la décision : 17/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-09-17;41940 ?

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